Quatrièmes Rencontres de la - Action éducative

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Quatrièmes Rencontres de
la
Dur@nce
La population européenne dans tous ses Etats :
Population, Nations, Etats, Frontières, Intégration
Réflexions et débats sur la recherche et la pratique enseignante
Organisées par l‟inspection pédagogique régionale
d‟histoire- géographie
avec la collaboration de la Régionale de l‟APHG
les 17 et 18 mars 2004
au CRDP – 31, boulevard d‟Athènes – 13003 – Marseille
Ont participé à l’élaboration de cette brochure :
Gérald ATTALI, Eric BOERI, Christine COLARUOTOLO, Daniel DALET, Murièle DEPORTE-MASSE,
Daniel GILBERT, Josée- Christine LANGLOIS, Brigitte MANOUKIAN, Claude MARTINAUD, Philippe
MIOCHE, Patrick PARODI, Jean-Claude RICCI, Marcel RONCAYOLO, Dominique SANTELLI, Alain
SIDOT, Yves TARDIEU.
La Dur@nce est un bulletin d‟information et de liaison des professeurs d‟histoire, géographie et éducation civique
de l‟Académie d‟Aix- Marseille, réalisé sous la responsabilité éditoriale de l‟inspection pédagogique régionale.
Pour contacter les différents auteurs, un lien est disponible à l‟adresse suivante :
http://pedagogie.ac-aix-marseille.fr/histgeo/contribu.htm
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AVANT-PROPOS
par Jean SÉRANDOUR,
Inspecteur d‟Académie,
Inspecteur Pédagogique Régional
Ce rendez-vous annuel organisé par le groupe académique La Dur@nce
est
l‟occasion, d‟abord, de se retrouver entre collègues de la discipline pour actualiser le savoir
disciplinaire sur des questions vives de nos programmes. Il offre une opportunité
supplémentaire pour mutualiser nos expériences et porter un regard distancié sur nos
démarches, notamment dans le cadre des ateliers d‟échange de pratiques.
Nous pouvons parler de "questions vives" en effet : une similitude apparaît dans
l‟actualité du thème proposé par ces Rencontres annuelles.
En 2001, première édition, les Rencontres mettaient en scène "Les femmes dans
l’histoire et le droit au passé ", sujet directement lié à la signature en février 2000 de la
Convention "Promouvoir l’égalité des chances filles-garçons, femmes-hommes dans le
système éducatif ". Reconnaissance du travail accompli dans cette académie, l‟étude qui
vient d‟être remise par Annette Wievorka au Conseil Economique et Social "Quelle place
pour les femmes dans l’histoire
enseignée ?"
souligne (p.23) la contribution de notre
colloque académique. Notons, dans le prolongement de cette réflexion que la septième
édition des Rendez-vous de l’Histoire de Blois se tient, du 14 au 17 octobre 2004, sur le
thème "La place des femmes dans l'histoire" ; notre groupe académique est convié par les
organisateurs à témoigner de l‟expérience conduite à ce propos depuis quatre années.
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Suivra, à Lyon, en mars 2005, le colloque national de l‟association Mnémosyne, association
pour le développement de l'histoire des femmes et du genre.
"Enseigner le fait religieux ", l‟an passé, avait été l‟occasion, dans un contexte déjà
délicat, de souligner les enjeux et les difficultés de l‟entreprise dans un cadre laïc.
L‟évolution du dossier depuis un an nous a convaincus de la pertinence des choix opérés en
2003. Les différentes conférences nous ont permis de porter un autre regard sur cet aspect
sensible de l‟enseignement scolaire. La table ronde organisée le premier jour, si contestée
en son temps, a été l‟occasion d‟échanges tout à fait stimulants, qui trouvent un écho
singulier aujourd‟hui.
D‟une manière plus générale, une attention plus grande aux démarches didactiques
liées au "fait religieux" nous encourage d‟ailleurs à assurer un suivi du dossier. En effet,
l‟observation des pratiques sur le terrain conduit au constat que, comme M.Jourdain, nombre
de professeurs, dont l‟attachement aux valeurs laïques ne peut être mis en doute, font
encore… de la catéchèse sans le savoir. Ceci explique la continuité de notre réflexion dont le
n° 50 du bulletin La Dur@nce s‟est fait l‟écho.
Le thème de cette année, "La population européenne dans tous ses états :
population, nations, États, frontières, intégration", répond moins au désir de suivre
l‟actualité qu‟au souci d‟expliciter les nouveaux programmes de lycée (l‟histoire et la
géographie de l‟Europe en 1ère, l‟espace méditerranéen, l‟Europe rhénane, la puissance
économique de l‟Union européenne en terminale, pour ne donner que quelques exemples certaines études de cas intéressant même la classe de seconde).
Question vive néanmoins, car "L’intégration européenne", avec le passage, en mai
2004, de l‟Union des 15 à l‟Union des 25, par l‟entrée de 10 nouveaux États, pose ici aussi
un nouveau défi aux professeurs de nos disciplines (histoire, géographie et éducation
civique). Nous sont proposées, par là même, l‟appréhension d‟un autre espace,
l‟interrogation sur une nouvelle dynamique, la construction d‟un autre destin, économique et
culturel sûrement, politique et institutionnel peut-être, social à voir…
Contradictoirement, ce thème pose, en matière de pratique enseignante, de réelles
difficultés. Installé depuis longtemps dans nos programmes, et progressivement plus présent
(il n‟est que de voir les problématiques proposées en géographie de 4ème et de 1ère), il est
l‟objet d‟explorations incertaines, sous une argumentation hésitante, probablement parce que
cette Union Européenne apparaît à beaucoup également incertaine et, sur bien des points,
peu convaincante.
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Chaque enseignant, en définitive, se sent plus à son aise quand il étudie
l‟Allemagne, le Royaume-Uni ou l‟Espagne – bref, dans un cadre national – que lorsqu‟il doit
assumer l‟étude à l‟échelle européenne.
Cette prégnance de plus en plus sensible de la question européenne dans les
programmes, au fur et à mesure de leur rénovation, doit cependant nous interroger. Chacun
sent bien qu‟il y a ici une évolution inéluctable d‟un espace, celui du "Vieux Continent". Un
avenir est en jeu qui concerne fortement nos élèves.
Je voudrais citer ici un extrait de l‟article de Jean Leduc, publié en 1998 dans la
revue Espaces-Temps :
« Dès les années cinquante, le Conseil de l'Europe organisait des rencontres sur les
manuels et les programmes d'histoire. Les ministres de l'Éducation des États membres,
périodiquement réunis, continuent à explorer des convergences possibles. Ainsi, à Vienne, en octobre
1991, ils déclarent : " L'éducation doit sensibiliser les jeunes au rapprochement des peuples et des
États européens... Elle doit les aider à prendre conscience de leur identité européenne, sans qu'ils
perdent de vue pour autant leurs responsabilités à l'échelle mondiale, ni leurs racines nationales,
régionales et locales... Les jeunes doivent être incités à façonner l'Europe conformément aux valeurs
qui constituent leur héritage commun". À cette fin, il faut leur "donner une conscience plus aiguë des
facteurs historiques qui ont façonné l'Europe" ».
On retrouve ce souci dans le traité de Maastricht. L'Article 126.1 stipule que "l'action de la
communauté vise à développer la dimension européenne de l'éducation", et l'Article 128.1 que "la
communauté contribue à l'épanouissement des cultures des États membres dans le respect de leur
diversité nationale et régionale, tout en mettant en évidence l'héritage culturel commun" ».
À travers ces quelques citations transparaissent deux idées-force : il y a une
identité européenne fondée sur un héritage commun (culturel, de valeurs) ; une des
missions de l'enseignement est de développer la prise de conscience de cette identité.
Autant de questions qui interpellent au premier chef l‟enseignant d‟histoire-géographie. Par
rapport à la date de l‟article, 1998, l‟Union européenne a connu une certaine évolution, a
progressé pourrait-on dire, d‟un certain point de vue. Cette évolution s‟avère en même temps
délicate, du fait même de l‟ampleur soudaine de l‟élargissement. Avec une interrogation de
fond sur la cohérence de cet espace, sur la communauté réelle entre ces peuples et entre
ces États européens, sur l‟intégration des populations immigrées. Une interrogation aussi sur
les solidarités complémentaires, parfois contradictoires, pour plusieurs des États de l‟Union,
avec des espaces périphériques, proches ou plus lointains.
Dans ces actes du colloque sur l’Europe, nous avons voulu privilégier les éléments
qui apportent une réelle plus value en termes de réflexion problématique et de pistes
didactiques. Ainsi, le lecteur retrouvera-t-il dans ces pages un compte-rendu fidèle de la
table ronde consacrée au thème central : « Difficultés et enjeux de l‟intégration européenne :
de l‟Union des 15 à l‟Union des 25 », sous ses aspects historiques, géographiques et
institutionnels.
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Adossés à des recommandations essentielles de nos programmes scolaires, les
ateliers pédagogiques ont privilégié l‟étude de cas (Espaces, territoires, frontières en
Europe : exploration de quelques situations-problèmes en Belgique et Lituanie, à Chypre et
Gibraltar), le travail cartographique (Cartographie européenne : exploration de démarches et
d’outils (4ème/1ère, LP) et la réflexion citoyenne (Quelle histoire enseignée/enseigner aux
Européens : France, Allemagne, Angleterre, Tchéquie, Lituanie – Citoyenneté européenne :
réflexion sur la construction d'une conscience européenne chez les adolescents, sur leur
sentiment d'appartenance).
Le texte de la conférence : " L'Europe entre projet politique et objet scolaire", par
Nicole Tutiaux-Guillon, maître de conférences à l’IUFM de Lyon, parachève cette brochure
qui n‟a d‟autre ambition que d‟aider les collègues enseignants à se forger une conviction sur
le sujet et à explorer des pistes didactiques stimulantes pour leurs classes et pour euxmêmes.
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L’EUROPE ENTRE PROJET POLITIQUE ET OBJET
SCOLAIRE AU COLLEGE ET AU LYCEE
Interrogations didactiques sur l’Europe telle qu’on
l’enseigne
par Nicole TUTIAUX- GUILLON
maître de conférences, IUFM de Lyon
Je n‟entends pas ici proposer des pratiques ou des contenus qui seraient meilleurs, plus
adaptés au thème de l‟Europe, plus efficaces. Je vous invite, plus largement, à réfléchir sur
l‟enseignement comme vecteur ou comme obstacle à l‟apprentissage, en particulier pour un
thème dont les finalités civiques et les difficultés scientifiques se conjuguent. Ma contribution
prend appui sur la recherche INRP l’Europe entre projet politique et objet scolaire. Conduite
en 1996-99 et publiée en 20001, cette recherche est antérieure à l‟introduction de l‟ECJS et
aux programmes actuels de lycée. Or les programmes des années 2000, en géographie,
offrent d‟avantage d‟opportunités de se questionner, de se confronter à des débats. Il est
possible que les pratiques dominantes en aient été modifiées. Je me réfère aussi à des
réflexions qui n‟ont pas été construites sur l‟Europe mais que j‟utilise. Des outils, des
modèles didactiques que je réinvestis. Je juxtapose des résultats de recherche, des pistes
de travail, des questions à débattre, des éléments glanés de façon assez aléatoire en
ateliers – le but étant de vous inciter à réfléchir, y compris en critiquant mes propres
approches bien sûr.
1- les mots pour le dire
11 - Europe : un mot polysémique
Il est banal de rappeler qu‟il n‟y a pas une Europe mais des Europes, que
l‟Europe est un objet flou, mal cerné, pluriel : les ouvrages universitaires soulignent ces
incertitudes ou se réfèrent à des Europes différentes. Il n‟y a pas un savoir de référence
univoque, et pas vraiment de vulgate2 pour l‟enseignement secondaire. Cette polysémie est
frappante à l‟intérieur même de l‟histoire-géographie (et encore plus sur plusieurs années :
Europe-continent en géographie en 4ème, Europe-union en 3ème, Europe à l‟occasion réduite
aux puissances politiques et/ou économiques, en histoire ou en géographie ). Elle est aussi
notoire entre histoire-géographie et médias, et plus largement dans les savoirs sociaux
autres que scolaires.
TUTIAUX-GUILLON N., dir., l’Europe entre projet politique et objet scolaire, au collège et au lycée, Paris,
INRP, 2000
2 Ensemble des savoirs que chacun (enseignants, élèves, parents, Institution, universitaires…) s’entend à voir
transmis par l’Ecole. Ces savoirs sont stabilisés et perdurent, même au-delà des programmes (cf. Clerc, 2002,
Tutiaux-Guillon, 2000)
1
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« Europe » est un mot courant, qui appartient à notre sens commun : il n‟est pas
seulement un objet géographique ou historique, pas seulement un terme disciplinaire. Or,
dans le sens commun, c‟est le contexte dans lequel ils sont employés qui donne sens aux
mots. (Ex. « je vais en ville » n‟a pas le même sens dans un village et dans un quartier
urbain relativement central). Un Anglais qui dit « l‟Europe » veut souvent dire « l‟Europe
continentale » : il exclut les Iles britanniques. Un habitant de l‟Union européenne confond
souvent l‟Europe et l‟Union, sans s‟interroger par exemple sur la Suisse… « la vieille
Europe » prend sens dans un contexte précis etc. Ce flou tient au fait que l‟Europe n’existe
pas. Propos étrange dans une formation qui lui est consacrée !
L‟Europe n‟existe pas au sens où elle est une invention, une construction
symbolique de nos sociétés. L‟Union européenne existe, elle est historiquement définie et,
même si les élargissements successifs en changent les limites, elle correspond à un
territoire (mouvant), y compris comme espace de législation et espace politique. Mais
« l‟Europe » ? Il n‟y a pas un passé qui serait objectivement européen : il y a des moments,
des événements, des acteurs, des faits qui sont pensés actuellement comme européens. Aix
la Chapelle n‟est pas pour les Carolingiens une capitale européenne : c‟est la capitale de
l‟Empire, que l‟on peut reproduire ailleurs si on ne la contrôle pas, et étant la capitale de
l‟Empire c‟est un lieu d‟essence religieuse, une capitale de la chrétienté romaine. Ce n‟est
pas « l‟Europe » qui découvre le monde au XVème siècle (ou avant) ou qui domine le monde
au XIXème : ce sont des monarchies ou des Etats, d‟ailleurs rivaux, que nous nommons
Europe à la fois pour marquer la différence avec l‟Amérique (les Etats-Unis plutôt) et pour
revendiquer une situation centrale dans le monde. L‟histoire de l‟Europe n‟est pas l‟addition,
la juxtaposition des histoires des régions ou des Etats actuellement dits européens, c‟est une
histoire que l‟on s‟est efforcé d‟inventer – depuis la fin du XIXème siècle, mais sans
continuité – et qui suppose une autre mise en intrigue que celle dont on use ordinairement
pour l‟histoire dite nationale.
L‟identité européenne se redéfinit en fonction des contextes et des enjeux sociaux
/ politiques. Elle ne prend pas appui sur tout le passé en Europe (doit-on revendiquer les
totalitarismes comme significatifs du passé européen et partant définissant l‟Europe ?).
L‟ouverture de l‟Union vers l‟est engage à réinterroger ce qui définit cette identité, soit qu‟on
y évalue l‟influence occidentale depuis le Moyen âge, soit qu‟on reconnaisse
« européennes » des formes jusque là passées sous silence. Les débats actuels sur la place
du christianisme dans la définition de cette identité rendent explicites les divergences et les
enjeux d‟une définition commune. Il n‟y a de patrimoine ou de mémoire européenne que ce
qui en est inventé au présent et pour le futur (ce que les générations actuelles choisissent
dans leur passé comme devant être transmis, parce que actuellement porteur de
signification). Ce qui est pertinent pour tout patrimoine (Davallon, 2000 3) l‟est évidemment
pour l‟Europe.
Le processus d‟ouverture engage aussi à interroger les limites : l‟Oural fut posée
comme limite de l‟Europe par les géographes de Pierre le Grand qui tenait à arrimer la
Russie à la modernité ; le „rideau de fer‟ a défini l‟Europe pendant quelques décennies ; la
Turquie, acteur politique et culturel majeur sur le continent européen pendant des siècles,
doit-elle ou non être rejetée hors de l‟Europe ? La définition des limites de l‟Europe est un
produit de l‟histoire, ou plus exactement chaque problème incite à définir différemment
l‟Europe. L‟idée même de parler de « continent européen » surprend au vu de la définition
classique d‟un continent.
3 DAVALLON J., “ le patrimoine : “ une filiation inversée ? ”, in EspacesTemps, 74-75, 2000, p.6-16
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« L’Europe » nomme :
- des Etats (« l’Europe découvre le monde » / « la vieille
Europe »)…
- des espaces différents, dans leurs limites et dans ce qui
les structure. La portion d’espace russe varie selon les cartes, tout
comme la présence des territoires au-delà des 65° de latitude… sans
parler de la Turquie contemporaine ;
- une culture (« l’Europe redécouvre l’antiquité », « art baroque, art
européen ») ; mais que tous ne définissent pas à l’identique – et même
parfois « Europe » équivaut aux groupes sociaux porteurs de cette
culture (« l’Europe des Lumières ») ;
- une conception politique, qui varie dans le temps : dans
les manuels l’Europe moderne est celle des monarchies absolues aux
Temps modernes, et au XXème siècle celle de la démocratie, de l’Etat
de droit. Ceci rejoint une argumentation fréquente : ‘les Etats qui ne
respectent pas les droits de l’homme ne sont pas vraiment
européens’ ;
- des institutions, couramment celles de l’Union – mais
aussi éventuellement aussi le Conseil de l’Europe ;
- un processus d’unification et son résultat (cf. le titre d’un document
Hatier, 1ère, p.35 « les Balkans, une anti-Europe ? »).
Cette pluralité / polysémie se retrouve dans les propos des élèves. En 1998, un enseignant
demande à des élèves de 4ème quels mots ils associent à Europe : les réponses juxtaposent
continent – Euro – des pays en majorité laïcs – libres – l‟union fait la force – pouvoir –
richesses – technologies avancées – tolérance – ils communiquent sans frontières. Il n‟est
pas évident que le mot « Europe » renvoie à la même chose pour n‟importe quel enseignant
et pour n‟importe quel élève.
La polysémie est manifeste aussi dans les cours ou les chapitres des manuels :
en voici quelques exemples, que chacun pourrait multiplier à l‟envi :
- dans un cours de 4ème en 1997 : I – Europe : un continent, II – l‟Europe : des
pays riches (le cours n’ explicite pas qu’on ne se réfère plus au même espace !) ;
- dans un autre cours de 4ème (année 1997-1998) se déroule le dialogue suivant :
Professeur – « Quatre seulement d‟entre vous disent que l‟Europe est un continent. Vous
vous représentez surtout l‟Europe en tant qu‟Etats. On va commencer par voir si l‟Europe est
une unité ou si ce n‟est pas une unité. Elle est unie ou pas ? »
Elève – « Oui car à chaque fois qu‟on décide quelque chose il faut prendre les avis des
autres pays ». (référence implicite à l’Union européenne)4
Professeur – « Tu crois par exemple que si la France envoie des soldats à l‟étranger il lui
faut l‟avis des autres pays ? » (référence implicite à espace où se juxtaposent des Etats
souverains)
Elève – « Par exemple pour les frontières »
Professeur – « Tu crois que la France a besoin de demander l‟avis de la Finlande ou de la
Roumanie si elle veut changer une frontière? » (référence implicite à espace où se
juxtaposent des Etats souverains dans et hors de l’Union européenne)
Elève – « C‟est pas uni parce que tout n‟est pas pareil ! » (impossible d’identifier l’espace de
référence modèle probable, celui de l’Etat nation unifié)
Elève – « Si c‟était uni il faudrait que ce soit pareil, la même langue, la même religion ».
(idem)
Professeur – « Les langues ne sont pas identiques ». (peut référer à n’importe quel espace
« européen »)
4
Le commentaire entre parenthèse est l’analyse des propos tenus dans la classe par Nicole Tutiaux-Guillon.
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Elève – « On n‟a pas la même religion » (idem, même si le « on » renvoie peut-être aux
habitants de l’Union)
Professeur – « Alors justement quelles sont les différentes religions en Europe ? (le
professeur passe à la lecture d‟une carte représentant le « continent » jusque l’Oural)
- manuel Hatier, 1ère, L-ES géographie, 2003 chapitre sur les disparités
régionales en France et en Europe : p. 323-324, cartes « un niveau de développement
économique très inégal selon les régions européennes », « les densités de population des
régions européennes » : Europe = Union ; p.325, carte « un schéma prospectif des axes de
développement selon la Datar » Europe = un espace de l‟Irlande à la Russie (partiellement
incluse) ;
- manuel Belin, 4ème, partie géographie, 2002 : p.182 les réseaux ferroviaires et
routiers : rien au-delà de Berlin-Vienne et p. 183 « de très nombreuses villes », la CEI est
exclue, tout comme les pays baltes et Istanbul ; p.185 les axes de communication majeurs et
les grandes agglomérations: inclut Saint Pétersbourg, Moscou, Kiev et Istanbul ;
- la plupart des manuels de 4ème excluent la Turquie de l‟Europe du XXème siècle,
mais incluent l‟Empire ottoman dans l‟Europe moderne. Le sort de la Turquie peut être
encore moins stable : le même manuel (Hatier, 4ème, 2002) en géographie inscrit Istanbul
comme grande agglomération européenne, exclut la Turquie, y compris au nord des détroits,
sur la carte des alphabets (p.210), inclut la partie de la Turquie au nord des détroits sur la
carte des langues et des religions (p. 211), colorie la partie « européenne » de la Turquie
mais pas sa partie « asiatique » sur la carte « les nouveaux Etats d‟Europe » (p.213),
comme s‟il y avait là un Etat indépendant et exclut la Turquie sur la carte du PIB par habitant
(p.215) ! A moins d‟en faire un objet de travail en classe, comment s‟y retrouver ?
Or le plus souvent l‟enseignant fait comme si le mot « Europe » était transparent ;
il suppose une intercompréhension entre professeur et élèves, il suppose que les mots
réfèrent aux mêmes objets, aux mêmes significations, en se satisfaisant d‟un à-peu-près. En
atelier, les discussions entre enseignants ont joué de la connivence. Mais certains propos
étaient bien ambigus, par exemple « l‟Europe en construction », « ça va être une Europe
plus
contrastée »…
Le constat invite à s‟interroger : que faire de ces variations ?
- rester dans l‟implicite, le glissement ? en tablant sur le contexte, la connivence…
- les faire remarquer mais ne pas perdre de temps au-delà, l‟élève étant de toutes
façons confronté à la même polysémie au quotidien ?
- les placer sous le contrôle de l‟élève en en faisant un objet de réflexion ?
confronter des acceptions différentes et leurs enjeux ?
- les problématiser : associer la définition de l‟espace de référence et le problème
étudié ?
12 - un langage de sens commun
L‟essentiel de l‟enseignement de l‟histoire et de la géographie s‟effectue dans un
langage qui est le langage courant, celui du sens commun. C‟est bien sûr celui des sciences
sociales même si parfois les mots y sont redéfinis et/ou qualifiés. Mais c‟est aussi celui de la
communication, parce qu‟il est commun au professeur et aux élèves. Or dans les échanges
courants, on ne prend pas le temps de s‟arrêter sur le sens des mots : il faut qu‟il y ait
rupture de communication, incompréhension, pour que l‟un demande „que veux-tu dire par
là ?‟. Le cours dialogué s‟effectue à un rythme extrêmement rapide ; à peine quelques
secondes de pause entre une question et la réponse, ou entre une question et sa
reformulation faute de réponse. On ne prend pas le temps de réfléchir… Les mots sont
rarement définis, hormis ceux qui constituent le vocabulaire à apprendre. Des analyses de
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cours observés établissent que ce ne sont ni les plus polysémiques, ni les plus complexes
(Audigier, Crémieux, Mousseau, 19965, Tutiaux-Guillon, 19986). En rencontrant le mot dans
des contextes successifs, différents, chacun en enrichit intuitivement la signification. En
général cela suffit. Mais cela peut poser problème pour les élèves et pour leur
apprentissage :
- les mêmes mots recouvrent un sens usuel, familier et un sens disciplinaire – qui peuvent
être ou non proches (Etat par exemple peut être compris comme « gouvernement » ou
comme « structure spécifique de contrôle d‟un territoire et de ses habitants ») ;
- il n‟est pas sûr que l‟enseignant et l‟élève aient construit antérieurement le même sens du
même mot, ni que l‟élève reconnaisse le même contexte que l‟enseignant (« frontière » par
exemple peut évoquer pour l‟un une interface, pour l‟autre une vraie rupture avec contrôles
et coercition) ;
- ce qui est appris dans un contexte (et formalisé en fonction de ce contexte) est difficile à
réinvestir dans un contexte très différent (cf. supra le regard porté par les élèves sur
« l‟unité » européenne).
Le langage de sens commun réifie ce dont on parle : on fait comme si cela n‟était
pas une construction intellectuelle mais une réalité concrète. Les mots qui désignent des
réalités observées et ceux qui expriment une interprétation ne sont pas différenciés. Prise
dans ce langage, l‟Europe spatiale ne se différencie pas de l‟Europe symbolique. Et les
modèles deviennent la réalité, qu‟il s‟agisse de la transition démographique ou de
l‟organisation de l‟espace européen. De même les cartes sont tenues non pour une
interprétation mais pour la figuration homothétique de la réalité. La carte naturalise l‟Europe :
elle la fait exister parce qu‟elle fait correspondre un mot et une image. Les cartes « des
religions en Europe », présentes dans tous les manuels de collège oublient de représenter la
sécularisation des sociétés européennes, processus pourtant amorcé dès le XVIIIème siècle,
ignorent que dans certains Etats la majorité se déclare « sans religion », et font comme si les
religions étaient pour tous un signe d‟identité indéniable ; en outre elles effacent des
minorités religieuses non territorialisables (quid des juifs croyants et pratiquants ? quid des
minorités bouddhistes ?)… Elles posent l‟Europe des religions (entendez christianismes et
islam) comme une réalité territoriale contemporaine. Les choix indéniables, souvent
nécessaires, ne sont pas indiqués comme tels, de même que la médiation apportée par la
légende n‟est pas explicitée.
Là encore, faut-il faire comme si tout allait de soi ? ou prendre le temps d‟une
démarche critique ? le temps et la peine de mettre en évidence pourquoi dans tel contexte
(clairement caractérisé) c‟est tel sens d‟Europe (ou d‟un autre mot) qui est pertinent ? Faut-il
confronter les élèves explicitement à des sens différents dans des contextes différents, c‟està-dire en faire l‟objet de leur travail ?
Enfin dans le langage courant, les mots renvoient aussi à des valeurs, de
l‟affectif, des expériences… des représentations sociales. Par exemple en interviewant des
enseignants français, on se rend compte que « nation » est souvent connoté négativement,
évoquant à la fois un sentiment d‟appartenance borné, l‟intolérance, l‟endoctrinement. Par
contre, pour des enseignants des pays baltes, c‟est au contraire une identité collective à
restaurer et promouvoir, après des décennies de soviétisation et de domination russe. De
même évidemment les élèves associent Europe à des valeurs. Les collégiens parfois ne
projettent aucune valeur sur l‟Europe (pour ¼ d'entre eux) et souvent l‟investissent de
valeurs diverses, qu‟on peut ordonner autour des droits de l‟homme d'une part et de
l‟harmonie, de l‟absence de conflit d'autre part. Cette image fait écho à la représentation
sociale d‟une société idéale. Elle ne permet ni de repérer une identité européenne dans un
5
AUDIGIER F., CRÉMIEUX C., MOUSSEAU M.-J., L'enseignement de l'histoire et de la géographie en
troisième et en seconde, étude descriptive et comparative, Paris, INRP, 1996,
6 TUTIAUX-GUILLON Nicole, l’enseignement et la compréhension de l’histoire sociale au collège et au lycée,
l’exemple de la société d’Ancien régime et de la société du XIXe siècle, thèse sous la direction d’Henri Moniot,
Paris 7, 1998, Lille : Septentrion- thèse à la carte, 2000
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passé essentiellement fait de guerres et de conflits, ni de penser les débats qui traversent
l‟Europe aujourd‟hui. L‟Europe se limite à l‟Union à la fois dans le temps et dans l‟espace ;
encore entend-on que „tant qu‟il y a désaccord il n‟y a pas vraiment d‟Europe‟. En lycée,
rares sont les jeunes qui n‟associent pas de valeurs à l‟Europe : l'identité, le nationalisme,
l‟environnement, la paix, l‟égalité, la liberté, la beauté… Les droits de l‟homme sont toujours
affirmés. La solidarité et la tolérance constituent la dominante, indiquant probablement une
plus grande conscience de la diversité et du nécessaire respect de l‟autre. Ceux qui ont un
vécu familial ou scolaire des échanges européens sont plus sereins et plus optimistes que
les autres, pour qui l‟avenir de l‟Europe se teinte d‟inquiétude.
Que faire dans l‟enseignement de ces évocations ? Dans l‟implicite du dialogue
entre maître et élève (rapide, limité à des mots ou des expressions de la part de l‟élève, sans
véritable distance critique) peuvent se glisser des valeurs, à travers des métaphores, des
adjectifs, ou simplement des silences. Mais souvent les valeurs, les jugements, l‟affectif sont
considérés comme « parasites » et écartés, invalidés : le cours est neutralisé. Est-ce la
meilleure façon de faire ? j‟y reviens infra sur les finalités.
13 - Quels concepts pour penser l’Europe en classe ?
WOLTON (in la dernière utopie) « c’est avec les vieux concepts que l’on aborde les
problèmes neufs ».
Souvent, dans la classe, les concepts ne servent qu‟à nommer, et le travail sur
leur signification est inexistant. Histoire et géographie sont des disciplines scolaires
fortement marquées par le fait, la transmission de savoirs positifs : les mots sont plutôt
utilisés pour désigner des objets que la nomination fait exister. L‟interprétation est effacée,
comme si le monde se donnait en toute transparence à qui l‟observe. La remarque rejoint
celle faite plus haut : les concepts sont réifiés, on fait comme si le langage n‟était pas une
interprétation7. C‟est très net dans les manuels où les concepts qui servent à dire et
interpréter l‟Europe peuvent ne pas être définis (Etat), ou être ramenés à un objet
observable.
Prenons l‟exemple de « réseau ». Dans les manuels de 4ème de la fin des années
1980, « le terme n‟est pas présenté comme un concept d‟analyse, à la base d‟un modèle
d‟organisation spatiale que l‟on confronte à des situations particulières mais […] est réduit à
l‟état de mot descriptif appliqué au Benelux. […] le concept de réseau urbain est présenté en
référence à une hiérarchie de fonctions dont la définition reste plus ou moins vague. La
référence aux flux est beaucoup moins fréquente» (Audigier, 19958, p.29-30). Actuellement
dans les manuels de première L-ES de 2003 :
- Belin, : aucune définition
- Hachette : « réseaux : liens à différents niveaux d‟un ensemble urbain dans un espace
géographique dépendant administrativement, politiquement, commercialement ou
culturellement d‟une métropole » / réseau urbain non défini (sic) / réseau de transport non
défini.
- Hatier : « réseau urbain : organisation des relations de dépendance, complémentarité ou
concurrence entre les unités urbaines d‟un territoire » / réseau de transport non défini /
réseau non défini.
- Magnard : « réseau urbain : ensemble hiérarchisé de villes d‟une région ou d‟un pays
dominé par une ou plusieurs métropoles » / réseau de transport non défini / réseau non
défini.
Au prix éventuellement de certaines incohérences : Nathan technique, 1997, 3ème histoire-géographie-éducation
civique, sur la même page (228) : « la nation est une communauté d’hommes qui le plus souvent vivent à
l’intérieur de frontières communes » ; « la nation : un ensemble de personnes unies par le sentiment d'une
identité commune ».
8 AUDIGIER François, directeur, construction de l’espace géographique, Paris, INRP, 1995
7
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- 11 -
On constate la grande variété des sens ; l‟accent est tantôt mis sur les relations, tantôt sur
les villes elles-mêmes, la nature même des relations oscille entre domination/dépendance et
multitude des relations (qui renvoient plutôt à « système de villes »). On constate aussi que
« réseau de transports » n‟est pas défini, la représentation figurée y suffisant.
Le langage courant n‟exclut pas les concepts au sens de « mots définissant une
catégorie d‟objets comparables en quelque chose » ; ces concepts de sens commun sont
souvent définis par référence à un type (un prototype) dont les caractères résument les traits
saillants et distinctifs de la catégorie (ex. oiseau, ville) dans une culture donnée. Il arrive que
les définitions données dans les manuels ne dépassent guère le sens commun ; il en est de
même dans le cours, en particulier lorsque le dialogue impose inopinément une définition
que l‟enseignant n‟a pas préparée. Les ateliers ont parfois vu surgir de tels moments. Mais,
si en épistémologie on peut hésiter sur l‟existence de concepts en histoire voire en
géographie, en didactique, l‟hésitation n‟a pas lieu d‟être : c‟est avec des concepts que l‟on
pense et donc que l‟on apprend. Quelques concepts clés pourraient être abordés
systématiquement, toujours autour d‟une même question : qu‟apporte l‟emploi de ce concept
à une réflexion sur l‟Europe ? Prenons trois exemples.
« Territoire » apporte trois approches, trois questionnements : l‟idée des limites formalisées,
qui sont celles qui bornent un espace construit par des pouvoirs sur lequel s‟exerce un
contrôle (il y a bien un territoire… de l‟Union européenne) ; l‟idée d‟une appropriation
symbolique (y a-t-il un territoire européen ? pour qui ?) ; l‟idée d‟un espace dont les habitants
se sentent responsables (y a-t-il un territoire européen ? quelles sont ses limites ?).
« Région » : là encore, nous voici face à un mot polysémique, même en géographie :
instance administrative – territoire identitaire à une échelle infra-étatique – espace
économique cohérent – espace polarisé par une ville – province historique – référence
permettant de contester d‟autres niveaux de décision… On peut en classe réfléchir cette
polysémie ; que veut dire « Europe des régions » ? Ou tenter de répondre à la question
« qu‟est-ce que le concept de région me permet de penser de l‟Europe que je ne pourrais
pas penser autrement ? » : les formes de l‟organisation spatiale ? les institutions et leur
subsidiarité ? les questions identitaires, en particulier transfrontalières ? etc.
« Etat » : souvent le mot n‟est pas le concept ; il évoque seulement le pavage fondamental
de l‟espace terrestre contemporain, ou un cadre statistique ou encore, dans le récit ou
l‟explication, un acteur social et spatial, un quasi-personnage. Côté concept, il signifie
- une forme politique (laïque, temporelle, donc distincte de l‟empire9) qui apparaît en Europe
occidentale à partir du Moyen âge. Employer ce mot interroge les formes d‟uniformisation du
territoire, d‟intégration / de contrôle de la population. Souvent l‟Europe pensée implicitement
comme un Etat, ce qui pourrait permettre des interrogations sur l‟Union européenne, sa
forme politique spécifique, ses emprunts au modèle de l‟Etat…
- Un espace prédécoupé (borné par des frontières pensées comme linéaires ; on oublie
souvent les frontières maritimes et aériennes). Partir d‟une réflexion sur le concept d‟Etat
peut permettre d‟historiciser les frontières en Europe.
- Une entité qui a l‟exercice de la souveraineté sur un territoire ; ici le sens renvoie aux
questions de géopolitiques et à la construction de l‟Union européenne
- Enfin, et souvent oublié, l‟Etat produit le droit (pour unifier la société, pour affirmer la
souveraineté sur le territoire) ; cette lecture permet d‟interroger le poids du droit européen,
