Page 173 Syndrome X cardiaque et dysfonction coronaire microvasculaire C. Noel Bairey Merz, MD ; Carl J. Pepine, MD bservation clinique : Une femme de 44 ans est adressée par son médecin pour aggravation progressive d’une douleur thoracique présente depuis 2007, ayant conduit à pratiquer en mai 2008 une épreuve d’effort qui s’était révélée anormale, celle-ci ayant été suivie d’une coronarographie en juin 2008. Cette patiente avait précédemment été hospitalisée plusieurs fois pour rechercher un éventuel infarctus du myocarde, un taux élevé de troponine ayant été mis en évidence en 2001 à l’occasion d’une de ces hospitalisations. Un cancer du sein avait, par ailleurs, été découvert chez elle en 2007. Actuellement, elle présente quotidiennement une douleur thoracique rétrosternale d’effort qui irradie dans le bras et la main gauches et disparaît au repos. Elle exerce la fonction d’agent de police, ce qui la conduit fréquemment à devoir poursuivre des suspects, de sorte que sa crainte est de ne plus pouvoir effectuer son travail. La recherche de facteurs de risque cardiovasculaire est négative. Cette femme prend du tamoxifène et des vitamines ; l’examen physique et l’ECG pratiqué au repos sont tous deux normaux. L’analyse de la coronarographie précédemment réalisée confirme l’absence de coronaropathie obstructive et la normalité de la fonction ventriculaire gauche. Pour déterminer l’origine des symptômes invoqués par cette patiente, une étude de la réactivité coronaire (ERC) est pratiquée, qui met en évidence une réserve coronaire (RC) déprimée en réponse à l’injection O d’adénosine et une réduction du flux de réserve coronaire (Figure 1) ainsi qu’une constriction du réseau artériel coronaire après injection d’acétylcholine, ces anomalies étant en faveur d’une dysfonction endothéliale (Figure 2). L’imagerie par résonance magnétique cardiaque sous épreuve à l’adénosine suggère l’existence d’une dysfonction coronaire microvasculaire (DCM ; Figure 3). La DCM est un sous-type à haut risque du syndrome X cardiaque Les patients angineux qui présentent des signes d’ischémie myocardique à l’épreuve d’effort en l’absence de toute lésion coronaire occlusive à l’angiographie (trouble autrefois désigné sous le nom de syndrome X cardiaque, ou SXC) posent un problème de prise en charge majeur. Chez les individus atteints d’un tel syndrome, celui-ci peut se traduire par une douleur thoracique persistante, des manifestations angineuses et un sous-décalage du segment ST de type ischémique ou un trouble spontané de la perfusion ou de la mobilité pariétale du myocarde pendant l’épreuve d’effort. L’opinion qui prévalait jusqu’alors sur la base des premiers travaux était que ce syndrome avait un pronostic bénin ; toutefois, les données de l’étude WISE (Women’s Ischemia Syndrome Evaluation [évaluation des syndromes ischémiques de la femme] menée à l’instigation du National Heart, Lung, and Blood Institute (Institut Américain de cardiologie, de pneumologie et d’hématologie) montrent que jusqu’à 50 % de ces patients pourraient être atteints d’une DCM, celle-ci ayant un pronostic péjoratif.1 Des observations émanant de WISE,1 qui est l’étude la plus vaste et la plus complète jamais menée chez la femme d’âge moyen affectée de ce syndrome, il ressort que, chez les patients présentant une DCM, l’écho-Doppler intravasculaire met fréquemment en évidence la présence de lésions d’athérosclérose coronaire2 et que le taux annuel d’événements cardiaques atteint 2,5 %, ces événements consistant en des infarctus du myocarde, des accidents vasculaires cérébraux, des hospitalisations pour insuffisance cardiaque congestive et des morts subites.3,4 La DCM apparaît donc comme un sous-type à haut risque du SXC. En l’absence de coronaropathie obstructive, les artères de faible calibre et les artérioles siégeant en aval des artères coronaires épicardiques sont les principaux sites de résistance au flux sanguin myocardique. La structure et la fonction de ces microvaisseaux jouent un rôle dans la perfusion myocardique et sa distribution régionale au sein du myocarde et dans son épaisseur. La dysfonction microvasculaire peut se manifester par les anomalies ci-après, présentes isolément ou de façon conjointe : (1) une altération du tonus de repos des cellules musculaires lisses vasculaires secondaire à la dysfonction de ces dernières ou à celle des cellules endothéliales, (2) une réponse Women’s Heart Center, Institut Cardiologique Cedars-Sinai, Cedars-Sinai Medical Center, Los Angeles, Californie (C.N.M.B.) et Service de Médecine Cardiovasculaire, Université de Floride, Gainesville, Floride, Etats-Unis (C.J.P.). Correspondance : C. Noel Bairey Merz, MD, Women’s Heart Center, 444 S San Vicente Blvd, Suite 600, Los Angeles, CA 90048, Etats-Unis. E-mail : [email protected] (Traduit de l’anglais : Syndrome X and Microvascular Coronary Dysfunction. Circulation. 