Le dépistage néonatal systématique de la mucoviscidose : une

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Communiquer
Revue de communication sociale et publique
8 | 2013
La santé reconfigurée et reconfigurante : de la valeur à
la norme
Le dépistage néonatal systématique de la
mucoviscidose : une reconfiguration
organisationnelle, professionnelle et
communicationnelle singulière et innovante
Systematic neonatal screening for cystic fibrosis: A unique and innovative
organizational, professional and communicative reconfiguration
Chloé Langeard et Guy Minguet
Éditeur
Département de communication sociale et
publique - UQAM
Édition électronique
URL : http://communiquer.revues.org/200
DOI : 10.4000/communiquer.200
ISSN : 2368-9587
Édition imprimée
Date de publication : 1 janvier 2013
Pagination : 45-64
Référence électronique
Chloé Langeard et Guy Minguet, « Le dépistage néonatal systématique de la mucoviscidose : une
reconfiguration organisationnelle, professionnelle et communicationnelle singulière et innovante »,
Communiquer [En ligne], 8 | 2013, mis en ligne le 21 avril 2015, consulté le 30 septembre 2016. URL :
http://communiquer.revues.org/200 ; DOI : 10.4000/communiquer.200
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© Communiquer
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Revue internationale
Communication sociale et publique
www.ricsp.uqam.ca
Le dépistage néonatal systématique de
la mucoviscidose : une reconfiguration
organisationnelle, professionnelle et
communicationnelle singulière et innovante
Chloé Langeard
Maître de conférences en sociologie, Lunam Université, Université d’Angers, Granem (UMR MA N 49)
[email protected]
Guy Minguet
Professeur de sociologie, École des mines, Nantes
[email protected]
Résumé
En France, la mucoviscidose, maladie génétique rare et incurable, fait l’objet depuis 2002,
d’un Dépistage néonatal systématique mis en place par les pouvoirs publics. À partir
de l’annonce du diagnostic de cette maladie, notre propos vise à rendre compte d’une
configuration singulière et innovante sur le plan organisationnel (création de centres de
soins spécifiques interdisciplinaires : les Centres de Ressources et de Compétences de
la Mucoviscidose), professionnel (concernant les pratiques et les rôles des médecins et
infirmières) et communicationnel (diffusion d’un régime communicationnel équivoque). Il
entend éclairer plus largement les transformations à l’œuvre autour de cette technologie
biomédicale, dans un contexte où s’imposent la médecine du risque, l’extension et le partage
de l’incertitude médicale.
Mots-clés : mucoviscidose; dépistage; processus d’annonce; diagnostic; médecine du
risque; incertitude médicale; bien portant suspect.
In France, the systematic neonatal screening for cystic fibrosis, a rare and incurable
genetic disease, was instituted by the public authorities in 2002. Taking diagnosis
disclosure as the departure point, our paper aims to reflect the singular and innovative
configurations that have developed in the organisation of care (the creation of specific
interdisciplinary care centres: Resource and Expertise Centres for Cystic Fibrosis),
among professionals (concerning the roles and practices of doctors and nurses) and
communication (dissemination of equivocal communication). The broader aim is to shed
light on the transformations generated by this biomedical technology in a context marked
by high risk medicine and the evolution of medical uncertainty, shared by all the actors
concerned.
Key words : cystic fibrosis; screening; announcement procedure; diagnosis; high risk
medicine; medical uncertainty; healthy but suspect.
En France, la mucoviscidose, maladie génétique rare et incurable, fait l’objet depuis 2002
d’un dépistage néonatal systématique mis en place par les pouvoirs publics, et ce, dans
un contexte d’incertitude quant à son intérêt médical pour l’enfant dépisté. C’est une
Certains droits réservés © Chloé Langeard et Guy Minguet (2013)
Sous licence Creative Commons (by-nc-nd).
ISSN 1913-5297
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coalition liant les cliniciens bretons, des financeurs publics et les médias, jouant sur des
registres d’actions différents, à la fois techniques, statistiques mais aussi affectifs, qui rend
progressivement possible « la production régionale d’une politique de santé ». Afin de
généraliser au niveau national le dépistage, les professionnels bretons vont se baser sur la
conviction de l’efficacité du dépistage néonatal de la mucoviscidose, basée sur l’expérience
clinique plus que sur des preuves tangibles. Soulignons aussi le rôle important de l’association
de patients Vaincre la mucoviscidose (anciennement Association française de lutte contre la
mucoviscidose) qui « remplit un rôle en demi-teinte » en faisant pression auprès des pouvoirs
publics (Vailly, 2006, 2011). Aussi, en l’absence d’un traitement curatif, seules la prise en
charge précoce du malade et la centralisation des soins dans des centres de traitement de
référence font figure de compromis, même si ce dispositif alimente encore un vif débat dans
l’arène biomédicale et celle des administrations de santé1. Ces deux facteurs, permettant
d’améliorer le pronostic vital de l’enfant, expliquent la généralisation du dépistage néonatal
à l’ensemble du territoire. Ce déploiement s’est accompagné de recommandations de suivi
de l’enfant dépisté et de protocoles standardisés à l’attention des soignants, dans des centres
de soins interdisciplinaires que les autorités de santé ont officialisé et dénommé Centres de
ressources et de compétences de la mucoviscidose (CRCM)2. La France est ainsi devenue le
premier pays au monde à effectuer ce dépistage néonatal systématique et généralisé, dont
l’organisation a été confiée à l’Association française pour le dépistage et la prévention des
handicaps de l’enfant (AFDPHE).
Dans une « société du risque » (Beck, 1992 ; Giddens, 1994), caractérisée par l’anticipation
des risques et la promotion du dépistage dans le domaine de la santé, comment la mise en
œuvre de ce dépistage néonatal, en tant que technologie biomédicale, a-t-elle influencé la
configuration organisationnelle, professionnelle et communicationnelle à l’œuvre autour du
processus d’annonce du diagnostic de cette maladie ? Autrement dit, comment les soignants
coopèrent-ils entre eux ? Qu’est-ce que ce dépistage découvre ? Comment les soignants
gèrent-ils les informations obtenues à l’aide des tests qu’il engendre et comment formulentils les résultats des examens, avec quels degrés de certitude ? Au final, comment soignants et
parents font-ils face à l’incertitude, comment est-elle traitée et quelles sont les conséquences
durables sur les patients, leur famille : leur expérience (Rothenberg et Thomson, 1994, p.
4) ?
Pour y répondre, le processus d’annonce constitue une entrée analytique privilégiée en
ce qu’il est une des étapes médicales cruciales, indissociable du dépistage de masse. En
mettant en jeu une pluralité de phases clefs, de services, d’acteurs (professionnels, famille,
patient), d’instants critiques, de croyances, de pratiques et d’informations (cf. figure 1),
le processus d’annonce révèle une configuration organisationnelle, professionnelle et
communicationnelle innovante. Cette configuration émerge de l’ensemble des chaînes
d’interdépendance spécifiques qui se nouent autour du processus d’annonce du diagnostic
impliquant une hétérogénéité d’acteurs aux intérêts divers et interagissant dans un cadre
singulier. Il s’agira donc de porter le regard sur les « nombreux individus qui, de par leur
dépendance réciproque [Interdependenz], sont liés entre eux de multiples façons, formant
1. L’action en faveur du dépistage soulève certaines oppositions et controverses, notamment entre des cliniciens
bretons et l’Association française pour le dépistage et la prévention des handicaps de l’enfant (AFDPHE) concernant
le dépistage des hétérozygotes, aussi appelés « porteurs sain » ; l’AFDPHE voyant poindre dans ce mode de
dépistage le risque d’une forme d’eugénisme (Vailly, 2011).
2. Un CRCM est un « regroupement des compétences de nombreux corps professionnels dans les différentes
disciplines concernées par la mucoviscidose pour soigner au mieux dans la continuité et dans la globalité les patients
atteints de cette maladie. Pour les enfants dépistés, il s’agit du lieu où le diagnostic est confirmé puis annoncé et où
le patient sera régulièrement suivi. Pour tous les patients, il s’agit du lieu où les choix thérapeutiques et les décisions
importantes sont pris et expliqués au patient et à sa famille. Pour tous les intervenants et soignants, quels que soient
les lieux de réalisation des soins, il s’agit du lieu de coordination des soins » (Extrait de la définition formelle des
CRCM issue de la circulaire n°502 du 22 octobre 2001).
