ROBERT HIRSCH
Il nous laisse en plan
Théâtre
Monstres
sacrés
* Robert Hirsch
au Français,
Madeleine Renaud
au petit T.N.P. :
après les dorures
les beaux murs noirs
TARTUFFE
de Molière.
Comédie-Française.
LAMANTE ANGLAISE
de Marguerite Duras.
Théâtre national populaire (salle
Gémier).
La Comédie-Française est
un lieu étrange : anachroni-
que
et
pourtant vivant, confi-
né et à la fois populaire.
On y célèbre un culte, à base de nar-
cissisme, analogue à celui qu'on célé-
brait naguère dans les opéras de pro-
vince, au Capitole de Toulouse, par
exemple, où les connaisseurs allaient
au bon moment entendre le ténor de
«
la Tosca » pousser son contre-ut.
Le public n'y
est
enthousiaste qu'à
condition de savoir l'oeuvre qu'on lui
présente par coeur, à. • condition que
rien, ni dans la mise ên scène ni dans
la décoration, nécessairement somp-
tueuse, ne change — comme si Mné-
mosyne, déesse de la mémoire, de-
vait tirer les fils de ces cérémônies à
jamais séparées dù monde extérieur.
La part d'éternité que contiennent
les classiques
est
cependant
sujette à
caution. Ils subissent la déformation
du temps et ne peuvent être entendus
comme ifs l'étaient lors de leur créa-
tion. Qui songerait aujourd'hui à inter-
dire « Tartuffe ».?
Au metteur en scène d'aujourd'hui
se pose donc le problème de savoir
s'il doit faire de l'archéologie ou, au
contraire, représenter un classique à,
la lumière des recherches esthétiques
et intellectuelles de son époque.
Adolescent névrosé
Jacques Charon, metteur en scène
de ce « Tartuffe », a adopté une troi-
sième solution : celle de nous donner
un « Tartuffe » selon le mue siècle,
avec pour tout potage, servi dans le
programme, un texte sur Molière de
feu Pierre Brisson, d'une rare indi-
gence. Un « Tartuffe » psychologique,
post-romantique, avec des costumes
— de 'Robert Hirsch — tout droit
venus du magasin d'accessoires
beaucoup de plumes, de satin, de bro-
cart, alors que n'importe quel écolier
sait que la maison d'Orgon est celle
d'un bourgeois et que les bourgeois
de l'époque ne s'habillaient point en
habits de cour. Cette maison, cette
famille, il fallait d'abord nous les
montrer -- comme l'avait fait Roger
Planchon.
A vrai dire, Jacques Charon s'est
surtout préoccupé de mettre en
scène Robert Hirsch et, occasionnel-
lement lui-même. Il
ne s'est guère
préoccupé de ce que pouvait signifier
la pièce, ni du temps de Molière ni
aujourd'hui. Et si l'on aime les per-
formances d'acteurs, il Y a un très
grand moment de théâtre lorsqu'à la
fin du troisième acte Tartuffe joue à
Orgon sa grande scène de fansse auto-
accusation et où Robert Hirsch et
Jacques Charon tombent tous deux
à genoux. Comme à Toulouse pour
entendre le grand air de
e
la Tosca »,
il faudrait aller à la Comédie-Fran-
çaise rien que pour ce moment-là.
Monstre sacré pour monstre sacré,
encore aurait-il fallu que Robert
Hirsch tînt le coup jusqu'au bout.
Soucieux de donner « son » interpré-'
tation du personnage de Tartuffe, en
accord avec sa propre personnalité, il
en
fait
un adolescent névrosé, un
cafard par faiblesse, un pauvre type
'rejeté par la société. Mais quand cette
image, au départ séduisante, ne colle
plus au texte, c'est-à-dire quand Tar-
tuffe, ayant jeté le masque, s'empare
des biens d'Orgon et le dénonce à la
police, Hirsch renonce à son person-
nage : il n'est plus qu'un Tartuffe
parmi d'autres et la pièce s'en va à
vau-l'eau.
Qui réussira jamais à diriger Ro-
bert Hirsch, 1
,
ri des plus grands ac-
teurs que nous ayons et qui, toujours,
nous laisse en plan: ? Sûrement pas
Jacques Charon, qui aurait dû, par
fidélité envers lui-même, monter
«
Tartuffe » en farce, ce qui se serait
parfaitement défendu. Que n'a-t-il lu
au moins Baudelaire, qùi disait
e
Mon opinion sur « Tartuffe » est
que ce n'est pas une comédie, mais
un pamphlet.' Un . athée, s'il est tin
• Le gouvernement a interdit la se-
maine dernière au T.N.P. la repré-
sentation de la pièce d'Armand
Gatti : .f Passion en violet, jaune et
rouge », dont la première devait avoir
lieu le 11 février. Cette pièce, d'abôrd
intitulé « La Passion du général
Franco », mettait en scène la guerre
d'Espagne.
Fait sans
précédent, c'est
l'ambas-
sade d'Espagne à Paris qui a de-
mandé à notre ministre des Affaires
étrangères, Michel Debré, d'intervenir
pour que la pièce de Gatti soit inter-
dite, bien que le titre ait été changé
,
'
et que le nom du Caudillo ait
été
remplacé par celui du général Medan-
las. André Malraux avait bien tenté
d'intervenir. Rappelant à Armand
Gatti qu'il avait lui-même jeté des
bombes sur les troupes franquistes,
il lui avait proposé de monter une
autre pièce
de
lui,
de Gaulle étant
bien entendu, de l'avis de, Debré, qui
doit se rendre en Espagne au m'ois
de
février
pour y signer
des
accords
,
commerciaux.
