SOMMAIRE Organisateurs : O. CHAPUIS (Paris) 1. Prise en charge initiale du traumatisé fermé de l’abdomen J.-L. DABAN (Clamart) 2. Algorithme décisionnel Le traitement non opératoire : indications, modalités et limites S. BONNET (Clamart) 3. Place de la radiologie interventionnelle dans la prise en charge des traumatismes fermés de l’abdomen J. POTET (Clamart) 4. Place de la chirurgie dans la prise en charge des traumatismes fermés de l’abdomen Procédure de « Damage Control » - Place de la laparoscopie – Arrêt du traitement non opératoire D. ROUQUIE (Paris) PRISE EN CHARGE INITIALE DU TRAUMATISE FERME DE L’ABDOMEN Jean-Louis DABAN 1 Introduction En France, les traumatismes de l’abdomen sont essentiellement fermés. La prise en charge des patients les plus graves repose sur le damage control (DC). Au concept chirurgical initial de DC a été adjoint depuis une dizaine d’années le concept de damage control resuscitation (DCR) [1]. Le DCR optimise la réanimation du traumatisé grave et s’inclut dans la chaine de survie débutant du pré hospitalier à la réanimation chirurgicale post opératoire. Ce texte présente les grands axes du DCR. 2 Evaluation initiale L’examen clinique des traumatisés fermés de l’abdomen est souvent trompeur et faussement rassurant. Pour cette raison, la radiologie et la biologie sont des aides précieuses du triage. L’évaluation initiale doit être rapide et permettre une prise de décision immédiate pour stopper une hémorragie active car seule l’hémostase chirurgicale ou radiologique peut sauver le patient. Cette notion de facteur temps est essentielle comme l’illustre l’étude PROMMTT portant sur une cohorte de plus de 1000 traumatisés graves dans laquelle près de 90 % des décès précoces étaient liés à une hémorragie [2]. 1. Clinique La gravité immédiate d’un traumatisme abdominal est liée à l’hémorragie essentiellement par des lésions d’organe plein (rate, foie) ou par rupture vasculaire. Le risque septique par perforation d’organe creux représente la seconde complication mais est retardé de quelques heures à quelques jours. L’évaluation initiale dès l’étape pré hospitalière a pour objectif de rechercher des signes de choc. Deux notions importantes doivent être notées. Tout d’abord, les chiffres de fréquence cardiaque ou de tension artérielle sont d’interprétation difficile. La fourchette clinique définissant un malade à risque de transfusion massive est large et débute selon les scores dès 110mmHg de systolique ou 105 bpm de fréquence cardiaque [3,4]. Pour exemple, sur une population de militaires traumatisés, une systolique inférieure à 100 mmHg est déjà associée à une hypo perfusion tissulaire et à une surmortalité. Second point, en cas d’évacuation rapide qui doit être la règle pour un traumatisé grave, le délai bref avant l’arrivée à l’hôpital peut masquer un choc débutant (phase initiale de compensation du choc). Pour ces raisons, la conférence de Vittel en 2002 recommande de considérer tout patient comme un traumatisé grave dès que des éléments de cinétique (éjection du véhicule, chute > 6m,...) sont présents. Si ces précautions amènent probablement à un "sur-triage", elles permettent d’éviter tout retard de prise en charge délétère pour le patient. 2. Imagerie A l’inverse du thorax et du bassin, la réalisation d’une radiographie simple de l’abdomen de face (ASP) en salle d’accueil des urgences vitales (SAUV) n’apporte rien. Le bilan d’imagerie sera modulé selon l’état hémodynamique du patient. Pour le patient instable, l’échographie d’urgence de l’abdomen en SAUV (FAST écho) peut être réalisée par un « non-radiologue » après une courte formation avec une sensibilité et une spécificité acceptable. L’apport de l’échographie est indiscutable sur la prise de décision (laparotomie d’hémostase immédiate). Mais s’agissant, d’un traumatisme fermé qui n’est donc pas un traumatisme pénétrant, l’utilisation de l’échographie doit être limitée à une question simple: existe-t-il un épanchement intra péritonéal? La recherche des lésions de contusions d’organes pleins ou des voies urinaires doit être laissée au scanner. De fait, une échographie d’urgence négative ne signe pas l’absence de lésion. A l’inverse, et dans une étude portant sur 110 traumatismes fermés en choc avec un épanchement vu à l’échographie, Charbit et coll ne retrouvait que 50% d’hémorragie active intra abdominale [5]. Pour ces raisons, l’échographie doit être réservée aux patients instables et replacée dans le contexte global de