Pierre CONESA
François Bernard HUYGHE
Margaux CHOURAQUI
La propagande francophone
de Daech : la mythologie
du combattant heureux
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NOTE DE SYNTHESE
L’objet d’une étude exhaustive sur la communication francophone, part du
postulat - confirmé au fil du travail - que les jeunes francophones partant rejoindre
Daech n’étaient ni totalement arabophones, ni anglophones et donc que seule une
propagande à façon pouvait expliquer la force de conviction dont néficie l’Etat
Islamique. Ont été traités plus de 53 revues et une trentaine de vidéos en Français
et autant en Anglais et en Arabe à fin de comparaison. A notre connaissance, c’est
la seule étude sur la propagande francophone qui soit disponible à l’heure actuelle
dans des débats qui tendent à surévaluer l’efficacité de la propagande sur Internet.
HISTORIQUE DE LA PROPAGANDE SALAFISTE
Daech a largement profité d’un stock existant de propagande et vidéos salafistes
générées en France ou liées à d’autres conflits. Ceci explique que les départs vers
les terrains de guerre aient été antérieurs à l’apparition de Daech comme acteur
médiatique à partir de 2014. Les premiers départs ont été particulièrement
motivés par les vidéos, les déclarations occidentales ou les reportages de Syrie
montrant les massacres de population par les forces de Bachar Al-Assad. Dans un
second temps, les selfies envoyés par des combattants vers leurs proches, la
propagande du « un vers un » ont joué un rôle central, avant que Daech n’en
prenne le contrôle.
LA METHODE DAECH
A la différence d’Al Qaida, Daech est un acteur global communiquant non pas
seulement en Arabe ou en Anglais comme son illustre ancêtre, mais en 11 langues
et sur de multiples supports. C’est un acteur capable de propagande globale
classique de « un vers tous » (avec ses diverses revues et vidéos sur le web 1.0) mais
aussi d’approche personnalisée un vers un » par le rôle donné aux djihadistes
pour convaincre leur entourage) sur les réseaux sociaux. Enfin comme d’autres,
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l’Etat islamique a su utiliser la « propagande par le fait » que constituent les
revendications filmées d’actes terroristes.
Daech a acquis son indépendance de diffusion grâce à Internet, ce que n’avait pas
Al Qaida, dépendant avec ses cassettes VHS du relais des grands media arabes ou
occidentaux ou limité par le Web 1.0 lorsqu’il s’exprimait en ligne avec ses sites
aux adresses Url repérables ou ses forums infiltrables. De ce point de vue, l’État
islamique est bien plus lié, ne serait-ce que pour des raisons de date de naissance
des technologies, aux réseaux sociaux comme outils de diffusion et de coopération
résilients et souples.
Daech a élevé le « Djihad médiatique » au niveau stratégique, à la fois comme
instrument de conviction et de séduction, comme moyen de recrutement, et
comme vecteur pour délivrer des instructions stratégiques. Son organisation en
charge à la fois de la propagande intérieure (une revue et 11 bureaux locaux) et
extérieure divisée par grands domaines linguistiques et gérée par des
professionnels, travaille avec des correspondants dans les différents pays visés afin
d’adapter le discours. La variété des produits (portraits, jeux de guerre, films
publicitaires, reportages, clips, vidéos post attentats) vise à atteindre la jeunesse
avec ses propres codes. Le primat de l’image et des combats sur le texte à la
différence d’Al Qaida, rend la propagande plus convaincante et séduisante pour
le public, que les longs prêches de Ben Laden et Al Zawahiri.
Le produit Daech consiste en :
!!Un projet politique nouveau qui renoue avec l’histoire : le Califat forme
politique supranationale qui dépasse les Etats et frontières actuelles. Il est
par exemple intéressant de relever la faible place prise par la lutte
palestinienne que les dirigeants de Daech trouvent trop « nationaliste ».
!!L’offre d’une terre d’accueil le musulman peut enfin vivre selon les règles
sous le règne de la Charia (la Hijrah). Cet Etat est décrit comme quasi
paradisiaque : les marchés sont approvisionnés, la justice est rendue, les
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enfants sont scolarisés selon les règles de l’Islam, apprennent à tuer, et la
corruption n’existe pas.
!!Une lutte imprégnée de théorie du complot, contre la coalition mondiale
qui veut détruire l’Islam et pas Daech. La liste des ennemis est longue et
autorise donc des attentats dans les différents pays. Les Occidentaux
n’arrivent dans la liste qu’assez loin après les Chiites, les Soufis, les autres
musulmans, ou les Juifs.
!!La violence qu’elle soit terroriste ou action guerrière, est le seul moyen de
défense des musulmans opprimés partout dans le monde. L’hyper-violence
garantit l’écho -voire la complicité- des media occidentaux.
Il faut remarquer que jamais il n’est fait appel à une aide humanitaire
contrairement à ce que prétendent certains « retours de Syrie ». De même,
alors que les Chiites sont les principales victimes des massacres de Daech, il
faut rentrer un peu plus profond dans la production, surtout écrite de Daech
pour comprendre les différends théologiques. Même un personnage aussi
mythique que Saladin dans l’historiographie arabo-musulmane, n’est jamais
mentionné.
La technique de communication de Daech se différencie de celle d’Al Qaida
sur des points majeurs :
!!La personnalisation par l’image du Combattant qui raconte lui-même sa
propre histoire (le storytelling du publicitaire) et devient le meilleur des
propagandistes. A la différence de celui d’Al Qaeda, le héros médiatique
n’est pas l’émir ou le Calife mais le combattant. L’essentiel des messages
insiste sur des profils individuels, héroïques, insistant sur le « combattant
heureux et fraternel » mais aussi largement doté à son arrivée (kalachnikov,
4x4, femme et maison). L’objectif est de convaincre la fratrie ou les réseaux
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d’amitiés de rejoindre le combat. Tout en exaltant la vie bonne et pieuse
que l’on peut vivre au pays de Cham (la hijrah, l’obligation d’y émigrer, est
mise à égalité avec celle du djihad).
!!Le message d’Al Qaeda c’était « Deviens un bon musulman et tu feras le
djihad » ; pour Daech, c’est « Viens faire le djihad et du deviendras un bon
musulman » (d’ailleurs le paradis est garanti à la fin). Le ros est donc le
combattant comme dans les films hollywoodiens dont les vidéos reprennent
et retournent tous les codes. L’hyper-violence reprochée à Daech qui vise à
tétaniser l’adversaire, n’est rien de plus que celle développée par les séries
télévisées américaines.
!!Le discours de « virilisation » du combattant illustre mieux la lâcheté des
sociétés démocratiques. Le discours public ayant suivi les attentats de
novembre appelant à ne pas mélanger terroristes et musulmans est par
exemple pris par Daech comme la preuve de la mollesse des Occidentaux.
La femme peut d’ailleurs participer au combat bien que d’abord cantonnée
à la reproduction de l’espèce.
!!Par son aspect polyglotte, elle cible en plus des populations des pays arabes,
des minorités de jeunes musulmans vivant en pays de mécréance
!!La référence historique aux temps des compagnons du Prophète (les salafs)
est constante pour tout expliquer les victoires comme les défaites. Elle
soutient une méthode d’argumentation pour démontrer qu’en toutes
choses, il n’y a qu’une réponse vraiment monothéiste, et qu’en religion, il
n’y a d’autre choix que l’obéissance (notamment au calife seule autorité
légitime).
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