Le radeau sans la méduse - RGO : une physiopathologie complexe

La barrière antireflux
Les deux principaux éléments consti-
tutifs de la barrière œsophagienne sont :
le sphincter inférieur de l’œsophage
(SIO) constituant un sphincter interne
et le muscle diaphragmatique consti-
tuant un sphincter externe. Une hernie
hiatale dissocie le SIO du diaphragme
et prédispose au RGO.
Le mécanisme le plus fréquent à l’origine
des épisodes de RGO est la survenue
de relaxations transitoires du SIO
(RTSIO). Une RTSIO est une relaxation
du SIO, non induite par la déglutition,
survenant aussi bien chez les sujets sains
que chez les patients souffrant de RGO,
essentiellement pendant les deux heures
suivant le repas. Il s’agit d’un reflexe
nerveux, déclenché par la distension de
l’estomac proximal. Chez les sujets sains,
30 % des RTSIO sont accompagnées
d’un reflux, alors que ce reflux survient
dans 65 % des cas de RTSIO chez les
patients symptomatiques.
Aucun “prokinétique” n’est capable de
réduire les RTSIO, mais, récemment, le
baclofène, agoniste des récepteurs de
type B de l’acide gamma-aminobutyrique,
a été montré efficace pour inhiber les
RTSIO et réduire le reflux. Ses effets
secondaires empêchent son utilisation
en pratique. En thérapeutique, on ne peut
donc que contrôler les conséquences
des RTSIO, mais l’on n’est pas encore
capable de corriger le mécanisme physio-
pathologique principal du RGO.
Composition du reflux
Le reflux qui arrive au contact de la
muqueuse œsophagienne peut être très
acide (pH < 4), modérément acide (pH
entre 4 et 6) ou non acide. Il peut s’agir
d’un mélange de gaz et de liquide, ou de
liquide pur, pouvant ou non contenir de la
bile. Toutes ces données ont été acquises
en combinant l’impédancemétrie intra-
luminale (permettant de dépister un re-
flux volumique et sa composante liquide
et/ou gazeuse), la pHmétrie et la mesure
de la bilirubine dans l’œsophage (2).
Le reflux d’acide gastrique est classi-
quement à l’origine des symptômes et
des lésions du RGO. Le mélange intra-
gastrique est probablement inhomogène
et la formation de couches de viscosités
différentes dans l’estomac pourrait influer
sur la distribution de l’acide dans le con-
tenu gastrique, certaines données étant
en faveur de la formation d’une bulle
acide sous-cardiale après les repas, qui
refluerait préférentiellement.
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Question d’actualité
Supplément à La Lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 1 - vol. VIII - janvier-février 2005
Question d’actualité
Le radeau sans la méduse
RGO : une physiopathologie complexe
avec de multiples facteurs d’agression
de la muqueuse œsophagienne
M.A. Bigard*
“Le Radeau de la Méduse”, célèbre
tableau peint par Géricault (1791-1824).
Cette énorme peinture (H 4,91 m-L 7,16 m)
illustre la tragédie du radeau dérivant au
large des côtes du Sénégal en juillet 1816
avec 149 marins de la frégate La Méduse.
Après 12 jours, seuls 15 survivants ont été
recueillis par l’Argus. Le tableau, controversé
en raison de son aspect macabre, fut exposé
en Salon de 1819 et est le premier exemple
épique du romantisme.
* Service d’hépato-gastroentérologie, CHU
de Nancy.
Un reflux non acide peut également
contribuer aux lésions et aux symptômes.
Le reflux du contenu duodénal (sécré-
tion bilio-pancréatique) dans l’estomac
est un phénomène physiologique se
produisant surtout après les repas.
Il est donc fréquent que le reflux con-
tienne des sécrétions duodénales, pan-
créatiques et de la bile. Chez l’animal, il
a été montré que la muqueuse œsopha-
gienne était relativement résistante au
reflux d’acide isolé à moins que la
concentration d’acide soit très élevée
(pH < 1,3), ce qui est rarement enregis-
tré au niveau de l’œsophage (3).