l’évaluation du traumatisé fermé pour ne rien négliger des lésions extra abdominales (bassin, thorax et membres) avant une décision thérapeutique. Chez un patient stable ou stabilisé, un scanner abdominal (sans puis avec injection) doit compléter systématiquement l’évaluation d’un traumatisé grave de l’abdomen. L’arrivée des scanners « délocalisés » en SAUV et la rapidité actuelle des acquisitions d’image pourrait permettre de réaliser un scanner même chez les patients initialement décrits comme non transportables en radiologie et rendrait obsolète l’échographie. Dans ce sens, certaines équipes proposent un accueil direct sur la table du scanner délocalisé en SAUV des patients avec un traumatisme fermé. 3. Biologie Les examens de biologie permettent d’améliorer l’évaluation initiale. En urgence, le bilan initial repose sur des examens simples. L’évaluation rapide de la gravité du traumatisme est faite par l’évaluation des conséquences de l’insuffisance circulatoire (gazométrie, lactate) et par la mise en évidence d’une coagulopathie. La réalisation d’une gazométrie associée à un dosage des lactates artériels présente l’avantage d’être rapide et délocalisable en SAUV. Un pH<7,20 est une indication reconnue de DCR et de DC [6]. La lactatémie à l’arrivée et sa baisse en cours de prise en charge sont de bons marqueurs de l’efficacité de la réanimation. La mise en évidence d’une coagulopathie biologique peut se faire par la mesure du taux de prothrombineTP% ou de l'INR. Le long délai entre prélèvement, acheminement au laboratoire et obtention d’un résultat ne permet pas de guider la transfusion initiale chez le traumatisé hémorragique. Pour cette raison, les dernières recommandations sur la transfusion de plasma thérapeutique autorisent la transfusion de plasma sans attendre un critère biologique en cas d’hémorragie massive [7]. La thromboélastographie réalisable « au lit du malade » pourrait permettre de guider les besoins transfusionnels et de diminuer la consommation des produits sanguins labiles (PSL: CGR, plaquette, plasma) [8]. L’hémoglobine et l’hématocrite doivent être analysés avec prudence et sont de mauvais marqueurs en aigu de l’intensité d’un saignement en l’absence de remplissage important. Dans l’étude multicentrique PROMMTT, l’hémoglobine moyenne à l’admission était de 11g/dl chez des traumatisés hémorragiques. Ce chiffre bien qu’élevé, doit être retenu comme alarme [2]. Et en cas de saignement actif important, le seuil transfusionnel de 7g/dl ne doit pas être attendu pour transfuser. 3 Damage control ressuscitation Le damage control ressuscitation (DCR) vise à réduire la mortalité en prévenant la survenue de la triade létale de Moore (acidose, hypothermie et coagulopathie). Cette stratégie, mise en place par l’armée américaine lors des conflits récents, a pour but d’optimiser la réanimation du traumatisé présentant une hémorragie massive [9]. Sa transposition en milieu civil a montré son efficacité [10]. Les grandes lignes du DCR sont reprises dans la figure 1. 1. Réanimation hémostatique et transfusion massive La transfusion est l’élément central de la réanimation du blessé hémorragique. La réanimation hémostatique repose sur la transfusion précoce de concentrés de globules rouges (CGR), de plasma frais congelé (PFC) et de concentrés plaquettaires (CP) à un ratio proche de 1/1/1 qui permet de diminuer les besoins transfusionnels totaux et d’améliorer la survie en traitant la coagulopathie. Ces ratios bien que discutés sont actuellement acceptés à la phase initiale du choc hémorragique. Plus que les ratios sur 24 heures, c’est l’absence de retard à l’administration de plasma et de plaquettes qui semble améliorer la survie. Ces ratios ne concernent que les patients bénéficiant d’une transfusion massive. La mise en place de protocoles comportant des « pack transfusionnels » prédéfinis (CGR/plasma/plaquette) en cas d’hémorragie cataclysmique améliore la survie en permettant. La transfusion de CGR jeunes (absence de lésions de stockage) améliore le pronostic des patients. 2. Agents hémostatiques La transfusion massive doit être associée à l’utilisation d’agents hémostatiques. Si les données récentes plaident pour un abandon du facteur VIIa, l’étude CRASH 2 a montré l’intérêt majeur à l’administration précoce (<3H après le traumatisme) d’acide tranexamique (antifibrinolytique). Le plasma thérapeutique est pauvre en fibrinogène. En cas d’hémorragie massive, l’utilisation de concentrés de fibrinogène peut s’avérer nécessaire pour maintenir un taux au-dessus de 1,5g/dl [7]. L’apport de citrate par les CGR nécessite une administration régulière de calcium. 