Vol. 2 no 2, Automne 1998 INTERACTIONS
LA RELATION D’AIDE PONCTUELLE
Yves St-Arnaud
Université de Sherbrooke
RÉSUMÉ
La psychologie des relations humaines comprend l’exercice de plusieurs
rôles dont celui d’aidant. La relation d’aide ponctuelle est un mode
d’intervention qui applique, dans le contexte de l’aide qu’on apporte à une
personne, les principes et les particularités de l’intervention en
psychologie des relations humaines. L’accent est mis, en particulier, sur la
coopération et l’utilisation des ressources de la personne qui demande de
l’aide. Deux fonctions servent à décrire les ressources de la personne
aidante : une fonction de suppléance et une fonction d’assistance. Elles
sont mises en relation avec les ressources de la personne aidée pour
définir et illustrer quatre volets de compétences. Celles-ci permettent à la
personne aidante de procéder à des expertises sur le contenu (volet I),
d’utiliser les ressources de la personne aidée pour assurer la qualité de la
suppléance (volet II), de gérer le processus d’intervention (volet III) et
d’activer les ressources de la personne aidée pour qu’elle puisse mieux
recevoir l’information en provenance de son organisme et de son milieu,
faire des choix personnels et agir de façon efficace (volet IV).
INTRODUCTION
L’expression relation d’aide évoque un domaine d’intervention psychologique qui se
caractérise par la diversité des méthodes d’intervention et par la confusion du
vocabulaire utilisé pour le désigner. Trois termes sont utilisés, sans que l’on
parvienne à les définir de façon univoque : relation d’aide, counseling et
psychothérapie. Les deux derniers termes ont servi historiquement à distinguer deux
types de services psychologiques dans le contexte nord-américain, mais au dire de
plusieurs auteurs, cette distinction perd de plus en plus sa signification (Biggs, 1994,
Rickey, L. G. et Christiani, T. S. (1995), Cottone (1992). L’émergence des thérapies
brèves, en particulier, a contribué fortement à remettre en question la pertinence de
distinguer ces deux modalités d’intervention (voir Hoyt, 1995). Un récent symposium
sur le sujet, tenu au Québec, a permis de constater que la distinction est remise en
question par certains (Lecompte, 1997, St-Arnaud, 1997b) et souhaitée par d’autres
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pour désigner une intervention dans un contexte de croissance, d’apprentissage et de
prévention (Bujold, 1997), ou même pour « radicaliser la différence » (Lhotellier,
1997). Le vocabulaire utilisé dans le présent article adopte la position de Ivey et
Simek-Downing (1980), citée par Biggs (1994) dans son dictionnaire du counseling :
relation d’aide est un terme générique qui désignera le cadre général d’une
intervention auprès d’une personne, alors que les termes counseling (sous un vocable
plus approprié) et psychothérapie désigneront deux modalités d’intervention, deux
façons de faire une relation d’aide.
L’expression relation d’aide ponctuelle a été créée non pas d’abord pour désigner un
nouveau modèle (bien que les innovations n’y soient pas exclues) que pour adapter
au contexte de la psychologie des relations humaines l’approche humaniste-
existentielle. Dans le vaste champ de la relation d’aide, les modèles d’intervention
sont très nombreux et souvent on les qualifie en fonction d’une approche: cognitive,
comportementale, éclectique, gestaltiste, humaniste-existentielle, multimodale,
psychanalytique, transthéorique, etc. Bien que les modèles d’intervention foisonnent,
aucun, à lui seul, ne répond aux exigences de la relation d’aide telle qu’elle s’exerce
dans le contexte de la psychologie des relations humaines. Le but du présent article
est de combler cette lacune. Sous le titre relation d’aide ponctuelle, on trouvera un
mode d’intervention qui peut être utilisé autant par des personnes qui pratiquent la
psychologie des relations humaines avec une formation générale dans ce domaine que
par des personnes qui ont, en plus, une formation en psychothérapie.
Dans le contexte où se pratique la psychologie des relations humaines, le format
prend une importance primordiale. Que ce soit dans le cadre d’un programme d’aide
aux employés (PAE) ou dans le cadre d’un service public (CLSC, CSST), le peu de
ressources professionnelles disponibles et les contraintes institutionnelles obligent les
personnes qui interviennent à limiter a priori le nombre de rencontres qu’elles
peuvent offrir. La relation d’aide ponctuelle est un mode d’intervention qui peut
s’adapter à ces contraintes.