du droit international
Peut-on prendre le temps de s’arrêter sur les concepts et sur leur rôle pour
produire de l’intelligibilité ? prendre de risque d’une programmation / progression qui
le prenne en compte ? a minima, réfléchir sur les concepts que nous choisissons, le
sens que nous leur donnons (explicitement) afin de permettre aux élèves un
apprentissage plus efficace ? a maxima faire réfléchir les élèves sur ce que les mots
permettent de penser et sur leurs limites ?
9
L’Empire est fondé sur un pouvoir d’essence religieuse et aspire à l’universalité.
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2 – un enseignement pour comprendre le monde ?
21 - un paradoxe
Commençons par un peu de provocation : les cours semblent aux lycéens
dépourvus de ce qu‟ils voudraient : une présentation des façons de vivre en Europe, voire
pour certains une réflexion sur l'avenir. Ce regret peut s‟interpréter soit comme le reflet d‟une
interrogation sur l'Europe, soit comme la mise en question de la géographie scolaire et
l‟aspiration à une géographie plus descriptive et plus anthropologique. Les savoirs scolaires
sont ainsi jugés moins fiables, moins réels que le voyage : voyager c‟est voir concrètement,
et connaître mieux et plus exactement10. Ceci peut être un effet d‟âge : à l‟adolescence, les
modèles de références et d‟identification qui peuvent être empruntés aux générations
précédentes sont concurrencés par l‟expérimentation individuelle et par les pairs. Les cours
de géographie, pour ces jeunes, parlent des climats, des reliefs, de la population, de
l‟économie ou de l‟histoire ; ils y préfèrent le mode de vie (l‟éducation, la vie familiale, la
nourriture), la culture des jeunes (surtout la musique), les paysages, les monuments… C‟est
cela pour eux qui est révélateur des richesses liées à la différence en Europe. L‟institution,
les enseignants, les formateurs font comme si de toute évidence les cours d‟histoire, de
géographie permettaient de comprendre le monde. Or les quelques enquêtes conduites sur
les références et les arguments mis en avant par les adolescents, en particulier quand ils
parlent d‟Europe, soulignent la rareté des savoirs scolaires mobilisés, même sur des
questions qui le permettraient. Les arguments qui prévalent sont ceux de l‟expérience
personnelle, plus rarement des médias. Et ceci même chez des élèves qui ont des acquis
scolaires, même en fin de 4ème ou de 1èreau terme d‟une année où l‟Europe a constitué un
passage obligé de l‟enseignement (Tutiaux-Guillon, 2000).
J‟impute cet écart au moins partiellement au fonctionnement disciplinaire 11, qui
contribue à vider l‟histoire et la géographie de leur sens, de leurs enjeux, de leurs finalités. Il
est frappant de voir que, au quotidien, les finalités (civiques, éthiques, sociales…) sont
souvent passées sous silence, alors qu‟un enseignement ne se justifie socialement que par
là. Dans les ouvrages qui proposent des situations prêtes à pratiquer (sur l‟Europe par
exemple), soit les enjeux de cet enseignement ne sont pas abordés (rien ne dit quels
problèmes ou quels faits du monde l‟élève pourra mieux comprendre), soit ils sont affirmés
en introduction, sans que les propositions pratiques s‟y réfèrent explicitement. Les
enseignants en formation continue dans l‟académie de Créteil en 1998-1999 ne s‟en
préoccupaient guère non plus : 3 sur 57 signalaient que l‟étude de l‟Europe peut permettre
de comprendre l‟actualité ou la réalité vécue par les jeunes et leurs familles. Pour les autres,
les problèmes essentiels étaient ceux de la diversité des contenus et des méthodes
disciplinaires.
22 – des pièges à éviter / des piste à suivre ?
- tenir à l‟écart le monde des élèves :
Les contenus d‟enseignement tiennent à l‟écart le monde vécu, les savoirs
d‟expérience des élèves ; on postule que les jeunes feront le lien d‟eux-mêmes ; ils ne le font
en majorité pas (au mieux 6% le feraient spontanément, d‟après la recherche Europe).
L‟expérience des élèves, leurs connaissances non-scolaires sont perçues comme sans
10 Je l’ai vraiment vu, donc forcément on réalise mieux. Quand on dit quelque chose, on n’est pas vraiment sûr
de ce qu’on nous raconte, c’est là qu’on voit vraiment ce qui se passe et comment c’est. (Céline 2nde)
11 La leçon d’histoire ou de géographie, y compris dans sa forme de cours dialogué, est un produit historique et
social et non une norme intangible, une fatalité : elle s’est constituée en France pour s’adapter à un contexte
institutionnel ; elle n’a jamais été fondée sur une réflexion sur les apprentissages (cf. HERY E., 1999, un siècle
de leçons d’histoire, l’histoire enseignée au lycée, 1870-1970, Rennes, Presses Universitaires de Rennes). Enfin
ce modèle n’est en rien universel : il suffit de passer les frontières de France pour s’en rendre compte !
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intérêt, voire comme une menace, un trouble potentiel ; certains enseignants disent
explicitement qu‟il n‟enseignent pas ce qui implique trop les élèves, pour ne pas voir leur
cours perturbé.
Mais où les jeunes apprendront-ils à avoir un regard distancié sur leur
expérience, leurs convictions ? Ne peut-on tenter au contraire de convoquer expériences et
opinions et de les confronter aux savoirs ? de travailler la différence entre conviction et
connaissance, lorsqu‟il s‟agit de questions vives de la citoyenneté contemporaine ?
- éviter les débats et les controverses
Les contenus d‟enseignement tiennent à l‟écart les débats en cours et les enjeux
vifs ; les pratiques limitent la parole argumentée des élèves. Le « refroidissement » des
débats peut passer par une mise à distance de l‟actualité : ainsi dans un manuel de BEP
2002, l‟approche des divergences d‟opinions sur l‟Europe en France est soutenue par des
documents dont les plus récents sont de 1992 ! L‟enseignement de nos disciplines choisit la
neutralité, mais aussi refuse d‟aborder les questions trop ouvertement politiques – celles de
l‟actualité, de la société – et recherche un consensus. En France, les controverses politiques
ont mauvaise réputation en histoire-géographie12 : même introduites dans programmes de
lycée en géographie, elles restent souvent dans les manuels confinées à une juxtaposition
d‟opinions diverses, comme si le débat n‟avait pas lieu. C‟est un progrès par rapport à un
traitement de l‟Europe qui en 1ère, en 1996-1998, se résumait à l‟espace européen, les
institutions de l‟Union, la PAC. Est-ce bien suffisant et crédible pour des élèves de 17/18
ans, et même de plus jeunes ? De même, l‟avenir n‟est pas évoqué en général. Or les
jeunes ne font pas spontanément le lien entre leur avenir comme personne et l‟avenir
collectif.
Pourquoi ne pas tenter une analyse des débats, étayée d‟informations ? pourquoi
ne pas tenter une réflexion sur les enjeux et les projets européens ? Pourquoi ne pas
travailler ce que les choix économiques et sociaux actuels, les aménagements, les
dynamiques spatiales peuvent dessiner comme opportunités et comme contraintes pour
l‟avenir ? Pourquoi ne pas présenter la construction de l‟Union non comme un long fleuve
tranquille mais comme une succession de choix, de controverses, d‟hésitations, et en
Europe et en France même ?
- rabattre les contenus sur la vulgate ou la boîte à outils (quelques méthodes
assurées pour lire un paysage, faire une carte…)
Les exemples de telles pratiques sont nombreux dans les manuels et les classes.
Ainsi un cours de 4ème titré « quelles sont les limites de l‟Europe ? » se borne à localiser et
nommer les montagnes et les mers ; un cours de 1ère sur les institutions de l‟Union (en plein
contexte électoral) consiste à lire et compléter un organigramme. Histoire et géographie
présentent un savoir fermé, établi, garanti par l‟autorité (des auteurs, de l‟enseignant, et
implicitement des scientifiques), une vision du monde ordonnée et schématique, cartésienne,
et/ou des outils utiles surtout à l‟école et aux examens. De tels choix sont souvent légitimés
par un souci d‟adaptation aux élèves et de simplification des savoirs et des exigences. Le
cours dialogué usuel ne laisse pas le temps de la réflexion, et ne propose aux élèves que
des questions sans grande tension intellectuelle. Il est censé ainsi pouvoir être suivi par tous
et permettre de concilier contenus lourds et temps imparti court.
Nous ne pouvons pas simplifier le monde (l‟Europe) pour nos élèves ou nos
enfants ; nous ne pouvons que leur donner les moyens de lui donner du sens, les outils
intellectuels pour s‟en / s‟y débrouiller. Plus ils disposeront d‟outils intellectuels variés, en
sachant le potentiel et les limites de chaque outil, plus ils seront à même de „s‟en sortir‟. Ceci
supposerait des situations où les élèves s‟appuient sur ce qu‟ils apprennent pour analyser,
expliquer, questionner, critiquer ce qui se passe dans le monde et ce qui les préoccupe.
Dans d’autres pays comme l’Angleterre ou l’Allemagne il est impensable de ne pas les traiter ; en France
même, en sciences économiques et sociales, débats et controverses sur des enjeux vifs peuvent être traités – le
programme y invite.
12
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D‟autant que l‟Ecole n‟est plus seule ni même principale source d‟informations sur le monde ;
c‟est à cette abondance de matière qu‟il faudrait préparer les élèves…
23 - Une logique de l’apprentissage ? Laquelle ?
Les recherches récentes en didactique semblent indiquer que les enseignants
d‟histoire-géographie du secondaire n‟ont pas de conception partagée de l‟apprentissage. Ils
confondent logique de l‟apprentissage (qui concerne les élèves) et logique de l‟exposition
(qui les concerne eux). Il est vrai que l’apprentissage de l‟histoire et/ou de la géographie est
peu abordé en formation initiale (centrée sur les savoirs universitaires puis sur la pratique du
professeur) et continue (souvent centrée sur une demande de contenus de référence pour
ce qui doit être enseigné)13. Les enseignants hésitent à parler d‟apprentissage et les mots
dont ils se servent sont vagues souvent et éclatés, sans conception commune, alors qu‟ils
tiennent peu ou prou tous le même discours sur “ enseigner ” (“ parler de ”, “ montrer ”, “ faire
passer ”, “ faire ”… plus rarement “ expliquer ”) (Lautier 1997, Gelly 2000, FinECol 200414).
La priorité très nette est donnée à la transmission des savoirs ; l‟ignorance des théories de
l‟apprentissage n‟est perçue ni comme gênante ni comme regrettable (Le Roux, 199715).
Lorsqu‟ils argumentant sur les buts et le sens des disciplines enseignées, lorsqu‟ils parlent
de ce qu‟ils enseignent, 4 enseignants sur 7 ne se réfèrent quasiment pas à l‟apprentissage
(FinECol, 2004). La conception « des bases d‟abord » confond ce que l‟élève doit avoir
acquis pour apprendre et ce que l‟enseignant doit exposer en premier. La mise en activité
des élèves, fréquente, est rarement réfléchie par rapport aux apprentissages, aux efforts
intellectuelles nécessaires, aux activités intellectuelles en jeu. La motivation l‟emporte. L‟idée
très répandue „qu‟on ne peut pas inventer les choses en histoire ou en géographie‟ justifie le
primat de la transmission. Les situations fondées sur des problèmes sont exceptionnelles (Le
Roux, 200416).
Pour le dire vite, apprendre c‟est :
- mettre en relation des mots, des images, des expériences, des informations, soit
de façon aléatoire, soit de façon délibérée et raisonnée : cette définition incite à favoriser les
activités qui conduisent les élèves à mettre en relation, ou plutôt à raisonner pour mettre en
relation ;
- mobiliser des activités intellectuelles permettant de regrouper des données
hétérogènes et d‟en construire des significations ; il s‟agit d‟attendre des formes
d‟organisation (verbales ou graphiques : schémas, cartes), des formes d‟abstraction (justifier
l‟emploi d‟un concept, résumer en une phrase l‟essentiel), des interprétations ;
- construire des représentations sociales, enrichir ses représentations sociales ; il
s‟agit alors de n‟écarter ni valeurs, ni affectif, ni expérience mais de travailler leur relation
avec les savoirs plus froids que proposent les disciplines scolaires, il s‟agit aussi de se
confronter à des représentations-obstacles…
Les journées d’études des didactiques de la géographie et de l’histoire, organisées en 2004 par l’IUFM de
Basse-Normandie (Caen) y sont consacrées.
14 LAUTIER N., 1997, à la rencontre de l’histoire, Lille, Presses universitaires du Septentrion ; GELLY
C., 2000, apprendre en histoire : activités et objets d’apprentissage ; convergences et hiatus entre les conceptions
des enseignants et celles des élèves. Matériaux exploratoires pour un état des lieux, mémoire de DEA, Paris 7 –
Denis Diderot ; FinECol : recherche sur la prise en charge des finalités par les enseignants de cycle 3 et de 6ème5ème dans l’enseignement de l’histoire et de la géographie, conduite à l’IUFM de Lyon, 2001-2004 (N. TutiauxGuillon, O. Faury, A. Ogier, C. Vercueil-Simion) dont les principaux résultats seront mis en ligne sur le site de
l’IUFM (www.lyon.iufm.fr) à la fin de l’automne 2004.
15 LE ROUX A., 1997, didactique de la géographie, Caen, IUFM – presses universitaires de Caen
16 LE ROUX A., 2004, enseigner l’histoire-géographie par le problème ?, Paris, L’Harmattan
13
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24 – pour quelle compréhension du monde ?
Les finalités de nos disciplines sont classiques : transmettre une culture
commune, inscrite dans une continuité, y compris des valeurs qui la constituent ; former un
sujet autonome, capable de raisonner de façon critique et d‟agir de façon responsable ;
former un citoyen capable de participer aux débats, d‟argumenter, de faire des choix
raisonnés.
Que signifie une « culture commune » relativement à l‟Europe ? Une culture
commune c‟est un ensemble de références et de significations partagées. Ceci suppose
transmettre des références, les faire fonctionner comme des références (faire en sorte que
les élèves y trouvent des repères, s‟y réfèrent effectivement dans les situations d‟actualité).
Ceci suppose aussi réfléchir sur les significations : quelles significations permettent de
construire du sens sur l‟Europe (par exemple une certaine signification du progrès, des
droits) ? quelles significations partageons-nous (et ce dans quels groupes ?) sur l‟Europe ?
La culture partagée est parfois pensée comme un héritage. Elle l‟est – partiellement. Mais le
patrimoine lui-même est rarement un legs : il est une invention du présent au nom de
l‟avenir, une recherche aujourd‟hui, dans le passé, de ce qui pourrait/devrait faire sens
demain. Le passé même, vu à travers l‟histoire, est une construction, qui tend à la vérité ou
du moins ne falsifie pas les sources, mais s‟opère en fonction des interrogations
contingentes du présent. La culture partagée relève toujours, partiellement, d‟un projet, fut-il
celui de la continuité. Viser une culture / une identité européenne commune ? utopie ou
militantisme entend-on...
Les enseignants français ont mauvaise conscience à le faire, par crainte
respectable de l‟endoctrinement. L‟aspiration éthique et critique, légitime, les conduit parfois
à renvoyer les identités à la seule sphère privée - oubliant qu‟une société quelle qu‟elle soit
transmet toujours des repères et des normes aux générations montantes. L‟idée souvent
affirmée par les débutants que les élèves doivent construire leur propre culture est à la fois
avérée du point de vue des processus d‟apprentissage et fausse du point de vue de
l‟éducation et de la socialisation. Les enseignants oublient aussi qu‟une culture commune est
nécessaire au vivre ensemble et au débat public, y compris en Europe et sur l‟Europe. Nous
revendiquons des valeurs fondamentales analogues dans toute l‟Europe, pour tous les
groupes et tous les âges (ex. les Droits de l‟homme, mais aussi la laïcité en France…).
Penser les appartenances sent le soufre : dans des entretiens, des professeurs ne parlent
de l‟identité que comme identité individuelle, et réfutent l‟existence d‟identités collectives
(FinECol 2004). Tout se passe comme s‟ils prenaient actes de changements successifs :
d‟une appartenance dominante et exclusive, à des appartenances plurielles légitimes, puis à
la négation de l‟appartenance (autre façon de jouer l‟indifférence aux différences ?). Mais
l‟individualisme peut conduire à une privatisation du sens (« j‟me comprends »). Comment
dans ce cas construire un projet, un avenir commun ? Le risque est patent de laisser les
projets aux experts (d‟ailleurs souvent les jeunes ont le sentiment que le politique n‟est pas
de leur ressort mais de celui des «hommes politiques » dans une ignorance de la
souveraineté des citoyens), ou aux logiques du marché fut-il politique. Il conviendrait alors de
s‟interroger sur les contenus suffisamment partagés, légitimes, pour asseoir au moins une
culture politique partagée : en France, c‟est souvent ce qui tend à l‟universalité, en Europe
c‟est souvent ce qui marque la spécificité, ce qui différencie de l‟Autre (lequel « Autre » est à
définir !).
Les valeurs, tout comme les débats et les enjeux vifs sont absents ou
implicites dans les cours d’histoire et de géographie par souci déontologique autant
que par aspiration à la scientificité. Cette absence s’accorde aux ambitions de la
laïcité, qui rejettent certaines valeurs hors du champ de l’Ecole, et à l'évolution
actuelle d'une société où « chacun se trouve « sommé d’élire ses propres valeurs »
mais celles-ci, pour ne pas être considérées comme aliénantes, doivent « demeurer à
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usage interne » (Bauberot, 1997)17. Inventer un autre de mode de fonctionnement
disciplinaire suppose réfléchir à la place qu'on donne aux valeurs et plus largement
aux finalités non comme ce qui va de soi une fois les Savoirs enseignés supposés
acquis, mais comme ce qui permet de construire du sens dans la classe, à travers des
contenus réfléchis et des pratiques qui donnent occasion aux élèves de s’exercer à
réfléchir aux enjeux et aux choix collectifs de leur présent et de leur avenir.
Que veut dire « un sujet autonome, capable de raisonner de façon critique et
d‟agir de façon responsable» relativement à l‟Europe ? La phrase, très officielle, indique
clairement que les finalités de l‟enseignement sont sociales et politiques, que le but de
l‟enseignement de nos disciplines (et plus largement des sciences sociales) est l‟intégration
dans une société politique. Les enseignants le savent, et pour l‟Europe le disent, d‟autant
qu‟ils assument que l‟Union est un avenir incontournable. De même ils sont conscients et
différentes opinions et attitudes possibles face à l‟Europe, des débats en cours et de leur
importance. Mais cela se traduit rarement dans les pratiques et les problématiques des
cours. L‟enseignement se cale souvent sur la vulgate et sur un questionnement des élèves
qui les conduit pas à pas aux informations souhaitées. Le raisonnement critique n‟est guère
un objet de travail dans les cours d‟histoire ou de géographie, quel qu‟en soit le thème
(Audigier, Crémieux, Mousseau, 1996, Tutiaux-Guillon 1998, Tutiaux-Guillon 2001). Il y a
rarement débats dans la classe en histoire ou géographie, sauf ceux qui sont brèves
pratiques de motivation. Le débat c‟est acceptable… en ECJS. Mais pourquoi faire, en cours,
comme si la société était unifiée et consensuelle ? En géographie les programmes offrent de
bonnes opportunités : les études de cas mettent en évidence les conflits d‟acteurs, d‟usage,
les débats (d‟où l‟intérêt de l‟étude du réseau de transport transalpin). En histoire, pourquoi
ne pas réintégrer les débats, les hésitations, les références mobilisées par les acteurs de
l‟Europe à divers moments du passé ? Il est possible de montrer quel rôle peuvent jouer les
savoirs dans ces débats : selon ce que savent (ou croient) les différents acteurs ils analysent
différemment les situations et optent pour des attitudes et des engagements différents… on
pourrait réfléchir sur l‟utilité des savoirs pour agir – non faire comme si c‟était là une vérité
d‟évidence.
Les enseignants ont encore souvent une position positiviste : ils ont la conviction
que présenter des connaissances vraies suffit à éclairer le citoyen et à lui permettre d'agir de
façon responsable et critique. C‟est d‟ailleurs le pari des textes officiels. C‟est ce qui fonde
l‟exclusion des savoirs d‟expérience des élèves : pour permettre la réflexion raisonnable, les
vérités scolaires doivent être substituées aux connaissances fragiles et douteuses issues de
l‟expérience et/ou des médias. Mais est-ce bien ainsi que les choses se passent ? L‟esprit
critique et l‟autonomie se construisent au prix d‟une distance prise avec l‟expérience et
l‟opinion, certes. Encore faut-il apprendre à la construire, ce qui signifie confronter son
expérience et d‟autres modalités de connaissance. Encore faut-il éviter que les savoirs
scolaires soient perçus comme pertinents pour l‟Ecole et ses examens, mais sans intérêt ni
efficacité pour la „vie réelle‟.
Alors ? tout un programme :
Abandonner le positivisme…
Montrer que L‟Europe un objet construit, travailler cette construction historique,
sociale, culturelle, scientifique…
Reconnaître que l‟Europe un avenir ouvert, et réfléchir élèves et maître ensemble sur
ce que cela signifie et sur ce que les savoirs peuvent y apporter…
Enseigner et apprendre des savoirs ouverts, pluriels
Accepter que ce que l‟on enseigne ne soit pas neutralisé mais au contraire entre en
résonance avec les enjeux vifs du présent…
Mais ceci n‟est pas spécifique de l‟objet Europe !
17
BAUBEROT J. , 1997, La morale laïque contre l’ordre moral, Paris, Seuil, p.329
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TABLE RONDE
« DIFFICULTES ET ENJEUX DE L’INTEGRATION EUROPEENNE :
DE L'UNION DES 15 A L'UNION DES 25 »
Animation :
Daniel GILBERT, professeur au Lycée d‟Altitude, Briançon.
Participants :
-
Marcel Roncayolo, professeur émérite de l‟université Paris X-Nanterre,
Philippe Mioche, professeur d‟histoire contemporaine à l‟Université de Provence,
Jean-Claude Ricci, juriste, directeur de l‟IEP d‟Aix-en-Provence.
Avertissement : La transcription résumée des interventions a été réalisée sans relecture par
les participants.
D.G. : Nous avons souhaité ici aborder le débat, largement relayé par la presse, des
conditions et des conséquences de l‟élargissement de l‟Union Européenne. Evolution qui
soulève un certain nombre de problèmes, liés notamment au fait que l‟Europe est une réalité
géographique mouvante, mal définie, au fait également que l‟Union Européenne est une
entité juridique et politique difficile à saisir, et pour nous difficile à enseigner. Cela pose
également la question de la réalité d‟une identité européenne, ou d‟une identification.
L‟approche étant nécessairement réductrice, trois thèmes ont été retenus pour le débat :
- L'intégration européenne : logique d'élargissement ou logique d'approfondissement ?
- Existe-t-il une identité européenne ?
- Quel pourrait être le "modèle" de l'Europe de demain ?
Le 1er mai prochain, l'U.E comptera dix nouveaux membres. L'Europe se rassemble, mais
l'intégration de ces nouveaux membres va se faire alors même que les vingt-cinq Etats
membres ou adhérents de l'Union européenne ne sont pas parvenus à s'entendre, en
décembre dernier, sur le projet de Constitution européenne qui leur était soumis.
Les organes de décision de l'U.E. ont donc choisi, ou se sont vu imposer,
l'élargissement de l'Europe avant l'approfondissement de ses structures, c'est à dire
avant la nécessaire adaptation de ses institutions et de ses méthodes. Quel regard
portez-vous sur cela ?
M.R. : Je ne sais pas comment regarder ce problème, étant donné que ce n‟est surtout pas
un problème de géographe. La géographie de l‟Europe, c‟est le résultat de quelques
constatations. Pourquoi l‟Europe s‟arrête t-elle à l‟Oural ? Pourquoi s‟arrête t-elle dans les
faubourgs de Constantinople ? Autrement dit, on a une conception de l‟Europe
essentiellement liée à des choix, à certains phénomènes historiques, beaucoup plus qu'à
des critères absolument objectifs. C‟est par conséquent en fonction de ces critères qu'il faut
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réfléchir. Le regard que je porterai sur cette double question, les deux étant liés mais pas
faciles à raccorder, c'est celle des limites de l'Europe et celle des institutions de l'Europe.
J‟aimerais traiter cette question en pensant à ce que devrait être l‟Europe plutôt qu'en
pensant à une identité de l'Europe qu'il suffirait de conserver.
J-C.R. : Est-ce que ça n‟est qu'un élargissement, ou un élargissement plus un
approfondissement ? Ça n‟est à mon sens qu'un élargissement, et pas du tout un
approfondissement. Mais fallait-il faire cela comme ça, et faire cela maintenant ?
Première remarque : la majeure partie de ces dix pays, non seulement la majorité des dix
mais à l'intérieur de certains d'entre eux la majorité du territoire, n'est pas pour l'essentiel en
état de satisfaire l'ensemble - je ne dirais pas au sens juridique du terme - de ce qui fait
aujourd'hui que nous formons l'Europe des Quinze.
Deuxième remarque : on aurait dû attendre. Il aurait peut-être été plus judicieux de faire en
Europe centrale et orientale, en Europe danubienne, une structure de l'UE, mais pas l'UE,
qui aurait été une structure « d'acclimatation », pour amener ces Etats le plus vite possible à
un certain niveau économique, social et politique, et aussi en matière de libertés. Et lorsque
ces Etats auraient été à un niveau, pas nécessairement le même que le nôtre, mais moins
éloigné, opérer la fusion. Parfois, pour provoquer un auditoire, je dis qu'il aurait fallu recréer
l'empire austro-hongrois. Je veux dire par là faire une structure suffisamment contraignante
pour rassembler, mais suffisamment large pour laisser « gigoter » les composantes.
Troisième remarque, contradictoire de la précédente : il y avait une décision symbolique à
prendre. Il fallait que ces Etats, désormais plus démocratiques, libérés d'un certain passé
historique, reçoivent un signal fort de l'Europe et qu'on puisse leur dire très vite : vous êtes
comme nous, vous êtes chez vous ici. Pousser donc à les intégrer.
Autre ambiguïté, si on avait attendu : plus l'Europe se développe, se renforce et
s‟approfondit, plus il devient difficile d'adhérer. Parce que le niveau d‟adhésion s‟applique à
un ensemble tellement vaste et tellement puissamment intégrateur que ça devient de plus en
plus difficile. Adhérer à l'Europe en 1962, c'était accepter la juridiction de la Cour de justice,
signer le traité de Rome, s'engager un jour à construire un marché commun. Donc, au fond,
du virtuel. Aujourd'hui il faut la monnaie unique, il faut un nombre vertigineux de directives
communautaires…. Il y a des raisons qui me font dire que ce n'est probablement pas la
bonne décision, pas le bon moment, parce qu'ils ne sont pas « en état de », mais est-ce que
un jour ils auraient été « en état de » ? Est-ce qu'au fond, cela n'aurait pas été une manière
de leur dire un « non » définitif ?
P.M. : Je ferai trois remarques :
La première, c'est que cet élargissement est d'une nature différente des précédents. Les
élargissements de 1973, 1981, 1986, 199595, n‟ont jamais impliqué autant de monde, de
population, et n‟ont jamais provoqué une telle polarisation de contrastes entre les niveaux de
vie. Nous sommes là face à une situation de seuil. Cet élargissement du 1er mai est
complètement inédit, et c'est une sorte de révélateur de notre histoire de la construction
européenne, nous sommes au rendez-vous de nous-mêmes face à cette épreuve.
Deuxième remarque : concernant ce qu'a dit Marcel Roncayolo, il y a un débat d'origine
concernant le projet européen. Ce sont presque les dernières phrases des Mémoires de
Jean Monnet, qui consistaient à dire : « on a fait quelque chose qui est pour un espace
régional, une sorte de modèle régional qui pourra être imité ailleurs ». L'idée sous-jacente
était une sorte d'assemblage d'espaces régionaux intégrés, qui permettrait une vision
harmonieuse d'un monde futur. Cela, c'est une logique de territoire, et on se heurte à tout ce
qu'a souligné Marcel Roncayolo, on ne sait pas très bien, depuis toujours, où passe le
territoire…
Troisième remarque : l'autre approche du projet européen, c'est une approche fondée sur un
système de valeurs, sur un rassemblement de civilisations. Et on se heurte là, à une autre
difficulté : où sont les limites ? Provocation énorme pour montrer l'ampleur du débat : la
civilisation nord-américaine est certes différente de la nôtre, mais c'est la même. Alors où
sont les frontières de cette construction, sur la base d'un projet fondé sur des valeurs ?
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Je crois qu'il faut, face à l'élargissement du 1er mai, avoir le cœur qui chante.
Personnellement je l‟ai, sur l'idée que c'est l'Europe retrouvée. Je voudrais le dire de mon
point de vue de vieil amoureux des taux de croissance. Quand on regarde les débuts de la
révolution industrielle, le début de la deuxième industrialisation au début du XXème siècle,
on s'aperçoit que de l'Atlantique à l'Oural, nous vivons la même aventure, l'aventure de
l'industrialisation. Le paradoxe c'est que ces gens que nous allons accueillir le 1er mai, nous
les avons perdus de vue. Nous avons fait un chemin différent pendant très peu de temps. On
a eu les Trente Glorieuses, ils ont eu l'Homme de fer, mais quand on efface la lecture des
idéologies et des fonctionnements démocratiques, et qu'on ne garde que le taux de
croissance, cela se ressemble étrangement. Le vrai moment de divergence, c‟est vingt ans,
des années 70 aux années 90, ils ont beaucoup plus mal supporté que nous - ou nous avons
mieux résisté qu‟eux au grand basculement - ce qu'on appelle aujourd'hui le passage à la
troisième industrialisation.
D.G. : La démarche suivie, les critères retenus, les aides de pré-adhésion ne sont-ils
pas les signes que la logique qui a présidé à cet élargissement, plutôt
qu'approfondissement, est avant tout une logique d'affaires, une logique financière,
plutôt qu'une logique politique ?
J-C.R. : Vous ouvrez un débat récurrent sur la vision de l'Europe. Un mot d'abord sur la
territorialisation de l'Europe. On entend dire aujourd'hui à Bruxelles par certains que l‟Europe
pourrait ne pas être une entité géographique, que le Maroc pourrait faire partie de cette
Europe-là, que la logique de l'entrée de la Turquie dans l'Union européenne, c'est une entrée
de voisinage, de civilisation, de voisin de palier, et qu'il y a plus de logique à l'entrée du
Maroc qu'à celle de la Russie. C‟est la conception d‟une Europe cérébralisée, une Europe
fonctionnelle, plus que l'Europe de la mythologie ou l‟Europe gaullienne de l'Atlantique à
l'Oural.
Pour revenir à votre question, je rappelle que, au départ, les pères fondateurs, les Gasperi,
Monnet, Adenauer, ont des préoccupations, pas forcément dans le même sens, mais qui
vont aboutir à la même chose. L'Allemagne, à l'époque, cherche à se refaire une virginité
politique. Elle veut rompre avec un passé maudit. Elle cherche à se faire pardonner ce
qu'elle a été, elle veut rentrer dans un concert de nations où, en même temps qu'elle
retrouve la place de grand État qu‟elle était, elle veut donner des gages de pacifisme, de
normalité. L'Italie est un peu dans cette situation. La France ne l‟ est pas. Le hasard de
l'Histoire à fait qu‟au même moment on avait en France et en Allemagne un Konrad
Adenauer et un Charles de Gaulle qui avaient une vision géopolitique et géostratégique.
Dans leur esprit, il y avait un moteur franco-allemand. Le débat s'est déplacé de « Quelle
Europe voulons ? » à « Que sommes-nous capables de faire ? ». Peu importe l'idéal. Du
coup, on s'est retrouvé avec un couple franco-allemand moteur, or ce couple ne carburait
pas à la même vitesse que le reste du char. Une partie de l'opinion publique française et de
l'élite intellectuelle a vu dans l'Europe le grand projet de civilisation, la grande Europe qui
mène le monde à la conquête de la civilisation, le modèle... Bref la civilisation occidentale.
L'Allemagne était assez partie prenante de cela, les autres Etats, à part l'Italie qui était un
peu faible, ont suivi le mouvement. Là où la donne va être changée, c‟est avec l'arrivée de la
Grande-Bretagne dans le Marché Commun. Parce que la Grande-Bretagne n'a pas du tout
au départ les mêmes présupposés. C‟est-à-dire que la Grande-Bretagne, toujours
pragmatique, toujours réaliste, défendant toujours ses intérêts - mais l'égoïsme n'est-il pas
parfois une vertu des Etats ? -, la Grande-Bretagne veut s'arrêter à un marché : pas de
barrières douanières, une fiscalité harmonisée, un espace de circulation des marchandises,
etc. Le débat n'a jamais cessé : l'Europe, espace de cette civilisation politico-sociale, ou
l'Europe grand marché ? Le grand marché nous l'avons, il est réalisé pour l'essentiel. Le
problème, c'est que les États d'Europe centrale, en même temps psychologiquement et
politiquement, on ne pouvait pas les laisser dehors. Faute de pouvoir leur demander de
remplir tous les fondamentaux, ce qu'on leur propose d'abord c‟est le marché. Ce que je
crains, c‟est qu‟eux ne soient demandeurs que du marché, c‟est à dire avoir le niveau de
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prospérité qui est celui de l'Europe occidentale. On ne peut pas leur en vouloir. Le problème
c'est qu'autant le jeu entre la Grande-Bretagne, la France, l'Allemagne, l‟Italie est en partie
avec des données à peu prés égales, autant certaines parties de la Tchécoslovaquie, de la
Slovénie, de la Pologne nous font entrer dans un jeu où les joueurs ne partent pas du tout
avec les mêmes armes, et là, c'est un vrai débat. J'ai l'impression qu'on a fait plutôt une
Europe marchande et d'affaires.
M.R. : Il n'est pas étonnant que les nouveaux pays nous poussent à la solution la plus
simple, celle qui engage le moins semble-t-il, mais celle qui en réalité engage le plus et qui
est celle du marché. Parce que, dans le fond il ne souhaite pas tellement s'aligner sur
l'Europe occidentale, à la fois pour des raisons économiques et pour des raisons
stratégiques. Leurs craintes restent quand même le voisinage de la Russie, de ce que va
devenir la Russie, et ils cherchent des gages de ce côté-là. A mon avis, le paradoxe, c'est
que les Européens anciens sont plus européens que les Européens nouveaux dans leur
désir. Et que dans le fond, le modèle qui l'emporterait chez les Polonais, ça serait plutôt
d‟être près des États-Unis que d'être près de la France. Ce qui est en question derrière cela,
c'est, si par une générosité qu'il faudra sans doute avoir, nous leur donnons les avantages
du marché, est-ce qu'ils accepteront les charges que la France, l'Allemagne et dans une
certaine mesure l‟Espagne et l'Italie seront amenées à consentir pour sauver un peu de
l'Etat-providence ? Je crois que c'est cela finalement le problème. Ce sont les gens qui
sortent de la dictature soviétique qui sont le moins favorable à une politique sociale de
régulation. Dans les grandes oppositions entre zones de marché - UE et AELE - entre les
deux versions de la Communauté, nous risquons là d'entrer dans non pas une dictature des
affaires mais dans un choix qui sera de plus en plus difficile dans la manière dont nous
voulons traiter les rapports entre les affaires et le reste de la société, et en particulier le
collectif dans la société.
P.M. : Le débat se situe autour du mot « concurrence », d'ailleurs rappelé avec force dans le
projet de Constitution. C'est le fondement des pratiques et de l'idéologie communautaire. Or,
on sait qu'à ce mouvement de concurrence peuvent s'opposer des degrés divers de
régulation. Mon travail d'historien, c'est de dire pourquoi on en est là. Pourquoi est-ce le mot
« concurrence » qui s'est imposé à ce point dans l'ensemble du projet communautaire ?