3. Prévention de l’hémodilution Les solutés de remplissage (colloïdes ou cristalloïdes) sont à l’origine d’une hémodilution iatrogène aggravant la coagulopathie. L’excès de cristalloïdes ou colloïdes lors des chocs hémorragiques aggrave le pronostic. Dans l’armée américaine, le DCR a réduit de 50% le volume de cristalloïdes des blessés de guerre au profit des PSL améliorant la survie. Les solutions balancées isotoniques diminuent l’acidose en particulier hyperchlorémique liée au sérum physiologique et pourraient à terme devenir le soluté de référence. Les colloïdes doivent être abandonnés en l’absence de preuve de supériorité sur les cristalloïdes iso ou hypertoniques [11]. On peut retenir que chez le patient hémorragique le soluté de choix est le sang sous forme de PSL [12]. 4. Hypotension permissive En l’absence de traumatisme crânien, l’hypotension permissive avant hémostase permet de diminuer les apports et le saignement. Les objectifs recommandés sont une pression artérielle systolique à 80-90mmHg pour une pression artérielle moyenne à 50mmHg. Dès le contrôle du saignement, l’objectif est d’au moins 65mmHg de pression artérielle moyenne [13]. 5. Hypothermie L’hypothermie est à la fois un marqueur de gravité du traumatisme et un axe thérapeutique important. L’hypothermie aggrave la coagulopathie et est associée à une surmortalité. La perte de chaleur doit être une préoccupation permanente du lieu de l’accident à la réanimation en passant par le bloc opératoire. L’hémorragie, le choc, la perfusion de larges volumes de solutés froids (CGR en particulier) ou l’anesthésie (curarisation) sont des facteurs majeurs de déperdition thermique. Pour ce faire, le patient doit être couvert entre chaque examen, l’ambiance thermique de travail adaptée et les solutés réchauffés, en particulier les CGR. 4 Conclusion Damage control surgery et damage control resuscitation vont de pair. Ces concepts doivent être mis en œuvre par tous les membres d’une équipe de traumatologie (urgentiste, anesthésiste-réanimateur et chirurgien) du lieu de l’accident à la réanimation post opératoire. Une bonne chirurgie sans réanimation adaptée étant vouée à l’échec et vice versa. Références 1. Holcomb JB, Jenkins D, Rhee P, et al. Damage control resuscitation: directly addressing the early coagulopathy of trauma. J. Trauma 2007; 62: 307‑310. 2. Holcomb JB, Junco DJ del, Fox EE, et al. The prospective, observational, multicenter, major trauma transfusion (PROMMTT) study: comparative effectiveness of a timevarying treatment with competing risks. JAMA Surg. 2013; 148: 127‑136. 3. Elmer J, Wilcox SR, Raja AS. Massive transfusion in traumatic shock. J. Emerg. Med. 2013; 44: 829‑838. 4. Callcut RA, Cotton BA, Muskat P, et al. Defining when to initiate massive transfusion: a validation study of individual massive transfusion triggers in PROMMTT patients. J. 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La prise en charge des traumatismes fermés de l’abdomen s’est progressivement modifiée ces dernières années avec l’essor de l’approche non opératoire [1,2], rendue possible par les progrès de l’imagerie moderne et de l’embolisation par voie artérielle des traumatismes hépatiques et spléniques [3,4]. Le problème reste cependant compliqué car il s’agit souvent de patients polytraumatisés. Indications du Traitement Non Opératoire Les organes candidats à un traitement non opératoire les plus fréquemment lésés lors d’un traumatisme fermé de l’abdomen sont la rate (46%), le foie (33%), le rein (9%) et le pancréas (5%) [5]. Concernant la rate, les critères du traitement non opératoire sont : stabilité hémodynamique, absence d’autre lésion intra-abdominale, absence de lésion associée extraabominale, volume de l’épanchement péritonéal < 250 ml, lésion splénique grade I, II, ou III selon l’AAST, Glasgow Coma Scale (GCS) à 15, âge < 55 ans, rate non pathologique, moins de 4 culots de globules rouges en 48h [6]. Concernant le foie, les critères du traitement non opératoire sont : stabilité hémodynamique après remplissage, nombre de culots de globules rouges transfusés < 4, hémopéritoine estimé < 500 ml, absence d'autres lésions nécessitant une laparotomie, atténuation des signes locaux (douleur, défense), contusion hépatique ou hématome intraparenchymateux [7] Concernant les traumatismes fermés du