e recours à la morphine dans les situations cliniques douloureuses
est en constante progression. Classiquement utilisée dans les dou-
leurs cancéreuses, elle intervient également dans la prise en charge des
douleurs abdominales aiguës (1) et de l’infarctus du myocarde, mais aussi
en traumatologie et en rhumatologie (2). La prescription de morphine
dans les maladies chroniques non cancéreuses, en particulier en rhuma-
tologie, est soutenue par les Recommandations de Limoges (3) et par la
large expérience venue du monde anglo-saxon (4, 5).
En revanche, dans les pathologies aiguës en rhumatologie, la littérature
est peu diserte, et il semble que, dans ce domaine, le recours à la mor-
phine doive faire l’objet d’un consensus ou de recommandations.
Par définition, la douleur aiguë est une douleur d’installation
récente depuis moins de 3 mois (6), mais c’est aussi une douleur dont
l’intensité est telle qu’elle peut correspondre à une valeur 70 mm sur
l’échelle visuelle analogique (EVA).
Une prescription précoce de morphine, c’est-à-dire sans respecter la
montée progressive des paliers de l’OMS, permet un contrôle rapide de
la douleur et pourrait éviter à terme le passage à la chronicité, qui est
un enjeu majeur. Par ailleurs, le fait que les récepteurs opioïdes soient
plus nombreux dans les sites douloureux périphériques en cas de pro-
cessus inflammatoire pourrait contribuer à l’efficacité globale de la mor-
phine dans ces situations douloureuses intenses (7).
En rhumatologie, les pathologies à l’origine de douleurs intenses sont
fréquentes. Elles justifient la prescription d’une cure courte de morphine.
Une cure courte de morphine consiste en une prescription pendant 7 jours
en moyenne, cette prescription pouvant être instaurée d’emblée.
Ce terme de cure courte n’est pas sans rappeler la notion bien classique
de cure courte de corticoïde.
DOULEUR
U
tilisation de la morphine
dans les douleurs aiguës intenses rhumatologiques
QUELLES SONT LES INDICATIONS
POUR LA MORPHINE PRESCRITE
EN CURE COURTE ?
!Les radiculalgies intenses, très doulou-
reuses, qu’elles soient récentes ou chro-
niques, comme une sciatique avec une
poussée douloureuse, sont une bonne illus-
tration d’un tel choix thérapeutique (2) :
la sciatique par conflit disco-radiculaire
(attitude antalgique, signe de Lasègue,
signe de la sonnette) ou commune (dis-
carthrose, scoliose...) ;
la cruralgie, dont on connaît par expé-
rience le caractère très intense, souvent
insomniant de la douleur (douleur nocturne
sur la face antérieure de la cuisse simulant
une fracture du col, signe de Léri, etc.) ;
la névralgie cervico-brachiale (cou raide,
manœuvre de Spürling...), quelle qu’en soit
la cause (arthrose, hernie discale).
!Certaines localisations de rhumatisme
abarticulaire, comme la tendinite hyper-
algique de l’épaule (liée souvent à une
migration calcique) ou la tendinite du
moyen fessier, sont des indications pos-
sibles de morphine pendant quelques jours.
!Une fracture spontanée ou traumatique,
surtout d’origine ostéoporotique, peut être
efficacement soulagée, outre le repos (qui
n’abolit pas à l’évidence les accès dou-
loureux paroxystiques liés aux change-
ments de position), par la morphine : frac-
ture et/ou tassement vertébral, fracture
sacrée, fracture costale, fracture pubienne...
!Une arthrite infectieuse, par définition
aiguë, souvent intense, peut être à l’ori-
gine d’une douleur insupportable, qu’il
s’agisse d’une arthrite périphérique ou
d’une spondylodiscite.
!Une algodystrophie, exclusivement au
stade précoce, est une indication d’un trai-
tement par la morphine, et sans préjuger
des résultats d’un traitement à la calcito-
nine ou d’une corticothérapie locale pres-
crits simultanément.
La Lettre du Rhumatologue - n° 289 - février 2003
34
L
!Les accès douloureux intenses d’une
arthrose rebelle et/ou inopérable et/ou en
attente d’une opération.
!Les rhumatismes inflammatoires en
poussée aiguë, non ou mal soulagés par
les traitements usuels.
COMMENT PRESCRIRE EN PRATIQUE ?
1. Instauration du traitement
Envisageons deux situations de prescription :
a. Le malade n’a reçu aucun traitement
antalgique, la douleur est 70 mm sur
l’EVA, la morphine orale est prescrite
d’emblée
!Commencer par 30 mg toutes les
12 heures de morphine à libération pro-
longée (LP).
