PRIX ET ELASTICITE DE LA DEMANDE EN AGRICULTURE LE PARADOXE DE LA RUINE DANS L'ABONDANCE Il est rare de rencontrer un paysan heureux: si la récolte est mauvaise, il se plaint avec raison; mais si la récolte est excellente, à la joie succède la déception et le découragement d'une manière qui paraît alors injustifiée. Et pourtant une trop bonne récolte peut se traduire par une catastrophe financière et entraîner la ruine du paysan. C'est ce paradoxe de la ruine dans l'abondance que nous allons nous efforcer d'expliquer. 2 Imaginons que devant la demande croissante dans le monde du concentré de tomate, à l'invitation des conserveries locales travaillant pour l'exportation, notre cultivateur ait décidé de produire des tomates. Pour cela, il met en culture 1 hectare de terrain. Le prix de revient de la production sur pied est indépendant du volume de la récolte: les frais engagés peuvent être considérés comme fixes: préparation du terrain (labourage, engrais), acquisition et repiquage des plants, entretien (sarclage, arrosage, pose des tuteurs). L'ensemble des ces coûts fixes sont évalués à 2.400.000 U.M. Le coût de ramassage au kilo est par ailleurs de 10 U.M. Le coût unitaire du kilo aura expression: 2.40Q.OOO donc pour lQ "q" étant la quantité récoltée. Cette quantité récoltée varie selon les années (sécheresse, insolation, parasites...) dans lajproportion de 1 à 5. Nous supposerons alors que le rendement à l'hectare variera entre 40 et 200 tonnes avec un rendement moyen de 120 tonnes. Le coût unitaire variera lui-même entre 2.400.000 40.000 +10 = 70 2.400.000 200.000 +10 = 22 et avec un coût d'année moyenne 2.400.000 120.000 + 10 = 30 3 Le prix de campagne est fixé en fonction de ce coût moyen: les conserveries achètent au prix de 32 U.M. le kilo, départ exploitation. Dans ces conditions, que va-t-il advenir point de vue financier pour le cultivateur? a) du L'année moyenne Toute la récolte (120.000 Kg) est vendue et la marge de 2 U.M. au kilo laisse un bénéfice net avant impôt de : 120.000 (32-30) = 240.000 U.M. b) L'année mauvaise Toute la récolte pourrait être vendue,mais seulement à un prix inférieur au prix de revient (70 U.M.);. En effet, la matière première représentant environ 40% du prix de revient du concentré, départ usine, l'indice du prix de revient du concentré passerait donc de l'indice 100 à l'indice 154 si l'usine achetait au cultivateur les tomates au prix de revient de 70 (soit 121% de plus qu'au prix courant de 32). Or à ce prix de revient de 154 au lieu de 100, l'usine n'arriverait pas à écouler sa production sur le marché international. En effet, le mauvais temps n'est pas général dans le monde et par conséquent les concurrents des autres pays pourront en général continuer à proposer leur produit au prix courant de 100. Même si le prix d'achat de la tomate était porté de 32 à 35 U.M., la moitié des frais ne seraient pas couverts. En effet, les frais s'élèvent à: 2.400.000 + (40.000 x 10) = 2.800.000 et les recettes à: 40.000 x 35 = 1.400.000 L'année mauvaise est donc vraiment mauvaise; seraitelle compensée par une année excellente? 4 c) L'année excellente L'année excellent peut être pire que l'année mauvaise. Le prix de revient de cette année excellente est donc, puisque l'on a récolté 200.000 kilos: 2.400.000 200.000 10 = 22 Au prix de campagne de 32, la marge bénéficiaire au kilo est de 10. On escompte donc un bénéfice de 2.000.000 qui compensera largement la perte de l'année mauvaise, celle-ci étant de 1.400.000 ( c f . ciavant) en sorte que, pour un cycle moyen - mauvais - excellent, le solde de l'exploitation se présentera ainsi: + 240.000 - 1.400.000 + 2.000.000 + 840.000 avec un bénéfice annuel moyen de: 840 :000 = 280.000 Cette prévision encourageante suppose que la récolte de l'année excellente soit intégralement vendue. rement. 1) Or cette hypothèse ne se vérifiera pas nécessaiPlusieurs possibilités se présentent en effet. Le prix de campagne (32 U.M.) est maintenu. A ce prix l'usine produira le concentré au même prix de 100 et ses ventes ne s'accroîtront pas. Par conséquent elle achètera aux producteurs la quantité correspondant à son niveau d'activité normale o ou bien elle achètera à quelques cultivateurs amis la totalité de leur récolte et les 2/5 des autres ne vendra rien: ce serait la ruine pour eux; 5 o ou bien elle achètera selon des quota correspondant à 1'année moyenne. Dans ce dernier cas, notre cultivateur réalise seulement le bénéfice de l'année moyenne qui ne compense pas la perte de l'année mauvaise (1.400.000). o pire encore, si le cultivateur a commis l'imprudence de faire cueillir la totalité de sa récolte, le total de ses frais s'élèvera à: F.F. 2.400.000 F.V. 10 x 200.000 = 2.000.000 4.400.000 pour une recette de: 32 x 120.000 = 3.840.000 soit un déficit de 2) 560.000 Le prix d'achat au cultivateur est libre (c'est-à-dire, réglé par la loi de l'offre et de la demande). La corrélation entre le prix proposé et la quantité peut être représenté graphiquement au moyen d'un diagramme d'élasticité (Fig. 1) Regardons alors ce qui se passe pour le cultivateur selon que sa récolte est de 140.000, 160.000, 180.000 et 200.000 kilos. Pour cela, nous comparerons les frais fixes (2.400.000) avec la marge brute au kilo, c.a.d. prix de vente moins coût de récolte. 120.000 Kg- x (32 - 10) - 2.400.000 = 240.000 140.000 Kg. x (20 - 10) - 2.400.000 = -1.000.000 160.000 Kg. x (12 - 10) - 2.400.000 = -2.080.000 180.000 Kg. x ( 8 - 10) - 2.400.000 = -2.760.000 Nous voyons qu'excepté le cas de la récolte moyenne, le résultat est déficitaire. 6 CONCLUSION Le but de cette analyse était seulement d'expliquer le paradoxe de la ruine dans 1'abondance. Maintenant que le mécanisme en a été analysé, il conviendrait, dans une seconde phase, de rechercher comment briser ce cercle infernal qui maintient les cultivateurs ainsi que les états agricoles enfermés dans des difficultés permanentes. é^lUkk.1 w | 8 COMMENTAIRE DE LA FIGURE Au prix de 32 U.M. la vente Si l'offre est supérieure, le prix de baissé afin que la demande soit égale diagramme d'élasticité nous donne les tes: Prix de vente est de 120.000 Kg. vente devra être à l'offre. Le indications suivan- Quantité demandée 32 U.M. 120.000 Kg 20 U.M. 140.000 Kg. 12 U.M. 160.000 Kg. 10 U.M. 170.000 Kg. 8 U.M. 200.000 Kg. Remarques a) Il ne convient pas de vendre le kilo au-dessous de 10 U.M. puisque le coût de récolte est de 10 U.M. au kilo. Dans ce cas, on ne doit récolter qu'un maximum de 170.000 Kg. Il est préférable, financièrement, de laisser l'excédent pourrir sur pied. b) Si l'offre tombe au-dessous de 120.000 Kg., le prix n'augmente pas, car l'usine doit faire face à la concurrence sur le marché international: elle ne peut acheter au-dessus de 32 U.M. le kilo. La courbe d'élasticité est alors une droite horizontale, * * * * *