Verena Nold, directrice de Santésuisse, l`organisation faîtière des

Entretien
«Les coûtsde la
santédoiventêtre
rationalisés avant
d’être ration
Verena Nold, directrice de Sansuisse, l’organisation faître
desassurances maladie, s’exprimesurla forteaugmentation desprimes
pour 2017,qu’elleattribue principalement àdesmédecins
peuenclins à l’économie.Et donne sonordonnancepour la limiter.
Texte: Pierre derrey Photos: Michael Sieber
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En tant que directrice de Santésuisse,
que vous inspire l’augmentation massive
des primes prévue en 2017?
Ce n’est pas une surprise: nous examinons
mensuellement les coûts canton par canton.
Les prestations médicales ont grimpé de 4%,
parfois davantage, et les primes ne reètent
que le développement des coûts, il faut le
rappeler. Nous avons aussi constaté que c’est
du côté de l’ambulatoire, dans les hôpitaux et
les visites dans les cabinets de médecins, que
l’augmentation est la plus importante par
rapport aux autres années. De plus, le prix
des médicaments n’a pas été adapté par le
Conseil fédéral en 2015 et 2016.
Y a-t-il une explication structurelle
aux primes plus élees du côté romand?
Les Suisses romands consomment davantage
de prestations médicales que les Suisses
alémaniques. Il s’agit sans doute d’une
question culturelle, mais cela s’explique
surtout par une ore médicale plus dense,
sauf en Valais.
Donc, plus il y a de médecins, plus on y va?
Oui, surtout du côté des médecins spécialisés.
Il existe un rapport clair entre le nombre
de spécialistes et l’augmentation des coûts
de la santé dans un canton donné.
Malgré de nombreux regroupements
hospitaliers, d’ailleurs parfois diciles à
accepter pour la population, la Suisse
romande peut donc encore mieux faire?
Ces regroupements n’ont pas empêché
les coûts de l’ambulatoire d’augmenter de
façon marquée. Il n’y a sans doute pas assez
de contrôle en la matière.
Les contrôles de qualité existants ne sont
donc pas susants?
Ils le sont pour ce qui concerne les hôpitaux
dans le domaine stationnaire, mais pas pour
l’ensemble des prestations ambulatoires ou
en cabinet. Dès qu’un médecin a l’autori-
sation de pratiquer en Suisse, il n’y a plus
de contrôle de l’excellence de son travail.
C’est ce que Santésuisse aimerait changer.
Pourquoi, selon vous, les assureurs
ont-ils si mauvaise presse?
Dans le système de santé, les médecins et les
hôpitaux soignent et soulagent les malades.
Les assurances, elles, envoient la facture.
Bio express
Une carrièredans la santé
Verena Nold (54 ans) estdirectrice de
l’associationfaître desassureurs-
maladie,Santésuisse, depuis2013.
Auparavant, elle y a exerplusieurs
fonctions, dont celle de vice-directrice
mais également directrice de la
liale Tarifsuisse, où elle a mené
des gociationstarifairessurles
plansnationalet cantonalet
a dirigé quelque soixante
collaborateurs. Avant cela, de 1990
à1997, elle a été membredela
direction d’HelsanaAssurances.
Ce n’est pas forcément le plus beau rôle. Et
forcément, plus la facture augmente, moins
l’image est bonne. Mais en même temps,
les assureurs maladie n’ont pas à leur
disposition les compétences pour maîtriser
l’ensemble des facteurs de coûts.
Parexemple?
Reprenons celui du nombre de spécialistes
dans une région: il est de la compétence du
canton, tout comme le nombre d’hôpitaux
qui peuvent facturer à charge de l’assurance-
maladie. Pour limiter les coûts, les assureurs
peuvent limiter le poids de leur administra-
tion, contrôler chaque facture et négocier
des tarifs qui respectent le principe
d’économicité inscrit dans la Loi fédérale
sur l’assurance-maladie (Lamal).
Qui se chargerait de ces contrôles?