!Chez les personnes âgées, il est
conseillé de commencer soit par de plus
faibles doses de morphine LP (10 mg x
2/j), soit par de la morphine à libération
immédiate LI (exemple : 5 mg toutes les
4 à 6 heures), car la fonction rénale peut
être amoindrie.
!Il est possible de rajouter des inter-
doses de morphine à LI toutes les 1 à
4heures si l’EVA ne s’améliore pas.
b. Le malade a déjà reçu un antalgique
de niveau 2 et n’est pas soulagé :
–Prescrire de la morphine LP en respec-
tant un intervalle d’environ 3 à 6 heures
après la dernière prise de l’antalgique de
niveau 2. Rappelons que donner un antal-
gique de niveau 2, c’est déjà prescrire un
opioïde, et donc un dérivé de la morphine.
Le tableau suivant rappelle à ce propos les
équivalences (8) :
2. Réévaluation de la douleur du
patient
En début de traitement, évaluation toutes
les 24 à 48 heures de la symptomatologie
douloureuse. Si le patient est insuffisam-
ment soulagé, augmenter les doses de mor-
phine LP d’environ 50 % (3) (soit 30 mg
+ 10 mg de morphine LP toutes les
12 heures).
3. Adaptation
En cas de douleur d’intensité fluctuante
au cours du nycthémère, il est possible de
prescrire des dosages asymétriques de
morphine (3) ; à titre indicatif :
si les douleurs sont plus intenses le
matin, prescrire 30 mg le matin et 10 mg
le soir (soit au total 40 mg par jour) ;
si les douleurs sont plus intenses le soir,
prescrire 10 mg le matin et 30 mg le soir.
En cas de situations douloureuses prévi-
sibles (kinésithérapie, marche, etc.), on
peut ajouter des interdoses de 10 mg de
morphine LI, 45 minutes environ avant
l’acte douloureux. Sur la base de la pra-
tique dans la douleur cancéreuse, les inter-
doses de morphine LI doivent être d’envi-
ron 1/6ede la dose quotidienne de
morphine LP (8).
LES REQUIS POUR UNE PRES-
CRIPTION DE MORPHINE RÉUSSIE
!S’assurer de l’adhésion des patients
par une information adaptée (3),ce qui, par
expérience, s’obtient aisément, soit parce
que l’intensité de la douleur les conduit à
s’en remettre à la sagesse ou à l’initiative
du praticien, soit parce que les traitements
précédents, comme un antalgique d’une
autre classe ou un anti-inflammatoire non
stéroïdien, ont conduit à un échec.
!Connaître et anticiper les événements
indésirables :
*Assurer une prévention de la constipa-
tion (surtout si le malade est alité) par la
prescription systématique d’un laxatif
associé à des mesures hygiéno-diététiques.
*Les nausées et les vomissements sont
inconstants, ils apparaissent essentielle-
ment en début de traitement et sont géné-
ralement transitoires. Ils peuvent être
gênants et compromettre la thérapeutique
antalgique ; une prise en charge avec un
antiémétique est alors possible (9).
*La somnolence peut survenir essentiel-
lement en début de traitement et disparaître
en quelques jours. Elle peut être en rapport
avec une dette de sommeil.
*La confusion est rare en cas de cure
courte. En cas d’apparition, il faut soit
réduire la dose de morphine, soit l’arrêter
et rechercher la prise concomitante d’un
médicament dépresseur du système ner-
veux central.
!Savoir arrêter le traitement : dans le
cadre de la cure courte de morphine, l’ar-
rêt peut se faire rapidement sans craindre
un risque de syndrome de sevrage. Il est
toujours possible d’assister à la reprise,
même atténuée, des symptômes doulou-
reux, ce qui peut rendre nécessaire pendant
quelques jours la prolongation de la cure
de morphine ou bien la prescription d’un
antalgique de palier 2, comme le paracé-
tamol-codéine, ou de palier 1, comme le
paracétamol.
CONCLUSION
La disparition des réticences dans l’utili-
sation des antalgiques de palier 3 dans les
pathologies douloureuses chroniques doit
inciter à élargir maintenant leur champ
d’action. La morphine en cure courte dans
les douleurs aiguës intenses rhumatolo-
giques a désormais sa place selon le
schéma suivant :
Vouloir prescrire en fonction de l’intensité
de la douleur est plus louable que s’escri-
mer à suivre une graduation progressive
des antalgiques en fonction des réponses
au traitement : il convient, par souci d’ef-
ficacité, de choisir plutôt d’emblée un
palier 3 pour revenir à un palier inférieur.