Pour moi, il y a quatre responsables - je n'ai pas dit coupables, je suis historien – :
Premiers responsables : le général de Gaulle et la mouvance gaulliste, accompagnés et
épaulés d'ailleurs par le mouvement communiste, qui ont fait échouer le projet d'armée
européenne, le projet de la Communauté Européenne de Défense en août 1954. La
première étape, le traité de Paris, le plan chômage, la C.E.C.A., et tous les projets qui
bouillonnaient au début des années cinquante comportaient une forte dimension politique et
ne mettaient aux postes de commande ni le marché, ni la concurrence. Il mettait la volonté
politique en avant. La preuve en est qu‟en 1953 nous avons eu la Communauté Politique
Européenne, une constitution en bonne et due forme, rédigée noir sur blanc. Cette volonté
politique a été cassée par l'échec de l'armée européenne.
Deuxième responsable : Jean Monnet. Avec Spaak, après la catastrophe d'août 1954, il a
bien fallu reconstruire quelque chose, et cela a été Messine et Rome. On a reconstruit « au
mieux disant », au plus grand commun dénominateur, des choses modestes - baisse des
barrières douanières, Marché…- qui peuvent faire consensus, mais cela entraîne un recul du
projet politique, au profit de pratiques économiques « basiques ».
Troisième responsable : Jacques Delors. Il se trouve en 1985, lors de son arrivée à la tête de
la Commission européenne, face à une situation totalement bloquée depuis 1966 (constat de
divergences de Luxembourg). Plus aucune décision ne pouvait être prise, devant l'être à
l'unanimité. Il a fallu réamorcer le processus. Pour cela, il a lancé le pari de l'Acte Unique.
Comme il le dit dans ses Mémoires et comme le dit Margaret Thatcher dans les siennes,
l'acte unique est un « truc » à attraper les Anglais, établi sur la base du « donnant
donnant » : vous acceptez qu'on relance la machine à la majorité qualifiée, on vous offre le
grand marché. Cela a fait avancer une certaine vision britannique du marché comme priorité.
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Quatrième responsable : Helmut Kohl. Face au défi « un mark contre un mark » et contraint
d‟accepter en même temps la monnaie unique et la disparition du mark, il a en corollaire
fortement pesé pour ces critères extrêmement rigoureux qui ajoutent à la logique d'une
concurrence qui était devenu historiquement dominante une logique de rigueur financière.
La salle : Selon vous, une Europe économique est en train de se bâtir. Mais avait-on
vraiment le choix ? N'était-ce pas totalement inéluctable que l'UE finisse par s'ouvrir à
cette Europe de l'Est ? Et si la logique est économique pourquoi ne nous a t-on rien
dit sur la nature des coûts ?
J-C.R. : La décision est fondamentalement politique. Le projet est une intention politique, qui
débouche d'abord sur le marché, moins difficile, et par ailleurs on n‟a pas grand-chose
d'autre à leur proposer… Tous les grands constructeurs de l'Europe ont été
fondamentalement des optimistes. Il y a dans cette décision politique un pari, le pari de se
dire : alors que ce grand cadeau, ils ne le méritent pas au regard des critères, on les fait
venir en espérant les convaincre plus tard de passer à la vitesse supérieure.
Concernant le coût de l'élargissement on ne peut imaginer qu‟un processus pareil ne coûte
rien. Cela peut même coûter négativement. Par exemple, en matière agricole. La France est
particulièrement concernée, il faudra partager un gâteau désormais invariable avec un
nombre plus grand de convives, dont certains, à cause de leur pauvreté relative, ont un
appétit d'autant plus grand. Nous faisions tout à l'heure allusion à la politique de la chaise
vide, le traité de Luxembourg de 1966, mais le compromis avait eu comme contrepartie que
de Gaulle avait obtenu la PAC. La difficulté, c‟est que voilà une agriculture qui a reçu
énormément de subventions bruxelloises et qui va devoir aujourd'hui retrousser ses
manches et se débrouiller sinon toute seule du moins largement seule. Ça, c'est un type de
coût que produit l'entrée dans l'Union de convives plus nombreux. D'autre part il y a
forcément des coûts importants parce que si vous regardez par exemple la rénovation
industrielle des pays, nous n'avons pas encore complètement digéré l'entrée de l'ex-RDA
dans l'Union européenne. Et c‟est la RDA, plus délabrée qu‟on ne le croyait, mais cependant
grande puissance industrielle. Il est sûr que nous allons forcément avoir des conséquences
économiques. Mais cela n'est pas le plus important : si le projet est un très grand projet, cela
vaut le coup de le financer, tant que cela n'atteint pas de seuil monstrueux.
La question, redoutable, qu'évoquait Marcel Roncayolo, c'est : vont-ils accepter dans trois
ans, quatre ans, dix ans, de passer à la vitesse supérieure, avec la même législation sociale
que nous ? Nous ne sommes toujours pas parvenus à l'obtenir du Portugal, de la Grèce et
de l'Espagne. Je vous rappelle qu‟en Italie, c‟est 46 heures de travail par semaine, et c‟est
quarante-quatre ans de cotisations. Et la retraite est la moyenne absolue des quarantequatre années. Ces pays accepteront-ils de faire l'effort en contrepartie de leur adhésion ?
L'un des problèmes qu'il faut prendre à bras-le-corps, on le voit bien avec les politiques de
délocalisation, c‟est qu'à l'intérieur du marché, totalement fluide, il faudrait au moins que les
conditions de la concurrence fussent égales : pour un agriculteur espagnol, la production des
fraises coûte 3 à 3,3 fois moins cher que la production des fraises dans la région de
Marmande…
P.M. : J'ai envie de dire trois choses :
Premièrement, l'évocation qui a été faite de la PAC est incontestable ; à savoir que
l'agriculture française a considérablement bénéficié de la politique agricole commune depuis
qu'elle a été mise en place, et que si l'Europe était dépendante sur le plan alimentaire après
la Seconde Guerre mondiale, elle est devenue brutalement extraordinairement exportatrice.
Mais à quel prix pour les dépenses communautaire ? Au début des années 70 lorsque a
démarré la P.A.C., le F.E.O.G.A. absorbait 90 % des dépenses de la communauté, et
aujourd'hui, au budget de 2003, il en absorbait encore 47 %…
Deuxièmement, sur ce que va coûter l'élargissement à venir : nous ne partons pas de rien
comme expérience, mais si le processus communautaire a un sens, c'est notamment dans
les politiques régionales, dans la redistribution : prendre de l'argent à Munich pour le mettre
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à Catane ou en prendre à Lyon pour le mettre à Fort-de-France, et cela a un coût. Pour les
pays qui ont bénéficié des politiques structurelles, en particulier le fonds de cohésion, c‟està-dire l'Irlande, le Portugal et l'Espagne, le résultat est spectaculaire.
Troisièmement : un débat s'est engagé il y a quinze jours au Parlement de Strasbourg, sur la
question suivante : la Commission peut obtenir la « quatrième ressource », c‟est-à-dire 1,26
% du PIB des Etats membres. Mais y a deux mois, six grands États de l'Union dont la France
ont écrit à la Commission pour demander de préparer les perspectives budgétaires de 20072013 sur la base de 1% de leur PIB et pas plus. Quel va être le résultat de cette situation ?
Certes, il va y avoir des modifications profondes des politiques régionales et structurelles.
C'est de la redistribution. Mais sur le problème du 1,26%, le risque est grand de voir la
Commission prélever sur d'autres chapitres, notamment la Recherche, les fonds que les
États ne mettront pas à sa disposition.
J-C.R. : Le débat entre 1 % et 1,26 % signifie en fait une différence de 20 % de la masse
financière, ce qui est loin d‟être négligeable. Le problème de la Recherche en Europe est
même plus considérable, il n'y a pas de vrai lobbying chez les chercheurs, alors qu'il y a un
lobby paysan, un lobby industriel… C'est un vrai problème, car dans la compétition qui vient
avec les États-Unis, c'est sur la recherche, sur les brevets, que va se faire la compétition de
demain.
M.R. : Dans ce problème de coût, il y a un problème de redistribution des fonds. Non
seulement la PAC a été très généreuse à l'égard de l'agriculture française, mais elle était
dangereuse. Cela a maintenu l'agriculture française dans une situation artificielle qui
finalement a été plus favorable aux très gros agriculteurs qu‟à l'agriculture plus fragile. C‟està-dire qu'il aurait mieux valu une aide à l'exploitation qu‟une aide au soutien des prix des
marchandises. Si on reprend nos billes dans ce domaine, ce ne sera pas forcément plus
mal.
Deuxièmement, la redistribution aux régions. On a payé le développement de l'Espagne. Un
bon « filon » pour avoir des crédits consistait à dire qu'il y avait une région « sous
développée », ou qui se trouvait en difficulté. Cela a servi pour l'Irlande, la Corse, la Sicile,
etc. Il y a eu vraisemblablement là aussi un mauvais calcul à partir de décisions nécessaires.
Pour combien de temps s'engage-t-on dans des opérations de transition ? Combien de
temps pour amener à un niveau moyen certaines régions qui sembleraient trop déshéritées ?
Troisièmement : Qui dit dépenses dit recettes. Et je ne crois pas qu'une politique d‟aide
logique puisse aller de pair avec des politiques fiscales trop illogiquement différentes. Si l'on
n'arrive pas à avoir une politique fiscale commune, notre politique monétaire commune ne
pourra pas être maintenue éternellement.
D.G. : Pensez-vous que la redistribution des fonds et le passage aux 1,26 % puissent
compenser les coûts liés à l'élargissement ?
P.M. : De toute évidence le différentiel technologique est considérable. Il ne faut donc pas
penser que cela pourra se faire aussi rapidement que cela a pu se faire même pour l'Irlande.
On peut supposer que la phase de transition sera plus longue que celles qui ont existé
précédemment. Mais elle sera encore plus longue si l'on est au 1 % plutôt qu'au 1,26 %.
La salle : En février dernier, la Commission a annoncé un doublement du budget de la
Recherche. Ce qui risque d‟être la variable d‟ajustement, si les Etats décidaient, pour des
raisons de politique intérieure, de réduire leur contribution à 1%, c‟est ce dont nous
bénéficions ici en PACA au titre de l' « objectif II », c‟est-à-dire les fonds structurels, la seule
manière de rendre visible l'Europe proche du citoyen. Quant à l'impôt européen, nous en
avons un : la TVA.
J-C.R. : Nous sommes en train de parler de construction de l'Europe, de construction
communautaire, de politique régionale. Nous avons fait l'impasse sur les Etats. Or
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l'ambiguïté c‟est que l'Etat français peut, comme les autres, par exemple dans le cas de la
TVA sur la restauration, demander le passage à 5,5 %. Dans ce cas, l'Etat français diminue
la recette européenne globale. Mais il fait plaisir aux électeurs. Le grand débat, c'est qu'il
faudrait que nous ayons un gouvernement suffisamment vertueux pour qu'il ne se détermine
qu‟en raison de l'intérêt communautaire, jamais en fonction des intérêts nationaux, alors que
c'est l'intérêt national qui va servir à le faire réélire. C'est une vraie difficulté, tant que nous
n'aurons pas réussi à mettre dans l'esprit de nos concitoyens qu'il n'est pas grave que nous
manquions d'argent à Aubagne s‟il y en a plus en Croatie.
M.R. : Cela pose le problème du gouvernement et non de la gouvernance. C'est le problème
du gouvernement de l'Europe, le rapport entre nations et Etats. C‟est-à-dire qu'il y a des
Nations-Etats qui ont de moins en moins de responsabilités sur les textes européens, et qui
d'autre part donnent l'impression d‟être incapables de créer un pouvoir de décision qui, le
cas échéant, dépasserait le niveau des Nations-Etats. C'est là le problème de l'Europe. Cela
se fera-t-il plus facilement dans le cadre de l'élargissement ? Cela suppose un changement
important de notre façon de concevoir la géopolitique, la façon de gouverner les Etats.
P.M. : Je voudrais donner une note d'espoir. Je pense à la fois au terrible attentat de Madrid
et à ce qu'en ont dit les médias, à savoir qu'il y avait eu une véritable émotion partagée en
Europe, et que c'était devenu, d'une certaine façon, notre affaire. Je crois que l'on aura
beaucoup avancé le jour où nous nous réjouirons au plus profond de nous-mêmes de ce que
le nombre de chômeurs aura diminué en Pologne.
La salle : Une Europe à plusieurs vitesses pourrait-elle faire éclater le processus européen,
ou au contraire pourrait-elle le faire avancer, notamment au niveau de certains blocages, en
permettant à certains pays d'aller plus loin ?
J-C.R. : Le modèle de l'Europe de demain pourrait en effet être une Europe à plusieurs
vitesses. On pourrait même imaginer qu'un Etat se trouve dans trois vitesses différentes
selon les secteurs de référence : politique, économique, etc. Je pense même qu'il n'y a pas
d'autre modèle de gouvernance pour le quart de siècle à venir.
P.M. : Je voudrais remonter un peu en amont dans la réflexion. N'y avait-il pas d'autres
modalités d'association des pays de l'Est que leur entrée dans l'Union européenne ? Au
moins deux hommes politiques ont proposé d'autres solutions, qui n'ont pas été retenues :
d‟une part Mikhaïl Gorbatchev, et puis François Mitterrand, dont le premier réflexe a été, au
moment de la chute du Mur, de reparler de Confédération européenne. Sur le moment, cela
a été analysé un peu comme une hésitation de la France face à la réunification de
l'Allemagne. Une relecture aujourd'hui permet de penser qu'il aurait pu s'agir d'une structure
d‟emboîtement, un peu comme le Conseil de l'Europe. Quant à l'Europe à plusieurs vitesses,
elle existe déjà : Schengen, Euroland… Et des emboîtements de toutes sortes : le processus
de Bologne prend en compte 34 pays…
D.G. : Malgré la déconvenue du dernier sommet de Bruxelles, la volonté d'élaboration
d'une Constitution a confirmé que la construction européenne s'engage aujourd'hui
dans une démarche « qualitative » d'intégration, bâtie semble t-il autour d'une idée
européenne qui a pris racine dans une façon commune de sentir, de penser, de
vouloir, qui dépasse les limites étatiques et techniques.
Cette conquête d'une identité partagée, d'une identité de l'Europe, vous paraît-elle
crédible, et possible ? Sur quelles bases et avec quels objectifs ?
M.R. : Parler d‟identité m‟inquiète. Pourquoi rattacher l‟identité à tel pays, à telle culture,
plutôt qu'à tel autre ? Je pense le problème d'identité en termes de composition plutôt qu'en
des termes figés une fois pour toutes. L‟un des derniers livre de Jacques Le Goff m‟a un peu
inquiété quand, voulant montrer que l'identité européenne se définissait en partie au Moyen------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------La Dur@nce Quatrièmes Rencontres- «La population européenne dans tous ses Etats »- mars 2004
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âge, il essaie d'expliquer que finalement, la coupure s'est faite en fonction des courants
idéologiques, entre ceux qui n'avaient pas pu entrer dans l'idée de progrès, que ce soit
l'Islam ou Byzance, et l'Europe occidentale s'appuyant sur une chrétienté. Voir le Goff revenir
à la chrétienté catholique me pose un problème. Est-ce que devant l'idée de progrès, l'Islam,
la tradition byzantine qui marque encore la Russie sous ses dehors bolcheviques, et nous,
avons un lot commun de valeurs ? Le problème n'est pas de savoir si la religion dirige tout,
mais si elle joue dans une certaine mesure, un rôle de blocage d'une certaine idée de
progrès. Ça n'est pas forcément auprès des gens les plus instruits et les plus qualifiés que
nous allons trouver nos appuis, mais dans des gens qui pensent avoir une culture autre à
défendre et le cas échéant à imposer.
D.G. : Jacques Le Goff s'inscrit là dans une démarche assez courante me semble-t-il, qui fait
tourner l'identité européenne autour de l'idée de droits de l'homme, humanisme et tradition
chrétienne.
J-C.R. : Lorsqu'on se demande s'il y a une identité européenne, pourquoi se pose-t-on cette
question ? Parce que s‟il y a une identité européenne, alors la construction européenne
s'appuie sur un territoire présentant une suffisante pertinence, une personnalité originale,
etc. Ce qui veut dire que si nous parlons identité européenne, il faut automatiquement
ajouter, négativement : « qu'est-ce que nous avons que les autres n'ont pas ? » Donc la
question de l‟identité n'a d'intérêt que si cela permet de découper une géographie du
religieux, du culturel, du culinaire... dont le caractère objectif, c‟est-à-dire indépendant de
l'observateur, justifierait le projet politique européen. Je crains que ce ne soit très difficile,
parce qu'en somme, qu'est-ce que nous avons en commun ? La géographie ? Pourquoi
s'arrête-t-on à l'Oural ? La géographie ne nous est pas d'un grand secours. Les droits de
l'homme, la dignité de la personne humaine ? La Pologne et les droits de l'homme ? Depuis
quand ? Depuis 1989. Où a-t-on bâti un processus historique sur des réalités qui avaient
vingt ans ? Relisons Georges Duby. C'est le millénaire qui est la norme. C'est l'un des
problèmes des pays qui entrent - je ne leur en fait pas reproche -, ce sont des pays qui n'ont
jamais connu la démocratie. Quels critères va-t-on prendre ? Le régime parlementaire ? On
peut évidemment ramener à quatre ou cinq grands symboles, mais qui sont tellement loin et
tellement abstraits qu‟on va les trouver partout. Les États-Unis à ce moment-là remplissent la
condition. Et l'ex-union soviétique. Grosso modo l'Australie nous est comparable. Va-t-on
faire l'Union européenne avec l'Australie ?
De Gaulle l‟a dit. Pour le centenaire de la bataille de Solférino, en 1961, sur le champ de
bataille, il pose la question : « Qu'est-ce que l'Europe ? » Et il ajoute : « La réponse est
évidente, nous avons une commune origine chrétienne ». Madame Thatcher, refusant
l'entrée de la Turquie, dit : « La Turquie ne peut pas faire partie de l'Europe, ça n'est pas un
État chrétien ». Et elle ajoute : « Il en sera de même le jour où on nous posera la question de
l'Albanie ».
Je répondrai plutôt en suivant Ernest Renan, dans son fameux discours du 20 mars 1880 à
la Sorbonne, lorsque qu'il définit la nation : « Vous êtes français si, dans votre tête, vous êtes
français, c‟est un plébiscite de tous les jours ». Est-ce qu‟au fond, l'identité européenne, ça
n'est pas l'ensemble des personnes, des groupes, des gouvernants qui sont prêts à
continuer ensemble l'aventure européenne ? C'est une volonté d'action, un produit du
volontarisme.
P.M. : Je suis pour une approche très pragmatique des choses. L‟usine Solvay de Salins de
Giraud a été construite en 1894, c'est l'une des usines du groupe fondé par Ernest Solvay en
1865, et Ernest Solvay était un visionnaire rationaliste. Il a connu un succès industriel
prodigieux, et il a construit des dizaines d'usines partout en Europe. Il a ordonné que ce soit
sur un plan unique, et très concrètement, en 1894, trente maçons belges ont débarqué à
Salins de Giraud et commencé par construire une briqueterie pour faire des briques
blanches, comme dans la banlieue de Bruxelles. Vous avez la même usine à Torre Volunga,
à côté de Florence, à Cracovie… Du fait de l'industrialisation, depuis deux cent ans, des
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hommes vivent dans le même cadre matériel, dans la même organisation de l‟espace, autour
du même métier et du même projet industriel. Je crois qu'une des contributions à cette
identité, c'est la perception de ce passé industriel qui a créé des liens entre Européens.
Notre mode de vie est différent des autres, l'organisation urbaine, la taille des villes en
Europe est différente d‟ailleurs, les relations familiales également, avec notamment la
précocité de la famille nucléaire. On a produit une société avec des traits spécifiques. Il y a
moins de distance sociologique dans le mode de vie d'un habitant de Lisbonne et celui d'un
habitant de Stockholm que dans le mode de vie d'un habitant du Nouveau-Mexique et celui
d'un habitant du Massachusetts. Il y a les bases d'une société européenne, dont l'origine
pourrait être notamment l'industrialisation ; mais dire qu'il y a les bases d'une société
européenne c'est peut-être une condition nécessaire, ça n'est évidemment pas une condition
suffisante pour qu‟il y ait construction européenne.
D.G. : Vous avez évoqué la Turquie. Comment considérer le fait que l'adhésion de la
Turquie soit acquise pour les instances européennes alors que les opinions publiques
en débattent encore ?
J-C.R. : Depuis 1963, on a dit à la Turquie : « Attendez, peut-être que votre tour va venir ».
Cela fait quarante ans que la Turquie, qui n'y est pas tenue, applique spontanément dans
son droit national un très grand nombre de directives communautaires. Elle a traduit dans la
loi turque un grand nombre des règles juridiques de l'Union Européenne. Pour que si demain
elle entre dans l‟U.E., les efforts juridiques soient terminés.
Le problème, si on la fait attendre depuis quarante ans, c'est qu‟il y a du pour et du contre
son adhésion. Jusqu'à présent le contre l‟a emporté. Il y a un vrai débat, autour d‟abord de la
géographie : la Turquie n'a que 3 % de son territoire en Europe et 97 % en Asie. Pour cette
raison péremptoire, il faut s'arrêter, sans quoi on n'arrête plus l'Europe. C'est d'ailleurs la
position d'Hubert Védrine, qui consistait à dire : « Je ne suis pas pour l'entrée de la Turquie,
mais je ne vois pas comment on peut y échapper. On ne fait pas attendre un grand pays
pendant quarante ans pour lui dire non à la fin. Mais alors l'Europe n'est plus une notion
géographique, et le Maroc a au moins autant de titres que la Turquie à entrer dans l'Union
européenne ». La deuxième chose, c'est que l'empire ottoman, ce n‟est pas rien. Et ce qui
en a résulté, c'est une « démocratie » sur le caractère démocratique de laquelle je
m'interroge quand même. Le devenir démocratique de la Turquie n'est pas complètement
assuré. Quant à l'économie, cela reste à voir.
Les opinions publiques, et sans mettre en avant la Grèce, ne sont pas majoritairement
favorables à l'entrée de la Turquie. Mais, là encore, il faut savoir ce que l'on veut. On a
amené la situation dans un état tel que dire non aujourd'hui serait conflictuel. Ce serait
littéralement lui déclarer la guerre, alors qu'elle a été le fidèle allié du monde occidental y
compris quand cela était redoutable.
Nous souffrons, dans tous les pays d'Europe, et nous avons toujours souffert, d'un déficit
démocratique. Je veux dire que, sauf ces dernières années, il n'y a pas eu de véritable débat
dans les populations nationales sur : « Qu'est-ce que vous voulez faire en Europe, de
l'Europe, comment la construire et pour quoi faire ? ». La réponse que me donnent les
hommes politiques, à commencer par Jacques Delors, c'est que si l'on avait mis le débat sur
la place publique, on n‟aurait jamais fait l'Europe. Et donc son idée, c'est d‟y aller à doses
homéopathiques, et de nous placer devant le fait accompli. La Turquie est le bon exemple,
on pense pour des raisons supérieures qu‟il faut qu'elle entre dans l‟U.E., mais on ne peut
pas le dire comme cela brutalement aux populations, car elles vont dire non. C'est une
formule célèbre en droit, Georges Vedel disait qu'en matière politique, il y a des débats
démocratiques, et puis il y a des débats qui font le bien du peuple, qui ne doivent pas être
démocratiques parce que le peuple va se tromper. C'est le titre de l'un de ses articles au
Monde : « Mange, petit, c'est pour ton bien… ».
P.M. : Jean-Claude Ricci évoquait 1963, c'est la date du traité d'association entre la C.E.E.
et la Turquie, précédé par le traité d'association de 1961 avec la Grèce. Il y avait déjà une
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dimension géopolitique régionale. Il y a des réalités toutes simples à rappeler. Le business
veut que la Turquie soit dans l‟U.E., et 85 % des échanges turcs se font avec l'Union
européenne. C'est la sous-traitance de nos tee-shirts. Il y a de ce point de vue une très forte
pression. Je crois pouvoir dire aussi que les États-Unis font également fortement pression
pour que la Turquie entre dans l'Union européenne. Mais - autre débat - est-ce pour rendre
service à l'Union européenne ?
L'entrée de la Turquie est effectivement considérée comme acquise à Bruxelles. Restent les
débats posés : intégration d'un pays musulman à part entière, intégration ou association
poussée… Il y a encore des alternatives possibles. Je ne suis pas enthousiaste - bien sûr
sans la moindre animosité à l‟égard du peuple turc et de son histoire - parce que pour
l'instant au moins, je crains que cela ne nous complique encore un peu plus la vie.
M.R. : J‟apporterais deux bémols : le premier concerne la question religieuse. Quand j'ai
exposé l'interprétation de la filiation religieuse des limites possible de l'Europe, j'ai essayé
d'exposer ce qui sortait de la lecture du livre de Le Goff, et je ne la reprenais pas
nécessairement à mon compte. Mais c'est comme cela me semble-t-il que la question se
pose, et sera ressentie en Europe.
Deuxième bémol, concernant l'industrialisation. Sur des temps qui sont relativement courts –
un siècle à un siècle et demi -, la courbe de l'industrialisation n'est pas la même pour la
Grèce et l'Angleterre, et pour la France, l'Allemagne, l'Espagne et l'Italie… La Grèce donne
tout à fait l'exemple, pour être entrée dans l'ère métropolitaine à l'américaine en passant audessus de l'étape industrielle, qui n'a pas été aussi fondamentale ici que la lente maturation
qu'elle a amenée à nos sociétés. Je me méfierai donc de l'industrialisation, pour des raisons
multiples, y compris parce qu'on gagne aussi de l'argent autrement qu'en produisant, et
parce qu‟il y a eu néanmoins ce rattrapage du point de vue des modes de vie, des projets de
vie, de l'individualisme, tout ce qui caractérise aujourd'hui nos sociétés post-industrielles.
Ce rattrapage dans une partie de nos pays voisins les a conduits à avoir des niveaux de vie
relativement proches du nôtre et les a conduits aussi à se sentir dans un monde relativement
renouvelé par rapport à leurs traditions c‟est-à-dire que là, le débat entre tradition et
modernité continue à se poser. Il ne faut pas trop concevoir nos sociétés comme des objets
parfaitement homogènes, ayant suivi les mêmes courbes synchroniques. Le problème est de
savoir dans quelle mesure nous pouvons entrer, progressivement, dans la synchronie.
Il faut s'aligner, un peu, les uns sur les autres, accepter des règles communes, accepter des
codes communs et pas seulement des circulaires communes. Nous en venons alors à
considérer que l'identité n'est pas simplement un héritage qu'il faut faire valoir, mais quelque
chose qui est à construire, que finalement l'identité européenne et le périmètre de cette
identité seront ceux issus de la volonté des hommes qui y participeront. La question de
l'Europe chatouille certains lorsqu'on parle de la P.A.C., d'autres lorsque l'on parle de la
Turquie, mais dans le fond les gens s‟en désintéressent assez profondément. C‟est ici que
nos hommes politiques ont un rôle à jouer.
D.G. : En conclusion, pour progresser dans cette voie, et définir l'architecture
générale de l'Europe de demain, quelle sera selon vous la difficulté majeure à
surmonter ?
P.M. : Il faut rester calme. Depuis que j‟observe l'actualité de la construction européenne, je
suis fasciné par l'extraordinaire ingéniosité de nos collègues juristes, pour inventer des
solutions alors que l'on croyait qu'il n'y en avait plus. Le processus a un caractère
inéluctable. Ne désespérons pas de l'Europe. Ce qu'il faut faire pour avancer, c'est
développer une culture de projet européen, ce que nous faisons aujourd'hui en débattant au
niveau des idées, mais d‟abord à un niveau très terre à terre. Développer une culture du
projet européen, c'est s'engager avec une classe dans un programme, avec une association
régionale faire un projet culture 2000, c‟est développer des pratiques concrètes… C'est de
ces pratiques concrètes que peuvent naître une culture de projet, et de cette culture de
projet une identité, un enracinement… et de l‟amour.
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M.R. : Parmi les choses modestes, j‟ajoute l‟euro, qui a été quelque chose de très positif.
J-C.R. : Je suis assez d'accord avec ce que dit Philippe Mioche. Je crois qu'il ne faut pas se
lancer dans des débats théologiques et surtout pas utiliser les mots d‟ « Europe fédérale »
ou « Europe confédérale », parce que ce sont des mots, qui ont certes un sens juridique,
mais qui tout de suite agitent le chiffon rouge pour ceux qui ne se rangent pas derrière ce
drapeau. Il faut dire ce que l'on veut faire mais éviter de dénommer.
Ne nous voilons pas pour autant la face. On ne pourra pas gouverner la politique étrangère
de l'Europe en réunissant 25 ministres des Affaires étrangères. On passera obligatoirement
par un mini-Conseil de sécurité. Il y aura donc effectivement un véritable problème de
gouvernance à l'intérieur de l'Europe.
Ensuite, soyons pragmatiques. Avançons en répondant au fur et à mesure aux seules
questions qui se posent, en résolvant les besoins qui sont les nôtres. Je vous renvoie à la
célèbre phrase d'un de nos écrivains, qui disait que « le droit et la plus puissante école
d'imagination », ce qui n'est pas faux puisqu‟on peut tout faire en droit, et je peux vous
construire n'importe quel objet juridique. D'autant qu'il s'agit d'un objet immatériel, je ne serai
démenti ni par la nature ni par les lois de la mécanique.
La dernière chose : quel est l'obstacle le plus élevé qui se dresse devant nous ? Je vous
répondrai en citant Madame De Staël qui dans De l'Allemagne, qui doit être un ouvrage de
1810, disait déjà : « Il faut avoir l'esprit européen ». Nous n‟avancerons que si nous avons
envie d'avancer. Et pour avoir envie d'avancer, il faut tout simplement que nous ayons envie
de construire l'Europe, et il faut pour cela avancer à petits pas.
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Atelier 1
Europe : Espace, territoire, frontières… autour de 4 études de cas
(Gibraltar, Kaliningrad, Chypre, Belgique)
Animation : Brigitte Manoukian
professeure au collège Campra, Aix-en-Provence
Murièle Desportes-Massé
professeur au lycée Georges Duby, Luynes
ARGUMENTAIRE
Espace, territoire, frontières : des notions que l‟on manipule depuis la 6ème et qui sont
particulièrement présentes dans les programmes de 4ème ou 1ère, révélant toute leur
complexité et intérêt dans l‟étude de l‟Europe.
La 1ère question abordée en cours « Qu’est-ce que l’Europe ? » est la question
incontournable qui pose d‟entrée le problème des limites de cet espace (dans leur
aspect géographique)…. des frontières (dans leur aspect politique).
Les manuels répondent de façon plus ou moins complexe et variée à cette question,
comme le montrent ces quelques éléments relevés : (voir tableau page suivante)
Aucun doute : l‟Europe est un objet scolaire difficile à identifier, complexe à enseigner.
Et dans nos pratiques, nous sommes confrontés à 3 difficultés :
- des notions difficiles
- des supports qui posent question
- les représentations des élèves
1 - L’espace européen : on a quelques certitudes… mais le territoire européen ?
Alors que l‟étude de la France entre facilement dans le cadre d‟un territoire (un espace
sur lequel vit une communauté : la nation française) aux frontières clairement identifiées
(et encore…. faut-il relever la question des DOM-TOM…), que dire de l‟Europe ?
D‟abord,on préfère parler d‟espace européen, plutôt que de territoire : on travaillera sur
l‟espace urbanisé, un espace dense, un espace de circulation, un espace organisé par
les transports…une mosaïque culturelle…un espace politiquement morcelé…
Si la question des limites n‟apparaît pas vraiment, il a fallu trouver des limites à cet
espace, pour y voir clair, pour se repérer, s‟identifier, se distinguer : les continents sont
nés de ce besoin… et l‟Oural aussi ! En effet, Tatichtchev fixa la frontière orientale de
l‟Europe sur les monts Oural pour répondre au désir du Tsar Pierre Ier qui voulait intégrer
la Russie à l‟Europe occidentale. Une incohérence géographique (l‟Oural, on le sait, n‟a
jamais été une limite-barrière mais la nécessité de fixer des limites a imposé
l‟incohérence géographique !) qui est devenue évidence dans notre géographie scolaire.
Une certitude bien utile.
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Question : qu’est-ce que l’Europe ?
Sur la question des limites, les manuels
de 4ème ont surtout recours à la
géographie avec des cartes
conventionnelle ( il y a peu ou pas
d‟interrogation sur la Turquie),
supports privilégiés ( carte des reliefs
avec des limites à l‟Oural)
Dans le manuel Nathan, on trouve même
un exercice demandant d‟ expliquer
« Europe, péninsule de l’Asie ».
On peut trouver quelques représentations
sans limites précises : carte des
transports ou carte à points du
peuplement ou photo satellitale.
Dans les manuels de 1ère, les documents
invitent à la réflexion et posent la question
des frontières incertaines,
problématiques, contestables,
introuvables.
Quelques problèmes évoqués dans les
manuels :
*Des limites géographiques floues :
« l‟Europe, jusqu‟où ? »
*L‟Europe est multiple selon les critères
de définition choisis (cartes à l‟appui)
*L‟Europe est une idée autant qu‟une
réalité géographique.
*L‟Europe = produit de l‟histoire
Il y a aussi des recours à l‟Histoire avec
des textes sur l‟héritage grec, chrétien….
On peut relever (Hachette) : l‟Oural
présenté comme frontière culturelle (audelà de l‟Oural, plus de chrétiens) et une
liste des critères pour définir l‟Europe
(religion chrétienne, humanisme,
renaissance, révolution, libertés,
développement industriel, démocratie,
protection sociale, grande classe
moyenne)
Question de l‟identité : incontournable,
présentée autour d‟une réflexion sur :
*Une longue gestation
*Sa complexité : identité une (creuset
d‟une civilisation commune + projet
européen) et plurielle (mosaïque), ouverte
aux autres cultures.
On trouve aussi dans l‟idée d‟identité :
une Europe riche, un des centres du
monde, densément peuplée et urbaine
Analyse réalisée sur les manuels de classe de 4ème et 1ère : Belin, Hatier, Magnard et Hachette
Et le territoire ? Il ne va pas sans frontières, sans limites… mais quelles limites ?
L‟idée de territoire fait référence au passé, à ses héritages : pour l‟Europe, ce n‟est pas
simple ! Dans cette Europe de l‟Etat-nation, encore en recomposition (voir les Balkans),
les frontières sans cesse remaniées ont brouillé les données… y compris celles de
l‟identité, de l‟attachement à un territoire. L‟Europe est le territoire de qui ? De quoi ?
Aujourd‟hui : qu‟est-ce que « être européen ? » Un Russe de Kaliningrad, ou un Turc
chypriote, se sent-il européen et depuis quand ?
L‟Europe est une réalité où bien souvent la géographie entre en conflit avec l‟histoire…
ou le projet politique.
2 – Les supports privilégiés du géographe, et surtout pour cette question de
« territoire, espace, frontières », sont bien sûr les cartes.
Les cartes proposées par les manuels témoignent de la complexité à appréhender le
territoire européen : elles sont variées mais somme toute assez classiques (des cartes
physiques qui s‟arrêtent à l‟Oural, certaines soulignent de rouge cette limite
géographique plus que conventionnelle) privilégiant des représentations nombreuses
d‟un espace urbanisé, organisé, aménagé ; quelques cartes à points (villes) ou photo
satellitales qui ont l‟intérêt de ne pas proposer de frontières, de limites.
Que faire du flou créé par les cartes proposées? On trouve par exemple dans le Belin
2003 (mais tous les manuels s‟alignent sur ce schéma) : une vue satellitale de la terre
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avec un titre « L’Europe, cap de l’Asie », puis une carte de l‟UE, puis une carte de