Configuration organisationnelle et communicationnelle singulières et innovante | 47
ainsi des associations interdépendantes ou des configurations dans lesquelles l’équilibre des
forces [Spannungsgleichgewicht, ailleurs Spannungsbalance] est plus ou moins instable »
(Elias, 1991, p. 10).
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Figure 1. Le processus d’annonce du diagnostic de la mucoviscidose
RÉCEPTION DES
CONSULTATION
POST-ANNONCE
RÉSULTATS
DU DNSM
APPEL
Déterminer le
niveau d’urgence
Secrétaire
Inf. coord.
Médecin
 Présomption
de diagnostic
 Coordination
des ressources
humaines et
logistiques
ACCUEIL
Alerter sans
inquiéter
Médecin,
Inf. coord.
Psychologue
Parents du
nourrisson
 Contact « aveugle »
 Urgence de la
consultation vs production
d’angoisse
Ingérence des familles
Contrôle de l’information
 Etablir une relation de
confiance
Faible conformité du
discours aux
recommandations
Contrôler le
temps et
l’information
Secrétaire
Inf. coord.
Médecin
Parents
Nourrisson
- Temps peu
balisé et peu
stabilisé
- Conditions de
l’attente
- Stratégie
médicale de
l’évitement
EXAMEN
CLINIQUE
Amorcer
l’annonce de
diagnostic
Inf. coord.
Médecin
Parents
Nourrisson
- Interactions
- Informations
- Engager une
pré-annonce sur
symptômes
PASSATION
DU TEST
Apporter la
preuve
Inf. coord.
Technicien
Parents
Nourrisson
- Sollicitation des
parents
- Compétences du
personnel
- Homogénéisation
des discours
- Maîtrise de
l’information
CONSULTATION
D’ANNONCE
Expliciter le
projet
thérapeutique
Annoncer l’entrée
dans la maladie
Médecins
Inf. coord.
Psychologue
Parents
Nourrisson
- Gestion des émotions
- Traumatisme des
parents
- Rhétorique
statistique/
« Optimisme »
- Annonce pour les cas
frontières
Équipe
Parents
Nourrisson
- Prise en
charge des cas
frontières
Figure 1 : Le processus d’annonce du diagnostic de la mucoviscidose
Méthodologie
Les résultats présentés dans cet article sont issus d’une recherche portant sur les « Facteurs
favorisant ou limitant la mise en œuvre des recommandations d’annonce du diagnostic de la
mucoviscidose suite à un dépistage néonatal3 ». Le but de cette recherche était de comparer
les attitudes des professionnels à l’égard de la dissémination, de l’appropriation et de
l’impact d’un corpus de recommandations formalisé d’une part, auprès des professionnels
soignants et d’autre part, entre divers types de CRCM. Pour étudier les attitudes et le rapport
des professionnels de santé aux recommandations d’annonce, nous avons choisi de mener
des investigations selon deux volets : l’un, quantitatif, a fait appel à la diffusion nationale
d’un questionnaire auprès de l’ensemble des CRCM ; l’autre, qualitatif, a eu recours à la
passation d’entretiens individuels et d’entretiens de groupe auprès des professionnels des
unités.
L’étude s’est ainsi déroulée de 2007 à 2009 en plusieurs temps. Elle a débuté par une
enquête par questionnaire. Les thématiques du questionnaire concernaient (a) l’appel
téléphonique du médecin à la famille, (b) le rôle accordé au médecin traitant, (c) le
déroulement global de la consultation pour la confirmation et le dévoilement du diagnostic
retenu et la fin de la consultation. Parmi les 49 CRCM qualifiés en France, seuls 37 sont
confrontés à l’annonce du diagnostic après dépistage néonatal (12 CRCM ne suivent que des
patients adultes et ne sont pas confrontés à cette situation). Sur les 37 CRCM contactés (18
pédiatriques et 19 mixtes), 34 ont répondu soit un taux de retour de 89%. L’étude établit que
l’antériorité et le nombre de dépistages des CRCM sont les deux variables déterminantes
qui pèsent sur la capitalisation de savoir-faire, sur la réflexivité opérée par les staffs de
soignants, et au final, sur leurs pratiques d’annonce (Cam & Faquet, 2008).
3. Elle s’inscrit dans le cadre d’appels d’offre de Recherche Clinique 2007 financés par la Fondation de France et
l’association Vaincre La Mucoviscidose (Langeard, Minguet, et al., 2009).
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La deuxième phase qualitative a consisté à mener des entretiens individuels et des
entretiens de groupe4 avec pour mission d’examiner et de documenter les pratiques de
travail des différents segments professionnels confrontés à l’étape cruciale du diagnostic
déclaré de mucoviscidose auprès des parents (médecins et infirmières coordinatrices,
principalement). Parmi les 34 équipes de CRCM ayant répondu au questionnaire, 15 d’entre
elles ont été approchées. Au final, 24 médecins, 14 infirmières coordinatrices, 4 psychologues
et 2 kinésithérapeutes ont été interrogés5. L’analyse de contenu thématique portait sur les
thèmes suivants : la singularité de la maladie et de son annonce, le cadre de l’annonce et
de sa prise en charge par le CRCM, l’annonce dans la trajectoire du malade et sa prise en
charge, l’institutionnalisation de la maladie par les pouvoirs publics et les répercussions sur
les pratiques professionnelles, les controverses et les questions éthiques soulevées par le
dépistage.
Enfin, un travail bibliographique a été effectué intégrant des publications sociologiques,
gestionnaires, médicales, biologiques, institutionnelles, sur la mucoviscidose, les maladies
rares et chroniques, le champ des recommandations et des bonnes pratiques.
Une configuration de type adhocratique
La mucoviscidose occupe, parmi les maladies rares, une place particulière par sa relative
fréquence (un taux de prévalence de 1/4600 nouveau-nés en France) et sa complexité : son
expression clinique est variable et progressive et le pronostic individuel est difficilement
prévisible au moment du diagnostic (Munck et Roussey, 2012). À l’heure actuelle, les
traitements restent préventifs et purement symptomatiques (respiratoire, digestif et
nutritionnel) : ils reposent essentiellement sur une prise en charge précoce et un suivi
médical interdisciplinaire et rapproché6. C’est pourquoi, sur le plan organisationnel, la
mise en place du dépistage néonatal (DNN) systématique de la mucoviscidose a engendré
la création des CRCM, au sein d’établissements le plus souvent hospitalo-universitaires,
chargés de l’annonce de l’affection et de la coordination des soins des patients au sein du
système hospitalier, comme cela fut le cas autour de la prise en charge du cancer (Pinell,
1992) et plus récemment de l’autisme (Rabeharisoa, 2006).
L’organisation de la prise en charge de la mucoviscidose
S’agissant d’une maladie chronique, touchant de nombreux organes, les CRCM gèrent les
soins à l’appui de nouveaux dispositifs d’intervention, lesquels fonctionnent selon un modèle
horizontal impliquant un mode de travail transversal à même de mobiliser et de coordonner
une batterie de spécialistes, d’inventer des modalités d’intervention plus flexible sur la
durée. Par voie de conséquence, à une coordination verticale, fondée sur la subordination
d’un malade profane, se substitue une coordination hybride horizontale et transversale,
fondée sur la centralité du malade et une approche plus globale (Ibid.). Le modèle de cette
coordination fait écho à l’organisation par projet, structurée de manière flexible et soumise
à des changements accélérés et dans laquelle, « les travailleurs doivent être organisés en
petites équipes pluridisciplinaires dont le véritable patron est le client et qui se dotent d’un
4. Ils avaient pour fonction de resituer le contexte organisationnel et de confronter les points de vue sur le
déroulement des étapes du processus d’annonce.