L’enjeu de la cure courte est double : être
rapidement efficace, donc soulager au plus
vite (ce que nos patients nous réclament),
et éviter le passage à la chronicité. "
Voir bibliographie, p. 36 #
DOULEUR
La Lettre du Rhumatologue - n° 289 - février 2003
35
30 mg de codéine ~5 mg de morphine
30 mg de dextropropoxyphène ~5 mg de morphine
50 mg de tramadol ~10 mg de morphine
Cure courte de morphine :
d’emblée ou après essai des autres antal-
giques de niveau plus faible
pour une période de 7 jours en moyenne
posologie : 30 mg matin et soir
R. Trèves, P. Bertin, P. Vergne-Salle*
*Service de rhumatologie,
CHU Dupuytren, 87042 Limoges Cedex
Bibliographie
1. Attard AR, Corlett MJ, Kidner NJ, Leslie AP,
Fraser IA. Safety of early pain relief for acute
abdominal pain. Br Med J 1992 ; 305 : 554-6.
2. Vergne P, Bertin P, Trèves R, Queneau P. Quelle
place pour les opioïdes forts dans les douleurs
bénignes ? “Le médecin, le malade et la douleur”,
P. Queneau et G. Ostermann, Ed. Masson, 2000.
3. Perrot S, Bannwarth B, Bertin P et al. Utilisa-
tion de la morphine dans les douleurs rhumato-
logiques non cancéreuses. Les Recommandations
de Limoges. Rev Rhum 1999 ; 66 : 651-7.
4. The use of opioids for the treatment of chronic
pain. The Clinical Journal of Pain1997, vol. 13,
n° 1.
5. American Pain Society. Principles of analgesic
in the treatment of acute pain and cancer pain.
4eedition, Glenview, Il. ;1999.
6. Dossier du CNHIM. Traitements de la douleur,
2eédition. Dossier 2000 ; XXI : 41-4.
7. Perrot S. La morphine dans les douleurs arti-
culaires non cancéreuses. Rev Rhum 1999 ;
66 (5) : 309-16.
8. Krakowski I et al. Recommandations pour une
bonne pratique dans la prise en charge de la dou-
leur du cancer chez l’adulte et l’enfant. Bull Can-
cer 1996 ; 83 (suppl. 1) : 9S-79S.
9. Scotto di Fazano C, Grilo RM, Vergne P et al.
Intérêt de la prévention des nausées et vomisse-
ments chez des patients traités par morphiniques
pour des douleurs bénignes d’origine rhumato-
logique. Rev Fr Pharmaco Clin (à paraître).
La Lettre du Rhumatologue - n° 289 - février 2003
36
DOULEUR
Congrès de l’appareil locomoteur, samedi
29 mars, Paris
Thème : le médecin face aux indications
chirurgicales et arthroscopiques au membre
supérieur.
Renseignements et inscriptions : service de
rhumatologie, hôpital Bichat.
Tél. : 01 40 25 74 01 ; 01 40 25 87 41.
Lieu : Faculté Xavier-Bichat, 16, rue Henri-
Huchard, 75018 Paris.
Qualité des soins et économie de santé
Le meilleur soin au meilleur coût : une
volonté éthique et un objectif économique
qui pourraient enfin se rejoindre dans la
pratique médicale quotidienne. Le COSEM
(Coordination des œuvres sociales et médi-
cales) et ses quatre centres de santé pari-
siens se sont engagés depuis janvier 2002,
avec un accord de soutien du Groupe
MAAF Assurances, dans une démarche
d’évaluation de la qualité des soins qui
pourrait à terme constituer une véritable
référence. Pour y parvenir, trois supports
interactifs indispensables pour l’analyse
qualitative et quantitative finale, qui aura
lieu courant 2003, ont été définis : le dossier
médical partagé informatisé ; l’élaboration
de recommandations médicales sur huit
pathologies fréquentes dans les centres du
COSEM ; une évaluation interne et externe
de l’impact des recommandations médi-
cales sur les prescriptions et la perception
de la démarche auprès des médecins et des
patients. Saluons cette initiative ambitieuse
et rigoureuse, témoignant de la vitalité de
ces structures médico-sociales au service
constant des patients. G. Mégret
Bloc-notes
R
RÉUNIONS
ÉUNIONS S
SANTÉ
ANTÉ
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