rein, le scanner permet de classer les lésions en 5 stades de gravité. La tendance actuelle est celle d’un traitement non opératoire conservateur pour les lésions de grade I à IV [8] et certains ont même proposé une surveillance pour les lésions de grade V [9]. Concernant le pancréas, les critères du traitement non opératoire reposent essentiellement sur l’absence de lésion duodénale associée et la stabilité hémodynamique. La rupture canalaire du canal de Wirsung n’est pas en soi une contre-indication au traitement non opératoire [10]. Bien entendu, quel que soit l’organe lésé, les autres conditions importantes qui doivent être réunies pour mener à bien le traitement non opératoire sont la possibilité d’une surveillance clinique rapprochée, la disponibilité de l'échographie, du scanner et de l'artériographie avec embolisation, et aussi la capacité à déclencher à tout moment une laparotomie en urgence. Modalités du Traitement Non Opératoire Concernant la rate, le traitement non opératoire repose sur une surveillance armée : examen biquotidien, hémogramme quotidien, échographie abdominale répétée à 48 heures et scanner abdominal uniquement à la demande [11]. Les facteurs d’échec doivent être reconnus précocement : degré d’atteinte de la rate, présence d’un hémopéritoine important [12]. Une telle stratégie de surveillance permet un sauvetage de la rate dans 80 % des cas [11]. Au niveau du foie, la surveillance du patient va dépendre de la gravité des lésions et du contexte : surveillance en réanimation pour les polytraumatisés et les lésions graves du foie, surveillance en chirurgie pour les lésions moins graves et pour un traumatisme abdominal isolé. En milieu chirurgical classique, la surveillance est clinique (douleurs, météorisme, transit, pouls, tension, diurèse, qualité de la ventilation) mais aussi biologique (hématocrite avec son seuil de 30 %, hémoglobine avec celui de 100 g/L, numération et formule à la recherche d’une leucocytose, bilan hépatique à la recherche de rétention et de cytolyse…) [13]. En milieu de soins intensifs, la surveillance est complétée par le contrôle de l’hématose, par l’appréciation du volume des pertes sanguines attribuables au foie, par la mesure de la pression intravésicale. L'échec du traitement conservateur se produit dans 15 % des cas, souvent pour des motifs extrahépatiques (fracture de rate ou de rein, plaie intestinale, fuite biliaire) [14]. Le traumatisme fermé du rein doit être surveillé en milieu chirurgical. Il comprend de façon spécifique la mise en place d’une sonde vésicale s’il existe un caillotage, une surveillance biologique ainsi qu’une réévaluation par scanner injecté à tous les temps entre le 3ème et le 5ème jour [15]. Concernant le pancréas, tout repose sur l’existence ou non d’une atteinte du canal de Wirsung, de sa gravité et de son siège. En cas de lésion pancréatique isolée sans lésion du canal de Wirsung, une surveillance en milieu chirurgical avec recherche de complications par un scanner de contrôle est la règle. Le traitement est médical, similaire à celui d’une pancréatite aigüe. En cas de rupture du canal de Wirsung objectivée par l’imagerie, qu’il s’agisse d’une atteinte canalaire céphalique ou corporéo-caudale, l’endoprothèse reste le traitement de choix [10]. L'échec du traitement conservateur, due le plus souvent à la persistance d'un saignement et/ou de la dégradation des paramètres hémodynamiques, doit conduire à la réalisation d'un acte chirurgical [7]. Limites du Traitement Non Opératoire Les limites d’ordre général du traitement non opératoire sont [16] l’existence de facteurs individuels de mauvaise réponse au traitement non opératoire (sujet âgé, patients sous anticoagulants, cirrhose), l’existence de lésions associées d’organes creux, une indication opératoire pour des lésions extra-abdominales (qui peut gêner la réalisation d’une laparotomie en urgence), l’existence d’une hyperpression intraabdominale qui doit être traitée chirurgicalement en cas de mauvaise tolérance clinique ou d'apparition d'un syndrome du compartiment abdominal [17]. Le traitement non opératoire dans la gestion des traumatismes spléniques peut être pris en défaut et nécessiter un acte chirurgical. Il peut s’agir d’un hématome sous capsulaire persistant qui peut se rompre (notamment lors des 4 premiers jours [18]), de complications de l’embolisation splénique par voie artérielle, de pseudokyste splénique (nécessitant une résection kystique ou une splénectomie