Les marqueurs de l`infection au cours des états septiques graves

LES MARQUEURS DE L’INFECTION AU COURS
DES ÉTATS SEPTIQUES GRAVES
Armelle Mathonnet, Virginie Lemiale, Jean-Paul Mira
Centre Hospitalier Universitaire Cochin-Saint Vincent de Paul, Service de réani-
mation médicale, 74-82 avenue Denfert Rochereau, 75614 Paris.
INTRODUCTION
Les états septiques graves sont une des principales causes de morbi-mortalité
en réanimation. Si le tableau clinique permet le plus souvent un diagnostic rapide,
dans un petit nombre de cas, les signes présentés par le patient ne préjugent pas
de l’étiologie infectieuse de la défaillance systémique. Or la prise en charge d’un
sepsis/choc septique demande un diagnostic et une thérapeutique précoces et
adéquats [1]. Afin de guider la thérapeutique, l’usage de marqueurs biologiques
pouvant signer ou éliminer une infection, se justifie. Le marqueur biologique
idéal doit être utilisable en routine, avoir une technique de mesure rapide, fiable,
reproductible et à coût modéré. Il peut être diagnostique et/ou pronostique. Il
est caractérisé par sa sensibilité et sa spécificité. Nous avons tenté d’analyser
l’intérêt potentiel des bio-marqueurs de l’infection utilisables en réanimation lors
d’états septiques graves. Nous distinguerons les bio-marqueurs : produits de
l’agent bactérien ou de l’hôte.
1. BIO-MARQUEURS : PRODUITS DE LAGENT BACTÉRIEN
1.1. L’ENDOTOXINE OU LIPOPOLYSACCHARIDE (LPS)
Le LPS est une molécule amphiphile présente sur la membrane externe
des bacilles Gram négatif (BGN) qui est absente des cellules humaines. Lors
des infections, il existe une libération de LPS soit spontanément soit lors de la
lyse bactérienne induite par les antibiotiques. Ainsi le dosage sérique de cette
endotoxine pourrait permettre un diagnostic précoce des infections à BGN. Son
intérêt est maximal lorsque l’examen direct bactériologique s’avère négatif du
fait par exemple d’une antibiothérapie préalable. Initialement le dosage du LPS
s’est effectué par la technique LAL : « Limulus Amebocyte Lysate chromogenic
reaction » (réaction d’oxydation entre le LPS et la lymphe du crabe Limulus
amebocyte contenu au sein du réactif). Les méta-analyses qui ont étudié
l’intérêt du LAL assay pour prédire l’existence d’une infection ont toutes montré
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une faible sensibilité et spécificité de cette technique. Cependant récemment
un nouveau test a été proposé, il pourrait relancer l’intérêt de la recherche du
LPS dans le sepsis. L’Endotoxin Activity (EA) test permet de révéler la présence
de LPS dans le sang par des anticorps murins anti-endotoxine marqués par
le lumipol 3. Dans une étude de cohorte, Marshall et coll. ont comparé les
techniques LAL, considérées comme la référence dans la détection du LPS et
l’EA test. Les résultats indiquent que l’EA test assure une meilleure corrélation
entre le dosage d’endotoxine et les infections à BGN avérées. Ceci semble lié
au fait que la lymphe de limulus utilisée par LAL réagit avec plusieurs agents
pathogènes et rend le LAL peu spécifique [2]. Dans une seconde étude, Marshall
et coll. se sont intéressés aux différents niveaux de valeurs de l’EA test. Chez
le sujet sain au repos, un taux faible d’activité endotoxinique était retrouvé en
raison des BGN de la flore digestive. Ce taux s’élevait lors d’exercice physique
intense, du tabagisme actif, de la cirrhose et de la chirurgie abdominale. Au cours
des infections à BGN, les valeurs de l’EA augmentaient considérablement. La
sensibilité de l’EA pour les infections à BGN était de 84 % et la spécificité de
44 % [3]. Comme la valeur prédictive négative de ce test était de 99 %, un taux
faible d’EA éliminait un sepsis à BGN [3]. A noter qu’un faible taux d’EA était
détecté dans les sepsis à Gram positif, permettant de proposer que la négativité
de l’EA pourrait être prédictif d’une faible probabilité d’infection quel que soit le
Gram de la bactérie en cause.
L’endotoxine est depuis longtemps le chef de file des marqueurs microbiens.