l‟Europe des densités et des villes où la Turquie apparaît en blanc mais Istanbul avec un
gros point violet, puis une carte des langues et des religions où la Turquie comme le
Maghreb apparaissent en couleur…(l‟Europe cernée dans ses suds par le vert…)
La carte est une construction : elle propose une vision de territoire ; les limites de ce
territoire ne sont pas anodines : elles sont porteuses d‟idées…
Ainsi, si l‟Oural semble une évidence géographique, l‟interrogation sur cette limite,
comme sur toutes les limites proposées, doit être une évidence pédagogique.
3 – De plus, cette complexité est amplifiée à la fois par les médias et les
représentations qu’en ont les élèves
L‟Europe est autant le territoire de l‟UE (la confusion entre les deux est permanente) que
celui de l‟Euro ou celui de l‟Eurovision !
Pour les élèves, c‟est aussi les rencontres de foot de l‟UEFA qui composent avec Israël
et la Turquie !
L‟OTAN est présente en Europe mais laquelle ? celle qui inclue la Turquie ?
Et le Conseil de l‟Europe qui intègre l‟Arménie et la Géorgie alors que géographiquement
elles en sont exclues (elles sont de l‟autre coté de la frontière physique du Caucase)
Que dire de cette Europe qui absorbe Chypre située à 1000 km d‟Athènes et à 200 km
des côtes syriennes, 60 km de la Turquie… et qui débat sur la candidature turque ?
On dit Europe… et l‟espace ou le territoire proposé n‟est jamais le même.
Quelle réflexion mener avec les élèves pour approcher la complexité de l‟Europe, objet
géographique à étudier, espace assurément, territoire moins assurément ?
A partir de quels supports, quelles cartes ? Quelles représentations de l‟Europe ?
Comment les questionner ?
L‟Europe n‟est pas un objet tranquille mais un objet de débats (Nicole Tutiaux-Guillon)18
.
C‟est un objet d‟étude qui n‟a pas une mais des légitimités selon l‟idée que l‟on porte,
projette sur elle. L‟idée de frontières prend alors toute ses dimensions : il n‟y a pas une
frontière mais des frontières, et donc pas un territoire mais des territoires.
Lévy : « Les causes géographiques sont les intentions des hommes… La
géographie de l’Europe est aussi ouverte que l’idée d’Europe »
Difficile quand on à faire avec des élèves qui aiment un peu les certitudes (et les
professeurs aussi).
Cet objet géographique compliqué peut être approché au travers de réalités
géographiques : l‟étude de cas, outre le fait qu‟elle soit «à la mode pédagogique» est
d‟un grand intérêt pour manipuler des notions difficiles à appréhender pour les élèves.
De quelle Europe s‟agit-il quand on travaille sur Gibraltar ou Chypre ? territoire ouvert,
fermé ? Intégrateur ?
Comment les notions de frontières et territoire se lient pour créer des espaces complexes
de confrontation ou d‟union, de complémentarité ou de superposition ?
Quelle est la réalité de la frontière à Chypre ? Kaliningrad ? Bruxelles ? A t-elle une
matérialisation sur le territoire ?
Se perçoit-elle aussi dans les mentalités, les mémoires ?
18
L’Europe entre projet politique et objet scolaire, Nicole Tutiaux-Guillon,…
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Les études de cas proposées permettent d‟approcher, manipuler (en 4ème), comprendre
(en 1ère) les notions d‟espace, territoire, frontières et leurs articulations… et de définir,
connaître l‟Europe, objet scolaire compliqué :
1/ Elles donnent aux élèves des outils pour aborder les notions difficiles d’espace,
territoire, frontière à partir de réalités d‟un espace aux contours variables, d‟un territoire
européen en devenir (lié aux projets de l‟UE), de frontières polymorphes, d‟une
organisation de l‟espace complexe et pas si homogène (centre-périphéries, flux-pôles…)
2/ Si elles apportent quelques éléments de réponse, elles posent aussi beaucoup de
questions…à la problématique de départ : « Qu’est-ce que l’Europe ? » : quand on est un
Chypriote grec, elle sera une force de sécurité, un moyen de s‟arrimer, de se consolider
une identité. Pour un Chypriote turc ou un Kaliningradois : c‟est un marché économique
riche qui permet de vivre à l‟européenne. Pour un Marocain, c‟est l‟Europe forteresse qui
se protège des invasions…et érige des murs…ouvre le dedans mais enferme le dehors.
Et elles permettent de comprendre que cet objet de la géographie est encore en
construction.. (et/ou recomposition) et que la complexité vient du fait qu‟il y a des
constructions d‟Europe (autant que de conceptions ou d‟idées d‟Europe) donc des
territoires européens.
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Annexe 1
Les problématiques possibles sur les différentes études de cas
KALININGRAD
Une enclave territoriale
russe en territoire de
l‟Union européenne
GIBRALTAR
Un détroit, limite entre
deux espaces
différents : Europe et
Afrique
CHYPRE
Une île divisée par le
dernier mur de l‟Europe
BELGIQUE
Un Etat mais pas un
Etat Nation, exemple de
la diversité européenne
(la mosaîque)
*questions de la
présence de l‟Europe
en Afrique à travers les
deux enclaves
espagnoles de Ceuta et
Melilla, zones de transit
et de rétention qui sont
des espaces
intermédiaires
* questions liées à la
polymorphie de cette
frontière : politique,
culturelle et
économique ( différence
de niveau de vie très
forte de part et d‟autre)
* cette frontière
structure l‟espace
européen entre un
centre développé et ses
périphéries, qui
organise ou
désorganise les flux
(migrations légales ou
clandestines)
* c‟est une frontière
poreuse mais aussi
verrouillée ; elle
matérialise l‟espace
Schengen qui respecte
une logique de
protection rendue
visible avec les barbelé
et les miradors
*c‟est une frontière
polymorphe (politique,
culturelle, économique),
matérialisée par la ligne
verte et étanche,
présente dans les
mémoires, les
sensibilités (référence
au passé), une ligne de
fracture, un front
militaire avec une
dimension militaire
* problème de
l‟intégration de Chypre
dans l‟UE ( le territoire
unifié ? avec une
frontière interne ? ou
maintien du statu quo :
la frontière sépare mais
exclut)
* problème de l‟identité
européenne : peut-elle
effacer les
nationalismes
« dépassés » ? or,
l‟Union européenne se
construit avec des
critères économiques (
l‟intégration est –elle
une issue à la misère ?)
* débats liés à
l‟élargissement et
notamment sur la
Turquie
* question de la
complexité liée à la
juxtaposition et la
superposition des
frontières (culturelles,
économique, politiques)
* la matérialisation de
cette frontière, de sa
visibilité, de sa
perception comme
fracture (les oppositions
linguistiques)
*la place de la
conviction européenne,
si forte que l‟UE peut
remplacer l‟Etat belge
ce qui contribue à
renforcer les
communautés
* la place de Bruxelles :
est-ce un territoire belge
ou un territoire
européen ?
Un espace européen
qui ouvre le dedans
mais enferme le
dehors
Le règlement de la
question chypriote
serait la réconciliation
de la géographie avec
l’histoire
La Belgique est-elle
un modèle de culture
de consensus ? cet
exemple d’Etat
multiculturel et très
intégré à l’Europe estil un modèle pour
Chypre ? pour
l’Europe ?
Remarques et
questions à soulever :
* problèmes de
discontinuité du
territoire, de liberté de
circulation entre
l‟enclave et le territoire
russe, de souveraineté
russe sur ce territoire et
d‟égalité entre citoyens
* problèmes d‟identité
est-on Européen ?
Balte ? Russe ?
* problèmes de la
fermeture de la frontière
avec l‟élargissement de
l‟UE perçue comme une
forteresse, isolant des
territoires pourtant
intégrés physiquement (
naissance d‟un nouveau
rideau de fer, « le mur
de Schengen »
* problèmes liés à la
matérialisation de la
frontière (les visas, les
douanes, etc.)
* problèmes de
différence de niveau de
vie de part et d‟autre de
la frontière ce qui peut
engendrer un
commerce
transfrontalier vital pour
les Kaliningradois
Bilan :
Une discontinuité
territoriale qui montre
la difficulté de
l’Europe à se trouver
un territoire et que
l’Europe est à
géométrie variable
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Annexe 2
Fiche de documents utilisables pour une étude de cas
Kaliningrad, l'angoisse de l'enclavée avant la fermeture des frontières.
La région la plus occidentale de la Russie va se trouver à partir de 2OO4 entièrement bordée
de pays membres de l'UE. La Lituanie et la Pologne prévoient d'introduire, entre janvier et
juin 2003 un régime de visas à l'égard des citoyens russes, conformément aux règles de
l'espace Schengen.
Cette décision va donc mettre fin au privilège accordé jusqu'ici aux 950 000 résidents de
l'enclave russe qui franchissent les frontières de ces Etats limitrophes sans formalité
particulière (...) Or, la situation économique dans l'enclave est telle que de nombreux
habitants de l'enclave passent quotidiennement la frontière vers la Pologne ou la Lituanie
pour vendre ou acheter sur les marchés locaux (on estime à 7 millions par an le nombre de
passages de frontières des tchelnoki, ces Russes qui achètent des marchandises sur les
marchés étrangers voisins pour les revendre ensuite sur les marchés locaux (...)
Le gouverneur de l'enclave de Kaliningrad proposait de créer une voie unique de chemin de
fer et deux voies d'autoroute reliant les deux Russies via la Lituanie Pour justifier sa
proposition, il citait l'exemple de ce qui existe déjà, à savoir une voie ferrée traversant le
territoire russe et permettant aux marchandises de circuler librement entre Estonie et
Finlande. (...) Les positions des uns et des autres entre visas et trains fermés semblent
irréconciliables (...) En réalité, chacun campe sur ses positions, otage de sa propre
perception de l'histoire du XXe siècle, de son regard porté sur cette anomalie qu'est
l'enclave, et des ses blocages internes. (...) Les Lituaniens associent l'idée de corridor aux
traces de l'occupation soviétique. D'une façon générale, tous sont gênés par la référence
historique et le problème humanitaire présenté par le transit de citoyens russes dans des
wagons fermés à travers l'Europe sous le contrôle lituanien ou polonais. (...)
Le président Poutine a lui fait référence au mur de Berlin, reprochant aux Européens d'agir à
l'égard de la Russie de façon encore pire que ne l'avaient fait les communistes avec Berlinouest durant la guerre froide. Les opposants au système Schengen avancent que les
membres actuels et prochains de l'UE sont en train de fermer l'Europe et de repousser la
frontière de l'Elbe au Bug. (...)
Kaliningrad ressemble plus à une tâche qu'on ne parvient pas à faire disparaître, souvenir
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bien vivant de la Guerre froide dans une Europe qui voudrait se faire croire qu'en
s'élargissant, elle efface tout. (...)
Bruxelles perçoit l'enclave comme une terre de crime organisé, de blanchiment d'argent, des
trafics en tout genre, de migrations illégales (...)
Pour les Russes, les peurs vont de la dimension économique (l'introduction des visas va
entraîner des dépenses particulièrement mal venues) à l'aspect psychologique (la demande
de visas sera une façon dégradante de leur rappeler que, malgré leur position géographique,
ils ne sont pas eux, Européens. (...) Les organes de l'Etat russe s'insurgent contre
l'introduction d'un régime de visas qui réduit les droits constitutionnels des Russes à se
déplacer librement sur tout le territoire du pays et où, d'autre part, en accordant un régime
particulier aux résidents de l'enclave, il ne respectera pas l'égalité de traitement entre tous
les Russes (...) Les autorités russes craignent en outre que Kaliningrad, doté d'un régime
particulier, ne finisse par se sentir plus européenne que russe, et que ce sentiment
n'alimente des velléités sécessionnistes de l'enclave coupée de sa mère patrie.
Céline Bayou, Regard sur l'Est, oct-déc. 2002, N°31
L’enclave russe de Kaliningrad renoue avec son histoire allemande.
Naguère indésirable, un représentant officiel de l‟Allemagne devait prendre ses fonctions, le
12 février dans la ville de Kaliningrad, l‟ancienne Königsberg, ancienne capitale de la Prusse
orientale jusqu‟à son absorption par l‟Empire soviétique au lendemain de la seconde guerre
mondiale. (…) « Il y a une dizaine d’années, lorsque nous avions fait une demande auprès
de Moscou, l’environnement était très différent, Kaliningrad venait juste de s’ouvrir aux
étrangers et la perspective de l’entrée dans l’Union européenne de la Pologne et de la
Lituanie, les deux pays voisins, étaient encore lointaine. » Ce que ne dit pas le diplomate,
c‟est qu‟à l‟époque certains soupçonnaient l‟Allemagne réunifiée de vouloir récupérer cette
ville deux fois plus proche de Berlin que de la capitale russe, éloignée de 1200 km (…)
Depuis les ardeurs se sont apaisées. Avec son million d‟habitants, dont quelques 60 000
militaires russes et de nombreux retraités vivant chichement dans une ambiance postsoviétique déprimante, Kaliningrad périclite. (…) En termes d‟implantation économique,
l‟Allemagne compte combler une partie de son retard sur la Lituanie et la Pologne.
L‟ouverture, il y a quelques années, d‟une usine d‟assemblage d‟automobiles BMW dans
l‟enclave devrait être suivie de nouveaux investissements.
Le Monde, 13 février 2004
Depuis que la Russie a interrompu ses livraisons de gaz à la Biélorussie, la municipalité de
Kaliningrad a coupé l‟approvisionnement d‟eau chaude des logements et institutions de la
ville, afin d‟économiser le gaz consommé pour le chauffage. L‟enclave russe est en effet
alimentée en gaz naturel via un gazoduc qui traverse la Biélorussie et la Lituanie.
Céline Bayou, Regard sur l’Est, février 2004
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Le concept de citoyen européen est basé sur l‟un des principes fondateur de l‟UE qui est la
libre circulation des personnes civiles (depuis le Traité de Maastricht, le 1er novembre 1993)
ainsi que le droit d‟exercer une activité salariale sur le territoire de tous les Etats membres
(depuis le Traité de Rome de 1957). Or, lors des négociations d‟adhésion des huit pays
d‟Europe centrale et orientale, le chapitre de l‟acquis communautaire sur la libre circulation
des personnes a été fortement controversé. Cette question pose en effet l‟un des grands
défis de ce premier élargissement de l‟UE à l‟Est (…) Les travailleurs des nouveaux
adhérents se verront imposer des mesures nationales de chaque Etat membre relatives au
droit d‟exercer un emploi. Les Quinze peuvent maintenir des restrictions de l‟emploi à l‟égard
des ressortissants des nouveaux pays membres jusqu „en 2006, ces mesures peuvent être
prolongées de trois ans, puis de deux ans supplémentaires (soit 20011) en cas de
« sérieuses perturbations » sur le marché national du travail. Les citoyens des nouveaux
Etats membres seront confrontés à 15 situations différentes.
Daniela Hemert, Regards sur l’Est, février 2004
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Annexe 3
Fiche de documents utilisables pour une étude de cas
Gibraltar, aux frontières de l’Europe
Nador, située au nord-est marocain, dans la région du Rif, est une ville portuaire dont l‟une
des spécificités est le paradoxe. (…) Nador tourne le dos au Maroc tandis qu‟elle fait face à
l‟Europe qui, à quelques pas de là la nargue de toute sa richesse. Nador a la réputation
d‟être une ville à la fois commerciale et très pauvre. Elle vit une accélération de sa richesse
grâce à la contrebande avec Melilla, la ville voisine qui a particularité d‟avoir une politique
espagnole tout en étant située géographiquement au Maroc.
Melilla est une des deux enclaves espagnoles, l‟autre est Ceuta, Sebta en arabe, située un
peu plus à l‟ouest. Les deux villes sont des espaces libres de taxes, des zones de libreéchange commercial. Nador est à 500 m de Melilla, frontière de l‟Espagne donc de l‟Europe.
(…) Le passeport marocain ne suffit pas pour entrer dans la ville : même si elle se trouve au
Maroc, les Marocains ne peuvent y aller que pour une visite d‟une journée en ayant une
raison valable ; n‟oublions pas que Melilla, c‟est déjà l‟Espagne, une frontière doit donc être
passée. Quatre postes-frontières séparent le Maroc de l‟Espagne, Nador de Melilla. C‟est
très curieux car lorsqu‟on va à Melilla il n‟y a qu‟une route. Or cette dernière ne sort pas de la
ville ; on a l‟impression lorsqu‟on arrive au poste frontière, d‟être alors toujours dans la même
ville. Une frontière en pleine ville, bizarre ! Le poste de douane est débordé, il ressemble un
peu à la sortie d‟un supermarché : les gens rentrent sans rien et en ressortent chargés de
marchandises énormes et modernes, quelques frigos parc-, des machines à laver par-là, des
sacs remplis à craquer… Les gens gueulent, c‟est la cohue. Mais qu‟est-ce qu‟il y a donc
derrière cette frontière qui crée tant de remous, d‟intérêts, de convoitises ? Ah oui, c‟est vrai,
l’Europe. (…) Une fois passé le poste-frontière, les différences avec l‟autre côté sont
surprenantes, voire choquantes. Même si nous sommes toujours au Maroc, tout ici, vraiment
tout est espagnol, à commencer par les habitants (70 % de la population)… Jusqu‟en 2000,
Melilla était séparée du reste du Maroc par un simple grillage qui encerclait la ville. L‟usure,
les cisailles des passeurs, le passage des ânes ont fait du grillage une véritable passoire qui
empêchait le contrôle des migrants. (…) En décembre 2000, les autorités agissent : un
double mur de barbelés de 8 km ceinture aujourd‟hui l‟enclave espagnole, qui constitue avec
l‟enclave de Ceuta, l‟archipel des Canaries et la zone du détroit de Gibraltar une des 4 portes
d‟entrée de l‟immigration africaine en Espagne. Deux grilles de 3 m de haut séparées de
quelques mètres, surmontées d‟un rouleau de barbelés, illuminés la nuit, surveillées à l‟aide
de caméras vidéo tous les 30 m, de miradors aux endroits stratégiques, de capteurs de sons
situés au sol, ainsi que de patrouilles de la garde civile empêchant physiquement les
hommes de passer.
Caroline Galmot, Eclats de frontières, Actes Sud- La pensée de midi n°10, 2003)
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Annexe 4
Fiche de documents utilisables pour une étude de cas
Chypre, une île divisée
850 000 habitants
60 km de la Turquie
200 km de la Syrie
1000 km d‟Athènes
38 % du territoire
République chypriote turque
200 000 hab. (dont la moitié de colons turcs d’Anatolie venus après 1974
et 35 000 soldats chypriotes turcs)
4590 euros/ hab.
Zone tampon
Ligne verte
Ligne de démarcation
3 % du territoire
180 km de long
de 20 m à 7 km de large
Nicosie (250 000 hab.)
République chypriote grecque
650 000 hab.
1200 soldats chypriotes grecs
18 390 euros/ hab.
62 % du territoire
Les deux rêves des Chypriotes.
Andreas Adamou, pêcheur côté grec, a deux grands espoirs pour son île : l'entrée dans l'Europe et
la fin de la partition. Le premier va être exaucé. Entraînera-t-il le second dans son sillage ?
Un jour, c'est sûr, Andreas Adamou se rendra "côté turc". Un autre monde. Une autre Chypre. A chacun sa
langue, ses institutions, sa vision de l'Histoire...
Voilà bientôt trente ans qu'Andreas attend cet instant. Trente ans que cet homme chaleureux, dont la peau
tannée porte la marque des journées passées en mer, espère la réconciliation entre les 620 000
Chypriotes grecs et leurs 180 000 "compatriotes" turcs, regroupés au nord, sur 37 % du territoire. Une
frontière les sépare depuis 1974 : la "ligne verte", contrôlée par les Nations unies.
Cette zone tampon, longue de 180 km, est restée totalement hermétique jusqu'au printemps 2003. Pour
Andreas et les siens, elle constituait un rideau de fer dressé à vingt kilomètres de chez eux. Et puis, la
situation a commencé à se débloquer le 23 avril dernier, quand les autorités turques, soucieuses de
donner des gages de bonne volonté à la Communauté européenne, ont ouvert trois points de passage.
Depuis, plus de 300 000 personnes ont franchi la ligne, dans un sens ou dans l'autre. L'émotion des
retrouvailles a brisé l'idée reçue d'une impossible coexistence
Une île, deux drapeaux. Cette dualité est ici au cœur de tout. (…) Ainsi va cette île déchirée : quel que soit
le sujet abordé, il arrive toujours un moment où la discussion dérive sur les événements de 1974. (…)
Chaque camp a ensuite rejeté sur l'ennemi la responsabilité de la crise, et l'île s'est retrouvée prisonnière
de clivages identitaires. Nicosie, la capitale, a pris des allures de Berlin, ville divisée, ville brisée. A
Ormidia, les enfants d'Andreas ont grandi sans côtoyer de Chypriotes turcs. A leurs yeux, ces derniers ont
toujours
été des Le
inconnus,
retranchés
la "ligne verte".
"Je n'ai pas peur
d'eux,auconfie
que la sienne.
pays a tant
changéderrière
depuis l'époque
où il accompagnait
son père
large Constantina,
!
20Il ans.
Au
contraire,
je
voudrais
les
connaître.
Mais
tous
les
jeunes
de
ma
génération
ne
sont
avait 12 ans, il débutait dans le métier... Depuis, des dizaines d'hôtels et de restaurants
ontpas de mon
avis.
l'uneledelong
mesdecopines
ne pourra
pas Limassol
vivre avec
à cause
été Ainsi,
construits
la côte,est
au persuadée
risque de laqu'elle
défigurer.
Larnaka,
eteux
Paphos,
les de ce qu'ils
ont
fait
à
notre
peuple
!
Il
faut
dire
qu'à
l'école
on
nous
a
toujours
présenté
la
version
grecque
de
grandes villes du Sud, sont devenues des pôles économiques. Deux à trois millions de
l'histoire..."
Une
partie
de
la
population
partage
ces
craintes
et
s'interroge
sur
le
coût
d'une
éventuelle
touristes scandinaves
réunification. (...)
(suite page 2)
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(
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A son âge, M. Adamou sait que certaines évolutions sont inéluctables, même quand on exerce une
profession aussi traditionnelle, allemands, russes et surtout britanniques y viennent chaque année.
Quant au secteur grec de Nicosie, il a connu un essor spectaculaire avec l'installation
d'innombrables sociétés offshore (le pays en compte 42 000). (…)
Et maintenant, l'Europe... L'autre grand espoir d'Andreas. Il s'y prépare depuis des années, lui qui
dirige depuis 1991 le syndicat regroupant les 500 artisans pêcheurs recensés au Sud. (…)
L'Europe, donc. L'Europe, avec ou sans les "compatriotes" du Nord, dont le sort dépend de la
Turquie. Andreas n'appréhende pas l'adhésion de son pays, qu'il soit réunifié ou non. Chypre, à l'en
croire, ne perdra pas son identité dans cette aventure. "Les Français ont-ils perdu la leur en
devenant membres de l'Union ?" (…) N'empêche : Adamos avoue volontiers qu'à ses yeux l'Europe
est encore une inconnue. Il demande à voir, à juger sur pièces, avant de se prononcer : "J'ignore ce
que cela signifie concrètement dans la vie quotidienne. Disons que j'ai un a priori plutôt favorable
mais que je veux du temps pour porter un jugement. Ne soyons pas naïfs : la plupart de mes
compatriotes se réjouissent de cette aventure parce que l'appartenance à l'Union nous donnera plus
de poids face à la Turquie. Ils espèrent aussi en tirer profit sur le plan économique. Vous savez, les
gens d'ici pensent beaucoup au fric. Pour vivre, la plupart d'entre eux ont d'ailleurs plusieurs
boulots. Ce pays n'est plus celui que mon père et mon grand-père ont connu. Il faudra du temps
pour que les anciens s'adaptent à l'Europe."
Le Monde 19 juin 2003
Une frontière infranchissable.
De Kokkina à Famagouste, une ligne infranchissable traverse l'île. La zone démilitarisée qui
l'accompagne représente environ 2 à 3% de la superficie de l'île. Elle est seulement
parcourue par les forces de surveillance des Nations Unies.
Au sud, la Garde nationale chypriote exerce une veille permanente, en particulier à Nicosie.
Les rues de la vieille ville qui mène au quartier turc, sont fermées par des barrages. Les
quartiers piétonniers aménagés des deux côtés avec l'aide communautaire restent séparées
par des barrières infranchissables. Au Nord, c'est l'armée turque qui assure une surveillance
très ostensible, avec des sentinelles sur les bastions de la porte de Paphos, dominant un
carrefour très animé à l'entrée de la partie grecque de la vieille ville. Ce n'est pas une
présence symbolique chaque fois que des manifestants ont tenté de franchir la ligne, les
soldats ont tiré, faisant plusieurs morts.
J-F Drevet, Chypre en Europe, L'Harmattan 2000
Développement contrasté entre nord et sud de Chypre.
L'absence de décollage dans la partie septentrionale de l'île est liée à la non-reconnaissance
de la République turque de Chypre du Nord par la communauté internationale. Cette
absence de reconnaissance a des répercussions économiques évidentes. Elle prive par
exemple le Nord de crédits conséquents pour permettre les investissements dont il aurait
besoin. Des facteurs endogènes contribuent également au "sous-développement" de la zone
septentrionale de l'île : le manque de maîtrise des techniques culturales explique pour une
part la faiblesse des rendements, beaucoup d'agriculteurs peu formés provenant de régions
pauvres de la Turquie. L'occupation par l'armée turque (35 000 hommes) ne valorise pas
l'image touristique du nord.
P.Blanc, La déchirure chypriote, L'Harmattan, 2000
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Deux territoires très distincts.
Depuis les évènements tragiques de l'été 1974, plus d'un quart de siècle s'est écoulé. Les
Chypriotes se sont installés dans une partition de facto, où chacun mène une vie presque
normale. Il n'y a pas de camp de réfugiés et l'économie, au moins dans le sud, fonctionne
normalement. Au sud, la zone gouvernementale entretient des relations internationales avec
la communauté internationale, à l'exception de la Turquie (qui ne reconnaît plus la légalité du
gouvernement de Nicosie depuis 1964). Au nord, dans le vide juridique créé par l'occupation
militaire, un "Etat" sécessionniste ne peut communiquer avec le reste du monde que par
l'intermédiaire de la Turquie. Les deux parties de l'île ont des vies politiques entièrement
séparées. La rupture de 1974 a aussi entraîné la construction de deux économies
complètement distinctes. Contrairement aux prévisions, ce n'est pas la partie la plus
favorisée de l'île (le Nord) qui est la plus prospère.
J-F Drevet, Chypre en Europe, L'Harmattan 2000.
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Annexe 5
Fiche de documents utilisables pour une étude de cas
Les difficultés à circuler en Belgique.
Vous êtes un visiteur étranger souhaitant circuler en train en Belgique ? Lisez attentivement
ce feuillet d'information...
Les noms des gares belges peuvent de temps à autre prêter à confusion. Le train vous
conduit rapidement d'une région linguistique à une autre. En Flandre, en Wallonie, et en
territoire germanophone, les noms ne figurent que dans leur dénomination originale.
Tous les imprimés d'information des chemins de fer belges sont imprimés soit en français,
soit en néerlandais. Si vous retrouvez, par exemple, dans un imprimé néerlandais la gare de
Luik (Wallonie), il faut savoir que sur place, seul le nom de Liège est employé. Inversement
vous trouverez dans un dépliant en français la dénomination Anvers, alors que la
dénomination locale est Antwerpen.
Site internet des chemins de fer belges
L'hypothèse d'une Belgique démantelée.
Des responsables flamands et non des moindres ont déjà envisagé cette perspective (...) La
Belgique "résiduelle" prendrait alors la forme d'un Etat fédéral Wallonie-Bruxelles (...)
Sur l'avenir de la nouvelle Belgique, plusieurs opinions se présentent, du maintien tel quel de
cet Etat bi-régional (Wallonie-Bruxelles), jusqu'au rattachement à la France, en passant par
une confédération avec le grand Duché de Luxembourg. La Belgique francophone se
rapprocherait naturellement du pays avec lequel elle partage, non seulement une langue,
mais aussi une culture et de nombreuses valeurs. certes, très peu de Belges francophones
envisagent un attachement à la France, et l'on ne voit guère les provinces de venir
départements français. mais à terme, la solution rattachiste pourrait gagner du terrain,
moyennant des statuts régionaux particuliers.
B. Rémiche, Divorce à la belge, le Monde Diplomatique, février 1997
Reportage vidéo : Bruxelles, des frontières dans la tête (Production CNDP/La 5, série Villes
en limite, 2000)
« Assurer dans le cadre des institutions rénovées une collaboration loyales entre flamands
et Wallons, répondre aux désirs légitimes d‟autonomie et de décentralisation dans divers
domaines de la vie publique, tout cela est réalisable »
Cette déclaration du roi Baudouin en 1963 est aujourd‟hui encore à l‟ordre du jour.
13 mn, Agnès Zerwetz, Philippe Kimmerling
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Atelier 2
Réflexion sur la construction d’une conscience européenne chez
les adolescents, sur leur sentiment d’appartenance.
Animation : Dominique Santelli
professeure au collège Chevreul-Champavier, Marseille
Patrick Parodi
professeur au lycée Joliot Curie, Aubagne
ARGUMENTAIRE
Citoyenneté / Identité ?
1. Discuter la citoyenneté européenne
 Vous sentez vous européens ?
 Qu‟est-ce qui fait que vous répondez positivement ?
 Sur quel plan ?
Éléments de synthèse :
Une réflexion sur la citoyenneté européenne nécessite avant tout de se référer aux textes de
l‟Union européenne qui y font référence.
À Maastricht, a été fixé en 1992 dans le traité d‟Union européenne les droits politiques des
ressortissants communautaires. 19 Ainsi, sont définis plusieurs caractères à cette
citoyenneté :
- Une citoyenneté d‟attribution : elle est conférée par les Etats constitutifs de l‟Union
européenne et reste une citoyenneté sans nation. Ainsi, il est institué une graduation dans
l‟appartenance : les échelles régionale, locale et nationale d‟identification ne sont pas niées
mais intégrées à l‟échelle transnationale, laissant aux citoyens le soin de graduer l‟intensité
de sa solidarité ou de son loyalisme. Ce qui fait le lien entre la nationalité d‟un Etat et la
citoyenneté européenne, c‟est l‟idée de valeurs partagées. Il est laissé à chaque Etat le soin
de définir sa nationalité : en France, les notions de citoyenneté et de nationalité se
recouvrent même si la nationalité est souvent la principale cause de la citoyenneté. Notion
philosophique (la Déclaration des droits de l‟homme et du citoyen), la citoyenneté diffère de
la nationalité établie par le droit. Les autres pays européens définissent comme citizenship
ce que la France entend par nationalité. Ainsi, la communauté constitutive de la Nation peut
être très diverse : politique (c‟est le cas français fondé sur le contrat social, base du
consensus national) culturelle (c‟est le cas allemand) ou territorial (c‟est le cas anglo-saxon).
Les définitions du national, donc de l‟Européen, diffèrent selon les pays car il en va de la
conscience historique de chaque Etat. Malgré ces divergences, depuis une dizaine
19
Annexe 1
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d‟années, les législations dans l‟attribution de la nationalité tendent à converger et à
mélanger des éléments du droit du sol et du droit du sang (réformes anglaises de 1981,
françaises de 1993).
- Une citoyenneté de réciprocité : chaque Etat européen s‟engage à protéger les
ressortissants de l‟Union européenne dans les espaces extracommunautaires et à respecter
les droits de circulation aux citoyens européens.
La liberté d‟accès et de séjour aux Européens était mise en œuvre en plusieurs phases :
accords de Schengen du 14 juin 1985 sur la suppression des frontières internes et le
renforcement des frontières externes, adoption sur passeport européen en 1985, élimination
des frontières intérieures le 31 décembre 1992. Cette disposition se heurte à deux
problèmes majeurs :
- La faiblesse du nombre de citoyens communautaires concernés : en 1997, on
comptait en France 1,3 millions de ressortissants communautaires, en Allemagne 1,7
millions et 768 000 au Royaume-Uni (en proportion la Belgique en accueille 6% et le
Luxembourg 29%). Ce sont essentiellement des cadres et de jeunes diplômés à la recherche
d‟une meilleure formation. La disparition des monnaies nationales en 2002 a contribué à
diminuer les flux transfrontaliers qui peuvent occasionnellement se revivifier avec les
mesures nationales (ex, l‟augmentation du prix des cigarettes en France ont revitalisé les
flux frontaliers).
- La mobilité plus difficile des extracommunautaires : les contrôles aux frontières
externes sont plus rigoureux, les conditions de droit d‟asile plus restreintes (la demande
d‟asile se fait dans un seul pays et la décision du pays est valable dans l‟ensemble de la
communauté), l‟accès à la nationalité plus difficile.
Ainsi, au regard de la libre circulation, la citoyenneté européenne est organisée de façon
hiérarchisée : au centre, le national-citoyen bénéficiaire de la libre circulation, les Européens
communautaires bénéficiaires de la réciprocité des droits, les ressortissants des anciennes
colonies bénéficiant de traités bilatéraux, les extracommunautaires installés depuis 15 ans
exemptés de visas dans l‟espace Schengen et expulsables de l‟espace communautaire et
les extracommunautaires bénéficiant d‟une protection dans un Etat mais pas dans le reste
de l‟Union européenne (réfugiés statutaires, parents de nationaux d‟un des Etats d l‟Union,
demandeurs d‟asile en instance ou enfants en situation irrégulière de parents régularisés).
- Une citoyenneté sans nation ou qui précède une nation européenne à construire. L‟Union
européenne accorde une citoyenneté, mais ne peut accorder de nationalité. On liste les
droits du citoyen européen, mais aucun devoir n‟est fixé. Définie par un nombre restreint de
droits, cette citoyenneté sans devoirs afférents se trouve confrontée à la faiblesse de sa
définition et naissent alors des solidarités internationales, qui se construisent souvent en
opposition : le national-populisme, le communautarisme, le régionalisme séparatiste,
réseaux religieux et culturels divers, etc. Cet ensemble hétéroclite peut parfois véhiculer un
certain nombre de valeurs vécues comme contraires à la citoyenneté européenne. C‟est
pourquoi politiques et intellectuels cherchent à définir des valeurs propres à la citoyenneté
européenne différente mais complémentaire de celle de l‟échelon national : sauvegarde de
l‟environnement, antiracisme, dialogue entre les religions et les identités, l‟accueil des
réfugiés et des personnes déplacées, le développement durable, l‟ingérence humanitaire.
Cependant, les mêmes politiques et intellectuels considèrent que ce travail de définition n‟est
pas toujours nécessaire car la force de la citoyenneté européenne repose sur le partage de
valeurs communes ancrées dans chaque citoyenneté nationale. On peut les résumer en
quelques points :
La référence à l‟Etat de droit : pas toujours explicite dans les Constitutions des divers
pays de l‟Union européenne, elle n‟en est pas moins réelle : répartition des pouvoirs,
successions et compétences publiques sont soumis à des règles inscrites. Les citoyens
sont les seuls habilités à modifier cet ordonnancement.
La référence aux Droits de l‟Homme et du Citoyen : plus explicite dans les
constitutions des pays ayant été soumis à une dictature (Italie, Espagne, Portugal,
Grèce, Allemagne), permanente en France, de tradition au Royaume-Uni (il n‟y a pas
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de constitution écrite dans ce pays), elle est accompagnée de mécanismes de garantie :
Commission et Cour européenne des Droits de l‟Homme.
La démocratie parlementaire : malgré les particularismes nationaux, la souveraineté
du peuple, le principe des élections, le pluralisme politique, l‟alternance politique, la
séparation des pouvoirs, la responsabilité du gouvernement devant le Parlement sont
respectés.
Les Etats européens partagent sur le plan politique des valeurs considérées comme
universelles mais étant le résultat d‟histoires nationales. Il en résulte donc l‟idée que ces
valeurs reflètent une véritable identité européenne qui reste cependant paradoxalement à
construire.
2. Une identité européenne ?






