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Barbarie et islamophobie
Centre culturel Andalus 23 novembre2014
L’apparition de DAECH survient, comme une divine surprise, combler d’aise les tenants
de l’islamophobie dans le monde et notamment en France. Voilà un régime d’une extrême
barbarie qu’on croyait révolue, justifié par ses promoteurs par la seule fidélité à l’esprit
coranique. Et comme pour ôter tout doute de l’esprit des gens, ce régime restaure le califat
originel, celui des « Califes bien guidés / al-Râchidoun », âge d’or de l’Etat islamique dans
toute sa pureté. DAECH révélerait donc l’essence de la vision politique et humaine de
l’islam.
Il est évident que les pratiques cruelles de DAECH, depuis son avancée fulgurante au nord
de l’Iraq et de la Syrie, dépassent de loin celles des guerres civiles et des interventions
étrangères de ces dernières décennies, voire même celles des violences intervenues au cours
de l’Empire ottoman, qui occupa quatre longs siècles jusqu’à la Grande guerre. Pour trouver
de telles violences, il faut, dans les limites de ma connaissance, remonter aux invasions
sanguinaires des hordes mongoles au XIV° siècle. La comparaison n’est pas d’ordre
quantitatif, mais qualitatif. Les guerres du Golfe, à titre d’exemple, ont fait un nombre de
victimes bien supérieur. Ce qui caractérise, en effet, la pratique de DAECH c’est sa volonté
de faire table rase de la culture, de la sagesse humaine et de la diversité anthropologique
accumulées pendant des millénaires par les peuples qui ont habité cette terre. Le tissu humain,
la vision du monde et le savoir-vivre hérités des grandes civilisations locales qui ont élaboré
les outils majeurs de l’humanisation comme la ville, l’agriculture et l’alphabet et donné
naissance tant aux trois monothéismes qu’aux grandes philosophies extrême-orientales- sont
emportés par une violence « purificatrice » qui rappelle effectivement le passage de Hulako et
Timorlenk. La barbarie de DAECH marque, à n’en pas douter, un tournant historique lourd de
conséquences d’abord pour la région, ensuite pour l’humanité.
Il est vrai que cette barbarie est justifiée par une lecture exclusivement religieuse
s’appuyant sur une interprétation littérale et outrancière du Coran et de la Sunna du Prophète
Muhammad. L’expulsion des non-musulmans réitère la cision du deuxième Calife Omar
Ibn al-Khattab, après les guerres de la Ridda, de bouter hors de la Péninsule ceux qui n’ont
pas adhéré à l’islam ; DAECH innove cependant en étendant cette mesure aux musulmans
qui ne sont pas de confession sunnite. Le rétablissement de l’esclavagisme pour ceux
considérés sans « Livre » renoue avec une ancienne tradition ; de même l’usage de la
décapitation par le glaive et la tenue vestimentaire imposée. Le tout est couronné par le choix
de la dénomination du régime politique: le califat.
Cependant, cette référence hautement affichée est un leurre. D’une part, elle fait table rase
de mille cinq cents ans d’histoire musulmane qui a produit l’une des grandes civilisations
universelles, la civilisation arabo-musulmane. De plus, elle est objet de condamnation de la
part de toutes les instances religieuses, y compris la plus rigoureuse et rétrograde, le
wahhabisme saoudien. Et surtout, d’autre part, elle s’inscrit dans une logique politique,
économique et géostratégique, qui a cours dans la région depuis un siècle au moins. Aussi a-t-
elle bénéficié de nombreuses complicités aux niveaux régional et international.
En affichant sa volonté d’effacer les traces des accords dits de Sykes-Picot, qui ont
charcuté la région pour mieux la dominer et y greffer un corps étranger, « le foyer juif » (La
Promesse Balfour), DAECH renoue, en contrepoint, avec une politique occidentale bien
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enracinée. Enracinée au point de devenir la règle : la destruction de l’Iraq lors deux guerres
consécutives et le maintien de l’anarchie sauvage en Syrie procèdent de la même logique,
quels que soient les objectifs affichés (démocratisation, stabilisation…).
Plus concrètement la che de DAECH a été fort secondée par la politique des pouvoirs
régionaux. Le pouvoir syrien y a contribué en relâchant des prisoniers qui ont vite fait de
prendre le pouvoir au sein des mouvements islamistes, dans le seul but de dévier le
« printemps syrien », à l’origine pacifique et citoyen, vers une rébellion violente et illégitime
qu’aucun Etat ne pourrait tolérer : il y a trouvé un prétexte valable à sa répression aussi
sauvage. Quant au pouvoir irakien de Maliki, il a continuellement bloqué la réunification du
pays et marginalisé les Sunnites, ; il les a ainsi poussés dans les bras de DAECH. L’axe
Arabie Saoudite- Qatar Turquie, parrain d’une opposition syrienne à ses ordres (La
Coalition), a favorisé directement (soutien politique et militaire qui ne s’est arrêté en partie
qu’après l’invasion de Mossoul) ou indirectement l’émergence de cette puissance dans le but
de faire échec à la politique de l’axe Iran-Syrie-Hizbollah soutenu par la Russie. L’Occident,
et notamment la France qui a collé servilement à la stratégie wahhabite, y a contribué aussi en
légitimant au niveau international une représentation fallacieuse du peuple syrien et en
fournissant, dans des mesures variables, les armes de guerre à des factions qui se sont ralliées
par la suite à DAECH.
