La Lettre du NeurologueVol. XVII - no 7 - septembre 2013 | 189
ÉDITORIAL
Le paracétamol est-il dangereux ?
Is acetaminophen dangerous?
Se poser la question de la dangerosité potentielle du paracétamol aurait pu paraître
saugrenu il y a une dizaine d’années. Actuellement, cette question est légitime.
Elle s’intègre dans le cadre de la réévaluation globale du rapport bénéfice/risque
de chaque médicament et particulièrement des antalgiques. Cette question est
d’autant plus justifiée que nos patients peuvent facilement, en “naviguant sur la toile”,
trouver des articles sur les risques du paracétamol. Le site de CBC News et lefigaro.fr
rapportent par exemple les données d’un article paru dans le British Journal of Clinical
Pharmacology en novembre2011, mentionnant le risque hépatique du paracétamol
même en cas de surdosage très faible.
Avant de répondre à la question posée, il est utile de s'interroger sur l’efficacité
duparacétamol.
Le paracétamol est-il efficace ?
Commercialisé depuis1957, le paracétamol est le médicament le plus vendu
enFrance. Il a toujours été recommandé en première ligne dans la prise en charge
desdouleurs d’intensité faible à modérée, notamment arthrosiques ou postopératoires,
pardifférentes sociétés savantes.
Le rapport de l’American College of Rheumatology publié en 2010 concernant
laprise en charge de la douleur met en avant le paracétamol du fait de son bon rapport
efficacité/tolérance(1). Il en est de même des recommandations de l’American College
of Rheumatology de2012 concernant la prise en charge de l’arthrose du genou et de la
hanche(2). Les recommandations des sociétés savantes sont en accord avec les revues
Cochrane concernant le paracétamol. Pour l’arthrose, la dernière revue Cochrane date
de 2006(3) : elle a colligé 15études randomisées contrôlées incluant 5 986patients,
7essais comparant le paracétamol au placebo et 10 comparant le paracétamol aux anti-
inflammatoires non stéroïdiens (AINS). Dans les essais contrôlés paracétamol contre
placebo, le paracétamol est démontré comme étant plus efficace que le placebo 5fois
sur7 et présentant un profil de tolérance similaire à celui du placebo. Dans cette méta-
analyse, le nombre de patients à traiter (NNT) pour en soulager1 de sa douleur varie
selon les essais de4 à16. Dans les essais paracétamol contre AINS, il est démontré que
le paracétamol est moins efficace que ces derniers pour réduire la douleur et améliorer
la fonction articulaire. Il nest pas mis en évidence de différence de tolérance entre
lesAINS et le paracétamol, excepté pour les effets indésirables digestifs, plus fréquents
sous AINS(19 %) que sous paracétamol(13 %). Les auteurs pondèrent leur conclusion
en rappelant que la durée moyenne des essais nest que de 6semaines, ce qui ne permet
pas une appréciation non seulement de l’efficacité, mais surtout de la tolérance à long
terme du paracétamol et des AINS.
Une revue Cochrane comparant le paracétamol aux AINS dans la prise en charge
delapolyarthrite rhumatoïde (PR) a été publiée en 2004(4) : elle est décevante,
carles auteurs sont contraints de conclure à l’absence de certitude du fait de la pauvreté
des données scientifiques concernant cette thématique. Les auteurs concluent aussi
àlanécessité de réaliser des essais randomisés appropriés afin de comparer le rapport
bénéfice/risque des AINS et du paracétamol dans la PR.
Enfin, une revue Cochrane a été publiée en 2012(5) dans le cadre du traitement
deladouleur postopératoire chez l’adulte par une administration orale unique
P. Bertin*
A. Eschalier**
S. Perrot***
* PU-PH, université de Limoges.
** PU-PH, université
de Clermont-Ferrand.
*** PU-PH, université Paris-V.
© La Lettre du Rhumatologue
2013;392:6-9.
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deparacétamol. La compilation de 51essais randomisés appropriés a permis deconclure
que le paracétamol est efficace dans la réduction de la douleur postopératoire puisqu’il
permet, à une dose comprise entre 500 et 1 000mg per os, de diminuer defaçon significative
la douleur évaluée initialement comme modérée à sévère chezlamoitié des patients,
etcepour unedurée de 4heures.
Au total, même si certains essais, notamment dans le domaine de l’arthrose, ontpu
susciter un doute sur l’efficacité du paracétamol, la lecture globale de tous lesessais
dequalité conduit à retenir une efficacité supérieure à celle du placebo dans la prise
encharge de la douleur, notamment arthrosique(6).
Le paracétamol est-il réellement bien toléré
ou peut-il être dangereux ?