2011;124:1477–1480.) © 2011 American Heart Association, Inc. Circulation est disponible sur le site http://circ.ahajournals.org 173 16:00:20:04:12 Page 173 Page 174 174 Circulation Mai 2012 Figure 1. Profils des ondes de vélocité du flux sanguin coronaire objectivés par le Doppler intracoronaire après injections intracoronaires d’adénosine et d’acétylcholine. La réserve coronaire (RC) est le rapport des pics moyens de vélocité avant et après injection d’adénosine. Le flux de réserve coronaire (FRC) est le rapport des pics moyens de FRC mesurés avant et après injection d’acétylcholine. vaisseaux et de provoquer leur remodelage. Une raréfaction des capillaires myocardiques a été décrite dans la cardiomyopathie dilatée5 et l’angiopathie d’allogreffe cardiaque,6 mais elle peut également intéresser les vaisseaux non cardiaques dans un contexte d’hypertension artérielle7 ou de SXC.8 Il a récemment été établi que les cellules musculaires lisses vasculaires interviennent puissamment dans la biologie des cellules endothéliales, ce qui semble témoigner de l’existence d’une interaction régulatrice qui n’avait pas été perçue jusqu’alors.9 Les troubles de la microcirculation coronaire exercent une importante influence pronostique dans les syndromes coronaires aigus et chroniques,10 mais aussi dans le diabète, la cardiomyopathie hypertrophique et l’angiopathie coronaire d’allogreffe,11 ainsi que dans le SXC comme il ressort des données de l’étude WISE.4 Diagnostic invasif de la DCM Figure 2. Images coronarographiques montrant la constriction des artères coronaires (flèche) induite par l’injection intracoronaire d’acétylcholine (ACH) et la dilatation provoquée par l’injection intracoronaire de trinitrine (TN). Figure 3. Clichés d’imagerie par résonance magnétique cardiaque montrant la perfusion ventriculaire sous épreuve de stress à l’adénosine (à gauche) et à au repos (à droite). Les flèches signalent les zones dans lesquelles la perfusion myocardique est diminuée, le trouble s’aggravant sous épreuve de stress (à gauche). anormale aux stimuli constricteurs ou dilatateurs, (3) une diminution du nombre des artérioles et des capillaires (raréfaction) et (4) des anomalies 16:00:20:04:12 structurales ayant pour effets de réduire le diamètre des lumières vasculaires, d’augmenter le rapport paroi/lumière, d’accroître la rigidité des Page 174 Le succès du traitement est subordonné à l’acquisition d’une certitude diagnostique. Chez les individus présentant des signes et symptômes d’ischémie, la stratification des risques et l’élaboration de la stratégie de prise en charge optimale exigent une étude de la réactivité coronaire (ERC) fondée sur des perfusions intracoronaires d’adénosine, d’acétylcholine et de trinitrine de manière à évaluer les fonctions endothéliale et non endothéliale des structures tant micro- que macrovasculaires (épicardiques), après s’être assuré de l’absence de lésion coronaire obstructive. La mise en œuvre d’un protocole standard d’exploration par sonde Doppler et administration d’adénosine, tel qu’utilisé pour mesurer le FRC,12 dans les coronarographies quantitatives et qualitatives et dans les épreuves par perfusion intracoronaire d’acétylcholine et de trinitrine,3 permet d’explorer les possibles mécanismes à l’origine de la DCM.12 L’apport de cette enquête diagnostique l’emporte probablement sur les risques d’incertitude diagnostique et d’échec du traitement visant à réduire le risque.4 Toutefois, dans la mesure où elle peut être grevée de complications potentiellement graves Page 175 Bairey Merz et Pepine telles qu’une dissection d’artère coronaire, l’ERC ne doit être pratiquée que par des cardiologues interventionnels expérimentés chez des patients reconnus à risque. Il importe également d’avoir à l’esprit que le FRC, qui est le principal paramètre non dépendant de l’endothélium mesuré par l’ERC, est influencé par la demande myocardique en oxygène. De ce fait, son évaluation doit tenir compte de la fréquence cardiaque, de la pression artérielle ainsi que de la pression de remplissage et de la contractilité du ventricule gauche.13 La patiente qui nous occupe