L’addition de pepsine à faible concentra-
tion induit des lésions œsophagiennes
si le pH est inférieur à 2. Les acides bi-
liaires conjugués sont toxiques pour la
muqueuse à pH acide mais les acides
biliaires non conjugués sont plus agres-
sifs à pH neutre (1). Il n’y a pas de rela-
D
epuis quelques années,
des progrès importants
ont été faits dans la
connaissance de la physio-
pathologie du reflux gastro-
œsophagien (RGO) et de
l’œsophagite par reflux. La
physiopathologie du RGO est
clairement multifactorielle.
Le déplacement du contenu
gastrique dans l’œsophage
est le facteur principal de
production des symptômes
et des lésions. Les facteurs
surajoutés importants sont
constitués par les anomalies
motrices de l’œsophage et
de l’estomac, l’agressivité du
liquide de reflux et l’altération
de la barrière muqueuse de
l’œsophage (1).
tion entre concentration en acides biliaires
et sévérité de l’œsophagite (1). Une
méthode avec aspirations ambulatoires
du liquide de reflux a montré que le reflux
de bile et d’enzymes pancréatiques se
produisait fréquemment chez les patients
atteints de RGO.
La sonde Bilitec®est une sonde spectro-
photométrique utilisant la bilirubine
comme marqueur de la présence du
contenu duodénal. Il existe une bonne
corrélation entre la concentration en bili-
rubine mesurée par cette sonde optique
et la concentration totale en bilirubine,
les concentrations en acide biliaire et
en enzymes pancréatiques.
Les études ayant recherché la relation
entre symptômes typiques de reflux et la
nature de son contenu (acide ou biliaire)
ont montré que le reflux duodéno-gastro-
œsophagien ne semblait pas être un fac-
teur important de production de symp-
tômes typiques œsophagiens (4).
Il a été montré, par contre, qu’il existait
une augmentation progressive du reflux
duodéno-gastro-œsophagien tout au long
du spectre que constitue le RGO avec une
prévalence élevée chez les patients at-
teints d’œsophagite compliquée comme
l’endobrachyœsophage (5).
Un effet synergique de reflux acide et
de reflux duodénal contribue à la ge-
nèse des lésions œsophagiennes. Le
reflux duodéno-gastro-œsophagien a un
rôle chez les patients présentant des symp-
tômes persistants de reflux malgré une
thérapeutique avec des doses standard ou
élevées d’inhibiteurs de la pompe à pro-
tons. Dans un groupe de 65 patients (1)
ayant toujours un pyrosis ou des régur-
gitations malgré 3 mois de traitement par
fortes doses d’IPP, les enregistrements
combinés ont montré un reflux acide
anormal chez 37 % des patients et un
reflux duodéno-gastro-œsophagien chez
64 % des patients. Seulement 11 % des
malades avaient uniquement une expo-
sition acide pathologique, 38 % avaient
uniquement un reflux duodéno-gastro-
œsophagien, et 26 % avaient un reflux
anormal mixte. La persistance d’une
œsophagite érosive était en rapport
avec la présence d’un reflux anormal
mixte.
Implications cliniques
La conférence de consensus franco-
belge (6)a clairement énoncé que l’ob-
jectif majeur et le plus souvent suffisant
du traitement était “le soulagement des
symptômes, permettant un retour à une
qualité de vie normale”.
La stratégie initiale recommandée dis-
tinguait deux situations cliniques en cas
de symptômes typiques (pyrosis et/ou ré-
gurgitations acides), sans signes d’alarme :
symptômes typiques espacés : un trai-
tement à la demande par alginates, anti-
acides ou anti-H2 faiblement dosés, en
association à une information sur les me-
sures posturales et hygiénodiététiques ;
symptômes typiques rapprochés : un
traitement pendant 4 semaines par IPP
demi-dose ou anti-H2 à dose standard.
