L’AVENIR,12septembre1831,pp.13.
Jen’aipasétéleseulàmerendre,hiersoirdebonneheureau
ThéâtreItalien,pourreteniruneplaced’avance.Jenesaispourquoijeme
suisimaginéqu’ilpourroitbieneuêtredelarepriseduMatrimoniocomme
delapremièrereprésentationd’AnnaBolena,plusieursjournalistes,
aprèsavoirvainementsollicitéuneplacedanslesstallesouuntabouret
danslescouloirs,ontétéobligésd’allersepercheràl’amphithéâtre;etl’on
saitque,grâceàladistancel’onyestduthéâtreetàlaproximité
l’ons’ytrouvedulustre,ilfautserésigneràouvrirdegrandesoreillesetà
fermerlesyeux.Il//2//estvrai,lenomdeMme.Pastanesalisoitpashier
surl’affiche.CependantLablache,Rubini,undébutant,etpuisCimarosa,
lamusique...toutcelaestbienquelquechose!J’avoisvuparmoimême
qu’ilfalloitprendresesprécautionspourlesreprésentationsd’Anna
Bolena;bref,voilàcequejem’étoisfiguré,et,jelerépète,jen’étoispasle
seul;M.Robertvousfaitdecesfrayeurslà!Jesuisloindevouloirfaire
entendrequel’assembléen’étoitnibelleninombreuse.Peuàpeulesvides
ontétéremplisetlescouloirssesonttrouvésenvahis.Maiscelas’estfait
lentementetpaisiblement.Telestpourtantl’effetdecertainsmots
magiques:écrivezleslettresquicomposentlemotPastasuruneaffiche,
placardezaucoind’unerue,vousallezdéciderdusortdedeuxàtrois
centstoilettes;vousallezoccasionerundérangement,uneperturbation
radicaledanslescombinaisonsdéjàarrêtéesd’unesoiréedeParis;vous
allezforcerlemodestedilettante,l’étudiantamateuràquitterlelogisà
deuxheuresaprèsmidi,àfaireàpiedletrajetdelaplacedel’Estrapade
authéâtre,etlà,collécontrelemur,d’attendre,àlapluieouausoleil,au
froidouàlachaleur,l’heuredel’ouverturedesbureaux,repassantle
Codeoufeuilletantlejournal,ledocteurBroussaisoulaPeaudechagrin.
Or,jesuispersuadéquesil’onretranchoitsuccessivementdu
publichabituelduThéâtreItalien,ceuxquiyvontpourMme.Pasta
seulement,puisceuxquiyvontpourLablache,puisceuxquiyvontpour
l’ensemble,ou;commeilsdisent,pourlechant,puisceuxquiyvontpour
lamusiqueetlecompositeur,puisceuxquin’yvontpourriendutout,
c’estàdirepourdépenserleurargent,semontreretvoir;ehbien!ceuxqui
yvontpourlamusique,expliquonsnous,pourentendreunbelouvrage,
admirerunepartitionsublime,seroientlesmoinsnombreux.Lechant
dévorelamusique.Lecompositeurpeutsedispenserdefaireuneœuvre
musicale;iln’aqu’àdisposerunthèmepropreàfairebrillerlechanteur;il
peutsepasserdegénie,silechanteurena.Lemusicienetlamusiquene
sontrien:l’exécutionetlesexécutantssonttout.Onnevaplusentendre
Mozart,Cimarosa,Rossini;onvaentendreMlle.Sontag,Rubini,Mmes.
Pasta,Malibran.Etpourtantqu’estl’inspirationduchanteurlorsqu’elle
n’estpassoutenuedecelleducompositeur?Jesaisbienqu’ilestdes
acteursquicréentleurrôle,quifontdetellesortequel’auteursetrouve
avoirplusd’espritqu’iln’ena,plusdeconnoissanceducœurhumain
qu’iln’ena;quiregardentl’œuvredupoèteoudumusicien,àpeuprès
commeuncanevassurlequelilscomposentunautreoeuvrepluscomplet,
plusprofond.AinsiLeKain,dansMahomet,étonnoitVoltaireluimême.
Maisjesaisaussiquelorsquel’artduchanteurnesebornequ’àunpur
mécanismedelavoix,cemécanisme,toutdignequ’ilestdenotre
admiration,nesuffitpaspourremplacerlamusique.Lepointessentiel
aujourd’huiestuneexécutionparfaite;pourlereste,onnes’enoccupe
L’AVENIR,12septembre1831,pp.13.
pas.Lemomentviendrapeutêtrel’onseraplusindulgentpour
l’exécution,plussévèrepourlacomposition.Jenedispasquecelasera
bienainsi;jedisseulementquecelaseramieux.