présente des signes de dysfonction endothéliale de ses artères coronaires épicardiques (qui, notamment, se contractent en réponse à l’injection d’acétylcholine). Le trouble s’étend probablement à la microvascularisation ; de plus, cette femme présente également des signes de dysfonction artériolaire (tel qu’un faible FRC mesuré sous perfusion d’adénosine). La dilatation de ses artères coronaires épicardiques en réponse à l’injection de trinitrine semble par ailleurs normale. Diagnostic non invasif de la DCM Lorsque l’ERC s’avère anormale, il est possible de rechercher l’existence d’un trouble de la perfusion myocardique par une approche non invasive fondée sur la tomodensitométrie à émission de simples photons, la tomographie à émission de positons et l’imagerie par résonance magnétique cardiaque avec épreuve de stress1 ; cela étant, la sensibilité et la spécificité de ces techniques ne sont pas encore parfaitement établies. La méthode de référence en matière de diagnostic d’une DCM demeure l’ERC invasive. Une étude ancillaire de WISE commanditée par le NHLBI des Etats-Unis est actuellement menée pour évaluer l’intérêt de l’imagerie par résonance magnétique cardiaque dans le diagnostic et le bilan pronostique (estimation du risque) de la DCM chez la femme.14 Si les résultats préliminaires14–16 sont confirmés, cette technique sera, pour l’heure, la seule utilisable en pratique clinique pour évaluer la distribution transmurale du flux sanguin coronaire 16:00:20:04:12 Syndrome X cardiaque et dysfonction coronaire microvasculaire (en vue, par exemple, d’une étude comparative entre territoires endocardique et épicardique). Traitement du SXC et de la DCM Les actuelles recommandations de prise en charge de l’angor et du SXC ne proposent pas d’attitude spécifique en ce qui concerne la DCM.17,18 Le traitement doit viser deux objectifs principaux : (1) combattre l’athérosclérose et l’ischémie afin de réduire le risque de complication cardiaque et (2) abolir les symptômes angineux de manière à améliorer la qualité de vie du patient. En raison de la forte prévalence des lésions d’athérosclérose coronaire et du mauvais pronostic rapportés chez ces individus, nous faisons également nôtres les recommandations formulées par le comité d’experts du National Cholesterol Education Program (Programme américain d’éducation sur le cholestérol) dans son 3ème rapport sur le traitement de l’adulte,19 consistant en la mise en œuvre de mesures thérapeutiques visant à améliorer l’hygiène de vie,20 celles-ci étant complétées par la prescription d’aspirine à faible dose et d’une statine en considérant que le trouble présenté par ces patients équivaut à une maladie coronaire. Les données des essais cliniques montrent que les bêtabloquants, les inhibiteurs de l’enzyme de conversion de l’angiotensine, les dérivés nitrés, les inhibiteurs calciques, la ranolazine, les dérivés xanthiques tels que l’aminophylline, la contrepulsion externe renforcée, la thérapie comportementale cognitive, les antidépresseurs tricycliques à faible dose et la neurostimulation sont utiles pour améliorer les symptômes angineux, les paramètres de l’épreuve d’effort et la fonction endothéliale (Tableau). Il convient de noter que la doxazosine est dénuée d’effet bénéfique et que l’augmentation des risques d’accident vasculaire cérébral et d’insuffisance cardiaque qui lui a été imputée dans ALLHAT (Antihypertensive and Lipid-Lowering treatment to prevent Heart Attack Trial [évaluation des traitements antihypertenseur et hypolipémiant dans la prévention de l’infarctus du myocarde]) doit conduire à proscrire cet alpha- Page 175 175 bloquant, y compris chez la femme hypertendue. L’hormonothérapie à faible dose1 semble inefficace et la supplémentation en L-arginine s’est révélée néfaste chez les patients en phase de post-infarctus, bien qu’elle ait amélioré les signes et symptômes dans une cohorte d’individus atteints de SXC. Le diltiazem n’améliore pas le FRC chez ces patients. En revanche, les bêtabloquants ont régulièrement fait la preuve de leur supériorité par rapport aux dérivés nitrés et aux inhibiteurs calciques dans les essais cliniques randomisés. Un essai exploratoire mené dans la continuité de WISE en vue d’évaluer l’intérêt du sildénafil chez cette population de patients semblerait montrer que ce médicament améliore le FRC. Conclusions Chez les sujets présentant un SXC, défini par la présence de précordialgies persistantes évocatrices d’un angor et de symptômes ischémiques en l’absence