partielle ou totale), de pseudo-anévrysmes (survenant de J1 à 4 mois [19]), de fistules artério-veineuses, ou encore de rupture secondaire (le plus souvent due à des ruptures secondaires d’hématomes sous-capsulaires ou à de pseudoanévrysmes). Pour toutes ces raisons, la durée d’observation d’un traumatisé de la rate est de 15 jours en secteur hospitalier, avec une vigilance accrue dans les 45 jours suivant le traumatisme. Le traitement non opératoire dans la gestion des traumatismes hépatiques peut se heurter à des situations qui vont imposer une exploration chirurgicale. Il s’agit entre autres de la poursuite ou du déclenchement d'une hémorragie hépatique responsable d’une dégradation hémodynamique secondaire, de l’ischémie du parenchyme par compression liée à un hématome sous-capsulaire, de la survenue d’un syndrome péritonéal (cholépéritoine, perforation intestinale) d’un syndrome du compartiment abdominal, d’une hémobilie, d’un bilome, d’une bilhémie ou encore de complications vasculaires (anévrysmes artériels et fistules artério-portales) [16]. Concernant le rein, l’existence de lésions abdominales associées est un facteur limitant le traitement non opératoire pour les lésions de haut grade. Ainsi certains auteurs proposent par exemple de réaliser une chirurgie réparatrice pour les traumatismes de grade IV avec fragments dévascularisés s’il existe des lésions intra-abdominales associées [20]. Les limites du traitement non opératoire des lésions du pancréas sont essentiellement la survenue de pseudo-kystes du pancréas qui peuvent certes régresser, mais aussi persister, se rompre ou se surinfecter [21]. Conclusion Le traitement non opératoire des traumatismes fermés de l’abdomen est réalisable de manière sûre quand il existe un traumatisme splénique, hépatique, rénale ou pancréatique chez un patient stable hémodynamiquement. Le traitement non opératoire a connu un essor formidable ces dernières années grâce au développement de techniques diagnostiques de plus en plus performantes, notamment dans le domaine de l'imagerie. C’est grâce à une bonne connaissance de ses indications et de ses limites que l’utilisation du traitement non opératoire a pu transformer le pronostic des traumatismes fermés de l’abdomen en permettant notamment un taux de conservation splénique de l’ordre de 80%. Algorithme décisionnel Références 1. Menegaux F. Lésions abdominales traumatiques. 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II- Décision thérapeutique Malgré les différences de pratique et d’école, la prise en charge du patient polytraumatisé est bien codifiée: - s’il existe une instabilité malgré une réanimation efficace, deux cas de figures se présentent. Si un épanchement intrapéritonéal est détecté à l’échographie en salle de déchocage, une laparotomie en urgence pourra être proposée. En cas de fracture du bassin, une embolisation d’hémostase en urgence en salle d’angiographie pourra être réalisée. - en présence d’une stabilité hémodynamique, un scanner corps entier sera réalisé en première intention afin de planifier la séquence thérapeutique. III- Prérequis A- Réalisation de l’angio-TDM abdomino-pelvien (dans le cadre du scanner corps entier) Grâce aux progrès réalisés par la réanimation, un scanner corps entier peut être réalisé chez l’immense majorité des patients. Ce scanner sert de référence à la plupart des embolisations abdomino-pelviennes, à l’exception des patients instables avec fracture du bassin. Il doit sélectionner les patients dont l’hémorragie est active pour poser l’indication chirurgicale ou radiologique du geste. Il permet de distinguer une hémorragie en cavité libre d’une hémorragie contenue (pseudoanévrysme au sein d’un organe, d’un fascia ou d’un hématome). Sa négativité n’exclue cependant pas un saignement en deux temps, lors de la remontée tensionnelle, de la lyse d’un caillot ou de la levée d’une vasoconstriction. B- Principes généraux de l’embolisation Elle concerne les patients stables hémodynamiquement dont le choc est contrôlé par les manœuvres réanimatoires, à l’exception du traumatisme du bassin où une hémodynamique mal contrôlée peut être tolérée. L’abord vasculaire est artériel, en fémoral commun droit ou gauche. En cas de traumatisme du bassin, cet abord sera controlatéral au saignement. Une aortographie de face est nécessaire même si le patient a eu un scanner corps entier au préalable. Sa négativité ne signifie pas pour autant l'absence de saignement et des séries sélectives