Cependant les avancées récentes survenues dans les mécanismes de détection
des pathogènes par l’immunité innée, ont mis en évidence de nombreux déter-
minants moléculaires spécifiques des micro-organismes qui peuvent devenir
dans l’avenir de très bons marqueurs de l’infection. Parmi eux, l’ADN bactérien
est actuellement le sujet d’une recherche très active. Sensible, spécifique des
bactéries, il est détectable même après mise en route de l’antibiothérapie et
destruction du pathogène, et peut renseigner sur certaines résistances au trai-
tement antibiotique en ciblant des gènes de résistance.
En clinique, la détection de ces marqueurs de l’agent agresseur pourrait
permettre de réduire le spectre d’action de l’antibiothérapie empirique. Si les
marqueurs de l’hôte ont pour finalité de distinguer le syndrome de réponse
inflammatoire systémique (SRIS) d’origine infectieuse du SRIS non infectieux,
l’association des marqueurs d’agents bactériens et de l’hôte permettraient un
usage plus rationnel des antibiotiques réduisant la toxicité, l’émergence de
résistances et les coûts.
2. BIO-MARQUEURS PRODUITS DE L’HÔTE :
2.1. PROTÉINE C RÉACTIVE (CRP) ET PROCALCITONINE (PCT) :
BIO-MARQUEURS DE L’INFLAMMATION OU D’INFECTION ?
2.1.1. CRP ET PCT
La CRP est une protéine synthétisée par le foie, dont la transcription est
augmentée lors de processus inflammatoires (acute phase protein). Même si le
dosage sérique de la CRP est fréquemment pratiqué lors de bilans d’admission
(urgences, réanimation, etc.), l’interprétation de celui-ci doit tenir compte des
nombreux facteurs susceptibles de modifier la synthèse de la CRP : l’âge, le
sexe, l’ethnie, l’insuffisance hépatocellulaire, la dénutrition [4]. Le dosage de la
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CRP ne peut donc pas être interprété en tant que valeur absolue, mais il doit
prendre en considération les différentes caractéristiques du patient.
La PCT, précurseur de la calcitonine, est un bio-marqueur de l’infection utilisé
et validé initialement en pédiatrie et couramment mesuré aux urgences et en
réanimation. Les premières études ont montré que la PCT présente une forte
spécificité pour le diagnostic et le pronostic des infections bactériennes de l’en-
fant et du nouveau-né, en particulier en cas de méningites [5-6]. Synthétisée par
les cellules C de la thyroïde, une synthèse extra thyroïdienne par les monocytes
et les hépatocytes s’effectue lors de différents processus inflammatoires, con-
séquence de la sécrétion d’IL6 et de TNF. Clivée par une protéase spécifique, la
concentration de PCT est peu influencée par l’insuffisance rénale et l’hémodia-
lyse [7]. Le dosage peut être quantitatif ou semi quantitatif. Chez le volontaire
sain, le taux de PCT dépend de l’état nutritionnel du sujet, et augmente en cas
de prise d’OKT3 [8]. Un taux de PCT augmenté est retrouvé chez le nouveau-né,
en postopératoire, au cours de cancer de la thyroïde, ainsi que lors de processus
inflammatoire.
2.1.2. CINÉTIQUE DE LA CRP ET DE LA PCT
Quelques études se sont intéressées à la cinétique de production de CRP
et de PCT au cours de l’infection [9-10]. La CRP est un marqueur précoce des
processus infectieux. Sa concentration plasmatique augmente dès la sixième
heure de la réaction inflammatoire et jusqu’à la cinquantième heure, elle
atteint une valeur maximale. Sa décroissance signe un contrôle de l’inflamma-
tion et donc de l’infection. La stabilité de ses taux peut traduire une absence
de contrôle. Mais la CRP ne croit pas en cas d’aggravation de l’inflammation.
La PCT s’élève plus tardivement au cours des vingt-quatre premières heures
du processus inflammatoire post-infectieux. Son taux croit avec la sévérité de
l’infection et la survenue de défaillances viscérales et diminue avec le contrôle
de l’infection [9-10]. Ainsi, lors d’infections, l’analyse de la cinétique de la CRP
et de la PCT pourrait refléter la gravité du patient.