de lésion coronaire obstructive, il existe très fréquemment une DCM, Tableau. Traitement des patients angineux présentant des manifestations d’ischémie myocardique en l’absence de coronaropathie obstructive Page 176 176 Circulation Mai 2012 laquelle a une valeur pronostique péjorative. L’ERC demeure la méthode diagnostique de référence ; une approche non invasive de diagnostic de la DCM est en cours d’étude et semble prometteuse. La mise en œuvre de mesures thérapeutiques destinées à améliorer l’hygiène de vie et la prescription d’aspirine à faible dose et d’un traitement hypolipémiant sont recommandées en raison de la forte prévalence des lésions d’athérosclérose coronaire et du risque élevé de complications cardiovasculaires. Des données limitées émanant d’essais cliniques suggèrent que la prescription d’un traitement anti-ischémique et antiangineux (qui, dans ces essais, a le plus souvent reposé sur l’administration d’un bêtabloquant) serait susceptible d’améliorer les symptômes, les paramètres de l’épreuve d’effort ainsi que la fonction endothéliale et/ou la microcirculation coronaire. Bien que de vastes études de résultat soient actuellement programmées chez les patients atteints de DCM, les données aujourd’hui disponibles sont suffisantes, malgré leur tendance évolutive, pour incorporer les stratégies spécifiquement préconisées à l’égard de cette population aux recommandations déjà existantes en matière de prise en charge de l’angor et des syndromes coronaires aigus. Les deux préoccupations majeures du médecin doivent être l’identification de l’ischémie et la mise en œuvre des mesures prônées dans les recommandations pour traiter l’angor et réduire les facteurs de risque cardiaque. Suivi et évolution de notre observation clinique Le traitement prescrit à la patiente a consisté à associer 40 mg de simvastatine per os par jour, 81 mg d’aspirine per os par jour, 6,25 mg de carvédilol per os deux fois par jour et 0,4 mg de trinitrine sublinguale à la demande et avant tout effort physique. Au terme de deux ans de suivi, les symptômes que présentait cette femme se sont atténués ; elle a pu conserver son emploi et n’a fait l’objet d’aucune autre hospitalisation pour angor ou suspicion de syndrome coronaire aigu. 16:00:20:04:12 Sources de financement Cette étude a été financée par des dotations du NHLBI des Etats-Unis (Nos N01-HV68161, N01 HV-68162, N01-HV-68163 et N01-HV68164), par une bourse des General Clinical Research Centers (M01RR00425) du National Center for Research Resources des Etats-Unis et par des bourses de la Gustavus and Louis Pfeiffer Research Foundation (Denville, New-Jersey, ÉtatsUnis) ainsi que de la Women’s Guild, de l’Edythe L. Broad Women’s Heart Research Fellowship et du Barbra Streisand Women’s Cardiovascular Research and Education Program qui sont tous trois rattachés au Cedars-Sinai Medical Center (Los Angeles, Californie, Etats-Unis). Le Dr Pepine a bénéficié de bourses des NIH/NHLBI (5 U01 HL087366–04, 5 R01 HL091005–03, 5 R01 HL090957–03 et 2 U01 GM074492– 06), d’une dotation 3 U01 AG022376– 05A2S1 du National Institute on Aging et d’une bourse 5 UL1 RR029890–02 du National Center for Research Resources, qui sont deux divisions des National Institutes of Health. 4. 5. 6. Déclarations Le Dr Bairey Merz a bénéficié de bourses de recherche dans le cadre de l’étude WISE (NIH/NHLBI 5 R01 HL090957) ; il a, par ailleurs, été rémunéré par la Women-Heart Coalition, le Centre Médical Los Robles, l’Hôpital Communautaire de Monterey, Primed, l’Association des GynécologuesObstétriciens de Los Angeles et la North American Menopause Society; il a également été rétribué en qualité de consultant par le NHLBI. Le Dr Pepine a bénéficié de bourses de recherche dans le cadre de l’étude WISE (NIH/NHLBI U01 HL6489 et NIH/NHLBI 5 R01 HL090957). 7. 8. Références 1. Bairey Merz CN, Shaw LJ, Reis SE, Bittner V, Kelsey SF, Olson M, Johnson BD, Pepine CJ, Mankad S, Sharaf BL, Rogers WJ, Pohost GM, Lerman A, Quyyumi AA, Sopko G. Insights from the NHLBIsponsored Women’s Ischemia Syndrome Evaluation (WISE) study, part II: gender differences in presentation, diagnosis, and outcome with regard to gender-based pathophysiology of atherosclerosis and macrovascular and microvascular coronary disease. J Am Coll Cardiol. 2006;47: S21–S29. 2. Khuddus MA, Pepine CJ, Handberg EM, Bairey Merz CN, Sopko G, Bavry AA, Denardo SJ, McGorray SP, Smith KM, Sharaf BL, Nicholls SJ, Nissen SE, Anderson RD. 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