Une excellente revue concernant la tolérance du paracétamol a été publiée en2005
dansDrug Safety(7). Les auteurs commencent et concluent leur article en soulignant
queleparacétamol est “d’une excellente tolérance clinique et biologique”, ce qui explique
d’ailleurs sa très large utilisation dans le monde entier.
Il nen reste pas moins que le paracétamol peut être hépatotoxique et responsable
desaignements digestifs, qu’il pourrait être responsable d’une augmentation delatension
artérielle et interagir avec l’hémostase ; enfin, il peut être la cause de réactions
d’hypersensibilité.
Hépatotoxicité du paracétamol
L’hépatotoxicité du paracétamol est bien connue en cas de surdosage :
c’est d’ailleurs le risque majeur de ce médicament puisqu’il est utilisé dans certains pays
(enGrande-Bretagne, parexemple) pour des tentatives d’autolyse. En cas d’intoxication
massive et volontaire, des nausées et des vomissements apparaissent dans les 12heures
suivant l’ingestion. Un (quelquefois moins) à 3 jours après, les enzymes hépatiques
augmentent, de même que la bilirubine, et des troubles de la coagulation apparaissent.
Danslescas les plus sévères, des saignements importants, une acidose métabolique,
un coma puis le décès peuvent survenir. La toxicité hépatique du paracétamol relève
d’unenécrose centrolobulaire. La prise en charge thérapeutique doit être immédiate,
fondée prioritairement sur l’administration de N-acétylcystéine (dont l’efficacité est optimale
sielle est administrée dans les 8heures suivant le surdosage). Le recours à la transplantation
hépatique est parfois nécessaire.
Un article publié en 2012 par D.G. Craig et al. dans le British Journal ofClinical
Pharmacology(8) fait état du recensement de 663patients hospitalisés entre1992
et2008 dans l’unité de transplantation hépatique écossaise, pour hépatotoxicité sévère
auparacétamol : 74 % de ces patients avaient ingéré une seule dose massive de paracétamol
(avec pour but le suicide dans 98 % des cas) alors que 26 % étaient en fait en situation
desurdosages répétés mais modérés (dont 34 % dans un but suicidaire) ; 83 % despatients
qui ont eu des surdosages modérés mais répétés de paracétamol prenaient cemédicament
pour soulager leurs douleurs. Ces surdosages semblent liés à un mésusage, du fait
del’automédication dans le domaine de la douleur, ainsi qu’à la prise concomitante
deparacétamol et d’autres antalgiques contenant du paracétamol (paracétamol-codéine
ouparacétamol-dextropropoxyphène).
Les auteurs ont constaté que ces surdosages réguliers, même modérés,
c’est-à-dire juste au-dessus de 4g par jour de paracétamol, étaient d’autant plus
dangereux que les personnes étaient âgées, éthyliques, dénutries.
Les auteurs concluent même que ces surdosages modérés itératifs
sont plus dangereux qu’une prise massive unique.
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L’hépatotoxicité du paracétamol est donc connue depuis très longtemps. Ilestdifficile
d’en évaluer réellement la fréquence. Apriori, dans des conditions normales d’utilisation,
c’est-à-dire 4g par jour au maximum, chez des patients nayantpas depathologie
hépatique sous-jacente, l’hépatotoxicité du paracétamol est tout àfait exceptionnelle(7).
Il est néanmoins nécessaire de connaître cettehépatotoxicité potentielle, même
ensituation de prescription à dose adéquate, pour éviter notamment la coprescription
d’autres médicaments hépatotoxiques, et de prévenir lepatient de la nécessité absolue
denepasdépasser 4g par jour, notamment danslecadre d’uneéventuelle automédication,
etderespecter ledélai minimal de 4heures entre 2prises de1g.
Tolérance gastro-intestinale
La tolérance gastro-intestinale du paracétamol est classiquement considérée comme
excellente. Une méta-analyse publiée sur ce sujet en2002 dans le British Journal ofClinical
Pharmacology a conclu qu’il n’y avait pas d’augmentation significative durisque gastro-
intestinal sous paracétamol(9). Certaines publications ont suggéré le contraire, mettant
enévidence un risque d’ulcère ou de saignement digestif sous paracétamol supérieur àcelui
duplacebo. Ces données sont souvent critiquables, carleparacétamol est volontiers prescrit
chez lessujets à haut risque digestif, d’unepart, et, d’autrepart, il est même utilisé par certains
patients pour soulager leurs douleurs digestives, qui sont quelquefois des signes révélateurs
d’un ulcère évolutif. Dans leur revue de la littérature, G.G. Graham etal.(7) semblent estimer
que, silerisque gastro-intestinal ne peut être totalement nul, ilreste tout àfait exceptionnel,
et considérer l’ensemble des données de la littérature comme globalement rassurantes.