Voilà plus d’une cennie que nous cherchons
un accord à ce sujet avec la dération des
médecins suisses (FMH): comment dénir
la qualité, selon quels critères et comment
la rier. Des concepts existent, encore
convient-il d’accepter de les appliquer dans
notre pays. Si un médecin a un diplôme
reconnu, qu’il suit des formations continues
et qu’il parle une langue nationale, cela est
aujourd’hui susant. Pour notre part, nous
estimons que cela ne permet pas de garantir
de bons traitements. Par exemple tel traite-
ment a-t-il apporté un bénéce en termes
de santé au patient? On l’ignore.
Un autre gros désaccord avec la FMH
est la discussion autour du fameux point
Tarmed. Pouvez-vous nous en rappeler
l’enjeu?
Depuis 2004, il existe un tarif identique
dans tous les cantons suisses pour les
médecins et l’ambulatoire. Mais entre-
temps, la médecine s’est développée. Ainsi,
l’opération fréquente de la cataracte,
qui durait trois heures il y a vingt ans, ne
demande plus que vingt minutes de nos
jours. Or, le tarif correspond toujours à
une opération de trois heures. Il faudrait à
l’évidence adapter la structure tarifaire à la
médecine d’aujourd’hui. Evidemment, c’est
un immense travail puisque Tarmed est
très complexe. Comme les intérêts entre
assureurs et médecins sont très diérents,
on ne parvient pas à trouver un accord. Dès
le départ, Santésuisse a posé comme condi-
tion que la révision du point Tarmed ne
débouche pas sur une autre augmentation
des coûts. Et que l’on connaisse la réalité
de ce qui est payé en frais médicaux. Sans
certitudes sur ces points, nous avons refusé
de participer aux discussions. Depuis
septembre 2015, nous tentons une autre
approche avec les médecins spécialistes
en révisant chapitre par chapitre. Nous
pensons qu’en allant petit à petit, nous
avons plus de chances de parvenir à
un accord global.
Les médecins ne se préoccupent-ils donc
pas de l’augmentation des coûts de la santé?
Ils ont dit qu’ils voulaient être rémunérés
selon leurs besoins et leurs coûts. Mais
comme l’a aussi précisé le Conseil fédéral,
l’ecacité joue également un rôle si on veut
être remboursé par une assurance sociale.
Comment se fait-il que les salaires
des médecins soient aujourd’hui
si diciles à obtenir?
Ils ont été publiés par la FMH pour la
dernière fois en 2009. Et comme on ignore
les chires actuels, il est aussi dicile
de calculer un tarif correct. En passant,
le nombre important de praticiens étrangers
qui viennent ou veulent venir chez nous
montre que les rémunérations restent
très attractives.
Pourquoi Santésuisse a-t-elle proposé
au Conseil fédéral une rémunération
basée sur des forfaits?
Reprenons l’opération de la cataracte:
De quoi parle-t-on?
Lecouperetesttombéilya
quelquessemaines:les primes
maladie auront bien mauvaise
mine l’an prochain, avec une
augmentation prévue entre
4% et 6,5%. Et c’est du romand
que la pilule sera le plus dure
à avaler. La directrice de Santé-
suisse en appelle àune vraie prise
de responsabilité, y compris
de la partdes patients.
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Pour Verena Nold,
des contrôles de qualité
lacunaires expliquent en partie
l’explosion des coûts de la santé.
comme pour toutes les opérations de
routine, on pourrait imaginer un forfait xe
par prestation et patient, ce qui permettrait
de limiter l’augmentation des coûts.
Le grand nombre de médecins étrangers
pratiquant en Suisse ne pose-t-il pas
un problème?