Existe-t-il une identité européenne ?
Si oui comment se manifeste-t-elle ?
Doit-elle être construite, inventée ?
Par qui ? (médias, école…)
Comment concilier identité nationale et supranationale ?
L‟une découle-t-elle de l‟autre obligatoirement?
Éléments de synthèse :
Les pays européens sont très divers sur le plan historique, culturel ou politique, mais ils ne
peuvent être appréhendés si on ne tient pas compte de leur appartenance géographique à
l‟Europe à travers des réseaux d‟échanges multiples : de l‟Empire romain aux politiques
communautaires d‟aménagement des voies ferroviaires rapides, l‟histoire de l‟Europe
s‟inscrit dans celle de ses outils de communication. Les tragédies du XXe siècle sont
marquées par les ruptures de ces réseaux : le rideau de fer, le mur de Berlin, par exemple.
Cependant, faire une lecture de l‟identité européenne, c‟est mettre à jour la complexité de sa
diversité :
- Un rapport problématique entre l‟identité européenne et l‟histoire. Il n‟y a pas de
construction linéaire de l‟identité européenne ni conscience claire de son existence. De plus,
cette identité peut être construite, voulue politiquement mais néanmoins trouver une
expression ou une réalité : l‟identité yougoslave voulue au début du siècle, prolongée par
Tito s‟effondre avec la volonté de Milosevic de faire naître une identité serbe ; l‟une comme
l‟autre sont des créations politiques, s‟appuyant sur des substrats culturels réels et qui
finissent par avoir une certaine réalité, même tragique. Il n‟y a donc pas d‟identité figée,
définitive. Pour l‟Europe, l‟identification identitaire reste difficile en raison de l‟absence
d‟unité : depuis la division de l‟Empire de Charlemagne, son histoire est marquée par une
extrême division.
Le concept géographique de l‟Europe est inventé en opposition au Péloponnèse : dans un
hymne à Apollon au VIe ou VIIIe siècle avant JC. C‟est donc avant tout un mythe qui
témoigne du fait que le centre de gravité de l‟Europe ne cessa de changer au cours de
l‟histoire et qu‟elle s‟apprécie moins comme un espace que comme une culture. Jean
Baptiste Pisano20 met en avant les éléments clés de cette identité historique européenne : les ferments grecs et romains sublimés par l‟apport du christianisme. Du 5e au VIIIe siècle, le
continent s‟efforce d‟établir un compromis entre culture païenne et chrétienne, se replie sur
un outillage intellectuel et mental simple accessible à tous : «l‟Europe est en somme à la
20
In Gérard-François Dumont «Les racines de l’identité européenne » Paris 1999 Economica
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recherche d‟elle-même» dit M Baniard21. C‟est à travers sa lutte contre l‟Islam au moment
des croisades que l‟Europe trouve les moyens de canaliser des pulsions collectives et fonder
des valeurs occidentales en jouant de la force de l‟imaginaire.
- Les langues anciennes et vernaculaires : le latin comme langue de transmission du
savoir, permettant d‟appréhender le monde sacré disparaît progressivement sous l‟effet de la
Réforme protestante, la diffusion de l‟imprimerie et le développement capitaliste qui
permettent de créer de nouvelles communautés construites autour de langues dites
nationales.
Cependant, l‟approche historique est souvent hégélienne : l‟histoire du monde serait une
succession d‟évènements au cours de laquelle chaque culture apporterait sa part,
disparaîtrait, laisserait sa place à une autre et ces changements se feraient dans un sens,
celui de la progression de la liberté. Ainsi, la tradition européenne est revisitée
rétrospectivement (villae romaines, cathédrales médiévales, villes et palais de la
Renaissance, palais de l‟Europe classique, métropoles contemporaines) : le livre de l‟histoire
du monde se termine par un chapitre sur l‟histoire de l‟Europe entendu comme réalisation
progressive de la liberté. Il s‟agit donc d‟une conception eurocentrique du développement
historique. Peu à peu se forge l‟idée que le fonds culturel européen aurait pour racine la
démocratie alors que le reste du monde verrait se répandre les différentes variantes du
totalitarisme, idée qui sous-tend la nécessité de préserver l‟héritage et de l‟entretenir. Des
auteurs comme Jan Patocka22 ou Edmund Hurssel23 mettent en avant que l‟Europe
n‟entretient pas de rapport définitif mais sans cesse évolutif et étroit avec son passé,
notamment religieux. C‟est donc une culture jamais possédée, en constant devenir qui
imprime à l‟Europe un sentiment singulier quant à son identité : l‟Europe est ce qu‟elle a reçu
et se doit de transmettre ce qu‟elle a été.
L‟identité européenne ne se limite donc pas à un
simple héritage mais à un processus de redéfinition constante dans un contexte en
perpétuelle évolution.
- Une identité «e pluribus unum», une faite de plusieurs. Le mot latin identitas qui constitue la
racine étymologique de la notion d‟identité signifie égalité parfaite mais le terme n‟est pas
entendu ici au sens général d‟accord parfait mais plutôt comme position de l‟individu à
l‟intérieur d‟une entité sociale et politique plus large, clairement perceptible et la délimitation
de cette entité de référence par rapport à d‟autres. Ainsi, les pères fondateurs de la
Communauté européenne percevaient-ils l‟Europe comme une entité chrétienne face à l‟Est
communiste et athée. Sur le plan politique et culturel, des centres dominants se succédaient
ou se côtoyaient comme la Grèce, Rome, l‟Italie de la Renaissance, l‟Angleterre et sa
philosophie morale et politique, la France et sa culture littéraire et scientifique du XVIIIe
siècle, l‟Autriche et l‟Allemagne avec la littérature et la musique etc. Les traces de ces
cultures différentes sont alors apparentées au patrimoine partagé par tous les Européens et
dont le caractère universaliste est souligné.
Cette pluralité des cultures renvoie alors au problème du lien existant entre identité
européenne et identité nationale et si un individu peut posséder les deux. Au niveau des
politiques européennes, d‟une part, on cherche à renforcer l‟identité européenne alors que
d‟autre part, on tâche d‟assurer une diversité culturelle et linguistique (article F du traité sur
l‟Union européenne et article 128 qui précise que « la Communauté contribue à
l‟épanouissement des cultures des Etats membres dans le respect de leur diversité nationale
et régionale, tout en mettant en évidence l‟héritage culturel commun »). Constantin
Stephanou, professeur d‟organisation européenne à l‟université d„Athènes souligne que
l‟identité plus politique que culturelle. Elle a été définie comme une culture politique partagée
qui ne relève pas du même genre que l‟identité nationale. Le citoyen européen reste
exclusivement loyal à ses structures étatiques et il n‟y a pas de déplacement de cette loyauté
vers l‟Union européenne ; il éprouve le sentiment d‟appartenir à une communauté politique et
M. Baniard « Genèse culturelle de l’Europe au 5ème- 8ème siècles » Paris, 1989 Seuil
22 Jan Patocka « Essais hérétiques sur la philosophie de l’Histoire » Paris, 1982 Verdier
23 Edmund Hurssel « La crise de l’humanité européenne et la philosophie » Paris 1975 Paulet
21
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souhaite vivre avec ceux pour lesquels il ressent une affinité plus grande, la communauté en
question étant fondée sur le partage de certaines valeurs communes (attachement au
principe de libertés, de respect de la démocratie et des droits de l‟homme, valeur de la vie
humaine qui limite le droit à l‟autodéfense par exemple, la solidarité sociale, système
supranational de contrôle démocratique, etc.). Cependant, la construction d‟une identité
européenne dépend de la perception des spécificités de cette identité en question.
Globalement, il en existe deux concurrentes : une vision communautaire, rejetant la qualité
de citoyenneté européenne et admettant une vision cosmopolite de l‟identité et une vision
qui accepte une nouvelle forme d‟identification des citoyens à l‟entité politique européenne
correspondant à un patriotisme constitutionnel, considérant la citoyenneté européenne
comme fondamentale pour l‟existence d‟une identité européenne. C‟est cette dernière que le
traité de Maastricht a adopté sans la définir avec précision et en ne fournissant que peu de
symboles pour permettre une réelle identification : le drapeau, l‟hymne et l‟euro, par
exemple.
- Une identité en miroir : Edgar Morin écrivit que « l‟Europe se dissout dès qu‟on veut la
penser de façon claire et distincte ». Cependant, face au reste du monde, l‟Europe retrouve
un sens certes diffus mais réel. Les romanciers comme Susan Bryatt soulignent que le
voyageur européen reconnaît une ville européenne d‟une ville nord-américaine et sait mieux
se repérer dans la première que dans la seconde. Certes, il soulignera les différences en
Europe mais accentuera les divergences hors du continent. Cette forme d‟identité en miroir
renvoie au partage de valeurs et d‟histoires communes.
L‟identité européenne est donc multiforme et en devenir. C‟est pourquoi dans son ouvrage24
Gérard François Dumont propose douze repères à l‟identité européenne :
La difficulté de définir l‟identité européenne en raison du scepticisme ou de l‟hostilité
des politiques et des intellectuels envers la notion. « Analyser cette notion, écrit l‟auteur,
à travers son histoire et ses enjeux, ne peut aboutir à de conclusions univoques, car
l‟identité se construit sans cesse par la confrontation de la similitude et la différence. »
L‟identité fait partie de la personnalité qui procure à l‟homme une conscience
individuelle immergée dans les identités collectives qui ne peuvent être totalement
contradictoires avec son identité individuelle. C‟est une notion socialisée qui comporte le
besoin de se situer face aux autres et d‟y percevoir son autonomie face à eux dans un
cadre interdépendant. La conscience individuelle européenne est donc spécifique car elle
place l‟individu comme la valeur essentielle
L‟identité européenne relie donc l‟individu à la collectivité, composée de données
personnelles et relationnelles dont l‟identité nationale n‟est qu‟une composante parmi
d‟autres.
L‟identité est en perpétuelle évolution, mais comprend des constantes comme
l‟importance de la vie humaine et sa vocation à une vision universelle. Ce changement se
repère dans les œuvres d‟art : l‟art roman, l‟art gothique et celui de la Renaissance
témoignent d‟idéaux et de civilisations différentes mais sont dépendants d‟une même
symbolique, transcendant les frontières.
L‟identité ne se limite pas à l‟héritage, mais revisite son passé, intégré dans le
présent et utilisé différemment selon l‟évolution des sociétés.
L‟identité européenne repose sur des principes connus qui cimentent le corps social,
sont intégratrices et permettent une cohérence collective garantissant une cohérence des
représentations. Ainsi, chaque individu y puise son autonomie.
L‟identité européenne puise dans l‟héritage de l‟histoire de la Méditerranée, surtout
grecque et romaine. L‟Europe y trouve un point fort de son identité : la pluralité en
devenir. La démocratie restant toujours à parfaire, ses principes donnent lieu à des mises
en œuvre variées sans nuire à l‟idée de la liberté individuelle.
Il n‟y a pas d‟antinomie entre identité européenne et identité nationale ; l‟Europe
permet de dépasser les oppositions apparentes et d‟imbriquer des identités différentes
(locale, régionale, nationale et supranationale). L‟identité européenne est plurielle.
24
Voir note en bas de page n°2
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-
-
La diversité linguistique permet de préserver les valeurs de l‟identité européenne.
L‟identité des individus est d‟ordre culturel et se transmet par l‟éducation et apprise
par mimétisme social.
L‟identité européenne appelle la mise en œuvre de méthodes institutionnelles
adaptées permettant une synergie dans un universel commun : chaque pays le définit
selon ses traditions nationales et régionales : refus de tout impérialisme, de tout
totalitarisme. Elle s‟oppose alors à une identité nationale qui viserait une uniformité
nationale imposée.
L‟identité européenne ne peut se définir seulement de façon objective (langues,
géographie, religion, institutions..) Car elle a une part de subjectivité (le sentiment
d‟appartenance, les valeurs morales, les idéaux…). Elle se vit d‟abord ce qui n‟exclut pas
les tentatives d‟explicitation.
Conclusion : Dans son ouvrage, Gérard François Dumont reprend l‟acception d‟Aristote sur
l‟identité : «l‟unité d‟un seul être et l‟unité d‟une multiplicité d‟êtres » pour en tirer la
conclusion suivante : « On peut penser que l‟identité européenne fusionne ses valeurs
idéales et homogènes et ses divers apports culturels (la liberté, l‟égalité, la créativité, la
séparation des pouvoirs). Elle couronne le génie des différents peuples européens dont
l‟identité s‟abreuve à des sources communes, fraîches d‟avenir. » Cette vision optimiste
interroge alors les difficultés politiques de définition de la citoyenneté européenne. L‟Europe
se construit depuis une cinquantaine d‟années, ce qui est peu à l‟échelle de l‟histoire du
monde, ce qui peut expliquer que les débats sur l‟identité et la citoyenneté ne trouvent pas à
l‟heure actuelle de conclusions cohérentes et unanimes. L‟élargissement actuel et ceux à
venir (les Balkans, la Turquie, …) contribue à rendre ces débats plus complexes encore.
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INDIVIDUELLE
COLLECTIVE
EVOLUTIVE
SUBJECTIVE
DISCUTEE
TRANSMISE
IDENTITE
EUROPEENNE
LIMITE LES
EXCES NATIONAUX
QUI A DES PRINCIPES
COMMUNS
UNE VISION
DE L‟HISTOIRE
COMPATIBLE AVEC L‟IDENTITE NATIONALE
FILLE MEDITERRANEENNE
EN MIROIR
LINGUISTIQUEMENT
DIVERSE
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Quelle est la place de l’Ecole dans cette quête identitaire ?
Il y a une trentaine d‟années faire l‟éloge de l‟Europe était « totalement invraisemblable »25.
Aujourd‟hui « enseigner l‟Europe » semble être devenu un impératif. La demande se fait
pressante qu‟elle vienne des instances officielles européennes ou française (voir les rapports
de l‟IGEN 1996 et 2000).
Cependant les textes officiels disent très peu de choses des contenus de cet enseignement.
C‟est aux enseignants et aux manuels qu‟est dévolue cette tâche.
Les adolescents dont nous avons la charge ont grandi dans une France intégrée à l‟UE. Elle
leur est donc plus familière qu‟à leurs aînés.
Quelles conceptions en ont-ils ?
Quelle place tient l‟Ecole dans la construction de ce savoir ?
Mais aussi quelle place tiennent ces savoirs dans la construction d‟une identité
européenne ?
3. Représentations et attitudes adolescentes
Quelques éléments de l‟enquête internationale menée par une équipe de l‟académie de
Créteil pour l‟INRP en 199826 :
 626 élèves (15 ans en moyenne) français, allemands, italiens et britanniques ont été
interrogés
 50 % en moyenne répondent affirmativement à la question « êtes-vous fiers d‟être
européens ? »
Question posée aux adolescents français :
Beaucoup
Êtes vous fiers d‟être 48,6%
européens ?
De votre pays ?
53%
De votre identité
64%
régionale ?
Constat : les adolescents arrivent à concilier plusieurs identités (« poly-identité »Edgar
Morin)