Toxicité rénale
Un surdosage massif en paracétamol peut induire une insuffisance rénale aiguë
avecnécrose tubulaire, bien que celle-ci soit bien moins fréquente que l’atteinte hépatique.
En revanche, dans le cadre de la prise de paracétamol à dose adéquate, ilnesemble pas
qu’il puisse y avoir de néphrotoxicité même au long cours(10). Certaines publications ont
pointé la néphrotoxicité potentielle du paracétamol à dose thérapeutique, mais, là encore,
G.G. Graham et al.(7) suggèrent à juste titre que leparacétamol, “victime” de sa bonne
tolérance, est prescrit chez des sujets à très haut risque, notamment les personnes très âgées,
ayant une insuffisance rénale latente ouprenant d’autres médicaments néphrotoxiques.
Apriori, le risque de néphrotoxicité estdonc tout à fait exceptionnel.
Hypertension
À l’inverse, le risque d’hypertension artérielle sous paracétamol, suggéré
paruneétude en2002, semble se confirmer dans une étude récente publiée en2010.
Eneffet, dansunarticle publié en2002 dans Archive of International Medicine, G.Curhan
etal. ontmontré que, dans une cohorte de 80 000 femmes âgées de 30 à 50ans, lerisque
relatif dedévelopper une hypertension est de 1,86 sous AINS (22jours detraitement
parmois) etde2sous paracétamol (22jours de traitement par mois)[11]. I.Sudano
etal. ont confirmé cerisque d’hypertension artérielle dans Circulation en2010 : il s’agit
néanmoins, danscecas précis, d’une hypertension artérielle survenant sous paracétamol
chez des patients ayant unecoronaropathie sous-jacente(12). Cerisque d’augmentation
delapression artérielle nétait pas répertorié dans la revue deG.G.Graham etal.
en2005(7). Ilest donc nécessaire desurveiller la tension artérielle sous paracétamol,
notamment chezlespatients hypertendus ou coronariens.
Troubles de l’hémostase
Une thrombocytopénie peut accompagner l’hépatotoxicité du paracétamol dans le
cadre des surdosages massifs, mais elle est extrêmement rare aux doses thérapeutiques(7).
Références
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Quant à l’hypothétique inhibition de l’agrégation plaquettaire quepourrait suggérer la très
faible inhibition du thromboxaneA2 par le paracétamol, ellene se confi rme pas en clinique.
Réactions d’hypersensibilité
Des réactions d’hypersensibilité de type rashs cutanés, urticaire, voirechoc
anaphylactique, ont été décrites sous paracétamol, mais elles restent tout à fait
exceptionnelles(7).
Conclusion
Comme pour tout médicament, la question de la dangerosité potentielle duparacétamol
est légitime. Si elle paraît étonnante, voire dérangeante, c’est parce que le paracétamol
est considéré par tous −médecins, patients, pharmaciens− comme un médicament
ayant une tolérance clinique excellente. Ilnenreste pas moins que le bon sens clinique
ne peut faire oublier qu’un médicament actif nest jamais dénué d’inconvénients potentiels.
La lecture attentive de la littérature est rassurante, car, en dehors de l’hépatotoxicité
leplus fréquemment liée à un surdosage massif la plupart du temps intentionnel, lesautres
eff ets indésirables potentiels du paracétamol énumérés ci-dessus restent rares et bien
souvent moins nombreux que ceux d’autres médicaments également utilisés danslalutte
contre ladouleur tels les AINS. Il faut néanmoins être conscient des éventuels eff ets
indésirables duparacétamol, le considérer comme un véritable médicament actif, même
s’ilest largement prescrit et très utilisé en automédication, etleprescrire defaçon
adéquate, entenant compte du terrain de prescription. Pour autant, il ne faudraitpas
“monter enépingle”, comme cela arrive dans notre société moderne, seseff ets indésirables,
aurisque deproposer desrestrictions d’utilisation, voire un retrait de ce produit, comme
ce fut le cas pourledextropropoxyphène. Aumoment duretrait de cette molécule,
l’excellente publication deD.Solomon etal. parue dans Archive of International Medicine
endécembre2010 montrait que ledextropropoxyphène était probablement l’antalgique
le mieux toléré de tout l’arsenal thérapeutique dont nous disposions, cela corroborant
l’impression descliniciens(13).
Non, le paracétamol pris à dose thérapeutique recommandée n’est pas dangereux,
maisilest, comme tout médicament actif, potentiellement responsable d’eff ets indésirables
qu’ilfautconnaître, éventuellement anticiper, dépister et traiter si nécessaire.
P. Bertin déclare avoir des liens d’intérêts avec Sanofi (expert du
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