des artères splanchniques doivent être réalisées, particulièrement pour les artères qui vascularisent les organes lésés au scanner. Des cathéters 4F ou 5F suffisent à faire le diagnostic et à traiter la plupart des saignements actifs. Des micro-cathéters de 2 à 3F doivent être disponibles en cas d’embolisation suprasélective. La navigation se veut prudente en raison des risques de vasospasme artériel, occluant momentanément l’accès aux sites de saignement. La séméiologie angiographique des lésions vasculaires doit être connue par le radiologue et comprend entres autres, l’extravasation de produit de contraste, le pseudo-anévrysme, la fistule artério-veineuse, la thrombose, la dissection et les irrégularités pariétales. Elle se doit de différentier l’hémorragie en cavité libre (grande cavité péritonéale, arrière-cavité des épiploons...) ou l’hémorragie contenue (rétro péritoine, méso ou mésentère, pseudoanévrysme au sein d’un organe, d’un fascia ou d’un hématome). Cette dernière peut être surveillée, son évolution pouvant se faire vers la régression ou peut parfois être traitée (en vue de prévenir une future rupture). Le matériel d’embolisation comprend principalement : a) les emboles résorbables à base de gélatine animale (type Gélita-Spon®), à privilégier du fait de leur caractère résorbable et peu ischémiant, ainsi que de leur faible coût. b) les particules non résorbables, onéreuses mais intéressantes en cas de vascularisation terminale c) les coils afin de thromboser des lésions vasculaires relativement proximales en association avec le Gélita-Spon®. d) Les endoprothèses couvertes pour les artères de gros calibre ne pouvant faire l’objet d’un sacrifice. Les trois grands types d’embolisation demeurent l’embolisation terminale (injection distale (généralement de Gélita-Spon®) au plus proche de l’hémorragie et créant un sacrifice parenchymateux d’aval partiel (valable pour le rein et la rate), la technique du sandwich (lésions artérielles focales) et la mise en place d’une endoprothèse artérielle couverte (artères de gros calibre, essentiellement aorte et artère iliaques). IV- Traumatismes du bassin Les meilleurs candidats à l’embolisation sont ceux dont le remplissage est inefficace et dont le scanner montre une extravasation artérielle. L’embolisation du bassin demeure un traitement de choix dans un contexte traumatique avec saignement actif. La stabilisation et la fixation externe du bassin demeurent des option thérapeutiques possibles en complément. En cas de stabilité hémodynamique, une embolisation supra-sélective consommatrice en temps peut être réalisée. Dans le cas contraire, une embolisation proximale hypogastrique bilatérale doit se discuter. V- La rate Le traitement des traumatisés spléniques est de plus en plus conservateur, la radiologie interventionnelle doit réduire au minimum le taux d’échecs de celui-ci. Elle est contre-indiquée en cas de non contrôle de l’état hémodynamique du patient. Elle doit être proposée en cas d’extravasation de produit de contraste, de pseudo-anévrysme ou de fistule artério-veineuse splénique. L’embolisation distale sous segmentaire au Gélita-Spon® au niveau du site de saignement demeure efficace et peut être complétée par une occlusion de l’artère splénique par des coils, juste en aval de l’origine de l’artère pancréatique dorsale. VI Le rein L’embolisation des lésions rénales repose sur l’usage de coils dans l’optique de préserver au maximum le parenchyme rénal sain non traumatisé. L’utilisation de micro-cathéters et de micro-coils prend ici tout son sens en vue d’une embolisation la plus mini-invasive possible. Son but princeps est d’éviter la néphrectomie. Son taux d’efficacité demeure excellent, entre 80 et 100%, sans dégradation de la fonction rénale lorsque celle-ci est conservée en préthérapeutique. A noter, la présence possible d’une hypertension artérielle post-traumatique persistante après embolisation. La radiologie interventionnelle peut aussi utile en cas de nécessité de revascularisation des lésions occlusives des artères rénales, en utilisation des stents métalliques rénaux, sous réserve que le geste ait lieu dans les 6 heures après l'occlusion artérielle rénale. VII Le foie A l’instar de la rate et du rein, la technique doit être la plus mini-invasive possible, malgré la double vascularisation hépatique artérielle et portale. Les guidelines demeurent non formelles mais les indications de l’embolisation sont les patients non opérables présentant