5. L’entretien durait environ deux heures et le guide portait sur le parcours professionnel de l’individu, la
description de son rôle et de ses fonctions au sein du CRCM et de l’ensemble des phases du processus d’annonce, sur
son vécu de l’annonce, et ce, en regard des recommandations.
6. On estime ainsi qu’à l’âge de 20 ans, un patient a passé en moyenne 2 années chez son kinésithérapeute et qu’il
consacre 3 heures par jour à son traitement. Sans omettre les consultations hospitalières régulières pour le suivi et la
prévention. Source : Comité consultatif national d’éthique, 2003.
Configuration organisationnelle et communicationnelle singulières et innovante | 49
coordinateur mais pas d’un chef » (Boltanski, Chiapello, 1999, p. 117). Il serait plus adapté
à des changements continus dans la mesure où il concilie les impératifs de flexibilité et
d’intégration (Piotet, 1992). Cette forme organisationnelle est une manière de répondre à la
tension cardinale qui réside dans la mise en œuvre d’un dépistage de masse. En effet, si ce
dernier se déroule dans un cadre relativement stabilisé par un ensemble de « dispositifs7 »
(Foucault, 1994) entérinant des routines organisationnelles et méthodologiques fortement
homologuées et instituées, il repose aussi sur la prise en charge d’individus singuliers
impliquant une personnalisation des procédés communicationnels. Cette adaptation au
contexte chaque fois spécifique de l’annonce résulte d’une approche clinique fondée sur
des « cas » de malades, d’un suivi médical fondé sur des trajectoires, caractéristiques du
« monde social » des maladies chroniques (Baszanger, 1986), et davantage encore, des
maladies rares. Dans ce contexte de « gestion de la singularité à grande échelle » (Minvielle,
1996, 2000), l’enjeu de cette configuration de type « adhocratique » (Mintzberg, 1982,
p. 375-403) est de rester souple afin de garantir la fluidité du processus d’annonce et a
fortiori de la prise en charge, quand bien même les CRCM sont encastrés dans une structure
verticale, l’institution hospitalière.
Le dépistage reconfigure la temporalité de la maladie par l’anticipation et la prévention
qu’il induit. En effet, l’un des enjeux majeurs du dépistage est de prendre en charge
précocement les patients, afin de ralentir l’évolution vers des lésions définitives, notamment
respiratoires, et ainsi de pouvoir bénéficier des futurs traitements. Dans le même temps, la
prise en charge de la mucoviscidose, « pathologie multidisciplinaire », complexe, difficile,
polymorphe, avec de nombreuses complications et qui peuvent concerner bon nombre
d’organes, appelle la structuration d’une offre plurielle d’intervenants spécialisés au sein des
CRCM : infirmière coordinatrice, kinésithérapeute, diététicienne, psychologue, assistante
sociale et sur le plan médical, pneumologue, gastro-entérologue, ORL, diabétologue,
gynécologue, radiologue, biologiste, chirurgien, etc. Ils doivent collaborer afin d’accompagner
de manière optimale le patient et sa famille lors du diagnostic et à tous les stades de la
maladie. Ces divers acteurs ne sont pas positionnés et engagés de manière équivalente dans
la « politique de soin » (Castra, 2003) ou encore dans la « stratégie thérapeutique » (Castel,
Bergeron, 2010). « On n’est pas une équipe pluridisciplinaire pour rien, on a chacun une
place, et chacun un regard différent » sur la maladie, explique le médecin d’un CRCM. La
contrainte de temps, liée à l’enjeu du temps court du diagnostic, et la variété des métiers
nécessitent des investissements en coordination pour parer à l’urgence du traitement, aux
aléas organisationnels et à la continuité du suivi. Toute l’équipe participe au mouvement de
révélation de la maladie : la coordination ne peut donc pas se réaliser a posteriori, elle est
un préalable à la décision d’annoncer et elle préfigure les modalités de coopération pour la
chaîne de prise en charge.
Le processus d’annonce du diagnostic de la mucoviscidose ne se réduit pas à un temps
« T ». Il engendre une configuration spécifique plus ou moins stabilisée autour de sept phases
clés : la réception des résultats du dépistage, l’appel, l’accueil, l’examen clinique (pour certains
CRCM), le test de la sueur, l’annonce et la post-consultation (cf. figure 1). L’importance et le
soin porté à chacune d’entre elles peut varier selon la taille des CRCM, leur ancienneté, leur
organisation, leurs moyens humains, leur activité (taux annuel de convocations et taille de la
file active de malades). Ce long processus implique une hétérogénéité d’acteurs dans la mise
en exergue progressive des preuves qui permettent d’identifier, de diagnostiquer, de révéler
et de prendre en charge la maladie ; et de ce fait, des activités cruciales de coordination
et de coopération in situ (avec les services hospitaliers et externes, les professionnels
soignants, les familles, les parents). Ce sont autant de caractéristiques qui déstabilisent les
7. Tels que des lois, des avis, des recommandations, des protocoles, issus de diverses instances (associations,
commissions, réseaux professionnels, Etat, etc.) de l’échelon local au plus global.
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cadres institutionnels dominants cloisonnés par spécialité, et qui appellent de nouveaux
cadres de l’action et un bouleversement des expériences professionnelles, en particulier
pour les médecins et les infirmières coordinatrices qui ont un rôle cardinal au sein de cette
configuration8 et sont appelés à coopérer.
Un nouveau scénario diagnostique à l’œuvre
Pour saisir la configuration des rôles engendrée par la mise en place du DNN systématique
de la mucoviscidose, il est utile de revenir sur le nouveau scénario diagnostique à l’œuvre,
lequel permet d’établir une présomption de diagnostic en amont de la rencontre clinique9.
Ce nouveau scénario diagnostique comprend deux analyses successives réalisées à partir des
prélèvements de sang séché du carton Guthrie, trois jours après la naissance : le dosage de
la trypsine immunoréactive (TIR)10 et une analyse génétique – si le consentement parental
autorisant l’analyse de l’ADN a été signé à la maternité – à la recherche des mutations les
plus fréquentes responsables de la mucoviscidose (le kit de dépistage comprend les 30
mutations les plus fréquentes et permet de reconnaître 87% de celles-ci). Au-delà d’un
certain seuil du dosage de la TIR, la recherche des principales mutations génétiques de la
mucoviscidose est effectuée auprès d’un laboratoire de biologie moléculaire.
La réception des résultats par l’Association régionale pour le dépistage et la prévention
des handicaps de l’enfant (ARDPHE) détermine, pour l’ensemble des CRCM, la coordination
de l’ensemble des phases du processus d’annonce du diagnostic. Trois situations sont
clairement identifiées :
1. Le nouveau-né a deux mutations délétères : le diagnostic de mucoviscidose est
confirmé par le test de la sueur. Il s’ensuit un entretien avec les deux parents autour
de la maladie et de sa prise en charge.
2. Le nouveau-né a une mutation identifiée : soit il est porteur d’une autre mutation
(hors kit de dépistage), et le test de la sueur est anormal, ce qui fonde le diagnostic de
mucoviscidose (le risque est de 1/11) ; soit il est hétérozygote porteur sain, et le test
de la sueur est normal. Un entretien étayé explique aux parents que leur enfant n’est
pas malade, mais les informe de l’intérêt d’un conseil génétique.
3. Le nouveau-né ne présente aucune mutation, mais la valeur de la TIR recontrôlée
à 21 jours reste supérieure au seuil (40 µg/l): le risque de mucoviscidose est faible,
mais un test de la sueur est demandé.
Quoi qu’il en soit, dans ces trois situations, le médecin du CRCM est amené à convoquer
la famille du nouveau-né, afin de lancer la procédure qui conduira au test diagnostique,
le test de la sueur. L’annonce du diagnostic s’envisage alors comme un processus – de la
présomption à la preuve –, lequel laisse entrevoir une configuration organisationnelle
innovante à laquelle s’adjoint une nouvelle configuration des rôles professionnels.
