SUR LES NOMBRES COMPLEXES GÉNÉRAUX
Par L.
GUSTAVE
DU PASQUIER
A
KEUCI1ATEL (SUISSE)
-^8©-
[1] Les nombres complexes généraux ont été, pour les domaines de l'algèbre et
de
l'arithnomie,
ce que la géométrie non euclidienne fut pour la science géométri-
que : l'occasiou de revoir les principes fondamentaux et le point de départ d'une
extension considérable du champ des recherches.
Ici
comme, on reconnut que
certains axiomes qu'on avait crus indispensables ne sont point logiquement néces-
saires.
Dans un système de nombres complexes généraux de la forme
x =
œ0e0
+
xiei
+ ... +
xHeH(l),
où les
x\
sont des nombres réels d'ailleurs quelconques, dits les coordonnées du
complexe
x,
et les
e\
des symboles dits unités relatives, nous supposons définies :
i)
L'égalité de deux complexes par l'égalité des coordonnées correspondantes;
2) L'addition de deux complexes par l'addition des coordonnées correspondantes.
Il en résulte de suite qu'elle est associative et commutative, et que son opération
inverse la soustraction, toujours possible et univoque, s'opère par la soustraction
des
coordonnées
correspondantes.
3) La multiplication par le fait que tout produit
ei ek
de deux unités relatives
peut être remplacé par une combinaison linéaire et homogène, à coefficients réels,
des mêmes unités relatives,
eiek
=
2J
Cikl 'ei
(*'»
k,
=
o,
1,2,
...,n).
0) Le signe
== (doublement
égal) signifie
«
égal par définition ».
SUR LES NOMBRES COMPLEXES
GÉNÉRAUX.
l65
Au sujet des (n
-f-
i)s
constantes
dki
qui entrent dans ces (n +
i)2
équations de
définition, et qui a priori peuvent être des nombres réels quelconques, nous ferons
l'hypothèse qu'elles remplissent les conditions nécessaires et suffisantes pour que :
i°
La multiplication qu'elles définissent soit associative et distributive par rapport
à l'addition.
20
Le système des nombres complexes contienne comme sous-groupe
les nombres réels. 3° Dans le cas particulier où les coordonnées
X\
sont telles que
le complexe x rentre dans ledit sous-groupe, l'addition et la multiplication des
complexes se confonde avec l'addition et la multiplication des nombres réels.
Enfiu, nous supposerons dans ce qui suit les coordonnées
X\
toutes rationnelles.
Appelons système SD tout système de nombres complexes généraux où ces condi-
tions sont remplies.
Dans le champ ainsi délimité, les complexes x forment, pour chacun des systè-
mes SD, un corps de nombres désigné par (R) dont on peut se proposer de faire
rarilhnomie.
Voici ce que l'on constate.
[2] Dans une infinité de systèmes, l'arithmétique classique se généralise telle
quelle, presque sans difficulté, au corps (R). Subsumant tous ces systèmes sous
un même concept général, j'en formerai une seule famille et dirai qu'ils constituent
la première catégorie
arithnomique.
Il se trouve une infinité d'autres systèmes SD, où l'arithmétique ordinaire ne
se généralise pas directement. Déjà dans des cas très simples de nombres
bicom-
plexes
a0
-f-
a4
et,
on a découvert que, par exemple, la décomposition d'un
nombre
complexe entier en facteurs premiers, toujours possible, n'est pas toujours univo-
que.
s lors, un produit peut être divisible par un nombre entier sans qu'aucun
des facteurs ne le soit. Toute l'arithnomie devient « irrégulière ». Pour rétablir des
lois de divisibilité simples et générales, on érigea la théorie des idéaux. Elle
s'est
montrée d'une puissance insoupçonnée. Elle permet, en effet, de rétablir la théorie
du plus grand commun diviseur, l'unicité de décomposition en facteurs premiers, etc.,
dans tous les corps de nombres algébriques dont on s'était occupé jusqu'ici. D'ail-
leurs,
elle est applicable aux systèmes de la première catégorie arithnomique, où
l'on a ainsi le choix entre deux méthodes dont l'une opère avec le concept d'idéal,
tandis que l'autre s'en passe entièrement. De tous les systèmes de nombres SD où
la théorie des idéaux conduit à une arithnomie « régulière », et qui ne font pas
partie de la première catégorie arithnomique, j'en formerai une deuxième famille,
la deuxième catégorie arithnomique.