2.1.3. DOSAGES CRP/PCT : INTÉRÊT DIAGNOSTIQUE ?
De nombreuses études se sont attachées à évaluer l’intérêt du dosage de la
CRP ou de la PCT dans la discrimination entre SRIS infectieux et non-infectieux
chez l’adulte. En moyenne, elles retrouvent une sensibilité de la mesure de la
PCT comme marqueur d’infection proche de 80 % et sont constamment supé-
rieures à la sensibilité du dosage de la CRP. Toutefois lors d’infection localisée et
en l’absence de bactériémie, la PCT ne s’élève pas de façon constante [8]. De
même, elle n’augmente pas lors d’infections à mycobactéries ou au cours de
la maladie de Lyme. A l’inverse, lors d’infections fungiques ou de vascularites,
des taux élevés de CRP et de PCT sont fréquemment constatés [11]. Ainsi les
études actuelles retiennent la CRP et la PCT comme des marqueurs de réac-
tions inflammatoires systémiques [8,11]. L’étude prospective de Crain et al. sur
la prescription des antibiotiques, guidée par le dosage de la PCT dans les infec-
tions respiratoires, modère ces conclusions. De décembre 2002 à avril 2003,
243 patients admis aux urgences pour infection respiratoire, ont été inclus. A
l’entrée et à visée diagnostique, les patients bénéficiaient d’examens clinique,
biologiques (dont CRP et PCT) et radiologiques. Puis ils étaient randomisés en
deux groupes : dans le premier groupe, la décision de prescription d’antibiotiques
était laissée à la discrétion du clinicien ; dans le deuxième groupe dit « PCT », le
clinicien se référait au dosage de la PCT et un arbre décisionnel basé sur le taux
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de PCT, conseillait ou déconseillait la prescription d’antibiotiques. Dans le groupe
« PCT », le clinicien devait signifier sa décision de prescrire des antibiotiques
avant et après la consultation de l’arbre décisionnel. La prescription guidée par
le taux de PCT a ainsi permis une réduction de 50 % des antibiothérapies. En
analyse du sous-groupe, les patients bronchopathes chroniques, admis pour une
décompensation respiratoire aiguë et randomisés dans le groupe PCT avaient
une prescription d’antibiotique réduite de 56 % [12].
Ainsi, s’il n’est pas clairement montque la PCT peut être utilisée en tant que
marqueur diagnostique d’infection, sa valeur négative peut certainement aider à
la décision thérapeutique. Les valeurs prédictives négatives élevées de la CRP
et de la PCT (87 %) conduisent à utiliser leur dosage pour surveiller l’émergence
de complications chez des sujets souffrant de pancréatites, de brûlures ou les
polytraumatisés [8, 11, 13]. Ainsi Ricet al. ont réalisé une étude prospective
incluant 48 patients atteints de pancréatite aigue sévère (score de Ranson
élevé) [14]. Au cours des trois premiers jours d’hospitalisation, les patients
bénéficiaient d’un dosage quotidien de PCT, CRP, IL6 et TNF alpha. La survenue
de manifestations septiques engendrait la réalisation de ponction diagnostique
à l’aiguille des coulées de nécrose. Un traitement antibiotique adapté, associé
si besoin à un drainage chirurgical, était alors débuté. Les auteurs retrouvaient
une corrélation étroite entre la présence d’un taux de PCT éle en début
d’hospitalisation et la survenue de surinfection des coulées de nécrose. De
façon très intéressante, la valeur prédictive négative de la PCT était de 91 %. Ce
dosage permettait de déterminer précocement les patients à risque infectieux
lors de pancréatite aiguë nécrosante [14].
2.1.4. CRP/PCT : VALEUR PRONOSTIQUE ?
Bien que le dosage initial de la PCT ne soit pas prédictif de l’évolution des
patients, sa concentration semble liée à la sévérité de l’infection et la survenue de
défaillances multiviscérales [15]. A l’inverse, le taux de CRP, qui atteint une valeur
maximale à la 50ème heure du processus inflammatoire, n’est pas significative-
ment différent entre les survivants et les patients décédés en réanimation [15].
De nombreuses études réalisées au cours d’état septique semblent confirmer
ces données et illustrent que l’étude de la cinétique de la PCT (et de la CRP
dans une moindre mesure) présente un intérêt pronostique, reflétant la gravité
du patient.