Cette configuration de type adhocratique implique un « ajustement mutuel », une
coopération entre les différentes parties prenant part au processus d’annonce du diagnostic
de la mucoviscidose (cf. figure 1), et ce, d’autant plus dans un contexte d’innovation et
d’incertitude. Cette coopération qui émerge avec la mise en place du DNN est innovante, en
ce qu’elle produit de nouvelles pratiques issues de l’« appropriation » de ce dépistage par les
8. À l’inverse du technicien, du psychologue, de la secrétaire, du kinésithérapeute, de l’assistante sociale, ou
encore de la diététicienne qui ont un rôle plus ponctuel ou n’apparaissent qu’en fin de cycle.
9. Avant l’ère du dépistage, le diagnostic était posé lorsque se trouvaient associés un élément ou symptôme
évocateur de mucoviscidose et un test de la sueur positif (chlore sudoral supérieur ou égal à 60 mmol/L).
10. Avec une vérification en doublon sur le même échantillon permettant de retenir les valeurs au-dessus du
« seuil d’action » (65 µg/l) pour réaliser un génotypage (environ 5% des nouveau-nés).
Configuration organisationnelle et communicationnelle singulières et innovante | 51
acteurs concernés, phase qui se traduit par « une multitude de découvertes intermédiaires,
d’adaptations et d’interprétations qui reposent sur l’ingéniosité des opérateurs » (Alter,
2000, p. 268). De ce fait, on assiste à une coopération exceptionnelle impliquant une nouvelle
répartition des tâches entre professionnels de santé et donc une réorganisation des modes
d’intervention auprès du malade. Les deux professionnels clés du processus d’annonce
du diagnostic (cf. figure 1), et de manière générale qui suivront le patient et assureront
sa prise en charge tout au long de sa trajectoire, sont le médecin référent et l’infirmière
coordinatrice (IDEC11). La coopération est le principe clé de ce binôme, en particulier pour
la maîtrise de l’information. La redéfinition des rôles professionnels tant pour les médecins
(pédiatres12) que pour les infirmières (coordinatrices) est pour le moins singulière puisqu’ils
n’interviennent plus auprès d’individus malades dont l’objectif est la guérison, mais sont
amenés à convoquer des familles et leur nourrisson pour leur annoncer l’existence de signes
présageant une anomalie génétique, à faire entrer un nourrisson asymptomatique dans le
statut de malade, à cogérer avec les patients « leur vie avec la maladie », le traitement curatif
étant inexistant. Cette collaboration est d’autant plus importante que les médecins doivent
désormais composer avec l’ingérence des familles qui souhaitent désormais être informées
et écoutées, comme le soutient la loi du 4 mars 2002 à propos de l’accès des patients à
plus d’autonomie et à une meilleure information. Celles-ci deviennent des sujets actifs :
le grand partage traditionnel entre le soigné, profane ignorant et passif, et le soignant,
professionnel, expert (Starr, 1982), n’est plus tenable désormais (Orfali, 2002 ; Akrich,
Méadel, Rabeharisoa, 2009).
Une configuration basée sur l’émergence de nouveaux rôles
professionnels
Parler du rôle professionnel, c’est poser la question des conduites professionnelles
en fonction de la position de l’individu dans ce processus interactionnel : autonomie/
complémentarité des rôles en fonction de leur fréquence d’apparition auprès des patients,
relations de connivence qui se tissent entre acteurs, rôle référentiel que les uns et les autres
vont jouer durant ce processus. Le dépistage généralisé, par la création des CRCM, a permis
le financement de postes au sein des hôpitaux afin que du personnel médical, soignant et
paramédical puisse se consacrer au suivi de ces patients. Dès lors, il a contribué à redéfinir le
rôle de l’infirmière coordinatrice, ainsi que celui du médecin référent : deux professionnels
« captants » (Castel, Bergeron, 2010) qui contrôlent « l’arc de travail » (Strauss et al.,
1985). Ainsi pour l’infirmière, aux soins techniques se substitue la coordination inhérente
au processus d’annonce, à la prise en charge et au suivi du patient. Les infirmières
coordinatrices (IDEC) ont pour objectif d’assurer la fluidité du processus d’annonce, soit de
l’enchainement des phases, sous peine de ralentir ce processus au détriment du patient et
de sa famille. Pour le médecin, à la consultation par les familles se substitue la convocation
des familles. En se déplaçant de l’intervention primaire auprès d’individus malades à la
prévention d’individus pré-symptomatiques (Farrell, 2008), la stratégie thérapeutique
bouleverse le rôle du médecin et la relation soignant-soigné, qui est dès lors renversée, le
médecin devançant la demande sociale en prenant pour référence le statut génétique du
patient.
11. Infirmières diplômées d’Etat coordinatrices.
12. La communauté des pédiatres des CRCM est majoritairement composée de médecins ayant une expérience de
gastro-entérologie et de pneumologie pédiatriques. Il ne fait aucun doute que l’institutionnalisation des Centres de
Ressources et de Compétences de la Mucoviscidose, à une époque où la pédiatrie souffre de légitimité, a largement
bénéficié à cette communauté de professionnels de par la création de postes de praticiens hospitaliers et l’affectation
de moyens conséquents.
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L’infirmière : à l’épreuve de la coordination du processus d’annonce
Dans le cadre de l’annonce de diagnostic, la nécessité de prendre en charge les patients
dans un temps limité13 conduit les infirmières à entreprendre des tâches qui ont pour objet
d’assurer la fluidité organisationnelle du travail, notamment durant le processus d’annonce.
Le « travail d’articulation », lequel « doit être fait pour que les efforts collectifs de l’équipe
soient finalement plus que l’assemblage chaotique de fragments épars de travail accompli »
(Strauss, 1990, p. 191) n’est pas sans faire question. En effet, le CRCM connaît de fortes
contraintes organisationnelles liées d’une part, à son encastrement dans un système
hospitalier devenu extrêmement complexe et de plus en plus enserré dans l’étau des
contraintes budgétaires (Bonnici, 2007) ; d’autre part, à l’intervention de plusieurs acteurs
et services hospitaliers. Sur ce dernier point, lors du processus d’annonce, il fonctionne
en interaction étroite avec différents services cliniques internes (le service de pédiatrie, le
service de pneumologie, le service de gastro-entérologie, le service de génétique, etc.), mais
aussi avec le laboratoire de biochimie et chimie, pour l’arrivée des résultats du dépistage
et des résultats du test de la sueur, ou encore avec l’hôpital de jour lors des consultations.
Dans ce contexte, les infirmières coordinatrices ont pour mission de vérifier que tous
les éléments sont réunis pour que la venue des patients et leur prise en charge s’effectuent
comme prévu : la disponibilité des locaux (pièce réservée à l’annonce, salle pour le test de
la sueur, etc.), la disponibilité des personnels (médecin référent, infirmière ou biologiste
pour le test de la sueur, médecin référent, psychologue ou infirmière pour l’annonce, etc.),
la disponibilité des services (dont le laboratoire de biochimie pour le résultat des tests), la
disponibilité des familles (au moins deux parents pour l’annonce et la post-consultation),
etc. Notons que ce critère organisationnel du souci de fluidifier le processus d’annonce est
commun entre les acteurs dans les entités :
On appelle quand on est sûr que l’on peut accueillir la famille le lendemain pour le test de la sueur
avec la réponse dans la journée. [...] Donc, on s’assure que l’on a une place à l’hôpital de jour, qu’on
va pouvoir faire le test de la sueur dans de bonnes conditions [...] Après, bien c’est un hôpital de
jour, avec des horaires, donc à partir de je ne sais plus quelle heure... 18 heures, il faut que les
chambres soient libérées pour qu’elles soient nettoyées. Donc ça, ça peut mettre une pression
supplémentaire.
Dès lors, le premier obstacle qui se pose est de faire face au manque de temps et de
personnel, voire à son turn-over, tout ce qui complique la coordination des phases en
interne, surtout lorsqu’elles impliquent plusieurs professionnels partageant leur temps
entre le CRCM et d’autres activités. Ainsi, les médecins et les infirmières coordinatrices ne
travaillent pas tous à plein temps, et qui plus est, sur la mucoviscidose, alors même que la
phase de révélation du diagnostic leur demande de bloquer une demi-journée au minimum,
voire dans la plupart des cas une journée ou deux demi-journées : la majorité des annonces
se faisant en binôme.