Interrogés sur la signification de l‟Europe dans le passé, ils pointent majoritairement
l‟importance de la tradition chrétienne
Ils perçoivent la diversité culturelle comme constitutive de l‟identité européenne
Ils associent majoritairement Europe à citoyen
Ils affirment une adhésion partagée aux valeurs démocratiques
Où ces représentations trouvent-elles racines ?
 À la question sur l‟origine de leur connaissance les 2/3 des élèves de l‟académie de
Lyon répondent massivement « l‟Ecole »
 Mais aussi la TV (50%), les groupes de musiques (18%), la lecture de journaux
(17%), les rencontres sportives (17%), la famille et les amis européens (7%), le
travail des parents (7%)
Ils se montrent sévères avec les cours « assez théoriques » dont le caractère purement
scolaire » les rebute.
Ils trouvent « qu‟on raconte toujours la même chose », « qu‟on fait trop d‟économie » ou
n‟ont « aucun souvenir d‟avoir appris l‟Europe » !
25
26
Beutler B., dir., 1de votre identité régionale ?993, Réflexions sur l’Europe, Paris, Editions Complexes.
Tutiaux-Guillon N., dir., 2000, l’Europe entre projet politique et objet scolaire au collège et au lycée, INRP.
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4. La demande institutionnelle
 Les différents textes communautaires sur l’éducation
En octobre 1991 à Vienne, les ministres de l‟éducation des états membres déclarent que :
« l‟éducation doit sensibiliser les jeunes au rapprochement des peuples et des Etats
européens…Elle doit les aider à prendre conscience de leur identité européenne, sans qu‟ils
perdent de vue pour autant leurs responsabilités à l‟échelle mondiale, ni leurs racines
nationales, régionales ou locales…Les jeunes doivent être incités à façonner l‟Europe
conformément aux valeurs qui constituent leur héritage commun. » À cette fin, il faut « leur
donner une conscience plus aiguë des facteurs historiques qui ont façonné l‟Europe. »
On retrouve ce souci dans le traité de Maastricht.
L‟article 126.1 stipule que « l‟action de la communauté vise à développer la dimension
européenne de l‟éducation »
L‟article 128.1 que « la communauté contribue à l‟épanouissement des cultures des états
membres dans le respect de leur diversité nationale et régionale, tout en mettant en
évidence l‟héritage culturel commun »
Cet article parle aussi de « l‟amélioration de la connaissance et de la diffusion de la culture
et de l‟histoire des peuples européens. »
Ainsi d‟après ces textes
 Il existe une identité européenne fondée sur un héritage commun (culturel, de
valeur)
 Une des missions de l‟école est de faire prendre conscience aux élèves de
cette identité
 L’Europe dans les programmes
Existe-t-il des contenus porteurs de cette identité ou support de construction d‟une identité
européenne?
Les programmes actuels intègrent une réelle dimension européenne mais très
orientée sur l‟Union européenne au détriment du reste des États européens, notamment
ceux de l‟Europe médiane et orientale. C'est très net en collège comme au lycée, même si
les programmes reflètent les hésitations, tant scientifiques que politiques, face au
mouvement d'intégration européenne.
L'Europe dans les programmes du collège : une entrée privilégiée
Dès la classe de cinquième en effet, en histoire, quelques-uns des temps forts
retenus par le programme s'inscrivent dans la perspective de l'élaboration progressive de la
notion d'Europe : l'empire carolingien et son partage final, le rayonnement de l'église au
Moyen Âge et la diffusion des arts roman et gothique, le rôle précoce des villes (Bruges,
Venise…) et les routes commerciales à l'échelle continentale, l'extension géographique de la
peste noire… Dans la troisième partie, l'Europe est au cœur de la naissance des temps
modernes, ne serait-ce que par la présentation de la carte des foyers de l'Humanisme et de
la Renaissance ou de celle des divisions religieuses de l'Europe à la fin du XVIème siècle, ou
bien encore par le chapitre consacré à la découverte du monde par les Européens.
C'est néanmoins en classe de quatrième que l'Europe devient centrale dans les
programmes :
- En géographie, la moitié de l'année est consacrée à l'étude du continent européen,
mais dans une perspective globale ; les aspects géopolitiques en sont absents au profit du
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repérage. Plus traditionnellement, on continue d'étudier trois États européens, à choisir dans
une liste de quatre (Russie, Allemagne, Royaume-Uni et un État méditerranéen) ;
- En histoire, l‟année commence par une présentation de l'Europe moderne à partir
de diverses cartes qui permettent au professeur “ de mettre en évidence les contrastes
politiques, économiques, sociaux, culturels et religieux de l'Europe des XVIIème et XVIIIème
siècles ”. Les bouleversements introduits par la Révolution et l'Empire en France sont
étudiés par la comparaison de la situation de l'Europe à la fin du XVIII ème siècle et en 1815.
La troisième partie est explicitement consacrée à l'Europe et son expansion au dix-neuvième
siècle, invitant à la découverte de quelques-uns des fondements de l'Europe contemporaine,
ceux de l'âge industriel, mais aussi de la colonisation ;
- Dans le nouveau programme d'éducation civique, l'appartenance à l'Union
européenne apparaît clairement : on évoque les droits de l'homme en Europe pour
familiariser les élèves avec les valeurs communes des pays qui constituent l'Union
européenne (démocratie, droits de l'homme, libertés fondamentales) à travers des extraits de
deux grands documents de référence : la Convention européenne de sauvegarde des droits
de l'homme et des libertés fondamentales (1950) et le traité de l'Union européenne (libre
circulation et droit de vote aux élections locales et au Parlement européen).
En classe de troisième, l'Europe est inscrite au programme à travers les conflits et les
bouleversements géopolitiques qui les suivent : étude des nouvelles cartes de l'Europe, en
1914, 1939, 1942 et 1945. En géographie, on aborde la question spécifique de l'Union
européenne dont on étudie la construction et que l'on présente, aux côtés des États-Unis et
du Japon, comme une des trois grandes puissances économiques de la planète. Le traité de
Rome (1957), celui de Maastricht (1992) et la carte des États membres avec leur capitale,
apparaissent dans la liste des repères à mémoriser pour le diplôme national du brevet.
Les institutions européennes, mais aussi et surtout le concept de citoyenneté
européenne tel qu'il ressort du traité de Maastricht, sont inscrits au programme d‟éducation
civique de troisième. Il s'agit bien ici de faire connaître les valeurs universelles et humanistes
nées en Europe, la liberté comme “ patrimoine commun d'une Europe fragmentée ”, le
respect des droits de l'homme. Il s‟agit aussi de montrer que, dans le cadre d'une diversité
assumée, l'identité nationale n‟est pas incompatible avec une identité européenne qui est à
la fois héritage et avenir à construire.
In rapport de IGEN, L’Europe dans l’enseignement de l’HGEC, septembre 2000
L‟Europe dans les programmes de lycée
En géographie, la notion de citoyenneté européenne n‟est pas abordée stricto sensu dans
les programmes, mais on peut noter qu‟elle est sous-jacente dans les commentaires portant
sur la séquence «Une communauté en débats : L‟Union européenne.» : «L‟Union
européenne est très diverse : comment intégrer les identités multiples, sans les abolir, tout
en créant une identité qui les dépasse ? Le modèle de nation et de l‟Etat démocratique est
celui retenu depuis 50 ans, mais cela ouvre le débat sur l‟avenir à 25 ou plus... »
Le terme citoyenneté n‟y est pas employé, mais on insiste sur la dichotomie apparente entre
la diversité des identités et une identité supranationale en devenir.
En éducation civique juridique et sociale, la réflexion sur la citoyenneté européenne
s‟intégrerait facilement dans le programme de première (exercice de la citoyenneté, thème 1
représentation et légitimité du pouvoir politique, thème 2 formes de participation politique et
action collective) et surtout de terminale (thème 3 : la citoyenneté et la construction de
l‟Union européenne).
 Les débats institutionnels
Débats sur la pertinence et la faisabilité d‟une histoire européenne entre Serge Bernstein,
Dominique Borne, Jean Clément Martin, Philippe Joutard, Jacques Le Goff d‟une part et
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Jean-Pierre Rioux et Nicolas Roussellier d‟autre part. En particulier dans la revue Vingtième
siècle.
Débat analysé par Jean-Luc Leduc « Enseigner l’histoire de l’Europe : un débat » in
Espace-Temps, n°66/67, 1998
5. Dans les enseignements
Qu‟est-ce qui permet dans nos cours de construire un rapport positif et réfléchi à l‟Europe ?
Débat avec la salle : il en ressort que c‟est l‟approche par l‟étude de cas, le débat ou
l‟argumentation autour d‟une question vive qui donne sens et permet de construire un
rapport positif et réfléchi, car n‟excluant pas l‟aspect critique, à l‟Europe.
6. Enseigner autrement ? et si l’Europe était l’occasion de penser de nouvelles
manières d’enseigner l’histoire et la géographie scolaires ?
Comment construire des situations d‟enseignement-apprentissage différentes ?
 Le débat :
Dépasser la situation d‟enseignement traditionnelle, susciter une réflexion
personnelle
 Revisiter les échanges scolaires
Bibliographie
 L’Europe entre projet politique et objet scolaire au collège et au lycée, sous la
direction de Nicole Tutiaux-Guillon, INRP, didactiques des disciplines, 2000.
 L’Europe objet d’enseignement ? Actes du colloque inter-IREHG de Dijon, 7-8
novembre 1995, sous la direction de J-B. Charrier, J. Maréchal, CL. Mercier,
F. Sœurs, CNDP.
 IREHG n° 2, L’Europe, décembre 1995, CRRDP d’Auvergne.
 Site académique de Rennes
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Atelier 3
Cartographier l’Europe : des démarches, des outils.
Animation : Josée –Christine Langlois
professeur au lycée Adam Benoît, L’Isle sur Sorgue
Eric Boéri
professeur au lycée professionnel Emile Zola, Aix-en-Provence
Alain Sidot
professeur au lycée Adam Benoît, L’Isle sur Sorgue
ARGUMENTAIRE
Il y a quelques années déjà que les programmes envisagent l‟étude traditionnelle de la
France dans le cadre européen.
Les derniers, avec en vue l‟élargissement à 25 qui est réalité depuis quelques semaines,
mettent l‟Europe au programme. C‟est donc le moment de s‟interroger sur la réalité de ce
continent.
Par ailleurs, la démarche du géographe repose largement sur la carte, lecture et production,
d‟autant plus qu‟elle est maintenant épreuve des baccalauréats. En outre, la carte permet de
mettre en espace des réalités, mais aussi des projets, voire des questions.
Depuis un an que l‟on pratique le programme de Première, il nous paraît évident qu‟il n‟y a
pas de définition univoque de l‟Europe, mais que celle-ci ne peut être que plurielle : il y a
davantage de questions à se poser et à faire se poser à nos élèves que de réponses à
apporter. C‟est tout l‟intérêt de cette nouvelle partie du programme !
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- 54 -
Comment faire ? Interroger l’ensemble des manuels : quelle(s) vision(s) nous donnent
ils ? et bien sûr, qu’en faire ?
L‟objet de cette séance est de présenter notre questionnement, notre démarche, et parfois,
des propositions de réponses ; tout ceci bien sûr à travers la cartographie, car «un petit
dessin vaut mieux qu‟un long discours» (Napoléon, qui s‟y connaissait en Europe à
géométrie variable).
Donc, après avoir effectué un rapide recensement statistique des sujets traités par les cartes
proposées par les manuels des classes de Première (ANNEXE 1), nous aborderons les
quatre axes d‟études forts qui apparaissent. Enfin, pour chaque partie, seront présentées
des propositions d‟exercices à faire travailler aux élèves.
La première démarche s‟élabore à partir de plusieurs questions :

