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N° 96 – 5 juin 2008
BCE : pure rhétorique ou prélude à l’activisme ?
La BCE a maintenu son principal taux directeur
inchangé lors de sa réunion du 5 juin, à 4% depuis
maintenant un an. Le discours du président Trichet
s’est nettement raffermi, au moment où les mesures
de l’inflation réalisée et anticipée enregistrent une
nouvelle hausse, en lien avec celle des prix de
l’énergie. Les risques sur la croissance n’ont pas
disparu, au contraire, mais la performance
déconcertante du T1 (+0,8% t/t) conforte de
nouveau la BCE dans sa position.
Les nouvelles prévisions des économistes de la
BCE reflètent ce double constat : l’inflation a été
revue à la hausse pour les deux ans à venir, mais
dans le même temps, la croissance a été révisée à la
baisse pour 2009.
Si nous suivons à la lettre le discours de
M. Trichet, c’est à une hausse de taux à laquelle
nous devons nous attendre et dès le mois prochain.
Selon ses termes, l’inflation n’est pas appelée à
ralentir et le Board se dit en état d’alerte totale.
Nous ne partageons pas l’analyse de M. Trichet.
Selon nous, la BCE est totalement démunie face à une
hausse des prix relatifs. Un resserrement monétaire
n’altérera pas la dynamique des prix du pétrole, fut-
elle exagérée… En revanche, dans un univers
financier et économique encore fragile, un tel geste
est potentiellement destructeur. Même si vu d’aujour-
d’hui, ceci s’apparente à du « wishful thinking », nous
privilégions l’hypothèse du statu quo durable.
Pas de baisse des taux en 2008
En l’espace d’un mois, l’environnement économique
a sensiblement évolué en zone euro (nouvelle
hausse de l’inflation et croissance plus forte que
prévu au 1er trimestre). Sa perception par les
marchés financiers a, quant à elle, radicalement
changé depuis le début de l’année. Après avoir
anticipé des baisses de taux tout au long du
1er trimestre, les investisseurs ont revu ces
anticipations de taux courts à la hausse dans le
courant du mois d’avril, jusqu’à prévoir des hausses
de taux depuis la mi-mai (cf. graph. ci-après). Les
chiffres d’inflation, en particulier le pic du mois de
mars à 3,6%, mais aussi les commentaires très
agressifs de certains membres de la BCE, sont à
l’origine de ces mouvements. Le président de la
Bundesbank, Axel Weber, a évoqué le premier la
possibilité d’une hausse de taux de la BCE pour
contrer l’inflation, une hypothèse que les marchés
jugent désormais crédible. Après le discours de Mr
Trichet, cette hypothèse va certainement se muer en
certitude pour les marchés.
En effet, si nous suivons à la lettre le discours de Mr
Trichet, c’est à une hausse de taux à laquelle nous
devons nous attendre et dès le mois prochain. Selon
ses termes, l’inflation n’est pas appelée à ralentir et
le Board se dit en état d’alerte totale.
UEM : taux courts et anticipations
2.0
2.5
3.0
3.5
4.0
4.5
5.0
02 03 04 05 06 07 08 09
%
5 juin 2008
il y a un mois
il y a 3 mois
Source : Bloomberg, CA
Taux refi
Taux Euribor 3M
Si nous ne partageons pas l’analyse, selon nous très
court termiste de M. Trichet, il convient d’en prendre
acte mais en privilégiant plutôt l’hypothèse du statu
quo durable. La menace de hausse des taux que fait
planer son discours vise surtout à ancrer fermement et
durablement les anticipations d’inflation. Ce n’est pas
seulement en réaction puisqu’il y a également de
bonnes raisons pour réviser notre scénario.
Un statu quo prolongé
L’équation est relativement simple : la croissance va
ralentir, mais le niveau de l’inflation, supérieure à
3,5% jusqu’en septembre, ne permet pas à la BCE de
baisser sa garde sans mettre sa crédibilité en danger.
Frederik Ducrozet
Isabelle Job
N° 96 – 5 juin 2008 2
UEM : anticipations d'inflation de marché
(tirée des swaps d'inflation sur HICP hors tabac)
1.8
2.0
2.2
2.4
2.6
2.8
3.0
janv.-07 avr.-07 juil.-07 oct.-07 janv.-08 avr.-08
%
à 2 ans à 5 ans à 10 ans à 30 ans
Source : Bloomberg, CA
Nous pensons, en effet, toujours que la croissance
européenne va finir par plier face aux multiples
chocs (pétrole cher, euro fort, crise financière et
récession US) qui éprouvent sa résilience.
Néanmoins, force est de reconnaître que,,
contrairement à ce que nous avions pu estimer
initialement, ce risque ne s’est pas matérialisé en début
d’année, avec une croissance toujours vigoureuse au
premier trimestre. Tout est une question de temps
mais aujourd’hui le temps joue contre nous car en
l’absence de signes tangibles de ralentissement du
côté de l’activité, il y a peu de chance que la BCE se
montre suffisamment inquiète pour abaisser sa
vigilance à l’égard du risque inflationniste.