En ce qui concerne la prise en charge
à long terme, le jury de la Conférence
de consensus distinguait quatre situa-
tions cliniques :
en cas de disparition des symptômes :
le traitement initial doit être arrêté, sauf en
cas d’œsophagite sévère ou compliquée ;
dans les cas fréquents de récidives très
espacées des symptômes, il est recom-
mandé de traiter de façon intermittente
les patients en reprenant le traitement
initialement efficace (alginates, anti-
acides ou anti-H2 faiblement dosés) ;
les patients avec des rechutes fré-
quentes et précoces à l’arrêt du traitement
nécessitent un traitement d’entretien par
IPP à doses adaptées ;
enfin, lorsque la nécessité d’un trai-
tement d’entretien est certaine, le choix
entre la chirurgie ou le maintien du trai-
tement médical doit se discuter. Toute-
fois, une confirmation diagnostique doit
être faite en raison du caractère excep-
tionnel de l’échec d’un traitement médi-
cal bien conduit et des conséquences
d’une décision opératoire.
La compilation de trois essais multi-
centriques, randomisés, contrôlés, en
double aveugle dans le reflux avec endo-
scopie négative, a permis d’évaluer l’effi-
cacité de l’oméprazole 20 mg/j et de
l’ésoméprazole 20 ou 40 mg/j. Au bout
de 4 semaines de traitement, le pyrosis
avait disparu dans les mêmes proportions
dans chaque bras thérapeutique (7).
Le taux de succès (absence de pyrosis
pendant les 7 derniers jours) variait en
effet de 58,1 % à 67,9 % avec l’omépra-
zole 20 mg/j, de 60,5 % à 61,9 % avec
l’ésoméprazole 20 mg/j et de 56,7 % à
70,3 % avec l’ésoméprazole 40 mg/j. Il
n’y avait pas de différence significative
entre les trois traitements, ce qui de dé-
montre que l’augmentation de l’effet anti-
sécrétoire ne permet pas de contrôler plus
fréquemment les symptômes chez les
patients souffrant de RGO non érosif,
patients les plus fréquents en pratique (7).
À côté des médicaments visant à dimi-
nuer le contenu acide du liquide de reflux,
il faut noter l’existence de traitements
visant à limiter le reflux lui-même : les
alginates ; ceux-ci précipitent et forment
un gel en présence d’acide. Les formu-
lations à base d’alginate contiennent du
bicarbonate de sodium ou de potassium
qui donne un dégagement de CO2en
présence d’acide. Le gaz carbonique
est enclavé dans le gel, ce qui aboutit
à la formation d’une mousse flottant à
la surface du contenu gastrique à la façon
d’un radeau sur une rivière (8). La résis-
tance de ce radeau en fait une barrière
efficace contre le reflux. De plus, en
cas de reflux sévère, ce radeau, plus léger
que le contenu gastrique, va refluer en pre-
mier dans l’œsophage pour former un
écran de protection de la muqueuse œso-
phagienne. Grâce à son pH proche de la
neutralité, il protège l’œsophage de l’aci-
dité gastrique, dans le respect de la phy-
siologie de l’estomac. Les essais contrô-
lés ont montré que les alginates avaient un
effet symptomatique significativement
supérieur à celui du placebo (8). Ainsi
ce radeau diminue la fréquence et la
durée des épisodes de reflux, amendant
efficacement la symptomatologie cli-
nique avec 84 % de soulagement sur le
pyrosis et la dyspepsie, après seulement
2semaines de traitement (9).
La solidité du radeau d’alginate dépend
de plusieurs facteurs parmi lesquels on
peut citer la quantité de CO2produite
et contenue dans le radeau, les pro-
priétés de l’alginate utilisé et la présence
de calcium dans la préparation. La for-
Supplément à La Lettre de l’hépato-gastroentérologue - n° 1 - vol. VIII - janvier-février 2005 19
Question d’actualité
Question d’actualité
mation du radeau est très rapide : les
alginates sont efficaces en moins de
15 minutes chez deux tiers des patients
(9). L’alginate est retenu plus long-
temps que les anti-acides dans l’esto-
mac, l’action thérapeutique est donc
plus prolongée (8).
Les alginates/anti-acides sont aujour-
d’hui les classes thérapeutiques les plus
prescrites après les IPP, comme en
témoigne une enquête nationale réalisée
sur un échantillon de près de 8 000 per-
sonnes (10). Quelles sont les raisons d’un
tel succès ? Probablement, parce qu’il
s’agit d’une classe thérapeutique intéres-
sante en monothérapie en cas de symp-
tôme typique espacé, mais l’on peut aussi
se demander si cette classe ne représente
pas un traitement additionnel pour com-
pléter une thérapeutique antisécrétoire
en cas de résultats insuffisants…
Références
1. Tack J, Sifrim D. Progrès dans la compréhension
de la physiopathologie du reflux gastro-œsophagien.