I° Que voit – on ? Qu‟est-ce qui manque? (ANNEXE 2)

II° De quelle Europe parle-t-on ? UE ou le tout, qu‟on ne sait justement pas définir ni
limiter ?

III° Qu‟est-ce que l‟Europe ? Une Europe dans l‟ Europe ? de quoi parle-t-on ? (ANNEXE
4)

IV° De quoi parle-t-on quand on parle d‟Europe organisée ? Y a-t-il un réseau
européen ? On parle de métropolisation , quelles réalités recouvre-t- elle ? (ANNEXE 5)

V° Y-a-t-il une Europe des Régions ? Quelle vision actuelle de l‟Europe avons nous avec
les axes de développement proposés par la DATAR ? (ANNEXE 6)
Des questions, des réponses données par les
Propositions de démarches pédagogiques.
cartes des manuels
I° Qu’est- ce qu’on voit ?Qu’est-ce qui
manque ?
Tous les manuels montrent :

une Europe plurielle, vue la pléthore des
cartes linguistiques et religieuses, on a le
choix statistiquement (10 références). Par
contre, une seule carte peut aider à définir
l‟identité européenne : carte sur les
fondements de l‟identité européenne
(Hachette 1ère).
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- 55 -

L‟ Europe a un fond commun :
L‟Europe est judéo-chrétienne (cf. seconde).
L‟Europe est marquée par l‟ islam (cf.
seconde).
L‟Europe est un produit de la Renaissance et
est marquée par l‟Humanisme, par le siècle
des Lumières.
L‟Europe est une vieille terre de richesse,
marquée par le commerce et le capitalisme.
Mais on voit aussi les limites et les problèmes
de ce beau tableau :

la maigreur actuelle de l‟islam et les lieux
possibles de confrontation

les langues minoritaires et les
revendications qu‟elles peuvent induire.

les différences entre l‟Ouest et l‟Est, qui ne
datent pas de la Guerre Froide ; des
Poser le problème des limites de l‟Europe.
espaces méridiens apparaissent.
Projection d‟une vidéo K7 de la série «le
D‟où la question :
dessous des cartes», de Jean Christophe
II° De quoi parle –t-on quand on Victor sur l‟ Europe.
parle d‟ Europe ? UE ou le tout qu‟on ne sait Objectifs :
*Proposer aux élèves après la vision de la
justement pas définir ni limiter ?
On définit l‟Europe par son histoire et chaque
K7, de remplir un organigramme (cf.
époque a inventé une identité : l‟Europe du
ANNEXE 3) où l‟Europe est un continent
début du XXème, celle des 2 blocs, l‟Europe
défini par des limites physiques, la continuité
de l‟après guerre froide, l‟ Europe puissance
géographique et l‟histoire pour montrer
coloniale, l‟Europe ouverte sur l‟espace
ensuite que ces différents critères ne
maritime et drainée par de grands axes
peuvent s‟appliquer au continent européen,
fluviaux. Ainsi l‟Europe apparaît comme un
par la présence des 7 régions ultra-
projet dont les limites sont par conséquent
périphériques entre autres.
variables.
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Des questions, des réponses données par
Propositions des démarches pédagogiques
les cartes des manuels
III° Qu’est-ce que l’Europe ? Une Europe
dans l’ Europe ? De quoi parle-t-on ?
Représenter l‟Europe, l‟UE avec les
adhésions retenues, différées, discutées.
L‟Europe est une mosaïque d‟Etats, mais
Objectifs :
aussi un regroupement vers l‟unification :

construire un schéma sur le modèle de
l‟UE ( carte sur les différentes étapes de la
la carte de l‟Europe des cercles
construction européenne dans tous les
concentriques selon J. Delors ( manuel
manuels)
B. Lacoste) à partir de cartes
Les manuels présentent plutôt l‟UE et ses
traditionnelles sur l‟Europe et l‟UE
partenaires comme :

choix des figurés
* un ensemble géopolitique pour assurer la

faire une légende organisée (selon le
paix et la prospérité afin de réduire les
niveau d‟enseignement).
disparités (cartes sur les programmes
Il est intéressant de montrer aux élèves
CARDS, Euromed, TACIS : carte des
qu‟on peut appliquer ce schéma simple aux
partenaires de l‟ OTAN).
périphéries de l‟UE (cf. cercles
* une communauté d‟Etats en voie
concentriques de l‟UE : une hiérarchie des
d‟intégration par des réalisations concrètes
aides (Doc photo n°8031)
(cartes sur l‟euro, l‟espace Schengen,
ERASMUS).
Il est intéressant de souligner qu‟un seul
manuel (Belin 1ère) montre l‟Europe vue de
l‟extérieur, par les Américains «vieille Europe
/ jeune Europe », expression utilisée par le
secrétaire d‟Etat, lors de la guerre en Irak)
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Montrer la volonté de construction d‟une
Europe organisée, ou du moins pensée :
d’Europe organisée ? Y-a-t-il un réseau
partir d‟un modèle connu par les élèves, la
européen ? On parle de métropolisation ? représentation de la mégalopole européenne
(carte dans B. Lacoste) plus un texte illustrant
Quelles réalités recouvre-t-elle ?
la légende. Carte du Ring de Brunet et la
-Les cartes des manuels sur l‟Europe, foyer pieuvre rouge de G. Baudelle européenne
(Belin 1ère)
d‟immigration, sur les densités, sur les
Objectifs :
migrations intérieures au sein de l‟UE,
* Retrouver la signification des différents
montrent que l‟Europe est un espace
figurés de la légende.
densément peuplé, attractif.
* Comparer les différentes représentations et
-Il semble plus intéressant, suivant les
trouver leurs limites.
* Conclure que ce sont des exemples de
objectifs des nouveaux programmes de
modélisation plus que la réalité !
montrer que l‟Europe est un espace
On perçoit la mégalopole, mais elle n‟est pas
organisé en nœuds, représentés par les
le réseau européen ; Brunet a modifié sa
métropoles.
vision avec le « Ring » qui pour être élargi
-La carte sur les modèles régionaux en
n‟en est pas moins obsolète ; de même,
Europe (Bréal 1ère) montre une vision
Baudelle a conçu la «Pieuvre» qui jette ses
classique et surtout statique des différents
tentacules loin de son corps, mais ce modèle
types de réseaux, qui relève de la
a l‟inconvénient de supposer une continuité
géographie générale et n‟a pas sa place ici,
territoriale entre ces métropoles ce qui ne
sauf pour montrer qu‟il n‟y a pas de réseau à
correspond pas à la réalité.
l‟échelle du continent (il y a, éventuellement,
-Toutefois, en superposant les projets de
des réseaux nationaux, héritages des
lignes TGV, ce modèle prend de la
différentes histoires nationales).
consistance.
-La carte sur la métropolisation en Europe
IV° De quoi parle-t-on quand on parle
(Hatier 1ère) montre la promotion réelle ou
potentielle de certaines villes quelles que
soient leur taille ou leur localisation. La
promotion des villes se fait sur des
fonctions. Donc quand on parle d‟Europe
organisée, on parle de métropolisation,
c‟est-à-dire d‟un mouvement de promotion
de villes aux fonctions élevées.
-Quand on superpose à cette carte, la carte
des TGV(axes TGV potentiels en direction
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de l‟Europe Centrale de F. Besset in
L‟Epreuve de géographie à Sciences Po.
Ellipses 2OO2) on voit une géographie
«volontariste», les projets sont résolument
ouest-est ; il s‟agit d‟accrocher l‟Europe de
l‟Est à celle de l‟Ouest ; certaines villes,
deviennent des nœuds (on peut parler de
hubs, comme pour les EUA).
-La métropolisation, est un mouvement de
promotion de villes aux fonctions élevées
raccordées en réseau.
V° Y-a-t-il une Europe des Régions ?
Montrer l‟importance des Régions travaillant
Quelle vision de l’Europe donnent les
ensemble à travers un espace transfrontalier.
axes de développement de la DATAR ?
Donner un croquis : l‟Alsace et ses voisins
-Les régions apparaissent dans les manuels
(B. Lacoste) complété d‟un texte de Jouve,
essentiellement à travers les différences de
Stragiotti, Fabries-Verfaillie (idem) ; les
richesses.
figurés et les éléments de la légende sont
Comment montrer aux élèves l‟Europe des
disjoints et dans des ordres différents.
régions ? Belin et Hatier sont les seuls à
Objectifs :
proposer une vision de projet (cf. carte « les

identifier sur le croquis les figurés de la
régions travaillent ensemble » Belin p. 289)
légende que l‟on associera à la liste des
-L‟UE a fait des Régions l‟unité spatiale
éléments donnée.
prioritaire de son action, et l‟Europe en

trouver un titre.
construction est autant celle des Régions

organiser une légende ordonnée.
que celle des Etats.
Autre proposition, plus simple :
-La carte sur le schéma prospectif des axes trouver le bon titre et la légende
de développement en Europe selon la
DATAR (cf. manuel Hatier p. 325) montre correspondant dans une liste de trois.
une vision future de l‟Europe :
 une Europe élargie vers Bucarest en
2007 ?

une Europe élargie vers St Petersbourg
un jour ?

non plus comme extension de l‟ancien
centre : Banane Bleue, Ring, Pieuvre,
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mais dans un développement équilibré
de 3 nouveaux pôles : NE - SE - SO,
chacun articulé autour de pôles centraux
( hub) et de corridors de développement. A partir d‟un modèle de R. Brunet (Hachette


les liens entre le Centre Europe et les 3
Technique 1ère Bac Pro) sur l‟arc
nouveaux pôles seraient assurés par les
méditerranéen faire réfléchir les élèves sur
TGV.
l‟intérêt de représenter la méditerranée et les
mais quelle existence réelle de l‟Arc
pays riverains en utilisant le modèle centre -
atlantique, ou de l‟Arc méditerranéen
périphérie.
(même si l‟INSEE évoque une
Objectifs :
Eurorégion PACA-PIEMONTE LIGURIA) • le questionnement doit permettre de

?
dégager des structures et dynamiques
En revanche, on voit la promotion
spatiales transfrontalières
possible de Prague, qui pourrait être un
• appréhender la construction d‟un modèle.
« super hub » reliant les axes parallèles
E- O ; mais alors ne retourne-t-on pas
vers la réalité des XVIII-XIX c‟est-à-dire
la promotion de la MittleEuropa ?
Les régions deviennent aussi des acteurs
politiques et économiques en engageant des
procédures de rapprochement et de
coopération (carte Belin « les Régions
travaillent ensemble » page 289).
Conclusion :
L’intérêt de l’étude de l’Europe est que l’on fait de la géographie vivante, en train
de se faire : l’Europe est une idée à construire plus qu’une réalité à décrire. C’est
aux élèves futurs citoyens que ces cours s’adressent. Cette étude nous permet
d’éviter les écueils, de repérer les grands axes, de voir les limites de chaque
manuel, d’en dégager les richesses, de montrer le rôle des modèles, d’où
l’importance des cartes.
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ATELIER 4
Apprendre et enseigner l’histoire de l’Europe
Animation : Christine Colaruotolo
professeure au collège Coin-Joli, Marseille
Nicole Gallice
professeure au lycée d’Altitude, Briançon
Gérald Attali
professeur au lycée Emile Zola, Aix en Provence
ARGUMENTAIRE
Mettre l‟histoire à l‟heure européenne est un des thèmes au cœur du colloque inter - IREGH
qui s'est tenu à Dijon en 1995 "Enseigner l'Europe pour donner une représentation partagée
de
l'Europe d'hier et d'aujourd'hui pour construire l'Europe de demain". Oui. Mais quelle Europe
? Et comment faire et enseigner une histoire de l‟Europe qui pourrait aussi jouer son rôle
dans une éducation à la citoyenneté ? Enfin, quels sont les enjeux qui sous tendent
l'enseignement d'une histoire européenne ?

