RICSP, 2013, n. 8, p. 45-64
46 | C. Langeard et G. Minguet
coalition liant les cliniciens bretons, des nanceurs publics et les médias, jouant sur des
registres d’actions différents, à la fois techniques, statistiques mais aussi affectifs, qui rend
progressivement possible « la production régionale d’une politique de santé ». An de
généraliser au niveau national le dépistage, les professionnels bretons vont se baser sur la
conviction de l’efcacité du dépistage néonatal de la mucoviscidose, basée sur l’expérience
clinique plus que sur des preuves tangibles. Soulignons aussi le rôle important de l’association
de patients Vaincre la mucoviscidose (anciennement Association française de lutte contre la
mucoviscidose) qui « remplit un rôle en demi-teinte » en faisant pression auprès des pouvoirs
publics (Vailly, 2006, 2011). Aussi, en l’absence d’un traitement curatif, seules la prise en
charge précoce du malade et la centralisation des soins dans des centres de traitement de
référence font gure de compromis, même si ce dispositif alimente encore un vif débat dans
l’arène biomédicale et celle des administrations de santé1. Ces deux facteurs, permettant
d’améliorer le pronostic vital de l’enfant, expliquent la généralisation du dépistage néonatal
à l’ensemble du territoire. Ce déploiement s’est accompagné de recommandations de suivi
de l’enfant dépisté et de protocoles standardisés à l’attention des soignants, dans des centres
de soins interdisciplinaires que les autorités de santé ont ofcialisé et dénommé Centres de
ressources et de compétences de la mucoviscidose (CRCM)2. La France est ainsi devenue le
premier pays au monde à effectuer ce dépistage néonatal systématique et généralisé, dont
l’organisation a été conée à l’Association française pour le dépistage et la prévention des
handicaps de l’enfant (AFDPHE).
Dans une « société du risque » (Beck, 1992 ; Giddens, 1994), caractérisée par l’anticipation
des risques et la promotion du dépistage dans le domaine de la santé, comment la mise en
œuvre de ce dépistage néonatal, en tant que technologie biomédicale, a-t-elle inuencé la
conguration organisationnelle, professionnelle et communicationnelle à l’œuvre autour du
processus d’annonce du diagnostic de cette maladie ? Autrement dit, comment les soignants
coopèrent-ils entre eux ? Qu’est-ce que ce dépistage découvre ? Comment les soignants
gèrent-ils les informations obtenues à l’aide des tests qu’il engendre et comment formulent-
ils les résultats des examens, avec quels degrés de certitude ? Au nal, comment soignants et
parents font-ils face à l’incertitude, comment est-elle traitée et quelles sont les conséquences
durables sur les patients, leur famille : leur expérience (Rothenberg et Thomson, 1994, p.
4) ?
Pour y répondre, le processus d’annonce constitue une entrée analytique privilégiée en
ce qu’il est une des étapes médicales cruciales, indissociable du dépistage de masse. En
mettant en jeu une pluralité de phases clefs, de services, d’acteurs (professionnels, famille,
patient), d’instants critiques, de croyances, de pratiques et d’informations (cf. gure 1),
le processus d’annonce révèle une conguration organisationnelle, professionnelle et
communicationnelle innovante. Cette conguration émerge de l’ensemble des chaînes
d’interdépendance spéciques qui se nouent autour du processus d’annonce du diagnostic
impliquant une hétérogénéité d’acteurs aux intérêts divers et interagissant dans un cadre
singulier. Il s’agira donc de porter le regard sur les « nombreux individus qui, de par leur
dépendance réciproque [Interdependenz], sont liés entre eux de multiples façons, formant
1. L’action en faveur du dépistage soulève certaines oppositions et controverses, notamment entre des cliniciens
bretons et l’Association française pour le dépistage et la prévention des handicaps de l’enfant (AFDPHE) concernant
le dépistage des hétérozygotes, aussi appelés « porteurs sain » ; l’AFDPHE voyant poindre dans ce mode de
dépistage le risque d’une forme d’eugénisme (Vailly, 2011).
2. Un CRCM est un « regroupement des compétences de nombreux corps professionnels dans les différentes
disciplines concernées par la mucoviscidose pour soigner au mieux dans la continuité et dans la globalité les patients
atteints de cette maladie. Pour les enfants dépistés, il s’agit du lieu où le diagnostic est conrmé puis annoncé et où
le patient sera régulièrement suivi. Pour tous les patients, il s’agit du lieu où les choix thérapeutiques et les décisions
importantes sont pris et expliqués au patient et à sa famille. Pour tous les intervenants et soignants, quels que soient
les lieux de réalisation des soins, il s’agit du lieu de coordination des soins » (Extrait de la dénition formelle des
CRCM issue de la circulaire n°502 du 22 octobre 2001).