une lésion artérielle ou en cas d’échec du packing. Elle ne doit en aucun cas retarder la chirurgie en cas de lésion gravissime (plaies du carrefour cavo-sus-hépatique). Les coils ou le Gélita-Spon® sont placés le plus en périphérie possible afin de préserver le maximum de parenchyme hépatique. Un sandwich artériel peut être envisagé en cas de lésion artérielle plus proximale en comptant sur les anastomoses artérielles intra-hépatiques. Le taux de succès est important (85%), les complications rares (cholangite ischémique, cholécystite ischémique...). Références: 1. Taylor GA, Sivit CJ. Posttraumatic peritoneal fluid: is it a reliable indicator of intraabdominal injury in children? J Pediatr Surg, 1995; 30:1644-8. 2. Dondelinger RF, Trotteur G, Ghaye B, Szapiro D. Traumatic injuries: radiological hemostatic intervention at admission. Eur Radiol 2002; 12:979-93. 3. Ben-Menachem Y, Coldwell DM, Young JW, Burgess AR. Hemorrhage associated with pelvic fractures: causes, diagnosis, and emergent management. AJR 1991; 157:1005-14 4. Velmahos GC, Chahwan S, Hanks SE et al. Angiographic embolization of bilateral internal iliac arteries to control life-threatening hemorrhage after blunt trauma to the pelvis. Am Surg 2000; 66:858-62 5. Shapiro M, McDonald AA, Knight D, Johannigman JA, Cuschieri J. The role of repeat angiography in the management of pelvic fractures. J Trauma 2005; 58:22731. 6. Miller PR, Moore PS, Mansell E, Meredith JW, Chang MC. External fixation or arteriogram in bleeding pelvic fracture: initial therapy guided by markers of arterial hemorrhage. J Trauma 2003;54: 437-43. 7. Pilleul F, De Queiros M, Durieux M et al. Prise en charge radiologique des lésions vasculaires secondaires aux traumatismes du bassin. J Radiol 2007;88:639-46. 8. Yoon W, Kim JK Jeong YY, Seo JJ, Park JG, Kang HK. Pelvic arterial hemorrhage in patients with pelvic fractures: detection with contrast-enhanced CT. Radiographics 2004; 24:1591-605; discussion 1605-6. 9. Haan JM, Bochicchio GV, Kramer N, Scalea TM. Nonoperative management of blunt splenic injury: a 5-year experience. J Trauma 2005;58:492-8. 10. Bessoud B, Denys A, Calmes JM et al. Nonoperative management of traumatic splenic injuries: is there a role for proximal splenic artery embolization? AJR 2006; 186:779-85. 11. Gaarder C, Dormagen JB, Eken T et al. Nonoperative management of splenic injuries: improved results with angioembolization. J Trauma 2006; 61:192-8. 12. Smith HE, Biffi WL, Majercik SD et al. Splenic artery embolization: Have we gone too far? J Trauma 2006; 61:541-4; discussion 545-6. 13. Dinkel HP, Danuser H, Triller J. Blunt renal trauma: minimally invasive management with microcatheter embolization experience in nine patients. Radiology 2002; 223:723-30. 14. Bookstein JJ, Goldstein HM. Successful management of postbiopsy arteriovenous fistula with selective arterial embolization. Radiology 1973;109:535-6. PLACE DE LA CHIRURGIE DANS LA PRISE EN CHARGE DES TRAUMATISMES FERMES DE L’ABDOMEN PROCEDURE DE « DAMAGE CONTROL » - PLACE DE LA LAPAROSCOPIE – ARRET DU TRAITEMENT NON OPERATOIRE Delphine ROUQUIE Chirurgie viscérale. Hôpital d’Instruction des Armées du Val de Grâce, Paris. Introduction : Depuis l’essor des techniques d’hémostase en radiologie interventionnelle, la chirurgie des traumatismes fermés de l’abdomen trouve ses indications dans les critères d’exclusion ou les échecs du traitement non opératoire. En effet, le traitement non opératoire est maintenant largement considéré comme le standard initial de prise en charge des traumatismes abdominaux fermés hémodynamiquement stables. Les situations où l’on doit avoir recours à la chirurgie se résument en 2 formes cliniques parfois intriquées : - le patient traumatisé abdominal peut être hémodynamiquement instable. Il nécessite alors une chirurgie d’hémostase en urgence dominée par la technique du Damage Control. Cette chirurgie est majoritairement décidée dès l’arrivée du blessé mais peut aussi, plus rarement, être indiquée secondairement au cours de la surveillance armée après une décision initiale de traitement non-opératoire qui se solde par un échec. - le patient traumatisé abdominal peut avoir une suspicion de perforation d’organe creux (au scanner ou cliniquement) ou une rupture diaphragmatique. Il est alors justiciable d’une exploration chirurgicale d’emblée dont les particularités techniques ne seront pas détaillées ici. Par ailleurs, le recours à une intervention chirurgicale doit, bien