Il ne faudrait pas gliger non plus la responsabilité des élites syriennes et irakiennes qui
n’ont pas su jouer leur rôle de fédérateurs et de modernisateurs : elles se sont laissé aller à
l’appât du pouvoir et du gain. Sont responsables également les institutions religieuses, de
toute confession, qui ont brillé par leur suivisme lâche.
Cette complicité coupable dont DAECH a su profiter était fondée pour les uns dans la
volonté de maintenir au pouvoir des dynasties et des dictatures à court de légitimé nationale,
et pour d’autres de continuer à maîtriser les richesses du sous-sol si nécessaires à leur
économie. En même temps cela laissait le gouvernement israélien parachever à loisir son
œuvre de colonisation du territoire palestinien à l’abri de toute surveillance internationale,
avec comme objectif, déjà annoncé dans les Mémoires de Ben Gourion d’empêcher la
naissance d’entités intégrées dans la région, susceptibles de lui tenir tête.
Quant à l’idéologie revendiquée par DAECH, nul ne peut nier qu’elle découle d’un
wahhabisme poussé à son terme ; ce wahhabisme n’a jamais été mis en cause, y compris par
les démocraties qui ont lié une forte alliance avec lui pour des raisons économiques que
personne n’ose nier.
A travers tous ces facteurs, DAECH apparaît comme l’héritier et le digne continuateur
d’une problématique mise en œuvre depuis longtemps au profit des tenants du pouvoir et dans
le mépris des peuples et des valeurs. Cette problématique a été menée à son paroxysme par
DAECH, qui a su à la fois acquérir les ressources financières nécessaires pour construire son
appareil militaire, maîtriser la communication médiatique susceptible de terroriser les
populations locales et d’asseoir son prestige auprès des groupes extrémistes qui se sont vite
rallié à sa bannière. Et il a surtout excellé dans la construction d’une image « prophétique »
universaliste qui lui a permis d’attirer à lui une frange d’une jeunesse européenne perdue, qui
a cru trouver dans sa chevauchée un sens à sa vie. Quelle image plus forte que cette tête
blonde d’un jeune breton, au visage doux et aux traits presque christiques, qui brandit son
sabre pour décapiter un soldat syrien ?
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La barbarie de DAECH ! Oui. Abusivement baptisée par lui refondation islamiste ! Oui.
Mais on voit bien que cet islam n’est qu’un outil de mobilisation idéologique savamment
maniée, qui laisse facilement percevoir ses vrais objectifs politiques et économiques. On voit
surtout ce que DAECH doit à la problématique (y compris religieuse) qui, à l’œuvre depuis un
siècle, a été initiée par les pouvoirs locaux soutenus par les puissances se réclamant souvent
de la démocratie. On voit enfin les responsabilités de ceux qui maintenant condamnent sans
appel cette barbarie, y compris dans les élites des pays arabes comme celles des différentes
institutions religieuses.
Ce constat ne peut en aucune manière fournir un alibi à qui que ce soit (les défenseurs
inconditionnels de la figure actuelle de l’islam, les tenants du dialogue islamo-chrétiens ou
judéo-musulmans…) pour éviter de poser la question de l’imbrication du religieux et du
politique dans l’islam, imbrication qui ouvre grandes les portes de l’instrumentalisation du
religieux tout en handicapant la modernisation des sociétés dites musulmanes. Cet état des
choses ne profite qu’aux régimes dictatoriaux et aux groupes les plus obscurantistes du monde
musulman, comme à leurs alliés attirés par les richesses naturelles qu’ils contrôlent. Les
peuples en paient le prix. Alors, faut-il, comme certains le pensent, attendre que des exégètes
patentés fassent leur œuvre de clarification en procédant à une herméneutique adéquate ? Ce
serait ignorer les lois sociologiques ; car n’est-ce pas la Révolution française et les Lumières
qui ont permis aux théologiens chrétiens de s’émanciper du pouvoir pour renouer avec la
vérité du christianisme ? Certes, leur tâche était plus facile, les Evangiles étant indemnes de
prescriptions politiques ou sociales. Mais quelle autre voie suivre ? En enlevant aux
islamophobes leur argument manipulatoire, on ne fait que servir la foi musulmane et surtout
l’universalisme de la personne humaine.
Boutros Hallaq
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