Certesjesuisloind’appliquerlesobservationsquejeviensdefaire
àdesacteurstelsqueRubini,MmePastaetleursrivauxdanslechant.Je
parleseulementdesdispositionsdupublic.J’aidéjàexprimémonopinion
surRubini,sursaméthodesiparfaite,songosiersisuave,sontalent
prodigieuxdenuances,sessonssipénétrants,sivibrants,qu’ilsfonts
éprouvercommeunfrémissementintérieur,lescontrastessihabilement
ménagésdesdiversregistresdesavoix,sarespirationsilibre,sisoutenue
etsipuissante,enunmotsurtouteslesqualitésqu’ilnousafaitadmirer
hierausoirLablacheaétécequ’ilesttoujours,excellent,pleindeverveet
d’entraînement.Ilestjustededirequelerestedelatroupeatrèsbien
secondécesdeuxchefsdefile.MmeTadoliniaobtenusouventdes
applaudissementsdebonaloi,aussisincèresquemérités,etlamanière
dontelleachantélepremierduodupremieracte,etceluidusecondavec
Rubini,estdignedetoutéloge.MlleAmigoareparuaveclesdéfautsetles
qualitésqu’onluiconnoît;ilestjustededirepourtantqu’elles’esttirée
heureusementdeplusieurstraitsdechantetqu’elleafaitsonnerquelques
bellesnotesdanslegrave.
LerôledeilconteRobinsoneaétéditd’unemanièretrèssatisfaisante
parBerettoni.Bienquecechanteursoitdoué,commeacteur,d’une
certaineaisanceetd’unecertainehabitudedelascène,ilestàprésumer
qu’ilsemontreraavecplusd’assuranceuneautrefois.Savoixal’étendue
d’unbarytongrave,etellenemanquepasd’égalité,maiselleestunpeu
sourdeetn’estpasasseznourrie.Dureste,Berettoniestunchanteur
expérimenté,et,sansprétendrefaireaucunecomparaison,nousne
doutonspasqu’ilneremplacemomentanémentZuchellid’unefaçonfort
raisonnable.
Unemusiquequisemblegagnerenfraîcheur,ensuavité,en
éléganceàmesurequ’ellevieillit;unemusiquedontrienneternitl’éclat,
querienn’use,nil’habitudedel’entendre,nilesamplificationsdesuns,ni
lesplagiatsdesautres,telleestlamusiqueduchefd’œuvredeCimarosa.
Tantilestvraiquelajeunessedelanatureestéternelle!queriennepeut
souillerlegéniequandilafaitvœudevirginité!Cimarosa!talentpuret
modeste!espritoriginal!Etl’originalité,qu’estce?Jenemelasseraijamais
deledire://3//c’estleplushautdegrédenaturel.C’estparcequ’ilssont
originaux,c’estàdireéminemmentnaturels,queMolièreetLaFontaine
sontinimitables.Or,lanature,latrouveton?Danssonproprecœur,
lorsqu’onn’apasbrisécesrapports,cesharmoniesquiexistententrel’ame
del’hommeettouslesêtrescréésquiontuneameaussi,etlagrandeame
delanature,etl’infini,etDieu;danssonproprecœur,lorsqu’ony
descendpouryinterrogerensilencecetéchomultipledetoutesles
vibrationsdel’humanité.C’estlorsqu’onserenfermedanscesanctuaire,
danscesecretfoyerdetouteinspirationqu’onenvoitjaillirdeces
flammespures,limpides,vives,sublimes,commeontfaitCimarosaetle
divinMozart,cetangeraphaélique,etGluck,leCorneilledelatragédie
lyrique,etceWeber,passionné,mystique,abstrait,sauvageetparfois
L’AVENIR,12septembre1831,pp.13.