Place l'histoire de l'Europe dans les programmes et les manuels
d'histoire en France
Dés les années 1950, le Conseil de l'Europe organise des rencontres sur les manuels et les
programmes d'histoire pour réfléchir à des convergences possibles. En octobre 199l, à
Vienne, lors d'une réunion des ministres de l'éducation des états membres, les objectifs
éducatifs sont clairement définis : "L'éducation doit sensibiliser les jeunes au rapprochement
des peuples et des États européens... Elle doit les aider à prendre conscience de leur
identité européenne, sans qu'ils perdent de vue pour autant leurs responsabilités à l'échelle
mondiale, ni leurs racines nationales, régionales et locales... Les jeunes doivent être incités
à façonner l'Europe conformément aux valeurs qui constituent leur héritage commun". À
cette fin, il faut leur "donner une conscience plus aiguë des facteurs historiques qui ont
façonné l'Europe".
Au travers de cette citation transparaît l'idée qu'il y a bien une identité européenne qui
repose sur un héritage politique et culturel commun et que l'un des rôles de l'enseignement
est de développer la prise de conscience de cette identité. C'est à partir de 1995, que les
programmes de l'enseignement secondaire français s'inscrivent dans une perspective
européenne. Enseigner " la dimension européenne " telle qu‟elle est définie dans les textes
officiels suppose de prendre en compte l‟Union Européenne mais aussi la grande Europe.
De la 6e à la 3e les programmes d'histoire sont organisés autour de la constitution
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progressive du patrimoine européen grâce aux apports des civilisations grecque, romaine,
du judéo-christianisme en 6e, de l'Humanisme et de la Renaissance en 5e une place réduite
étant accordée aux autres civilisations (civilisation précolombienne.) Mais l'Europe est
surtout au cœur du programme d'histoire de 4e centré sur l'Europe du XVII e au XIX e siècle
et du programme de 3e qui couvre la période de1914 à nos jours et aborde la question de
l'Europe au travers notamment des deux Guerres mondiales, la construction européenne.
Concentrons-nous sur le programme d'histoire1 de 4e. Centré sur l'histoire de l'Europe et de
la France du début XVII e siècle à la fin du XIX e siècle, il privilégie l'histoire nationale et très
secondairement l'histoire d'autres pays européens (chapitre sur la monarchie anglaise au
XVII e siècle.) Rares sont les chapitres consacrés aux civilisations extra-européennes horsmis la naissance des Etats-Unis. Ces civilisations sont évoquées rapidement dans le
chapitre consacré aux relations commerciales tissées entre l'Europe et le reste du monde au
XVII e siècle (carte p 7 Hatier) mais surtout au travers de l'expansion européenne du XIX e
siècle. Quelle image de l'Europe et de son histoire les manuels scolaires de 4 e renvoient t-ils
?
 Une Europe aux contours flous
Dans le manuel Magnard 4e (p 164 -165) un document intitulé La dame Europe (Prague
1592) introduit la partie géographie du programme centrée au tour de la question : "qu'est-ce
que l'Europe ?". Cette représentation d'une Europe personnifiée, réalisée par Heinrich
Bungalow. Cette illustration centrée sur le royaume de Bohême, illustre les principales
caractéristiques de l'Europe : son unité (il s'agit d'une personne), sa diversité et ses divisions
(c'est une mosaïque de royaumes) et l'imprécision de ses limites à l'est puisque la dame n'a
pas de pieds. Cette illustration est accompagnée d'une introduction dans laquelle le rôle de
l'histoire dans la définition de l'identité européenne est réaffirmé : "L'Europe est une création
de l'Histoire : ce qui réunit et divise les Européens est un héritage complexe façonné depuis
des millénaires". Fluctuantes les frontières de l'Europe le sont tout au long de l'histoire mais
elles le sont aussi d'un manuel d'histoire à l'autre: si à l'est, la partie occidentale de l'empire
de Russie apparaît dans la plupart des cartes de l'Europe en 1600, la délimitation
géographique au sud est beaucoup plus floue. Dans un planisphère (Hachette 2002 p10)
présentant l'Europe (en rouge) et ses colonies au début du XVII e siècle l'Empire Ottoman
est exclu de l'espace européen alors que dans les cartes suivantes il fait partie intégrante de
l'Europe (p 8 et 10.) Dés les premiers chapitres du Bordas 4e et tout au long du manuel, la
couleur grise est attribuée à l'Empire Ottoman contrairement aux pays européens aux
couleurs vives. Mais comment interpréter ce choix ? L'Empire Ottoman est-il considéré
comme n'appartenant pas l'Europe ? Ne fait-il pas partie des pays étudiés en 4e ? Ou sous la
dénomination "Europe" faut-il plutôt comprendre implicitement que seule l'Europe
occidentale est réellement au cœur de l'étude? Pourtant, dans le chapitre consacré aux
mouvements libéraux et nationaux du XIX e siècle (p138-140), un tableau d'Eugène
Delacroix la Grèce mourante (1826) et le résumé font allusion aux soulèvements grecs et
aux troubles dans la péninsule Balkanique jusque là sous domination de la Turquie
musulmane. Enfin n'oublions pas que les élèves de 4e étudient parallèlement l'Europe en
géographie et que l'une des premières questions abordées est la délimitation de ses
frontières géographiques. Or, les cartes actuelles de l'Europe (Hachette p 202) excluent
clairement la Turquie. Plutôt déconcertant pour des élèves, non ?
Dans la troisième partie du programme, l'Europe et son expansion au XIX e siècle, le même
constat peut être réalisé dans les chapitres consacrés à l'âge industriel qui sont presque
entièrement bâtis autour de documents concernant la France. Le cas de l'Angleterre, en
raison de l'antériorité de son développement industriel est évoqué mais la dimension
européenne n'est envisagée qu'au travers de quelques documents disséminés (cartes,
1 L'analyse des manuels d'histoire - géographie de 4e a été réalisée à partir des éditions suivantes : Bordas 1998, Hachette 2002, Hatier,
Magnard 1998
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statistiques) qui exclus les pays moins industrialisés. Quant aux documents à l'échelle
régionale, ils sont quasiment inexistants.
Les cahiers d'élèves remplis de cartes intitulées "l'Europe en …" sont aussi révélateurs à cet
égard. Dans la plupart des cas, aucune réelle réflexion n'est menée avec les élèves sur les
fluctuations historiques des frontières européennes jusqu'à nos jours. Pourtant, une telle
réflexion serait nécessaire afin de faire prendre conscience aux élèves que ce découpage
qui remonte au Moyen-Age (programme de 5e) est en fait une construction culturelle.
L'examen des représentations spatiales de l'Europe à partir d'une comparaison ou d'une
superposition de cartes serait également intéressant car elle permettrait d'appréhender
l'espace européen, tantôt contracté, tantôt dilaté même si dans la pratique elle reste plus
difficile à réaliser car les cartes sont distribuées au cours d'années successives. Cette
approche comparative permettrait notamment de voir avec les élèves que l'Europe s'achève
là où se situe l'Autre, l'ennemi ou l'inconnu. Et cette démarche est d'autant plus utile que
nous distribuons aux élèves le plus souvent des planisphères européo-centrés qui leurs
donnent une représentation du monde où l‟Europe est au centre et là encore, parfois, sans le
moindre commentaire.
De même une réflexion, le découpage chronologique employé s'avère nécessaire. Avant
le traité de Rome, les dates proposées sont rarement placées dans une perspective
européenne. A tel point que l'Europe ne semble pas d'avoir d'enracinement dans le passé. Si
les temps forts de l'histoire de l'Europe sont évoqués dans les programmes d'histoire de la 5e
à la 3e, une Europe de la Renaissance, des Lumières, une Europe occupée et libérée,
l'absence de continuité dans le récit historique est criante et ne peut que nuire à la
constitution d'un passé européen et à son apprentissage.
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 Une Europe, champ de bataille ?
L'Europe ne serait-elle qu'un champ de bataille comme le laisse entendre le dessin de
Plantu2 ?
L'analyse des couvertures de manuels d'histoire de 4e tendent à confirmer cette vision. Sur
quatre manuels étudiés, deux d'entre - eux donnent une image belliqueuse de la France : la
couverture du Bordas représente la garde nationale de Paris partant pour l'armée en
Septembre1792 tandis que celle du manuel Hachette (2003) représente Napoléon
franchissant le Grand St Bernard illustrant la France et son expansion en Europe au XVIII e
siècle.
La période XVII e siècle est effectivement ponctuée par des conflits : le programme de 4e
s'ouvre sur la guerre de 30 ans avec un tableau de Sébastien Vrancx représentant une
scène de pillage d'un village flamand pendant la guerre de Trente ans (Hachette doc. 2 p11)
accompagné d'un texte de Mazarin sur l'expansion française puisse poursuit parles guerres
sous le règne de Louis XIV. Dans les chapitres sur la Révolution française et l'Empire, les
manuels accordent une large place aux guerres. Les pays voisins nommés européens dans
les chapitres précédents deviennent des envahisseurs. Quant aux coalitions"elles sont
présentées non comme des alliances européennes mais comme une menace contre la
souveraineté française."Les guerres napoléoniennes font l'objet de dossiers illustrés par une
multitude de tableaux représentant les différentes batailles. Toutefois, en contre-point,
certains manuels comme le Hachette (p 92 à 95) offrent des documents émanant d'auteurs
étrangers permettant une confrontation de points de vue tant sur la Révolution française que
sur l'expansion napoléonienne en Europe. Les autres pays européens sont évoqués le plus
souvent au travers de la figure de leurs dirigeants lors du congrès de Vienne en 1815
(Magnard doc. 2 p 86) ou lors du partage du monde à la fin du XIX e siècle, le modèle de
l'Etat - Nation dominant durant cette période. C'est donc là encore une image d'une Europe
conquérante ou qui se déchire qui est renvoyée par les manuels. Or, selon l'historien
Philippe Joutard il faudrait plutôt s'attacher à montrer que"l'Europe n'est pas faite que de
tensions et de conflits."
 Une Europe culturelle ?
En 4e le patrimoine artistique européen est évoqué lors des chapitres consacrés à l'art
baroque et classique même si c'est Versailles qui est retenu comme document patrimonial.
La primauté accordée au patrimoine culturel français est nette et seulement deux dossiers
sont consacrés à Rembrandt au XVII e siècle et à Verdi aux XIX e siècle (Hachette p152.)
Au XVIIIe siècle, le mouvement des Lumières est présenté essentiellement à partir d'extraits
d'ouvrages de philosophes français reflétant en cela la contribution française. Les références
à la propagation de ses idées en Europe sont très rares et il faut regarder du côté des
résumés pour découvrir une phrase y faisant allusion. Le manuel Bordas évoque dans une
phrase "les Despotes éclairés."
Enfin, dans l'ensemble des manuels les chapitres présentant les différents courants
artistiques du XIX e siècle sont dominés par des oeuvres françaises à l'exception des
tableaux de Van Gogh (Bordas p 132.) La seule allusion à l'influence de l'art extra-européen
se fait au travers d'un masque africain dans les dossiers consacrés aux Demoiselles
d'Avignon de Pablo Picasso.
Au terme de l'analyse des manuels d'histoire de 4e français, les écarts constatés entre
l'histoire de France et de celle de l'Europe nous amènent à parler plutôt de "l'illusion de
l'histoire européenne.3" Les moments de l'histoire européenne sélectionnés sont ceux qui
2
Plantu, Le Monde, 1992
3 J.B Charrier, J. Maréchal, Cl Mercier, F. Sœurs (sous le direction de)
L'Europe, objet d'enseignement ? Actes du colloque Inter - IREGH de Dijon, 7-8 novembre1995,CNDP
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croisent l'histoire de France. La primauté de l'histoire de France est nette et son
enseignement est avant tout chargé de nourrir la conscience nationale.
Voyons maintenant, quelle est la place de l'histoire de l'Europe dans l'histoire enseignée en
Allemagne et en Angleterre?

Dans les programmes et manuels scolaires allemands
En Allemagne dès leur troisième année scolaire dans l‟enseignement primaire, les élèves
reçoivent des cours de "'sciences humaines'" (Heimat-und Sachunterricht), une matière qui
regroupe la géographie, l'histoire et… la physique ! L'histoire devient une matière scolaire à
part entière dès la sixième année (de 11 à 12 ans.) L'analyse des manuels allemands se
révèle plus difficile à réaliser car chaque Land dispose d'une large autonomie pour la fixation
de ses programmes scolaires. On trouve donc non seulement des manuels par niveau et par
éditeur mais aussi par Land ou par groupe de Länder. La France figure rarement en tant que
telle dans les programmes scolaires allemands. Il s'agit parfois d'une option (dans le cadre
d'un choix entre la France et la Grande-Bretagne par exemple), souvent d'un traitement
occasionnel dans un contexte thématique (la construction européenne notamment.)
C'est seulement à partir de la classe 8 (14 ans) qui correspond au lycée en France que le
programme couvrant la période XVII e siècle et XIX e siècle prend en compte la dimension
européenne avec l'étude des Lumières, l'étude de la Révolution française et de ses
conséquences et les mouvements nationaux et libéraux de 1848. En classe 9 (15-16 ans) le
programme débute par l'étude de l'empire allemand en 1871 et se prolonge par l'analyse de
la période contemporaine jusqu'en 1945 avec l'étude des conséquences de la Première
Guerre mondiale et notamment du traité de Versailles, la République de Weimar et le III e
Reich. A noter que la Première Guerre mondiale, bien que présente dans tous les
programmes scolaires des lands, tend à s'estomper dans la mémoire collective au profit de
la Seconde Guerre mondiale et du nazisme ressentis comme plus urgent à enseigner. Le
programme d'histoire est centré dans la classe 10 sur l'étude du monde au lendemain de la
Seconde Guerre mondiale, la Guerre froide et l'histoire de l'Allemagne de1945 aux années
1990 avec la "révolution tranquille" de 1989
Mais enseigner l'histoire de l'Europe suppose que le pays arrive lui-même à gérer son propre
passé. C'est le défi qu'a dû et doit encore relever l'Allemagne. Suite à la réunification de
l'Allemagne, ce sont les programmes ouest-allemands qui se sont imposés aux nouveaux
landers de l'Est, les manuels d'histoire de l'Est trop imprégnés de la vision idéologique du
régime déchu étant immédiatement détruits. Dans un premier temps, des ouvrages élaborés
à l'Ouest datant des années 1980 ont été réédités et augmentés d‟un chapitre sur la
réunification. Mais ils se sont avérés en complète rupture avec la vision que les Allemands
de l'Est avaient de leur histoire.
"On y insistait sur le système répressif du régime communiste ou encore sur l’intégration de
la RDA au système soviétique. La réunification était présentée sous un jour positif, sans
évoquer les espoirs déçus à l’Est" rappelle Falk Pingel, directeur de l‟Institut Georg-Eckert
pour l‟étude internationale des manuels scolaires.
Les enseignants étaient par ailleurs confrontés à un dilemme devant expliquer à leurs élèves
"pourquoi la vérité d’hier n’était plus celle d’aujourd’hui, note Andréa Schwärmer, qui a luimême enseigné l’Histoire dans le Land de Thuringe. Ceux-là ont perdu toute crédibilité et ont
dû se résigner à quitter l’enseignement". Depuis 1995, de nouveaux ouvrages sont apparus
élaborés par des auteurs appartenant aux deux parties de l'Allemagne prenant en compte de
manière plus nuancée qu‟auparavant, toutes les facettes de la société est-allemande au
travers de biographies individuelles. Ainsi un chapitre est consacré à la comparaison du rôle
de la femme dans les sociétés est et ouest-allemande. La présentation du régime nazi et de
l'Holocauste est également abordée sous un nouvel angle dans les programmes d'histoire du
land de Brandebourg qui ont fait l'objet d 'une révision. Une place accrue est réservée à
certains thèmes comme la vie quotidienne en RDA, la période nazie et l‟Holocauste, la
comparaison entre stalinisme et nazisme ou encore le rôle des mouvements citoyens dans la
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chute du régime est-allemand. «En RDA, rappelle Falk Pingel, le national-socialisme était
présenté comme une perversion du système capitaliste. On ne le comparait évidemment pas
au régime stalinien et l’on parlait très peu du système concentrationnaire et de ses victimes."
Actuellement, la grande majorité des historiens allemands s‟accordent aujourd‟hui sur une
interprétation commune de l‟Histoire de la RDA. Les manuels tiennent compte du fait que les
nouvelles générations n‟ont pas vécu l‟Histoire qu‟on leur enseigne et présente à l'aide de
témoignages variés la naissance des mouvements citoyens de 1989 et la manière dont la
jeunesse est-allemande a vécu la réunification afin de provoquer un débat.

Dans les programmes et manuels scolaires britanniques
Les élèves entre 11-14 ans ont une 1Heure 30 de cours d'histoire par semaine. A partir de
14 ans et l'histoire devient une option soit 2 Heures 30 par semaine pour les élèves de 14-16
ans et jusqu'à 5 heures pour les élèves de 16-18 ans. Les programmes sont centrés sur
l'histoire nationale du XI e siècle au début du XX e siècle. L'histoire de l'Europe n'est
envisagée qu'au travers de l'étude d'une période de l'histoire européenne avant 1914 laissée
au choix puis au XX e siècle au travers de l'étude des deux Guerres mondiales, l'Holocauste,
la Guerre froide et son impact sur la Grande Bretagne et le monde. A noter que dans un
manuel d'histoire anglais, le chapitre traitant de la Première Guerre mondiale s'ouvre par un
débat historiographique autour des origines de la Première Guerre mondiale avant de
présenter la guerre elle-même (les grandes phases…)
Au total, l'analyse des programmes et des manuels d'histoire français, allemand et anglais
renforce l'idée que la vision de l'Europe est amplement subordonnée à l'histoire nationale
des pays. L'Europe et son histoire n'ont donc guère de lisibilité pour les élèves. Mais
comment le pourraient-elles alors qu'elles sont encore enjeu de débat au sein de la
communauté scientifique ?
Elle montre, en outre, toute la difficulté à faire cohabiter des mémoires nationales
divergentes, sinon contradictoires. Lors d'un colloque international l'Europe face à ses
"passés douloureux4 organisé en décembre 2003 à Prague et réunissant la France
l'Allemagne, la Pologne et la République Tchèque, une historienne polonaise affirmait "Oui, à
l'Europe mais nous y entrerons avec nos morts ! ". A la veille de l'élargissement de l'Union
Européenne, on se rend compte à quel point l'enjeu est de taille "le passé étant toujours, en
politique, l'affaire du présent."

Une histoire comparative, premier pas vers une histoire de l'Europe ?
La dimension européenne et les perspectives socio-économiques et culturelles peuvent être
intégrées dans les sujets les plus couramment enseignés : les deux Guerres mondiales, les
dictatures de l‟Entre-Deux-Guerres, la Guerre froide…
Ceci suppose une relecture des histoires nationales et l'adoption d'une approche
comparative de ces histoires préalables nécessaires à une histoire européenne. Dans cette
optique, un colloque international, l'Europe face à ses "passés douloureux", a été organisé
en décembre 2003 à Prague réunissant la France, l'Allemagne, la Pologne et la République
tchèque afin de "neutraliser [les] moments douloureux de l’histoire européenne " et voir"la
manière dont les Etats européens ont cherché à surmonter ces " stigmates"historiques pour
accepter de vivre ensemble dans une Europe pacifique."
4 Alexandra Laignel-Lavastine, Les mémoires blessées de l'Europe, Le Monde 27 Décembre 2003
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Le thème choisi ici est l'image de l'ennemi durant la Première Guerre mondiale à partir
d'un croisement de sources françaises et allemandes. Cette séance s'intégre dans le cadre
d'une séquence plus large intitulée Regards croisés sur les relations franco-allemande au XX
e siècle, premiers pas vers une histoire européenne ?
Pourquoi ce choix ? Les images de l'ennemi ont dominé et ont pesé sur les relations francoallemandes durant la Première Guerre mondiale et au-delà encore. Après 1945 elles ont
disparu, non à la suite d'une décision voulue par les responsables politiques, même si
Adenauer et de Gaulle ont ouvert la voie dans ce sens, mais plutôt par la volonté déclarée
des deux nations toutes entières. Les programmes éducatifs et culturels y ayant contribué.
L'objectif n'est pas de renforcer ces représentations mais de voir comment et pourquoi elles
ont été construites et comment elles ont pu peser sur les relations franco-allemandes et être
surmontées.
Regards croisés sur les relations franco-allemande au XX e siècle, premiers pas vers
une histoire européenne ?
I/ L'image de l'ennemi durant la Première Guerre mondiale
•Fil directeur
Cerner la place respective de la première guerre mondiale dans les consciences collectives
française et allemande.
Niveau collège 3e
Séquence 2 h
Pourquoi ce choix ?
- Intégrer la dimension européenne dans un sujet couramment enseigné : la Première
Guerre mondiale.
- Car l‟historicisation des deux conflits mondiaux s‟est amorcée et se poursuit actuellement.
•Démarche
- Relecture des histoires nationales
- Approche comparative de ces histoires, préalable nécessaire à une histoire européenne
- Approche historiographique
•Objectifs
- Quelles sont les différences et les points communs dans les formes d'expression du
patriotisme en Allemagne et en France ?
- Quelles sont les images de l'ennemi, déjà existantes, qui ont ressurgi pendant la Première
Guerre mondiale en Allemagne et en France ?
•Supports
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- 4 Affiches de propagande (françaises et allemandes)
II/ De la guerre à la réconciliation (1945 - à nos jours)
2e séance : 1h (2e trimestre)
Objectif
Comment ces représentations ont-elles pu peser sur les relations franco-allemandes jusqu’à
nos jours et être surmontées ?
Supports
Une caricature allemande
Un extrait du discours du chancelier Schröder du 9 mai 2000
Bibliographie
- J.B Charrier, J. Maréchal, Cl Mercier, F. Sœurs (sous le direction de)
L'Europe, objet d'enseignement ? Actes du colloque Inter - IREGH de Dijon, 7-8
novembre1995,CNDP.
- Nicole Tutiaux - Guillon (sous la direction de)
L'Europe entre projet politique et objet scolaire au collège et lycée, INRP, janvier 2002.
- Jean Leduc, Enseigner l‟histoire de l‟Europe : un débat, Espaces-Temps, n° 66/67, 1998
- Alexandra Laignel - Lavastine, Les mémoires blessées de l'Europe, Le Monde 27
Décembre 2003
- Le panthéon des grands hommes européens, Le Monde 6 mars 2004
- Site Internet utilisé pour la séquence d'histoire 3e Regards croisés sur l'histoire des
relations franco-allemande au XX e siècle : l'image de l'ennemi durant la Première Guerre
mondiale
en
France
et
en
Allemagne
(1re
séance).
http://geogate.geographie.unimarburg.de/parser/parser.php?file=/deuframat/francais/3/schne
ider/kap_1.htm
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ARGUMENTAIRE COMPLEMENTAIRE
L’EUROPE DANS L’ENSEIGNEMENT DE L’HISTOIRE EN ITALIE

L’Europe dans les programmes italiens
Contrairement à la France, l‟Italie n‟a pas connu de grande réforme du système éducatif
depuis longtemps. L‟organisation en cycles d‟apprentissages est quasiment restée comme
l‟avait définie le philosophe Giovanni Gentile en 1923. Dans l‟attente d‟une réforme du cycle
secondaire supérieur, de nombreux lycées ont adopté des projets expérimentaux. A l‟instar
des autres pays européens, l‟Italie a la volonté d‟intégrer l‟étude de l‟histoire de l‟Europe
dans l‟étude de l‟histoire. Certains établissements ont choisi de majorer la place accordée à
l‟histoire de l‟Europe dans les programmes officiels.
Les jeunes Italiens fréquentent une école très fragmentée et compartimentée en trois
cycles : le cycle d‟enseignement primaire (5 ans), le cycle d‟enseignement secondaire
moyen (3 ans) et le cycle d‟enseignement secondaire supérieur (5 ans). Les enseignements
d‟histoire et de géographie sont distincts. Au cours du cycle d‟enseignement secondaire
moyen (scuola media), les élèves suivent 3 heures d‟histoire-éducation civique par semaine.
Au cours du cycle secondaire supérieur (liceo classico/scientifico), les élèves suivent 2
heures d‟histoire les 2 premières années puis 3 heures les trois années suivantes.
Les programmes d‟histoire des 2ème et 3ème années de la scuola media (5ème et 4ème en
France) prévoient l‟étude de la formation et du développement de l‟Europe (du Moyen-Age à
nos jours). Le décret-loi du 4 novembre 1996 prévoit les dispositions relatives à la
subdivision annuelle du programme d‟histoire du cycle secondaire supérieur : «1ère année, de
la Préhistoire aux deux premiers siècles de l’Empire romain ; 2ème année, de l’âge des
Sévères à la moitié du XIVème siècle ; 3ème année, de la crise socio-économique du XVIème
siècle à la première moitié du XVIIème siècle ; 4ème année, de la seconde moitié du XVIIème
siècle à la fin du XIXème siècle ; 5ème année, le XXème siècle ». L‟étude de l‟histoire de l‟Europe
est tantôt rapprochée de celle de l‟histoire de la péninsule tantôt substituée à celle-ci : en
3ème année, « les élèves complètent leurs connaissances à propos des crises politiques en
Italie et des guerres européennes durant les Temps Modernes », en 5ème année, les élèves
étudient « l’époque contemporaine : les guerres mondiales, la Résistance, la lutte pour la
démocratie en Europe ».

L’Europe dans les manuels italiens
La lecture des manuels d‟histoire utilisés au cours des cycles secondaires moyen et
supérieur laisse apparaître une richesse et une abondance des contenus qui contraste avec
le nombre d‟heures offert par le calendrier scolaire pour l‟enseignement de la discipline. Les
chapitres sont habituellement divisés en deux parties : la première consacrée aux
connaissances encyclopédiques et la seconde réservée aux évaluations sommatives
(schede di verifica).
Lorsqu‟ils évoquent l‟histoire de l‟Europe, les manuels italiens analysés (Carlo Signorelli,
Zanichelli, Fabbri, Mondadori) prennent tous en compte l‟Europe médiane et orientale quelle
que soit la période considérée. L‟Europe déborde largement les limites de l‟Europe
occidentale.
Raconter l‟histoire de l‟Europe consiste à énumérer les caractéristiques historiques propres à
chacun des Etats européens. Il s‟agit de la juxtaposition des histoires nationales. L‟exposé
se termine le plus souvent par une page relative au patrimoine du pays étudié. Ainsi, le
chapitre relatif à La politique européenne du XVIème siècle (La Storia dal Trecento alla metà
del Seicento, A. Lepre, 1, Zanichelli, 2003, chapitre 8, pages 136 à 151) dresse le portrait de
Charles Quint, de Philippe II, d‟Elizabeth Ire…
Le schéma adopté pour l‟étude de l‟histoire de l‟Europe est similaire à celui que l‟on
retrouve concernant l‟étude de l‟histoire de l‟Italie. En effet, lorsqu‟il s‟agit de décrire,
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d‟expliquer, de commenter l‟histoire nationale italienne, histoire somme toute récente, les
manuels italiens optent pour une histoire comparée des différentes régions de la péninsule
plutôt que de dégager les composantes de l‟histoire de l‟Italie.
Fidèles aux programmes officiels, les manuels italiens replacent l‟histoire de l‟Italie dans la
perspective européenne notamment lorsque cela fournit aux élèves « les instruments
indispensables à la compréhension de l’histoire nationale ». En 5ème année de liceo, le
programme prévoit l‟étude de « L’âge de la restauration et des révolutions nationales».
Pourquoi, au XIXème siècle, l’Europe a-t-elle été secouée par les mouvements libéraux et
nationaux ? En vertu des programmes, le chapitre est divisé en trois U.D. (unità didattica ) :
«1815-1848 : l’Europe entre tradition et renouveau», «L’Italie de la Restauration au
Risorgimento» et «Du Risorgimento à l’unité italienne». L‟origine, le déroulement et
l‟aboutissement des différents mouvements de contestation sont mis en perspective avec le
cas italien. La difficile marche vers l‟unité et l‟indépendance s‟inscrit dans le contexte
européen.
La plupart des manuels comportent un tableau synoptique dans lequel l‟histoire nationale est
comparée à l‟histoire européenne.
En ce qui concerne l‟histoire contemporaine, il est à noter que les manuels italiens préfèrent
évoquer rapidement les grandes phases du régime fasciste et consacrer de longs
développements aux différents combats pour la démocratie. L‟histoire européenne
contemporaine se présente comme une histoire des idées politiques, des institutions et des
faits sociaux. Lorsqu‟ils retracent les principales étapes de la construction européenne, les
manuels privilégient les aspects politiques et juridiques. Il s‟agit de mettre en évidence les
objectifs et le fonctionnement actuel des institutions.
En Italie, les programmes d‟histoire mettent l‟accent sur l‟histoire nationale. Cependant,
certaines parties des programmes associent l‟échelle italienne et l‟échelle européenne.
Bibliographie
- Site Internet : http://www.edscuola.com
- Site Internet : http://www.istruzione.it
- Site Internet : http://www.portalescuola.it
- Le sfide della storia, Fabio Cereda, Victor Reichmann, 1, Dal Trecento al Seicento, Carlo
Signorelli Editore, Milano, 2003.
- La storia dal Trecento alla metà del Seicento, Aurelio Lepre, 1, Zanichelli Editore, Bologna,
2002.
- La storia del Novecento, Aurelio Lepre, 3, Zanichelli Editore, Bologna, 2002.
- Le sfide della storia, Fabio Cereda, Victor Reichmann, 3, Il Novecento, Carlo Signorelli
Editore, Milano, 2003.
- Le società e la storia, G.L. Della Valentina, Edizioni Scolastiche Juvenilia, Milano, 1996.
- Il manuale di storia, 2, Il mondo moderno, Edizioni Scolastiche Bruno Mondadori, Rozzano,
2000.
- Il manuale di storia, 3, Il mondo del Novecento, Edizioni Scolastiche Bruno Mondadori,
Rozzano, 2000.
- Viaggio nella storia, 3, Antonio Londrillo, Mursia, Milano, 1997.
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Table des matières
Avant- propos----------------------------------------------------------------------------2
Première partie : communication scientifique
L‟Europe entre projet politique et objet scolaire au collège et au lycée ----------------------------6
Deuxième partie : table ronde
Difficultés et enjeux de l‟intégration européenne : de l‟Union des 15 à l‟Union des 25--------18
Troisième partie : ateliers pédagogiques
Espaces, territoires, frontières en Europe-----------------------------------------------------------------29
Citoyenneté européenne---------------------------------------------------------------------------------------43
Cartographie européenne--------------------------------------------------------------------------------------54
Quelle histoire enseignée/enseigner aux Européens ?-------------------------------------------------61
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