Nous disons que n’importe quel médecin
pratiquant en Suisse doit fournir de la bonne
qualité. Le problème est qu’aujourd’hui, on
ne sait pas si certains orent des services
moins satisfaisants que d’autres, car la quali-
té n’est pas contrôlée. Si un canton autorise
un praticien étranger à s’installer sur son
sol, ce dernier peut ouvrir un cabinet et fac-
turer automatiquement à charge de l’assu-
rance de base.Nous demandons une limita-
tion en termes de remboursement par
la Lamal, là où il y a trop de médecins, si
certains ouvrent tout de même des cabi-
nets supplémentaires. Si on a le luxe de
choisir, on devrait pouvoir choisir les meil-
leurs. Mais encore faut-il avoir des outils de
rication de la qualité, qui pour l’instant
font défaut.
Parmi les autres causes de coûts qui
ambent, il y a ce que l’Oce fédéral de
la santé publique (OFSP) appelle les coûts
injustiés, chirés à 250 millions par an.
Un vrai problème?
Naturellement. Et c’est également lié aux
contrôles de qualité inexistants ou insu-
sants. La prothèse du genou est deux fois
plus pratiquée à Glaris qu’à Genève. Le cri-
tère est-il vraiment médical? Pour nous, c’est
pourtant le seul critère qui doive donner lieu
à un remboursement.
Le prix des médicaments, le plus éle
d’Europe, est aussi mis en avant. Cela ne
s’explique-t-il pas par une main-d’œuvre
forcément plus chère chez nous?
Chez nous, les nériques coûtent deux fois
plus cher qu’ailleurs, bien qu’ils ne soient pas
produits en Suisse, mais à l’étranger. Le coût
de la main-d’œuvre ne peut donc pas être
prétexté.
Comment se fait-il que l’on ne parvienne
pas à faire baisser ces prix?
Cette compétence est du ressort du Conseil
fédéral. L’an dernier, le Tribunal fédéral
a estimé que la méthodologie employée
n’était pas correcte. Tout est maintenant
bloqué jusqu’en2018.L’industrie pharma-
ceutique est un poids lourd de notre écono-
mie, la pression exercée sur le Conseil fédéral
pour ne rien changer est énorme. Reste
qu’un prix de référence pour les nériques,
– un modèle déjà adopté en Hollande ou au
Danemark – permettrait d’économiser des
centaines de millions de francs par an.
La possibilité de changer de caisse quel
que soit son état de santé n’est-elle pas
menacée? Des tentations de sélections
des patients sont apparues récemment…
Si vous pensez à des rabais pour une
personne qui pratique un sport ou qui ne
fume pas, cela n’est légal que pour les assu-
rances complémentaires. Ce serait contraire
à la loi sur l’assurance de base. De plus, il
existe un système de compensation des
risques entre les assurances-maladie: une
caisse ayant beaucoup d’assurés âgés ou
malades reçoit de l’argent des caisses qui ont
davantage de jeunes ou de personnes saines.
Avec ce système, ne sélectionner que les
bons risques ne sert à rien, puisqu’il faudrait
reverser davantage à la concurrence.
Pouvez-vous assurer que, s’il existait
un système de caisse unique, les gens
paieraient encore plus cher?
Non. En revanche, on peut clairement
armer qu’ils auraient moins de choix.
Aujourd’hui, même si l’on est très malade,
on peut changer de caisse chaque année.
La concurrence entre les caisses les oblige
à une grande ecacité administrative: en
1996, les frais administratifs s’élevaient en
moyenne à 8,6%; aujourd’hui, ils font moins
de 5%. Cela est aussi dû à la concurrence.
L’excellence de notre système de santé
est-elle encore dans nos moyens lorsque
l’on voit le pourcentage croissant de
la population dans l’incapacité de payer
ses primes?
27% de la population touche des subsides
pour les primes. C’est énorme, d’autant que
cette part augmente chaque année. Nous
pensons eectivement que si l’on ne fait
rien, le risque existe de voir s’installer
une médecine à deux vitesses. Aujourd’hui,
notre système de santé exceptionnel est le
même pour chaque citoyen. Le danger est
bien r de devoir commencer à couper des
prestations, et c’est ce qui arrivera si les dif-
férents acteurs ne s’entendent pas sur une
série de mesures à prendre. Il faut commen-
cer par rationaliser avant de rationner. MM
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