Le souci majeur, c’est que l’on essaye aussi d’être toujours en binôme pour cette annonce
diagnostique, et donc il faut mobiliser deux personnes, c’est-à-dire qu’il faut que les plannings
concordent. (Médecin).
L’orchestration du processus d’annonce demande aussi une coordination entre les
différents services de l’hôpital. La mission semble alors relever de l’exploit lorsque le
CRCM, c’est le cas de la majorité, doit prendre en compte dans l’organisation du processus
d’annonce le jour où le biochimiste est disponible pour analyser, voire effectuer le test de
la sueur – lorsque ce n’est pas l’infirmière coordinatrice qui le prend en charge. C’est ce qui
explique que les CRCM qui font appel à l’infirmière coordinatrice pour le réaliser, malgré
13. L’équipe professionnelle dispose d’un mois entre la réception des résultats du DNSM et l’annonce, et d’une
semaine entre l’annonce et la prise en charge, comme le cahier des charges fixé pour l’homologation du CRCM le
stipule.
Configuration organisationnelle et communicationnelle singulières et innovante | 53
la charge de travail supplémentaire qui leur incombe, y trouvent un « avantage » car « du
coup, on maitrise complètement la procédure, du début, jusqu’à la fin, jusqu’au résultat »,
explique un médecin. Aussi l’organisation devient encore plus problématique, dès lors qu’il
s’agit de programmer deux tests de la sueur sur une même journée, et que le CRCM dépend
de l’organisation du laboratoire de biochimie. De même, parce que la majorité des équipes
vise la continuité dans le processus d’annonce, la mission de coordination devient encore
plus périlleuse lorsqu’il s’agit de caler le rendez-vous de post-consultation dans les jours qui
suivent, phase durant laquelle intervient une pluralité de professionnels pour une première
présentation générale de l’équipe à la famille et au nourrisson.
Enfin, pour certains CRCM, les locaux « fonctionnent en surbookage », voire ne
dépendent pas de la même structure, rallongeant ainsi les délais administratifs. L’ensemble
de ces vérifications a pour objet d’éviter les incidents organisationnels : le report d’une
annonce de diagnostic, une annonce de diagnostic dans une pièce inappropriée, une attente
démesurée des résultats des tests, l’annonce la veille d’un week-end ou d’un jour férié,
la contradiction des discours entre professionnels engagés dans le processus d’annonce,
etc. En ce sens, les infirmières coordinatrices conduisent un travail réflexif – au sein de
l’équipe – qui leur permet de traduire en normes (ce qu’il ne faut pas faire, ce qui est le plus
judicieux) des retours d’expériences issus d’incidents critiques négatifs et positifs.
« Par exemple, un des premiers que l’on a fait, c’était la veille de Noël ou du 1er de l’an, je ne sais
plus... Enfin, je trouve que ce n’était pas très bien, car on sait que l’on ne sera pas là le lendemain,
ou le soir pour rattraper, enfin, pour répondre au téléphone... voilà, après les gens, ils restent trois
jours... ou alors, ils auront quelqu’un au téléphone, le médecin de garde qui ne sera pas au courant,
forcément de la situation : c’est pas bon, quoi. » (Infirmière coordinatrice).
Ainsi, il est clair que pour l’ensemble des CRCM, c’est en amont de l’appel que la
coordination de l’ensemble des phases qui constituent le processus d’annonce s’établit :
« c’est un peu l’organisation de James Bond [...] à partir du moment où les gens ont franchi
les portes... Il faut que ce soit efficace », explique un médecin. Les infirmières coordinatrices
deviennent des spécialistes de l’organisation, de la coordination. « La cheville ouvrière :
c’est les infirmières », rappelle d’ailleurs un médecin. Cette affirmation est révélatrice de la
reconnaissance grandissante de leur contribution et de leur spécificité professionnelle qui
se situe bien loin d’un savoir infirmier fondé sur une philosophie de soin.
Le médecin : à l’épreuve de la convocation des familles
Avec la mise en place du DDN de la mucoviscidose et suite aux recommandations d’annonce,
c’est d’emblée un médecin « spécialiste » référent, pneumologue, voire de plus en plus gastroentérologue, qui dirige et coordonne l’enquête diagnostique (91% des CRCM). Le premier
acte du médecin référent consiste à s’appuyer sur les résultats du dépistage, bien qu’ils
n’aient pas la valeur de diagnostic. En effet, ils révèlent une forte/faible suspicion fondée sur
une forte/faible probabilité de découvrir une mucoviscidose. C’est ce qui explique qu’une
fois informé, le médecin classe, dans un premier temps, les patients en fonction de leur statut
génotypique (homozygote/hétérozygote), lequel détermine un niveau d’urgence. Autrement
dit, le statut génotypique du patient assigné en amont est décisif dans l’appréhension et le
déroulement des diverses phases du processus d’annonce. À la réception des résultats du
dépistage, est associé un langage optimiste/pessimiste et un niveau d’urgence dépendant
du rang médical du patient. La maîtrise du délai est d’autant plus forte que la certitude d’un
diagnostic est fortement engagée, au vu des résultats réceptionnés.
Il y a des homozygotes, on est sûr qu’ils sont malades, donc ceux-là, on les passe en priorité. Après
il y a ceux, où il y a une mutation ou risque de 10%. Et puis après, il y a ceux qui ont une trypsine
à trois semaines, où la probabilité de mucoviscidose est très faible. Donc après, on s’organise en
fonction de ça. Ceux qui ont le plus de probabilité, on essaye de les faire passer en premier.
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Plus encore, cette première sélection entre hétérozygote et homozygote influe aussi
sur la manière dont les résultats sont interprétés et communiqués. Concernant l’appel
des familles, la plupart des médecins aménagent ainsi leur propos en fonction d’une
présomption de diagnostic plus ou moins forte. Et pour cause, le premier contact ne résulte
pas ici d’une démarche active des parents et chaque mot pendant ce temps d’alerte prend
une grande résonnance du fait de l’enjeu.
Si je sais que c’est une muco, je ne vais pas leur dire : « Tout va bien, on va juste faire une
vérification ». Je vais leur dire : « Écoutez, j’ai un résultat, qu’il faut contrôler. Je vais vous
expliquer demain. » [...] Mais, par contre, si jamais, je sais que c’est effectivement un taux assez
bas, qu’il n’y a qu’une seule mutation, je vais être rassurante... (Médecin).
Ce « label différencié » détermine aussi le degré d’urgence entre l’appel et la convocation :
Ceux qui sont hétérozygotes, on leur dit : »Vous ne venez pas cette fois-ci, vous viendrez la
prochaine fois. » Mais, ceux qui sont malades, il faut absolument qu’on les fasse venir. (Médecin).
Bien que le test de la sueur soit encore à l’heure actuelle l’examen le plus fiable pour
diagnostiquer la maladie, un examen clinique antérieur peut être réalisé en vue d’amorcer
la révélation du diagnostic, dès lors qu’il s’agit d’un homozygote. L’examen clinique vise
pour le médecin à endosser son rôle en orientant la catégorisation à l’appui de symptômes,
à réintégrer une étape prédiagnostique que le dépistage tend à dissiper. Néanmoins,
rappelons que le dépistage révèle des nouveau-nés porteurs de la mucoviscidose qui dans
48% des cas sont asymptomatiques. Dès lors, la divulgation du diagnostic pose question aux
professionnels en raison du déplacement du rôle attribué au médecin et du traumatisme
occasionné aux parents face à la bonne santé apparente de leur enfant, davantage préoccupés
par la nouvelle naissance et très loin de la maladie. L’enjeu de l’annonce du diagnostic est de
ne pas ajouter de la souffrance à la souffrance pour les patients et d’apprendre à mieux vivre
un moment éprouvant et usant dans la durée pour les soignants.
Il faut imaginer que c’est très difficile, maintenant de faire une annonce diagnostique de
mucoviscidose... beaucoup plus difficile qu’avant. Avant, les patients, ils avaient des symptômes.
Donc, on mettait un nom sur les symptômes qui étaient présents. Maintenant ce n’est pas le cas.
