Histoire, et méta-Histoire, sujets et événements, expériences et récits, unité et
multitude, langage et parole, comment ne pas convoquer ici les analyses d'Alain Badiou
et de Paul Ricœur. La rencontre n'est pas si fortuite ni forcée que ça : A. Badiou, citant
Mallarmé confirme que pour lui le théâtre est "d'essence supérieure "2 quant à P. Ricœur
on sait l'importance qu'il accorde au récit dans la construction du sens3 ; et si les deux
hommes - Gatti et Ricœur - viennent de débattre aux récentes Assises pour l'égalité
d'accès à la culture (Paris, la Villette, mai 1991)
c'était
pour y interroger ce qui
aujourd'hui peut encore fonder une démarche culturelle rapportée à la tradition pour
Ricœur, à l'exclusion-révolution pour Gatti.
Mallarmé, certes dont Gatti a donné le prénom à son fils Stephan, mais aussi
Hölderlin, que nous rencontrons dans l'Errance (Die Wanderung) de ce voyage
identiquement inouï, à pied entre l'Allemagne et le sud de la France4. Mais peut-être
aussi plus essentiellement dans la problématique du site et de l'événement qui structure la
philosophie de Badiou, et peut-être le théâtre de Gatti.
Car si pour Hölderlin le site
c'est
la patrie et la diagonale du site le dialogue avec
les Dieux Grecs, pour Gatti le site premier dont il se réclame
c'est
le camp de
concentration, et sa diagonale le maquis, la résistance. L'écriture comme diagonale entre
deux sites, dont l'un fonde l'origine (la patrie, le camp), et l'autre la quête. Mais ce qui
nous frappe encore plus
c'est
la constance à tracer, la fidélité comme opérateur de
l'écriture :
"Et sans cesse un désir vers ce qui n'est point
là s'élance. Il y a beaucoup
A maintenir. Il faut être fidèle. "5
2^
"Qui dira ce que nous devons au
théâtre,
de V Orestie
d'Eschyle
aux pièces de Brecht? Art
capital,
analyseur ininterrompu de notre
histoire..."
A.
Badiou,
Théorie du
Sujet,
Paris,
Editions du Seuil, 1982,
p.102.
3.
"
L'histoire
est
toujours sur le point de devenir méta-histoire
:
c'est
ce
qui arrive quand on cherche
le
sens des événements dans ¡es
causes,
ou dans
l'enchaînement,
ou
dans le tout de
l'histoire
où ils
viennent
prendre sa place"
P.
Ricœur, préface à Thévenaz
"
L'homme
est
sa
raison
".
4. On sait qu' Armand Gatti, pris le maquis à
18
ans,
dans la forêt de Berbeyrolle en Corrèze. En
1943,
il
est
arrêté,
condamné à mort, puis gracié et déporté au camp de Linderman, près de Hambourg. Il s'évade,
et rejoint le maquis à pied, empruntant la même diagonale qu' Hölderlin, mais non le même destin. On
sait que le poète allemand à son retour de France, resta définitivement silencieux. Dans son isolement
"on dit qu'il répétait souvent à ses visiteurs
• et en
français
-
ces
deux
mots eux-mêmes souvent répétés
"
Je
suis,
Je
suis"..."
*
* JP. Lefevbre, "Hölderlin,
journal
de
Bordeaux",
William Blake and
Co,
Bordeaux,
1990,
p.10.
5
G.
Jallet,
"Hölderlin"
, Poètes d'aujourd'hui, Seghers, Paris,
1985,
p 135.
h