En bref, l’expression relation d’aide ponctuelle est utilisée pour désigner un mode
d’intervention de type humaniste-existentiel; un mode d’intervention qui soit en
harmonie avec le profil de compétences pour intervenir en psychologie des relations
humaines (St-Arnaud, Y.,1997a); un mode d’intervention qui prend en considération
le format imposé par les contraintes institutionnelles; un mode d’intervention qui
intègre plusieurs innovations contemporaines comme on le verra au cours de l’article.
Un exemple de demande d’aide servira à illustrer quelques facettes de la relation
d’aide ponctuelle. Un ensemble de compétences sera ensuite proposé pour mener à
bien une telle relation.
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ILLUSTRATION : LE CAS DE MONSIEUR PER
Doris travaille comme psychologue dans un Service d’aide aux employés pour un
établissement de santé. Monsieur PER, un professionnel à l’emploi de cet
établissement, demande une relation d'aide pour traiter d’un problème personnel. Il a
27 ans et sa femme Karine en a 24. Le couple avait décidé d'attendre quelques années
avant d'avoir un enfant. Karine vient d’apprendre qu'elle est enceinte. « C'est un
accident », selon les mots mêmes de Monsieur PER. Celui-ci souhaite que Doris
l'aide à trouver des arguments pour convaincre Karine de se faire avorter. Voici un
résumé du dialogue initial entre Monsieur PER et Doris.
Monsieur PER
Doris 1 Bonjour Monsieur PER, que puis-je faire pour vous?
M.PER Il s’agit d’un problème familial. Ma femme, Karine, m’a appris hier qu’elle est
enceinte et j’aimerais trouver des arguments pour la convaincre de se faire avorter
Doris 2 Je comprends que, vous-même, vous ne voulez pas de cet enfant
M.PER C’est juste. Nous avions décidé, Karine et moi, de ne pas avoir d’enfant avant trois ou
quatre ans. C’est un accident.
Doris 3 Vous me demandez des arguments pour convaincre Karine de se faire avorter; je
serais plus à l’aise si Karine avait son mot à dire. Ce que je peux vous offrir, c’est devous aider
à explorer différentes solutions que vous pourriez discuter avec Karine.
M.PER Il n’y a pas trente-six solutions; il faut que Karine accepte de se faire avorter.
Doris 4 Vous êtes convaincu que c’est la seule solution...; et vous aimeriez que Karine
l’endosse...
M. PER Karine était d’accord, mais elle en a parlé à sa mère qui est une « pro-vie » enragée
et maintenant, elle hésite. Il faut trouver des arguments pour la convaincre.
Doris 5 Je vous sens pressé de trouver de bons arguments, mais cela me semble prématuré.
M.PER J’ai lu qu’un bébé qui n’est pas désiré aura des problèmes psychologiques toute sa
vie.
Doris 6 Avant de passer aux arguments, dans une situation aussi personnelle, il me semble
préférable de se reprendre en main. Est-ce que je me trompe en disant que présentement vous
êtes un peu en état de panique?
M. PER Non; c’est vrai que je me sens affolé.
Doris 7 J’ai l’impression que vous êtes sous le choc de découvrir que Karine est enceinte
malgré vos précautions pour éviter un enfant.
M. PER Si je venais vous voir avec Karine, est-ce que vous pourriez la convaincre de se faire
avorter?
Doris 8 Ce n’est pas mon rôle de convaincre qui que ce soit, mais dans une rencontre à trois,
je pourrais vous aider à résoudre votre divergence et à faire des choix. Pour l’instant ce que je
peux faire pour vous aider c’est de vous inviter à parler de ce que vous vivez personnellement
dans cette situation.
M. PER Je n’ai pas dormi de la nuit; on s’est chicané toute la nuit Karine et moi.
Doris 9 J’ai l’impression que vous avez besoin de temps pour digérer le choc que vous
vivez...
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[Le dialogue se poursuit pendant 30 minutes.]
M. PER Je ne sais plus quoi penser.
Doris 10 C’est tout le temps dont nous disposons aujourd’hui, mais, si vous le souhaitez, nous
pourrions nous revoir...
M. PER J’aimerais vous revoir. Je sens que j’ai besoin de parler. C’est vrai que j’ai réagi avec
panique, mais déjà, je me sens moins tendu.
LA RELATION D’AIDE PONCTUELLE
La relation d’aide ponctuelle s’établit lorsqu’une personne consulte au sujet d’une
situation qui constitue une menace ou un défi pour son développement psychosocial.