On a cru jusqu'ici que c'étaient là les deux seules catégories existantes, du moins
dans le champ restreint délimité à l'article
1.
Or, il existe une infinité de systèmes
à multiplication associative,
commutative'
même, distributive par rapport à l'addi-
tion et contenant comme sous-groupe les nombres naturels, où même la théorie
166
G. DU PASQUIER.
des idéaux ne conduit pas à une arithmétique régulière. Si
a
désigne un idéal non
principal et qu'on forme la série de ses puissances successives :
a,
a%
a3, ..., a'4, ... ad inf.,
il peut arriver que cette suite, quelque loin qu'on la prolonge, ne contienne aucun
idéal principal. La décomposition d'un idéal en idéaux premiers, toujours possible,
n'est pas toujours univoque.
Faisons rentrer tous ces systèmes-là dans une même classe. Elle constituera
la troisième catégorie arithnomique. Son existence est le premier
point
que je voulais
signaler.
[3] Pour rétablir des lois de divisibilité simples, une seconde méthode, très
différente de la théorie des idéaux, est apte à faire disparaître les anomalies. Elle
consiste à définir d'une manière appropriée le nombre complexe entier.
D'après la définition habituelle, un nombre complexe x est dit « entier », lors-
que toutes ses coordonnées sont des nombres entiers ordinaires; x est réputé « non
entier », si l'une au moins de ses coordonnées ne l'est pas. C'est ce que j'appelle
la définition
lipschitzienne.
Quelque naturelle qu'elle soit ou qu'elle paraisse, elle
n'est pas toujours appropriée. On pourrait citer de nombreux systèmes SD, où
l'arithnomie basée sur cette définition est irrégulière. Or, dans ces cas-là, on peut
rétablir la régularité par un simple changement de définition, en introduisant l'im-
portante notion de domaine holoïde maximal, que je vais brièvement rappeler ici.
J'appelle domaine holoïde tout ensemble (H) de nombres ou de complexes quel-
conques jouissant des trois propriétés suivantes :
i)
L'ensemble (H) contient une infinité d'éléments parmi lesquels le nombre
i.
2) On peut effectuer sur ces éléments l'addition, la soustraction et la multiplica-
tion, sans restriction et sans jamais sortir dudit domaine (H).
3) Le domaine possède une base finie; en d'autres termes, il est possible de
choisir dans (H) un nombre fini d'éléments, disons
tl9 t%,
.. .,
ttl,
tels que
l'expres-
sion
mJi
+
mJ%
+
+mJn
reproduise tous les éléments du domaine, et uniquement ceux-là, lorsqu'on fait
parcourir à
mit
/??„,
...
mn,
indépendamment les uns des autres, la suite des nom-
bres entiers, de 00 à
-f-
00.
Un domaine holoïde (H) est dit maximal s'il n'exisle pas, dans le corps de nom-
bres envisagé, un autre
domaine
holoïde qui contienne tous les éléments de
(M)
plus d'autres non contenus dans (M).
SUR LES NOMBRES COMPLEXES
GÉNÉRAUX.
167
Ces quatre propriétés caractérisent les nombres entiers. Aussi posé-je la défini-
tion suivante : Un complexe rationnel x est dit entier, s'il fait partie du domaine
holoïde maximal (M) du corps (R); x est réputé non entier, s'il n'est pas contenu
dans (M). Peu importe donc que ses coordonnées
X\
soient entières ou fraction-
naires.
Par de nombreux exemples, on peut se convaincre qu'une
arilhnomie
qui est
irrégulière avec la
définition
lipschitzienne, devient régulière avec la nouvelle défi-
nition du nombre complexe entier
(*).
La définition lipschitzienne, qui a l'avantage
d'être toujours applicable, parce qu'elle s'en tient uniquement à la nature des coor-
données, n'est donc appropriée que dans les cas où l'ensemble des complexes à
coordonnées entières constitue un domaine holoïde maximal (M).
[4] Tous les systèmes SD de nombres complexes ne possèdent pas dans leur
domaine de rationalité (R) un domaine holoïde maximal (M), et l'on rencontre ici
encore trois possibilités.
Premier cas. Le corps (R) contient un seul domaine holoïde maximal. La défi-
nition du nombre complexe entier est alors
uriivoque
et absolue. L'arithmétique qui
en découle est régulière en général; sinon, elle peut être rendue telle par la théorie
des idéaux.