Vient alors notre erreur d’appréciation sur le risque
inflation et plus fondamentalement sur l’orientation
des prix du pétrole. Tout le monde s’accorde sur l’idée
que la tendance de fond du prix des matières
premières est bien à la hausse. L’appétence des pays
émergents, en phase de rattrapage économique, pour
toute une série de produits de base en est le principal
moteur dans un contexte où l’offre est rigide ou
contrainte. Cependant, les récents développements sur
ces marchés, surtout le pétrole, montre un dérapage
des prix au-delà de ce qui est justifié par ces seuls
fondamentaux. Autrement dit, ce sont les investisseurs
qui arbitrent, aujourd’hui plus qu’hier, les matières
premières comme une classe d’actifs à part entière qui
amplifient la tendance. Il est vrai que crise financière
aidant, cet actif de substitution présente de nombreux
atouts. Il délivre une rentabilité élevée et est censé être
une bonne protection contre les risques inflationnistes
et contre la baisse du dollar. Ces excès sont selon nous
appelés à se corriger. Dans un univers de croissance
mondiale plus faible, la demande de matières
premières devrait finir par pâlir avec à la clef des
ajustements à la baisse sur les prix. Si les marchés se
mettent à anticiper ce retournement, les débouclages
de positions pourraient accompagner ce mouvement,
pour venir alimenter ces pressions baissières.
UEM : scénarios d'inflation
1.0
1.5
2.0
2.5
3.0
3.5
4.0
janv.-08 juil.-08 janv.-09 juil.-09
a/a %
Scénario central trole = forwards
Source : Datastream, CA
Nos prévisions se font le reflet d’un tel pari avec des
prix du pétrole qui termineraient l’année en dessous
des 100 $ le baril pour se stabiliser autour des 90$ en
2009.
Un tel pari n’est pas neutre dans la mesure où le
reflux anticipé des prix du pétrole a des implications
en termes de profils de croissance et d’inflation.
Ainsi, les chocs passés vont affaiblir la croissance
européenne dès le deuxième trimestre et jusqu’à la fin
de l’année. Mais, sur la période, l’inflation va rester en
tendance trop élevée pour détourner la BCE de son
mandat. Elle n’aura alors d’autres choix que de
maintenir un statu quo. Au-delà, si nous avons raison,
avec la décélération rapide de l’inflation, la baisse de
l’euro et la normalisation progressive des taux 3 mois
l’environnement sera un peu plus favorable à la
croissance qui devrait reprendre des couleurs sans
qu’il soit question de parler de franche reprise.
C’est globalement un scénario de croissance molle de
part et d’autre de l’Atlantique qui se profile à l’horizon
2009. Dans ce contexte, l’inflation ne sera plus le sujet
principal de préoccupations mais la croissance ne sera
pas suffisamment en danger pour autoriser un geste de
la BCE.
UEM : croissance et inflation
1.0
1.5
2.0
2.5
3.0
3.5
4.0
04 05 06 07 08 09
PIB Inflation
Source : Eurostat, CA
a/a %
Frederik Ducrozet
Isabelle Job
N° 96 – 5 juin 2008 3
Si la BCE bouge, ce sera à la ???
Se pose malgré tout la question de la direction du
prochain mouvement de la BCE, quel que soit son
timing.
Si l’on en croit monsieur Trichet, c’est bien la question
de la hausse qui se pose aujourd’hui au moment où
l’inflation donne la désagréable impression de ne
jamais vouloir baisser. Quand on sait que la BCE
utilise les forward Pétrole pour construire ses
prévisions, il n’est pas étonnant d’arriver à cette
conclusion. Pourtant, la sensibilité des prévisions
d’inflation à cette « inconnue » pétrole étant
aujourd’hui très élevée, il conviendrait d’être plus
prudent sur l’orientation future des prix. De plus, n’en
déplaise à M. Trichet, le risque que cette poussée
inflationniste en amont ne dégénère en une dérive
généralisée des prix est selon nous une hypothèse peu
probable.
Car si les prix continuent de monter, la croissance sera
en danger. Une telle rupture serait synonyme d’un
affaiblissement de l’emploi un peu partout en Europe
et dans ce cas la question des possibles effets de
second rang sera tranchée d’elle-même.
La BCE est totalement démunie face à une hausse des
prix relatifs. Un resserrement monétaire n’altérera
pas la dynamique des prix du pétrole, fut-elle
exagérée… En revanche, dans un univers financier et
économique encore fragile, une tel geste est
potentiellement destructeur.
On aimerait, même si cela s’apparente plus
aujourd’hui à du « wishful thinking », que la BCE fasse
preuve d’autant de pragmatisme qu’elle a su le faire
dans le passé (cf. graphique ci-après).
Oubliez la hausse M. Trichet et laissez la porte ouverte
à une baisse !
La BCE et le climat des affaires
45
50
55
60
65
00 01 02 03 04 05 06 07 08
point
PMI-Composite moyenne du PMI +/- 0,5 écart type
Source
: Reuters, CA
"biais" haussier
discours neutre
carrés rouges
hausse du refi
carrés verts
baisse refi
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