Le mot ponctuel, dans son sens figuré, signifie : « Ce qui ne concerne qu’un point,
qu’un élément d’un ensemble » (Le Petit Robert). Bien qu’une personne puisse
souhaiter à un moment de sa vie entreprendre une démarche de psychothérapie
portant sur l’ensemble de sa personnalité, lorsqu’on lui offre une aide ponctuelle, on
part d’un événement précis ou de circonstances particulières qui ont fait émerger en
elle une difficulté de fonctionnement au plan psychologique. Le modèle
d’intervention présenté ici suppose que l’on puisse identifier « un point » ou « un
élément » que l’on désigne comme la situation à changer. Cette particularité n’exclut
pas cependant que le changement puisse impliquer l’ensemble de la personnalité.
Dans le dialogue entre Doris et Monsieur PER, il est évident que la réaction de celui-
ci face à l’annonce que sa femme est enceinte pourrait faire l’objet d’une demande
d’aide. Monsieur PER pourrait découvrir, par exemple, que des aspects plus ou moins
pathologiques sont à l’origine de son besoin de tout contrôler dans sa vie personnelle
et considérer que ce besoin excessif de contrôle est un handicap dans ses relations
interpersonnelles. Il pourrait alors envisager une psychothérapie visant à modifier cet
aspect de sa personnalité. Dans la demande présentée à Doris, telle n’est pas son
besoin, ni l’objet de sa demande : il demande de l’aide pour changer une situation
sans manifester aucune intention de se changer. Quelle que soit la demande, la
relation d’aide ponctuelle exige que l’on détermine d’abord un point précis qui fera
l’objet d’un contrat d’intervention réalisable dans un nombre très limité de
rencontres. À ce titre, elle bénéficie de tous les travaux de recherche qui se sont faits
autour de ce qu’on a appelé la « psychothérapie brève » (Hoyt, 1995).
L’exemple de Monsieur PER illustre une des caractéristiques de toute intervention en
psychologie des relations humaines, qui consiste à procéder à ce qu’on appelle une
entrée; c’est une étape au cours de laquelle on cherche à définir la situation à changer,
le résultat attendu et les règles du jeu. On observe dans le cas cité un phénomène
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fréquent dans une relation d’aide ponctuelle : la nécessité de recadrer la demande
initiale. Il est évident, en effet, que Doris refuse d’être complice d’une recherche
d’arguments visant à imposer une décision à Karine; celle-ci fait partie du système-
client, tel que défini par Doris. Trois possibilités ont été offertes, compatibles avec
une intervention en psychologie des relations humaines : 1) explorer différentes
solutions (intervention 3), 2) aider le couple à faire un choix par mode de consensus,
ce qui aurait amené Doris à exercer davantage un rôle de médiateur, ou 3) aider
Monsieur PER à se ressaisir. À partir de l’intervention 8, Monsieur PER s’engage
dans la relation d’aide qui correspond à cette troisième option; à la fin du dialogue, il
demande de poursuivre cette démarche.
Comme tous les autres rôles12 exercés en psychologie des relations humaines, le rôle
d’aidant exige que l’on structure, dès le point de départ, une relation de coopération.
Par définition, la coopération comporte trois éléments : un but commun, une
définition précise des champs de compétence de chacun des partenaires et un
équilibre du pouvoir en fonction de ces champs de compétence (St-Arnaud, 1995, p.
138-139). Dans la gestion d’une relation d’aide, les premières minutes d’une
rencontre unique, ou la première rencontre d’une intervention qui en comprend de six
à dix, permettent ordinairement de s’entendre rapidement sur un but commun. La
définition des champs de compétence et du type d’influence qu’on exercera de part et
d’autre est une opération plus complexe qui amène les partenaires à clarifier leurs
conceptions respectives du changement personnel. Dans le dialogue avec Monsieur
PER, Doris a limité son champ de compétence, à l’intervention 8, en précisant que
son rôle n’était pas « de convaincre qui que ce soit ». Il reste à définir positivement
les champs de compétence de toutes les personnes impliquées dans l’intervention.
LES CHAMPS DE COMPÉTENCE
Pour comprendre les compétences que l’on met à la disposition d’une personne qui
demande de l’aide, il faut d’abord traiter des ressources de la personne aidée. La
perception que l’on aura de celles-ci influencera le choix que l’on fera des stratégies
d’intervention. Les ressources de la personne aidante seront décrites, quant à elles, à
partir de deux grandes fonctions dites de suppléance et d’assistance. La première
comprend toutes les interventions qui servent à transmettre une expertise sur la
situation ou à gérer le processus même de l’intervention. La seconde comprend toutes
les interventions par lesquelles la personne aidante utilise ou active les ressources de
la personne qui consulte.
12 La liste des rôles varie selon les auteurs, mais on y retrouve, par exemple, les rôles d’agent
de feed-back, d’analyste, d’aidant, d’animateur, de coach, de conseiller, de formateur et de
médiateur.
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