Le
personnel du T.N.P. a immédia-
tement distribué un tract à la sortie
du théâtre rappelant que, lorsque la
pièce de Gatti avait été montée en
1966, en Allemagne, le gouvernement
de la République fédérale s'était
(..,.
.. attiré la même démarche de la part
des Espagnols, mais, passant outre,
homme bien élevé, pensera, à propos
de cette pièce, qu'il ne faut jamais
livrer
,
certaines questions graves à la
canaille. »
Et les gens de la Comé-
die-Française sont malheureusement
des gens bien élevés': ils ont supprimé
ce que cet iniolent chef-d'oeuvre pou-
vait avoir, même aujourd'hui, de
gênant pour les bien-pensants.
Sévère perfeetion
Après l'opéra, la musique de cham-
bre. Après les dorures de la Comédie-
Française, les beaux murs noirs du
petit T.N.P.
C'est une sombre cérémonie qu'on
y célèbre, d'abord Sur un choral as-
sourdissant de Bach, avant que
Claude Dauphin, puis Madeleine Re-
naud ne prennent place, successive-
ment, sur
une
petit chaise dé fer au
milieu des spectateurS. Ils vont être
interrogés, l'un pendant trois quarts
d'heure, -l'autre, pendant une heure,
Sur un crime monstrueux commis par
la femme : elle a tué, puis coupé en
morceaux une cousine sourde et
muette placée chez elle et son mari
comme' servante, dans une petite mai-
son de banlieue qu'ils habitent depuis
plus de vingt ans. Les morceaux de
la victime ont été dispersés dans les
trains qui passaient .sur un pont à
proximité de la commune (ce qui a
permis de circonscrire l'enquête).
Seule, la tête n'a pu être retrouvée.
L'interrogateur (Michel Lonsdale)
n'est- ni
un policier ni un
médecin,
mais plutôt Marguerite Diffas elle-
même, si troublée par ce fait divers
qu'elle- nous eix avait déjà donné Une
première
-
dans une pièce
*«' les "Viaucs!' de Seiiieet-dise ». Re-
.
avait répondu qu'il n'avait pas d'or-
dre à recevoir d'un gouvernement
étranger.
Des critiques dramatiques et les
directeurs de théâtres populaires ont
immédiatement réagi contre cette in-
terdiction et, tout en rappelant que
les théâtres subventionnés étaient
des • services publics et non pas
au service du gouvernement, ont
formé un
comité de
défense.
On
peut
envoyer son adhésion en l'adressant
à Emile Kopfermann, 1, place Paul-
Painlevé (59.
Aux dernières nouvelles, `on prê-
terait à Michel Debré l'intention de
faire retirer des librairies l'Espoir »
de 'Malraux et • les Songes et men-
songes du général Franco », suite de
gravures célèbres de Picasso.
Il ne 'ferait en cela que suivre
l'exemple du gouvernement turc, M-
cemment visité par le Général
(Je-nô
tre), qui est en train de faire un pro-
cès au poète Attilâ Hilan pour avoir
traduit « l'Espoir de
Malraux. Les
exemplaires du roman de notre mi-
nistre de la Culture ont été retirés
de la circulation et Attliâ Hilan risque
de deux à sept ans de prison aux
termes d'une loi qui poursuit tout
écrit faisant l'apologie du commu-
nisme.
prise sous forme de roman, son inter-
prétation de ce crime sans motiva-
tions connues revient au théâtre par
la volonté de Claude Régy qui a
conduit ses trois acteurs de main de
maître. Une fois qu'il aura obtenu
de Madeleine Renaud (chaque fois
plus extraordinaire, chaque'fois plus
envoûtée par le personnage qu'elle
incarne) 'dene se laisser aller à aucun
sentimentalisme et s'il avait renoncé à
une trouvaille qui me paraît contesta-
ble (l'interrogateur, à la fin, s'éprend
en
-
quelque sorte de sa, patiente), ce
spectacle toucherait à la sévère perfec-
tion pour _laquelle le
théâtre a été
aussi
inventé. «
Cruels souvenirs •
Cela dit, et une fois admis que
vous
verrez
sans
faute « l'Amante
anglaisé », je ne cacherai pas que le
texte de 'Marguerite Duras vous appa-
raîtra, ccemme à moi, obscur à bien
des égards. Si le personnage du mari
(Claude Dauphin) ne pose aucune
question, celui qu'incarne Madeleine
Renaud, cette demi-folle qui veut
rester en possession de sa folie, n'at-
teint pas toujours aux profondeurs
voulues par l'auteur. Dans la mesure
où je puis citer, à propos de Margue-
rite Duras, un certain nombre de ro-
manciers et de romancières anglo-
saxons — de Virginia Woolf à E. M.
Forster, de Curson MacCullers
à
Henry Green — auxquels son talent
une fait souvent penser, je rappellerai
que l'art des nuances, des pensées
souterraines, des choses non dites,
inexprimables, doit prendre un point
de départ moins grand-guignolesque
que , celui de ce cadavre coupé en
morceaux. Si j'ai bien compris Mar-
guerite Duras, elle ne veut pas que
son héroïne soit totalement folle, mais
que les accusés, les vrais responsables,
soient la bassesse de - la réalité, le
temps, la cruauté des souvenirs
-
heu-
reux. Les « explications » que donne
cette femme, à mi-chemin de la schi-
zophrénie et de la poésie, paraissent
faibles au regard .d'un tel crime.
GUY DUMUR
Franco au pouvoir
-
Page 36 Lundi 30 décembre 1968 -
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