In : M.A. Bigard. Le reflux gastro-œsophagien –
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3. Goldberg HI, Dodds WJ, Gee S et al. Role of
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Gastroenterology 1969;56:223-30.
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negative reflux disease: the effect of treatment with
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8. Mandel KG, Daggy BP, Brodie DA, Jacoby HI.
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treatment of heartburn and acid reflux. Aliment
Pharmacol Ther 2000;14:669-90.
9. Chevrel B. A comparative crossover study on
the treatment of heartburn and epigastric pain:
liquid Gaviscon and a magnesium-aluminium
antacid gel. J Int Med Res 1980;8:300-2.
10. Bretagne JF, Richard-Molard B, Honnorat C
et al. Le reflux gastro-œsophagien dans la popula-
tion française : résultats d’une enquête nationale
réalisée auprès d’un échantillon de près de 8 000 per-
sonnes âgées de 18 ans et plus. Gastroentérol Clin
Biol 2004;28:A128.
Question d’actualité
Vocabulaire
Vocabulaire
Anti-VEGF
J. Belloc, G. Bellaïche*
L’angiogenèse est un processus physio-
logique normal survenant au cours
de l’embryogenèse et de la période post-
natale. L’angiogenèse “pathologique” se
développe dans des situations particulières
comme l’hypoxie et les tumeurs.
L’angiogenèse tumorale est indispen-
sable au développement de la tumeur,
assurant une oxygénation et une ali-
mentation suffisantes des cellules tumo-
rales. Elle favorise la dissémination des
cellules tumorales à distance et le déve-
loppement des métastases (1).
Au cours de l’angiogenèse tumorale,
l’équilibre entre les facteurs pro- et anti-
angiogéniques est rompu en faveur des
signaux pro-angiogéniques, dont le
VEGF. La surexpression du VEGF au
moment de la conversion angiogénique
de la tumeur est induite par différents
facteurs tels que l’hypoxie, l’activation
d’oncogène et la perte de gènes supres-
seurs de tumeurs (2).
Le VEGF, glycoprotéine, déclenche le
développement de néovaisseaux en se
fixant sur son récepteur au niveau de la
cellule épithéliale, cellule stable non
exposée à des mutations au cours de
l’évolution de la tumeur.
Les anticorps anti-VEGF présentent
une nouvelle arme thérapeutique. En
se fixant sur le récepteur du VEGF, ils
inhibent la migration et la multiplica-
tion cellulaire.
En pratique, dans le cancer colorectal
métastatique, une étude de phase III
montre une augmentation de la survie
avec l’association anticorps anti-VEGF
(Avastin®) et chimiothérapie conven-
tionnelle (5 fluoro-uracile-irinotécan) par
rapport à la même chimiothérapie utili-
sée seule (3). Ce bénéfice est obtenu avec
une faible toxicité supplémentaire. Les
effets indésirables les plus fréquents étaient
l’hypertension artérielle, la neutropénie
et la diarrhée. Dans cette étude rando-
misée, en double aveugle, les risques de
thrombose ou d’hémorragie notés lors
des phases I-II d’utilisation du produit
n’étaient pas retrouvés. Il est à noter
cependant que 1,5 % des patients ont pré-
senté une perforation digestive proba-
blement en rapport avec le traitement.
Références
1. Bergers G et al. Tumorigenesis and the
angiogenic switch. Nature Review 2003;3:
401-10.
2. Ferrera N. Vascular endothelial growth
factor as a target for anticancer therapy.
The Oncologist 2004;9(Suppl. 1):2-10.
3. Hurwitz H et al. Bevacizumab plus iri-
notecan, fluorouracil and leucovorin for
metastatic colorectal cancer. N Engl J
Med 2004;350:2335-42.
* Service de gastroentérologie, hôpital
Robert-Ballanger, Aulnay-sous-Bois.
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Question d’actualité
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