32 | MM47, 21.11.2016 | SOCIÉTÉ Entretien «Les coûts de la santé doivent être rationalisés avant d’être rationnés» Verena Nold, directrice de Santésuisse, l’organisation faîtière des assurances maladie, s’exprime sur la forte augmentation des primes pour 2017, qu’elle attribue principalement à des médecins peu enclins à l’économie. Et donne son ordonnance pour la limiter. Texte: Pierre Léderrey Photos: Michael Sieber SOCIÉTÉ | MM47, 21.11.2016 | 33 SOCIÉTÉ | MM47, 21.11.2016 | 35 De quoi parle-t-on? Le couperet est tombé il y a quelques semaines: les primes maladie auront bien mauvaise mine l’an prochain, avec une augmentation prévue entre 4% et 6,5%. Et c’est du côté romand que la pilule sera le plus dure à avaler. La directrice de Santésuisse en appelle à une vraie prise de responsabilité, y compris de la part des patients. En tant que directrice de Santésuisse, que vous inspire l’augmentation massive des primes prévue en 2017? Ce n’est pas une surprise: nous examinons mensuellement les coûts canton par canton. Les prestations médicales ont grimpé de 4%, parfois davantage, et les primes ne reflètent que le développement des coûts, il faut le rappeler. Nous avons aussi constaté que c’est du côté de l’ambulatoire, dans les hôpitaux et les visites dans les cabinets de médecins, que l’augmentation est la plus importante par rapport aux autres années. De plus, le prix des médicaments n’a pas été adapté par le Conseil fédéral en 2015 et 2016. Y a-t-il une explication structurelle aux primes plus élevées du côté romand? Les Suisses romands consomment davantage de prestations médicales que les Suisses alémaniques. Il s’agit sans doute d’une question culturelle, mais cela s’explique surtout par une offre médicale plus dense, sauf en Valais. Donc, plus il y a de médecins, plus on y va? Oui, surtout du côté des médecins spécialisés. Il existe un rapport clair entre le nombre de spécialistes et l’augmentation des coûts de la santé dans un canton donné. Malgré de nombreux regroupements hospitaliers, d’ailleurs parfois difficiles à accepter pour la population, la Suisse romande peut donc encore mieux faire? Ces regroupements n’ont pas empêché les coûts de l’ambulatoire d’augmenter de façon marquée. Il n’y a sans doute pas assez de contrôle en la matière. Les contrôles de qualité existants ne sont donc pas suffisants? Ils le sont pour ce qui concerne les hôpitaux dans le domaine stationnaire, mais pas pour l’ensemble des prestations ambulatoires ou en cabinet. Dès qu’un médecin a l’autorisation de pratiquer en Suisse, il n’y a plus de contrôle de l’excellence de son travail. C’est ce que Santésuisse aimerait changer. Pourquoi, selon vous, les assureurs ont-ils si mauvaise presse? Dans le système de santé, les médecins et les hôpitaux soignent et soulagent les malades. Les assurances, elles, envoient la facture. Ce n’est pas forcément le plus beau rôle. Et forcément, plus la facture augmente, moins l’image est bonne. Mais en même temps, les assureurs maladie n’ont pas à leur disposition les compétences pour maîtriser l’ensemble des facteurs de coûts. Par exemple? Reprenons celui du nombre de spécialistes dans une région: il est de la compétence du canton, tout comme le nombre d’hôpitaux qui peuvent facturer à charge de l’assurancemaladie. Pour limiter les coûts, les assureurs peuvent limiter le poids de leur administration, contrôler chaque facture et négocier des tarifs qui respectent le principe d’économicité inscrit dans la Loi fédérale sur l’assurance-maladie (Lamal). Qui se chargerait de ces contrôles? Voilà plus d’une décennie que nous cherchons un accord à ce sujet avec la Fédération des médecins suisses (FMH): comment définir la qualité, selon quels critères et comment la vérifier. Des concepts existent, encore convient-il d’accepter de les appliquer dans notre pays. Si un médecin a un diplôme reconnu, qu’il suit des formations continues et qu’il parle une langue nationale, cela est aujourd’hui suffisant. Pour notre part, nous estimons que cela ne permet pas de garantir de bons traitements. Par exemple tel traitement a-t-il apporté un bénéfice en termes de santé au patient? On l’ignore. Un autre gros désaccord avec la FMH est la discussion autour du fameux point Bio express Une carrière dans la santé Verena Nold (54 ans) est directrice de l’association faîtière des assureursmaladie, Santésuisse, depuis 2013. Auparavant, elle y a exercé plusieurs fonctions, dont celle de vice-directrice mais également directrice de la filiale Tarifsuisse, où elle a mené des négociations tarifaires sur les plans national et cantonal et a dirigé quelque soixante collaborateurs. Avant cela, de 1990 à 1997, elle a été membre de la direction d’Helsana Assurances. Tarmed. Pouvez-vous nous en rappeler l’enjeu? Depuis 2004, il existe un tarif identique dans tous les cantons suisses pour les médecins et l’ambulatoire. Mais entretemps, la médecine s’est développée. Ainsi, l’opération fréquente de la cataracte, qui durait trois heures il y a vingt ans, ne demande plus que vingt minutes de nos jours. Or, le tarif correspond toujours à une opération de trois heures. Il faudrait à l’évidence adapter la structure tarifaire à la médecine d’aujourd’hui. Evidemment, c’est un immense travail puisque Tarmed est très complexe. Comme les intérêts entre assureurs et médecins sont très différents, on ne parvient pas à trouver un accord. Dès le départ, Santésuisse a posé comme condition que la révision du point Tarmed ne débouche pas sur une autre augmentation des coûts. Et que l’on connaisse la réalité de ce qui est payé en frais médicaux. Sans