presquefauve;etcegénieduNord,cebardedumoyenâge,cettegrande
figurequisembleerreurtriste,fantasque,surlesruinesdumonde
primitif,Beethovenenunmot;etnotreRossinienfin,quin’estgrand,qui
n’estgéantqu’àcettecondition.Etc’estlà,aprèstout,cequ’ontfaitles
Werner,lesByron,lesGoethe,lesChateaubriand,etceNovalisquenous
neconnoissionspasilyaquelquejours,etquemaintenantnous
connoissonssibien!C’estdelà,decelaboratoireintimequesontsortisle
Moïsed’AlfreddeVigny,leBonapartedeLamartine,etleDidier,
l’admirableDidierdeVictorHugo.Etmoisjedisquequandonseretirelà,
danssoname,pourycouveramoureusementsongénie,pourle
réchaufferincessamment,lepréserverducontactd’unartfacticeetfardé
alorsqu’ils’enéchappe,sousdesformesrayonnantes,despensées
sublimes,d’immortellescréationsquis’élèventd’autantplushautqueleur
sourceestplusprofonde.Unefoisquevousêtesainsidescendulà,dans
votrecœur,viennelafouledesimitateurs,descopistes,desbroyeurs,ne
craignezrien:ilsnevoussupplanterontpas,ilsn’usurperontpasvotre
rang,carenfinvousêteslà,chezvous,dansunasileimpénétrable,etvotre
génien’estpasdépossédépourlesavoirprotégésquelquesinstantscontre
leurproprefoiblesse,pourleuravoirlaisséprendrequelquepeu
d’hospitalité.Quesivousensortezparintervalles,quecenesoitpas
pourdisperserletrésorquevousrecélezaudedans,quecesoitpour
l’augmenter,pourrevenirplusriche;nelaissezpaséteindrecefoyer,et
avantdelequitter,n’oubliezpasdecouvrirlabraisesouslescendres.Si,
aucontraire,vouslaissezévaporervosinspirationsaugrandair,au
souffledelamode,sic’estdansunboudoirparfumé,auxroulades
capricieusesd’uneprimadonna,auxfantaisiesd’unpianisteJeuneFrance,
quevousallezsaisirauvollestraitsprincipauxdevotreœuvre,oh!alors
neditespasquevousaimezl’art,neprenezpaslenomd’artiste,parceque
l’artn’apasdeplusmortelsennemisquevous:ceseroituneperfidie!
LesœuvresdeCimarosa,dePaesiello[Paisiello],dePaërforment
l’ancienneécolebrillantedel’opéraItalien.Rossinifondittousces
élémentsdansunnouveausystèmeplusvivant,maisaussiplusmatériel.
Uneécoledégénéréeaprétendusegreffersurcesystème,etdéjàelle
sembleundecesrameauxmortssuruntroncpleindevigueur.Viendra
uncoupdeventquil’abattra,etl’arbreresterabeau.IlMatrimonio
présentetouscesélémentsdansleurgerme,dansleurpuretéprimitive.
L’ouverture,pleined’idéescharmantesetdemélodiesfraîcheset
originales,n’estpasunchefd’œuvredemusiqueinstrumentale.Etl’art,
mêmeaujourd’hui,sortiplusbrillantdesmainsdeRossini,n’estpasplus
avancésouscerapport.Maisqued’inventiondanslamusiquedudrame!
qued’esprit,degrâce!commetoutcelaestcrée!Queltalentilafallupour
soutenirl’intérêtmusical,sanslesecoursdeschœursetdesgrands
appareilsdelascènequijouentmaintenantunsigrandrôledansnotre
systèmemoderne!J’aioubliédediretoutàl’heurequeletriodestrois
femmes,cemodèledefacture,decomique,deverve,aétéditavec
beaucoupd’ensembleparMmes.Tadolini,RossinietAmigo.
L’opéradeCimarosaserad’unbonsecourslesjoursles
dilettantiserontprivésdelaprésencedeMme.Pasta;etl’onpeutprédireà
M.Robertquel’assembléeneseranimoinsnombreuse,nimoinsbrillante
L’AVENIR,12septembre1831,pp.13.
qu’hier.Enattendant,Mme.PastavareparoîtredansAnnaBolena,opéra
dontlesuccèsvatoujourscroissant,grâceautalentprodigieuxqu’y
déploientcetteadmirablecantatrice,RubinietLablache,etdansTancredi,
cemêmetrioreparoîtradansunéclatnouveau,pourunnouveau
triomphe.
Uneréformevientd’êtrefaitenouvellementdansl’orchestre.Après
avoirétésuccessivementsouslesordresdeM.Girard,sousceuxdeM.
Payer,pendantlasaisonduThéâtreAllemand,cetexcellentorchestrea
prispourchefM.Vidal,jeuneartistepleindetalent,etquidonnetousles
joursdespreuvesdesonhabileté.Rienenfinnepeutarrêterlessuccèsde
M.Robert,nilespréoccupationspolitiques,nil’étatdesaffaires,nimême
lesuccèsdeMarionDelorme.
J.D’O....
Ledey[bey]d’Alger,àl’OpéraniauBouffes,n’aencorepu
entendredepartitiondeRossini;aussiatiltémoignéledésird’assister
lundi,àl’Académieroyaledemusique,àlareprésentationduComteOry.
CetopéraserasuividuDieuetlaBayadère.
L’AVENIR,12septembre1831,pp.13.
JournalTitle:L’AVENIR
JournalSubtitle:None
DayofWeek:lundi
CalendarDate:12SEPTEMBRE1831
Pagination:
1à3
TitleofArticle:IlMatrimoniosecreto,musiquedeCimarosa.
DébutdeBerettoni.[Feuilletondel’Avenir]
SubtitleofArticle:None
Signature:J.D’O....
Pseudonym:None
Author:Josephd’Ortigue
Layout:Frontpagefeuilleton
Crossreference:ReprispartiellementdansleBalcondel’Opéra
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