2.2. T
REM 1: « TRIGGERING RECEPTOR EXPRESSED ON MYELOID CELLS 1 »
TREM1 est un récepteur de surface des polynucléaires neutrophiles et des
monocytes impliqué dans l’immunité innée mais dont le(s) ligand(s) microbien(s)
est(sont) encore inconnu(s). TREM1 est peu exprimé lors d’une réaction inflam-
matoire systémique isolée sans agent bactérien et son expression semble
augmenter lors des processus infectieux. Ce récepteur existe sous une forme
membranaire et sous une forme soluble (sTREM1) qui semble être un excellent
marqueur d’infection.
Dans une première étude, sTREM1 a été dosé dans le lavage broncho alvéo-
laire de patients de réanimation sous ventilation mécanique. Des taux élevés
de ce récepteur soluble sont un excellent marqueur d’infections bactériennes
et pourraient permettre de préciser l’étiologie bactérienne ou fongique des
pneumopathies [16]. Dans une seconde étude, la même équipe s’est intéres-
sée au dosage sanguin de sTREM1 en utilisant toujours la même technique
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d’immunoblot. Chez 76 patients suspects de présenter une infection, un dosage
de sTREM1 était effectué à la douzième heure de l’admission sur un échantillon
de sang artériel. Gibot et al. démontrent ainsi que sTREM1 est un bon marqueur
d’infection, permettant de différencier SRIS infectieux et SRIS non-infectieux
avec une sensibilité et une spécificité respectives de 96 % et 89 % [17]. Ainsi,
sTREM1 semble être le meilleur marqueur d’infection dont on dispose actuel-
lement permettant de confirmer précocement l’origine infectieuse d’un SIRS.
L’implication thérapeutique de ce test est importante, il pourrait ainsi améliorer
la prise en charge initiale et permettre l’instauration d’une antibiothérapie pré-
coce. Cependant ces résultats émanent tous d’une seule équipe qui utilise un
test non disponible actuellement et devront être confirmés dans des études
plus importantes.
3. MARQUEURS DE DYSFONCTION D’ORGANES
Au cours des états septiques, d’autres marqueurs sont régulièrement utilisés
afin de juger des répercussions de l’agression microbienne sur les défaillances
viscérales. En dehors des marqueurs parfaitement reconnus comme la créatini-
némie et l’urémie pour la fonction rénale, les lactates comme témoin de dysoxie
ou les ALAT, ASAT, le TP et le Facteur V pour la fonction hépatique, de nouveaux
marqueurs semblent intéressants pour évaluer la fonction cardiaque de ces états
infectieux graves. En effet si la physiopathologie de la dysfonction cardiaque dans
le sepsis est mal expliquée, son importance pronostique et la nécessité de la
prendre en charge rapidement ne sont plus à démontrer. Deux marqueurs ont
été récemment proposés pour l’évaluer : la troponine I et le BNP.
3.1. TROPONINE I
Le filament du cardiomyocyte est composé d’actine, de tropomyosine, de
troponine C, T et I. La troponine I est une protéine essentielle qui régule l’inte-
raction actine-myosine.
3.1.1. TROPONINE I : INTÉRÊT DIAGNOSTIQUE DANS LE SEPSIS ?
Lors d’une ischémie myocardique, la destruction de myofibrilles est responsa-
ble de la libération de troponine I dans la circulation sanguine. Lors de pathologies
coronariennes, la sensibilité et la spécificité de la troponine I sont proches de
100 % rendant ce dosage disponible partout. Au cours d’état septique, une
souffrance myocardique peut s’observer en raison d’un déséquilibre entre les
besoins et les apports en oxygène. Ainsi, une élévation de la troponine I a été
constatée lors du choc septique, avec un pic survenant au deuxième jour. Cette
élévation n’est accompagnée d’aucune anomalie électrique et généralement
n’est pas associée à des lésions coronariennes [18]. La perfusion coronarienne
étant normale, l’élévation de la troponine traduirait une ischémie sous endo-
cardique par altération de la microcirculation et une dysfonction myocardique
secondaire à des lésions membranaires des cardiomyocytes par les médiateurs
de l’inflammation (TNF, IL6) [18]. Dans le choc septique, la souffrance myocar-
dique observée est mal expliquée et son diagnostic repose sur des techniques
invasives ou non accessibles à la majorité des réanimateurs. L’intérêt du dosage
de la troponine I dans le diagnostic de la défaillance myocardique dans le sepsis
a été étudié. Ainsi, Turner et coll. retrouvent une corrélation inverse entre le taux
de troponine et la fraction d’éjection du ventricule gauche dans une population
de patients en choc septique [19].
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