Maintenant, on va chercher quelqu’un dans sa vie quotidienne, qui n’attend rien du tout, et on va...
je dirais... le crucifier, quoi. (Médecin).
La mucoviscidose a un tel impact sur la vie quotidienne des personnes atteintes et
sur ceux qui en prennent soin que le rôle des médecins n’est pas réductible à leurs seules
compétences techniques : ils doivent également être dotés de qualités relationnelles, d’un
certain savoir-faire communicationnel, et ce, d’autant plus lorsque la médecine se trouve
confrontée à ses propres limites : « transmettre une mauvaise nouvelle est un art et une
science » (Dalhin, 1999).
Autant quand on est le médecin qui annonce à une famille, qui a un enfant qui est malade que l’on
a trouvé, ce pourquoi il était malade, on est ... Même si on a annoncé un diagnostic difficile, on
est quand même celui qui a trouvé pourquoi leur enfant était malade. Donc du coup cela peut se
poursuivre facilement. Là, on vient être « un coup de tonnerre » dans un truc, où tout allait bien,
où tout était parfait (Médecin).
Le médecin annonceur est donc considéré comme l’« oiseau de mauvais augure »
pour reprendre l’expression de plusieurs d’entre eux car l’annonce met en lumière une
inhabituelle impuissance de la médecine à possiblement guérir, à réparer. Celle-ci devient le
« sale boulot » (Hugues, 1996) en transformant le médecin salvateur en oiseau de malheur
qui, loin d’être en situation de trouver l’essence du mal pour le soigner, fait entrer un
Configuration organisationnelle et communicationnelle singulières et innovante | 55
nourrisson dans le statut de malade et bouleverse ainsi l’expérience de parents d’enfants
« normaux » devenus en peu de temps des parents d’enfants malades (Grob, 2008)14.
On a vraiment conscience de la douleur que l’on inflige à ces gens. On a vraiment la sensation de
passer leur vie au bazooka et de détruire leur vie en quelque sorte (Psychologue).
Dans ce contexte, on comprend aisément toute l’utilité du test diagnostique lors de
la révélation puisqu’il permet un réajustement des rôles entre médecins et parents en
apportant une preuve scientifique, car « si le test de la sueur est positif, on admet que vous
êtes malade [...] c’est le juge de paix en quelque sorte », explique un médecin. Le test de
la sueur permet d’objectiver la maladie grâce à un examen clinique révélant des résultats
tangibles : « Il est soit normal ou pas normal, les parents ont besoin de voir qu’il y a un
support écrit », note un médecin.
Enfin, soulignons que l’annonce du diagnostic repose de plus en plus sur une intervention
constituée du binôme médecin référent/infirmière coordinatrice. Cette configuration
contribue à rassurer tant les professionnels que les patients et les familles, à partager les
responsabilités entre les différents acteurs, mais surtout à homogénéiser les discours.
Une configuration à l’épreuve de l’extension de l’« odyssée
diagnostique »
Sur le plan communicationnel, cette configuration reste dans un processus d’innovation
constant puisque loin d’avoir réduit l’incertitude médicale, le dépistage, après dix années
d’expérimentation, a paradoxalement élargi l’« odyssée diagnostique » (Grob, 2011, p. 40),
et chemin faisant, complexifié le processus d’annonce. Axée sur la fluidité pour assurer le
temps court du diagnostic, elle est mise à l’épreuve de l’incertitude médicale. En effet, il est
des situations où le dépistage produit des cas « intermédiaires », des formes « frontières15 »
caractérisés par leur diagnostic incertain, soit que l’élément de preuve ne fonctionne pas (ici,
le test de la sueur), soit que la forme clinique ne corresponde pas à ce qui est médicalement
délimité16. Ceci soulève un dilemme diagnostique car on ignore le pronostic de ces patients.
Autrement dit, les avancées de l’analyse génétique moléculaire, si elles ont apporté plus de
certitude quant à l’origine de la maladie, ont étendu l’« odyssée diagnostique », au détriment
de la clinique. Par la « production » de cas hors normes, dont les résultats sortent des seuils
de mesure et de catégorisation entre le normal et le pathologique, on assiste à l’extension
et l’enchevêtrement des activités diagnostiques et d’annonce aux familles. Le partage de
l’incertitude médicale engendre alors la diffusion d’un régime communicationnel équivoque
qui n’est pas sans impact sur les professionnels, la famille et le patient.
14. En ce sens, notre analyse contredit celle de Castel et Bergeron (2010) qui observent qu’effectuer un diagnostic
est considéré comme une pratique noble dans le cas de maladies ou de troubles tels que le cancer, la toxicomanie ou
encore l’alcoolo-dépendance.
15. Ces expressions proviennent des professionnels de santé (médecins et généticiens) et sont largement reprises
par les institutions (Haute Autorité de Santé et ministère de la Santé, entre autres). Elles mettent en avant les zones
grises de la maladie (non exclusivement la mucoviscidose) par opposition à sa forme classique.
16. Selon le rapport de la Haute Autorité de Santé, 24 centres notent des difficultés quant à la démarche
diagnostique de la mucoviscidose et 6 centres considèrent que ces difficultés sont importantes voire très
importantes, dès lors qu’il s’agit de gérer des formes « frontières » de mucoviscidose, la découverte des
hétérozygotes et des enfants porteurs de la mutation R117H ou encore l’interprétation des tests de la sueur douteux
ou intermédiaires, (Rapport de la Haute Autorité de Santé, 2009).
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Démultiplication et variabilité des états cliniques entre le normal et le
pathologique
Un certain nombre d’épreuves successives définissent le régime probatoire du diagnostic
en fonction :
1. de valeurs de référence établies pour la TIR et le test de la sueur qui permettent
d’établir si le test est positif, négatif ou intermédiaire ;
2. du nombre (0, 1, 2), du type (F508del, R117H, etc.) et de la classe (classique ou
modérée) des mutations décelées par le kit de dépistage ou suite à une recherche
extensive (hors kit de dépistage, si les valeurs de référence du test de la sueur sont
positives ou intermédiaires).
Cet ensemble forme un algorithme diagnostique homologué et participe des protocoles
de recommandations destinées à réguler la communauté professionnelle des pédiatres en
termes d’analyse, de jugement et de prise de décision concernant l’annonce du diagnostic.
Toutefois, cet algorithme se voit déstabilisé chaque fois que l’analyse génétique ou les
résultats de l’analyse et du test biologiques s’écartent des dispositifs préétablis (par rapport
aux valeurs de référence, au nombre de mutations détectées, leur type ou encore leur
classe). L’essor du programme de dépistage et les bénéfices des avancées thérapeutiques,
la précocité du diagnostic n’ont pas pour autant endigués les interrogations posées par les
pratiques et les effets secondaires enregistrés. Il existe des cas de figure où certains résultats
sont difficiles à interpréter parce que l’élément de preuve ne se cale pas sur le protocole
homologué du diagnostic. Le système probatoire prend alors une tournure spécifique dans
le cas de mesures intermédiaires ou de formes frontières de la maladie, impliquant des
résultats équivoques, un jugement clinique hésitant, une recherche de mutations prolongée,
un pronostic complexe. C’est ainsi que les médecins révèlent les « limites propres à la science
médicale actuelle » (Fox, 1988, p. 80) :
Ce dépistage pose problème dans l’interprétation des mutations intermédiaires. C’est vrai que ça
reste un problème qui nous concerne tous, mais pour lequel on n’a pas encore trouvé le moyen de
le résoudre (Médecin).
Ce sont des formes où biologiquement, on a une preuve... Si vous voulez en général, c’est des
formes où l’on a deux mutations. Deux mutations, mais un test de la sueur, qui est ou normal,
ou incertain, et puis pas de manifestation clinique, asymptomatique. Donc, là aussi, c’est des
situations où l’on a beaucoup de doutes, et d’inquiétude sur ce que l’on doit faire. (Médecin).
