Rostand nous présente un « fils d'Aigle » en cage, un aiglon rêveur au destin tragique,
toujours frustré, inassouvi dans sa soif d'idéal, de grandeur et de pureté. Les échos de la
guerre, le bonapartisme, l'Empire, la République et les complots que suscitent les
différents partis ne sont que la toile de fond d'une intrigue profondément ancrée dans
les passions humaines. L'idéal, la quête d'absolu, la désillusion, la vanité de la lutte, la
beauté de cette vanité, le panache, l'héroïsme et ses revers, la haine du compromis : tous
ces grands thèmes rostandiens – imbibant chacune de ses pièces – débordent ici de
chacun des personnages, de chacune de leurs tirades. Rostand se sert de ce cadre
historique précis (et minutieusement rendu grâce à une documentation rigoureuse et
une obsession du détail) pour déployer un essaim d'âmes complexes.
L'auteur désirait que la chose fût claire : la question du retour du Duc de Reichstadt en
France, de son possible règne en tant que Napoléon II, Empereur des Français, n'est pas
le propos essentiel de cette pièce :
Grand Dieu ! ce n’est pas une cause
Que j’attaque ou que je défends…
Et ceci n’est pas autre chose
Que l’histoire d’un pauvre enfant.
Souligne l’auteur, dans l’épigraphe.
Dans l'acte 1, on découvre un Duc de Reichstadt en pion d’un pouvoir monarchique
modéré qui a conquis l’Europe. Ce modèle politique est le modèle géniteur de notre
régime républicain, conséquence de révolutions (celle de 1789, puis celle de 1830)
récupérées et perverties par la bourgeoisie qui, encore aujourd’hui, tient le
gouvernement au service de ses intérêts propres.
Ce personnage principal qui se terre dans la solitude et rejette le monde qui l’entoure est,
au début de la pièce, le parangon parfait du héro romantique. Il a la particularité (à la
différence du héro traditionnel qui est le plus souvent un archétype) d’être un individu
sensible, en conflit avec le monde qui l’entoure et dont la société nie les aspirations. Le
Duc de Reichstadt est jeune, beau, fragile, las et inexpérimenté. Or, il paraît moins
engagé qu’un Hamlet ou qu’un Lorenzaccio. Il ne se bat pas véritablement pour une
cause ou contre un élément extérieur... Tout semble glisser sur lui. Ses aspirations ne
l'élèvent pas de lui-même, et c'est contre ses propres limites, ses propres lâchetés qu'il
lutte. L'absence de son père, la réclusion loin de ses racines ont creusé dans son âme un
gouffre gigantesque, ce qui confère au Duc une profondeur et une gravité qui
contrastent avec la frivolité ambiante de Baden, résidence d’été de la famille impériale
d’Autriche...
- Chut ! – J’ai fait un complot ! …
- Vous ! un complot ?
- Immense ;
Chut ! – On nous interdit tout ce qui vient de France ;
Mais moi, j’ai fait venir, en secret de Paris,
De chez deux grands faiseurs…