certitudes sur ces points, nous avons refusé de participer aux discussions. Depuis septembre 2015, nous tentons une autre approche avec les médecins spécialistes en révisant chapitre par chapitre. Nous pensons qu’en allant petit à petit, nous avons plus de chances de parvenir à un accord global. Les médecins ne se préoccupent-ils donc pas de l’augmentation des coûts de la santé? Ils ont dit qu’ils voulaient être rémunérés selon leurs besoins et leurs coûts. Mais comme l’a aussi précisé le Conseil fédéral, l’efficacité joue également un rôle si on veut être remboursé par une assurance sociale. Comment se fait-il que les salaires des médecins soient aujourd’hui si difficiles à obtenir? Ils ont été publiés par la FMH pour la dernière fois en 2009. Et comme on ignore les chiffres actuels, il est aussi difficile de calculer un tarif correct. En passant, le nombre important de praticiens étrangers qui viennent ou veulent venir chez nous montre que les rémunérations restent très attractives. Pourquoi Santésuisse a-t-elle proposé au Conseil fédéral une rémunération basée sur des forfaits? Reprenons l’opération de la cataracte: SOCIÉTÉ | MM47, 21.11.2016 | 37 comme pour toutes les opérations de routine, on pourrait imaginer un forfait fixe par prestation et patient, ce qui permettrait de limiter l’augmentation des coûts. Le grand nombre de médecins étrangers pratiquant en Suisse ne pose-t-il pas un problème? Nous disons que n’importe quel médecin pratiquant en Suisse doit fournir de la bonne qualité. Le problème est qu’aujourd’hui, on ne sait pas si certains offrent des services moins satisfaisants que d’autres, car la qualité n’est pas contrôlée. Si un canton autorise un praticien étranger à s’installer sur son sol, ce dernier peut ouvrir un cabinet et facturer automatiquement à charge de l’assurance de base. Nous demandons une limitation en termes de remboursement par la Lamal, là où il y a trop de médecins, si certains ouvrent tout de même des cabinets supplémentaires. Si on a le luxe de choisir, on devrait pouvoir choisir les meilleurs. Mais encore faut-il avoir des outils de vérification de la qualité, qui pour l’instant font défaut. Parmi les autres causes de coûts qui flambent, il y a ce que l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) appelle les coûts injustifiés, chiffrés à 250 millions par an. Un vrai problème? Naturellement. Et c’est également lié aux contrôles de qualité inexistants ou insuffisants. La prothèse du genou est deux fois plus pratiquée à Glaris qu’à Genève. Le critère est-il vraiment médical? Pour nous, c’est pourtant le seul critère qui doive donner lieu à un remboursement. Le prix des médicaments, le plus élevé d’Europe, est aussi mis en avant. Cela ne s’explique-t-il pas par une main-d’œuvre forcément plus chère chez nous? Chez nous, les génériques coûtent deux fois plus cher qu’ailleurs, bien qu’ils ne soient pas produits en Suisse, mais à l’étranger. Le coût de la main-d’œuvre ne peut donc pas être prétexté. Comment se fait-il que l’on ne parvienne pas à faire baisser ces prix? Cette compétence est du ressort du Conseil fédéral. L’an dernier, le Tribunal fédéral a estimé que la méthodologie employée n’était pas correcte. Tout est maintenant bloqué jusqu’en 2018. L’industrie pharmaceutique est un poids lourd de notre écono- Pour Verena Nold, des contrôles de qualité lacunaires expliquent en partie l’explosion des coûts de la santé. mie, la pression exercée sur le Conseil fédéral pour ne rien changer est énorme. Reste qu’un prix de référence pour les génériques, – un modèle déjà adopté en Hollande ou au Danemark – permettrait d’économiser des centaines de millions de francs par an. La possibilité de changer de caisse quel que soit son état de santé n’est-elle pas menacée? Des tentations de sélections des patients sont apparues récemment… Si vous pensez à des rabais pour une personne qui pratique un sport ou qui ne fume pas, cela n’est légal que pour les assurances complémentaires. Ce serait contraire à la loi sur l’assurance de base. De plus, il existe un système de compensation des risques entre les assurances-maladie: une caisse ayant beaucoup d’assurés âgés ou malades reçoit de l’argent des caisses qui ont davantage de jeunes ou de personnes saines. Avec ce système, ne sélectionner que les bons risques ne sert à rien, puisqu’il faudrait reverser davantage à la concurrence. Pouvez-vous assurer que, s’il existait un système de caisse unique, les gens paieraient encore plus cher? Non. En revanche, on peut clairement affirmer qu’ils auraient moins de choix. Aujourd’hui, même si l’on est très malade, on peut changer de caisse chaque année. La concurrence entre les caisses les oblige à une grande efficacité administrative: en 1996, les frais administratifs s’élevaient en moyenne à 8,6%; aujourd’hui, ils font moins de 5%. Cela est aussi dû à la concurrence. L’excellence de notre système de santé est-elle encore dans nos moyens lorsque l’on voit le pourcentage croissant de la population dans l’incapacité de payer ses primes? 27% de la population touche des subsides pour les primes. C’est énorme, d’autant que cette part augmente chaque année. Nous pensons effectivement que si l’on ne fait rien, le risque existe de voir s’installer une médecine à deux vitesses. Aujourd’hui, notre système de santé exceptionnel est le même pour chaque citoyen. Le danger est bien sûr de devoir commencer à couper des prestations, et c’est ce qui arrivera si les différents acteurs ne s’entendent pas sur une série de mesures à prendre. Il faut commencer par rationaliser avant de rationner. MM