Lorsque les résultats ne tranchent pas, la pratique clinique se trouve confrontée à la
gestion d’un doute diagnostique et au paradigme préventif se substitue le paradigme
prédictif dans l’exercice médical. L’ouverture du champ des possibles engendre des
embarras définitionnels, classificatoires décisionnels, et in fine communicationnels. En
effet, elle donne lieu à la démultiplication des états cliniques se situant entre le normal
et le pathologique, des catégories fabriquées dans la dissémination entre celles du sujet
« indemne » et celle du sujet « malade » : « porteur sain suspect », « bien portant suspect »,
« malade de forme modérée » ou encore « bien portant » suspecté de devenir « malade ».
Pour toutes ces catégories, les individus ne sont « certes pas encore malades, mais leur
probabilité plus élevée de développer la maladie semble déjà interdire qu’on puisse [les]
dire en bonne santé » (Berlivet, 2001, p. 102).
Parallèlement à cette démultiplication des états cliniques fonction d’une complexification
du génotype, les pédiatres font part d’une variabilité de ces états tout au long de la
trajectoire du sujet, d’un « profil évolutif » du malade. Car « le dépistage a fait découvrir
des cas énigmatiques » : « des choses, dont on ne savait pas si c’était des vrais problèmes,
s’il fallait le révéler ou pas. On découvrait des petites anomalies qu’on pensait mineures et
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qui s’avéraient être majeures. Et dans d’autres cas, on découvrait des anomalies que l’on
pensait être majeures et qui finalement n’avaient pas de conséquences ». Cette variabilité
des états peut avoir des effets néfastes sur l’identité du patient lorsque, après 10 ans de suivi,
le médecin annonce qu’« il ne s’agit pas d’une vraie mucoviscidose » au regard des « preuves
biologiques » et que l’arrêt des « traitements » et l’« abandon du statut » s’imposent. La
trajectoire de maladie se voit déstabilisée par la « réversibilité du statut de malade »17.
Diffusion d’un « régime communicationnel équivoque »
La distinction binaire malade/bien portant n’est plus pertinente : la maladie n’est plus
réductible à un état et le malade n’est plus asservi à un statut. Dès lors, l’innovation
perpétuelle au cœur de cette configuration a un coût pour les soignants et les patients.
L’« odyssée diagnostique » devient le théâtre de difficultés communicationnelles entre
médecins et parents. De fait, l’activité diagnostique et l’aveu du diagnostic prennent une
toute autre signification dans les pratiques de communication médecin/malade, autour du
couple diagnostic/pronostic, dès lors que la mise en mots « hors label », portant sur des
cas équivoques, se présente (Brookes-Howell, 2006). Autrement dit, face à l’émergence
de nouveaux statuts de patients débordant les catégories homologuées, un « régime
communicationnel équivoque » se diffuse. Il prend ainsi la forme d’une annonce de
diagnostic qui peut être sujette à diverses interprétations et donc aux malentendus, voire
aux contradictions lorsque par exemple un médecin annonce : « Écoutez, votre fils, on ne
sait pas, on ne peut pas dire… Il aura peut-être une mucoviscidose ».
La première caractéristique de ce régime communicationnel équivoque est donc d’être
marqué par une information incertaine, par nature non quantifiable. L’incertitude invite
les médecins à se dégager d’une approche probabiliste de la maladie, à sortir du cadre
de la statistique, qui légitime habituellement leur action, pour privilégier une approche
davantage qualitative révélant un discours nuancé, situé entre l’affirmation et l’infirmation
comme l’exprime ce médecin :
Voilà, ce n’est pas la mucoviscidose, néanmoins on a trouvé des trucs au niveau biologique, dont on
ne sait pas les interpréter sur le plan clinique, donc pour ça, ça justifie une surveillance. Au pire, on
connait une certaine forme apparentée à votre cas, où l’on est plus fragile au niveau respiratoire,
quand on est un peu plus vieux, une sinusite chronique ou des choses comme ça. Mais on ne peut
pas vous dire pour le moment. Donc le mieux, c’est le suivi de temps en temps.
La deuxième caractéristique qui en découle est la transmission des limites de la science
aux patients et à leur famille, impliquant le partage d’une expérience incertaine de la
maladie. Le message transmis insiste sur le fait que le travail du médecin relève d’un art
et non d’une science exacte afin de rester crédible, éviter toute méfiance et tout soupçon.
La transparence est la condition sine qua non pour obtenir la confiance qui permettra la
continuité de l’échange dans le temps, car la complexification du diagnostic rallonge d’autant
le temps de l’annonce et laisse pour un temps indéterminé les familles dans l’angoisse. Elle
peut provoquer une incompréhension chez les parents qui se trouvent placés au devant
d’une échéance repoussée et d’une déclaration diagnostique différée :
Et là, c’est évidemment une situation très pénible pour les gens, parce qu’on leur dit que l’on
ne peut pas trancher. Et on les fait revenir. Et on ne peut pas le faire le lendemain, parce qu’on
sait que c’est des choses qu’il faut attendre un peu de temps, pour que ça se modifie. Et donc,
on les reconvoque un mois plus tard, pour refaire. Et il nous arrive que le deuxième test soit
encore incertain. Donc, il y a des gens comme ça, que l’on maintient dans une espèce de situation
17. Cette réversibilité statutaire signe le passage du statut de malade chronique au statut de bien portant, qui fait
suite non pas à une période de traitement (comme le suggèrent les termes de comeback ou recovery utilisés par les
sociologues anglo-saxons) mais à l’invalidation d’un diagnostic incertain qui impose dorénavant au supposé malade
(et à sa famille) de retrouver une existence où disparaissent les limites de tous ordres imposés par la maladie. Le
statut de malade en tant qu’état social prend ici le pas sur le statut de malade en tant qu’état biologique.
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terriblement désagréable qui est : »On ne peut pas vous dire que c’est une mucoviscidose, on ne
peut pas vous dire que ce n’est pas une mucoviscidose. » (Médecin).
Elle illustre la traversée désagréable d’une période à durée indéterminée pour les
médecins, qui ont pour objectif d’éliminer l’incertitude avec le temps, et interminable pour
les parents. Celle-ci résulte de la confrontation avec des entités biomédicales rétives à la
classification, de l’impossibilité de déterminer la cause de la souffrance de l’enfant et du
différé entretenu par le corps médical pour se donner du temps avant de prononcer un
diagnostic de mucoviscidose. En l’absence de diagnostic établi, la famille reste donc dans
l’incertitude durant toute cette période. Dans cette situation, construire l’expectative
(Ménoret, 2007), c’est-à-dire l’incertitude partagée entre le pédiatre et le patient, sa famille,
c’est également préparer à une longue durée de prise en charge selon un statut équivoque.
Désormais, le principe d’incertitude se niche au cœur du pacte thérapeutique (Langeard,
Minguet, et al., art. cit.) : patients et parents partagent avec les soignants ce principe qui
imprègne la tonalité des résultats et leur interprétation. Les parents d’enfants à risque
doivent simultanément accepter l’autorité des résultats issus des tests génétiques (la réalité
abstraite d’une maladie) et intégrer l’espace de flottement lié à la variation de ces mêmes
résultats.
La troisième caractéristique est que face à des connaissances instables, l’information
s’inscrit dans un processus dynamique non linéaire, voire réversible. En effet, l’ambiguïté
du pronostic complexifie les messages à transmettre aux familles et complique l’information
génétique et le conseil afférent que le médecin se doit de délivrer aux familles (Whitmarsh,
and alii, 2007). Il en résulte une variété de réponses possibles pour la conduite des
entretiens consécutifs à l’annonce d’un diagnostic confirmé (Dillard, Carson, 2005), ainsi
que des embarras de contenu informatif et de procédé communicationnel pour le conseil
génétique (Brookes-Howell, 2006). Tout se passe comme si la trajectoire du patient était
désormais scandée par une succession d’épreuves, soumise à la réversibilité.