Deuxième cas. Le corps (R) contient plusieurs domaines
holoïdes
maximaux,
(M), (Ma). (M3),
...,
voire même une infinité. La
définition
du nombre complexe entier est alors
pluri-
voque et relative. Il y a plusieurs
arithnomies
du corps (R). Quand elles ne sont
pas régulières, la théorie des idéaux permet de rétablir la simplicité arithmétique.
Troisième cas, et c'est un fait surprenant. Il y a des systèmes SD de nombres
complexes sans domaine holoïde maximal (M). On peut dire alors que la définition
du nombre complexe entier reste arbitraire, en un certain sens. Si l'on adopte dans
ce cas la définition lipschitzienne, l'arithnomie qui en découle n'est pas régulière;
en particulier, la décomposition d'un nombre complexe entier en facteurs premiers,
toujours possible, n'est pas toujours univoque.
On appliquera la théorie des idéaux, pour éviter ces anomalies. Or, on constate
qu'elle aussi est impuissante, dans ce cas, à
rétablir
la régularité. Le système
(4)
Les quaternions en fournissent un exemple remarquable. (Voir A. Hurwitz. Vorle-
sungen
über die
Zahlentheorie
der
Quaternionen.
Berlin,
1919.)
J'ai indiqué le système le
plus simple possible où ce phénomène se produit. (Voir
Nouvelles Annales
de
Mathêm.,
IV,
t. XVIII,
1918,
« Sur les nombres complexes de deuxième et de troisième espèce », par
L.-G. Du Pasquier.)
168
G. DU
PASQUIER.
appartient à la troisième catégorie arithnomique. Dans ces systèmes-là, on ne peut
donc arriver à une arithnomie régulière ni par les idéaux, ni par un changement
de définition du nombre complexe entier.
Cette corrélation remarquable entre deux ordres de faits, absence de
domaine
holoïde maximal et inefficacité de la théorie des idéaux, est le second point que je
voulais signaler.
[5] Quels sont les systèmes SD de nombres complexes qui présentent cette
sin-
gularité? Adoptant la classification usuelle, nous rangerons dans une même classe
tous les systèmes qui ont le même nombre n de coordonnées et sont en outre équi-
valents entre eux
(*),
et nous conviendrons de dire qu'ils appartiennent à la même
forme, d'ordre n. Il existe, comme on sait, trois formes d'ordre 2, six formes d'ordre 3,
vingt-quatre formes d'ordre 4, etc.
Pour les formes à deux et à trois unités relatives, j'ai déjà indiqué, après choix
d'un représentant canonique pour chaque forme, quelle est la base du domaine
holoïde le plus général dans le corps (R), et combien de ces domaines holoïdes
sont maximaux
(2);
je puis donner le résultat analogue pour les formes à quatre
unités relatives.
Les systèmes de nombres complexes dont le corps (R) est dépourvu de domaine
holoïde,maximal
paraissent être la grande majorité. Une seule forme d'ordre 2 (sur
les trois existantes) est sans domaine holoïde maximal; par contre, cette singularité
se retrouve dans quatre formes d'ordre 3 (sur les six existantes), et dans dix-huit
formes d'ordre 4 (sur les vingt-quatre existantes). J'indique ci-après, en
supprimant.
les démonstrations, six systèmes de nombres
tétracomplexes,
non dépourvus de-
domaine holoïde maximal; chacun d'eux est un représentant d'une infinité de
sys-
tèmes qui lui sont équivalents au sens de M. Cartan. Ils rentrent tous soit dans la
première, soit dans la deuxième catégorie arithnomique (v. art. 2). Les hypothèses
de l'article
1
étant maintenues, il suffit de définir la multiplication. Je le fais par
un tableau carré à double entrée, indiquant le produit
ei ek
des deux unités
rela-
tives
eL
et
ek
à l'intersection de la ligne (file horizontale) qui porte à gauche
ei
et de
la colonne (file verticale) qui porte en tête
ek.
Les
n0, nt,
rc3 et
n:J
représentent des nombres entiers ordinaires qui
prennent,
de toutes les manières possibles et indépendamment les uns des autres, les valeurs
entières de
©o
à +
°°-
(*)
Voir l'exposé de M. E. Cartan dans
l'Encyclopédie
des sciences mathématiques pures
et
appliquées,
t. I, vol. I, pp.
329-469 ;
T,
5
«
Nombres complexes », notamment art.
21
et 22.
(2)
L.-G. Du Pasquier, « Sur la théorie des nombres complexes à coordonnées
ration-
nelles »
(Bulletin
de la
Sociélé Mathématique
de
France,
t.
48
(1920).
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