Vous ne pouvez pas faire une bonne annonce, parce que ce n’est ni oui, ni non, c’est... (…) Donc, ils
ne sont pas malades, et on ne peut pas leur dire non plus qu’ils ne sont pas malades. (…) Donc en
fait, on va rentrer dans une espèce d’annonce merdique, dans lequel, on va leur dire : « Ah mais il
n’a pas la mucoviscidose, mais quand même... Donc, il va falloir quand même que l’on fasse une
analyse génétique. » Alors, là, il faut expliquer pourquoi il faut faire une analyse génétique. Et puis
après on va leur dire : « Et puis, on va refaire un test de la sueur. » Alors, donc eux, ils sont ni oui,
ni non. Ça, c’est très compliqué. Ca donne des consultations où l’on fait trois pas en avant, et deux
en arrière... Après, alors, donc les parents, ils sont rassurés, mais pas complètement. Puis on va
les revoir. Donc, ils se disent : « Mais si on me revoit, c’est que...» Alors ça, c’est très compliqué
(Médecin)
Il en résulte une quatrième caractéristique qui est que l’information délivrée, parce que
marquée du seau de l’incertitude, engage, expose et implique davantage le médecin, lequel
est confronté à des questionnements éthiques, notamment concernant la prise en charge.
Dans la majorité des cas, les médecins optent pour un bilan annuel et un contrôle médical
allégé « parce qu’engager dans un suivi de mucoviscidose standard... qui est un suivi très
lourd, une prise en charge très lourde... un individu qui peut-être ne sera pas malade, ou
pratiquement pas malade, ce n’est pas dénué de conséquences », raconte un médecin. Ce
suivi distancié est une manière pour le médecin d’accroître ses connaissances cliniques sur
les développements possibles de ces formes atypiques de l’affection.
De la présomption à la suspicion jusqu’à la preuve, de la certitude à la présentation
de résultats qui n’autorisent pas de conclusions tranchées, ce sont autant d’expressions de
l’univoque comme de l’équivoque, placées sous le sceau de la contingence. L’impossibilité
d’affirmer la réalité de la pathologie parce que les individus sont porteurs de mutations
dont les suites cliniques sont mal définies, prolonge d’autant les statuts équivoques, dont
celui de « bien portant suspect » (Langeard, Minguet, et al., art. cit.), et révèle la diffusion
Configuration organisationnelle et communicationnelle singulières et innovante | 59
d’un régime communicationnel équivoque qui y est associé. Cette réalité des embarras de
contenu informatif et de procédé communicationnel liés à l’imprécision ou l’incertitude,
s’oppose aux valeurs de l’ethos clinique (Freidson, 1984) et révèle les tensions axiologiques
auxquelles sont soumis les médecins annonceurs au regard de leurs principes usuels
d’explication, de légitimation, de normalisation.
Discussion et conclusion
Avec le dépistage néonatal de la mucoviscidose émerge une configuration singulière et
innovante associée à un nouveau scénario diagnostique. Le processus d’annonce a cela
d’exceptionnel qu’il revient, par un dévoilement plus ou moins progressif et plus ou moins
long d’une anomalie génétique, à faire entrer un nourrisson asymptomatique dans la
labellisation de malade, à énoncer la maladie à sa famille, quand bien même le traitement
curatif est inexistant. À la guérison et la réparation des corps fait place le maintien de la
santé, « supercatégorie normative » (Herzlich, 1984), et la prévention de la maladie.
La configuration organisationnelle qui prend forme autour du processus d’annonce du
diagnostic est désormais prise dans un tiraillement entre les poussées rationalisatrices du
fonctionnement de l’organisation hospitalière et les conduites de singularisation liées au
processus d’annonce et à la prise en charge d’une maladie rare. Face à l’enjeu de fluidité
du processus d’annonce, qui suppose une large coordination en amont et la convocation
d’individus « bien portant suspect » (Langeard, Minguet, et al., art. cit.), se redéfinissent
les rôles professionnels de l’infirmière et du médecin. Pour l’infirmière, la mission
principale est, dans ce contexte particulier, de coordonner le processus d’annonce, et audelà, les soins effectués par les différents intervenants, la logistique des soins à domicile, la
qualité du soin, l’éducation thérapeutique du patient, etc. Au centre des interactions et de
l’information, l’infirmière coordinatrice est l’acteur stratégique (Crozier et Friedberg, 1977)
de cette configuration. Le médecin, quant à lui, voit son rôle professionnel bouleversé par
l’inversion de la demande sociale : à la consultation se substitue la convocation. Autrement
dit, le processus d’annonce n’est plus lié à une démarche active des parents. Ce changement
radical engendre plusieurs bouleversements pratiques : le statut génotypique prévaut sur
les symptômes et les signes cliniques, l’appel à l’aveugle préside au colloque singulier,
les tests biologiques sont la condition sine qua non d’objectivation de la maladie pour les
patients et leur famille.
En outre, le médecin expérimente une autre facette de son métier, où l’agir médical
impuissant consiste à arracher des nourrissons à leur statut de bien portant pour les faire
entrer dans le statut de malade (Langeard, Minguet, et al., art. cit.). Plus encore, face à
l’extension de l’anormalité (Vailly, 2011) liée à l’extension de l’« odyssée diagnostique »
et à sa complexification, la configuration se remodèle autour d’une démultiplication des
états cliniques, dont la figure du « bien portant suspect » (Langeard, Minguet, et al., art.
cit.) qui apparaît comme une « identité technicoscientifique » (Clarke, 2003) ou une
« identité technicoscientifique de malade » (Sulik, 2009) à part entière, entre celle de
porteur sain ou d’hétérozygote produite par la génétique. Dès lors, la relation médecinpatient s’en trouve bouleversée sur le plan communicationnel : se diffuse un « régime
communicationnel équivoque » qui promet de s’amplifier dans un contexte où s’imposent
la médecine du risque, l’extension et le partage de l’incertitude médicale. En effet, face à
une labellisation indéterminée, le travail communicationnel du médecin vise à donner de
la matière à l’incertitude, à lui donner du sens pour la rendre compréhensible au patient
et à sa famille. Par la transmission d’une information de type qualitative et nuancée qui
insiste sur les limites de la science et implique le partage d’une expérience incertaine de
la maladie, l’annonce de diagnostic s’inscrit dans un processus diachronique, dynamique
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et non linéaire, voire réversible. Il en résulte que dans ce régime communicationnel, le
médecin est confronté à des questionnements éthiques inédits autour de la prise en charge.
Au final, à la lumière de cet article, on peut s’interroger sur le développement d’une
« médecine de surveillance » (Armstrong, 1995), de plus en plus anticipatrice, qui remet
fondamentalement en question les rapports entre le normal et le pathologique, entre la santé
et la maladie, mais aussi l’identité des individus, désormais soumis à la loi du soi risquant
(Odgen, 1995). Davantage encore, ce travail questionne les enjeux communicationnels
dans le processus d’annonce, lesquels débordent les enjeux médicaux. En effet, il ne s’agit
plus seulement pour les soignants de connaître les symptômes d’une maladie, ou encore
de maîtriser un certain nombre d’informations techniques liées à la maladie pour être
compétent ; il faut davantage être capable de coordonner un processus en amont afin de
garantir les meilleures conditions matérielles pour transmettre une mauvaise nouvelle, de
mobiliser constamment de nouvelles ressources communicationnelles issues de l’expérience
clinique pour assurer un échange « taillé sur mesure » (Tluczek, 2010), de donner corps
à l’incertitude médicale lorsque la catégorisation du patient est douteuse. Ces savoirs
communicationnels doivent être considérés comme des investissements : ce sont ceux que
les acteurs mettent en œuvre pour parvenir à agir, à s’approprier l’innovation (Alter, 2006).
En ce sens, le travail communicationnel à l’œuvre résulte d’un travail de réconciliation,
« bridging work » (Timmermans, Buchbinder, 2012), opéré par les cliniciens, visant à amortir
des conséquences imprévues produites par la mise en œuvre de nouvelles technologies
(Akrich, 1992 ; Timmermans, Berg, 2003). Afin de prendre pleinement la mesure de ce
travail communicationnel à l’œuvre autour du processus d’annonce du diagnostic de la
mucoviscidose, suite à la mise en place du dépistage, notre recherche mériterait de prêter
attention à un acteur incontournable : les enfants dépistés et leurs familles.
Configuration organisationnelle et communicationnelle singulières et innovante | 61
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