sûr, aussi être indiqué en cas de prise en charge dans un établissement ne disposant pas d’un plateau technique (radiologie interventionnelle et surveillance) permettant le traitement conservateur. Damage Control A- Principes Le terme de Damage Control, premièrement utilisé par Rotondo et al en 1993 [1], désigne une doctrine de prise en charge des urgences chirurgicales abdominales traumatiques par analogie aux procédures de contrôle des situations de catastrophe dans la Marine et devient une stratégie de prise en charge globale du blessé hémorragique. Traditionnellement, le Damage Control est constitué de 3 phases distinctes : une laparotomie écourtée suivie d’une réanimation post-opératoire puis d’une reprise chirurgicale programmée. On lui décrit actuellement plutôt 5 phases consécutives : le « Damage Control Resuscitation » qui comprend la lutte contre l’hypothermie, le contrôle des saignements extériorisés, la mise en condition préopératoire et le remplissage vasculaire. Puis les 3 phases précitées (laparotomie écourtée, réanimation et ré intervention programmée) et enfin une 5ème et dernière phase de gestion des complications ou séquelles à distance. Au plan chirurgical, initialement considérée comme une technique chirurgicale réservée aux situations désespérées, la laparotomie écourtée est devenue un concept de prise en charge chirurgicale à part entière, étape déterminante du Damage Control, auquel on a recours selon des critères pré et/ou peropératoires précis et qui a montré un bénéfice pronostique dans la prise en charge des traumatisés abdominaux [2]. B-Critères de décision du recours à une stratégie de Damage Control L’engagement d’une stratégie de Damage Control est une décision qui doit être prise au plus vite, idéalement moins de 15 min après le début de l'intervention et non pas après épuisement et échec des autres techniques d’hémostase. À ventre ouvert, et même sans que cela ait été envisagé au départ, l’évolution du blessé peut imposer d’écourter la laparotomie. Le chirurgien doit savoir s’inquiéter de l’importance du volume des transfusions, de la température et du pH du patient : ces indicateurs suffisent le plus souvent à sa décision. Il faut particulièrement éviter, chez le traumatisé grave de l’abdomen, les tentatives de chirurgie reconstructrice complexe et les gestes multiples, qui font perdre la notion du temps qui passe. D'autre part, l’opérateur doit être particulièrement attentif à ne pas se laisser entraîner dans l’erreur qui consiste à faire l’hémostase de lésions diffuses, sans comprendre qu’elles résistent à ses efforts futiles, et que le cercle vicieux de l’hémorragie biologique relève au contraire d’une laparotomie écourtée. Cette décision est prise conjointement entre le chirurgien et le réanimateur sur des critères simples et rapides résumés dans le tableau ci-dessous. Critères devant faire décider d’une stratégie de Damage Control Surgery [3]: Coagulopathie clinique ou TCA> 2 fois le temps du témoin. Hypothermie < 35°C Acidose pH < 7,2 Etat de choc non contrôlé en moins d’une heure Transfusion > 10 CGR, remplissage > 10l ou hémorragie > 4l Plaies veineuses inaccessibles à l’hémostase chirurgicale Nécessité de traiter une lésion extra-abdominale engageant le pronostic vital Technique chirurgicale complexe ou de longue durée ou de longue durée (>90 min) sur un patient à l’ISS >25 répondant mal à la réanimation Chirurgie non réalisable en 1 temps, impossibilité de fermer les fascias Syndrome du compartiment abdominal C- Différents temps du Damage Control 1er temps : Laparotomie écourtée Le terme « Damage Control Laparotomy » peut se traduire par « laparotomie réduite au contrôle des lésions ». Ce temps opératoire très court, idéalement de moins d’une heure, permet d’effectuer l’hémostase et la coprostase par des gestes simples et courts, provisoires ou définitifs, mais dans tous les cas rapides. Au plan chirurgical, l’idée maîtresse du Damage Control est d’abréger la laparotomie initiale afin de ne pas laisser s’installer la triade létale (acidose, coagulopathie et hypothermie) d’où le terme de laparotomie écourtée. Cette approche repose sur le fait que certains états hémorragiques dramatiques correspondent à des hémorragies « biologiques » et non « chirurgicales » d’où l’idée d’obtenir une hémostase rapide même si provisoire afin de permettre le rétablissement des paramètres physiologiques et de coagulation compatibles avec un 2ème temps opératoire assurant le traitement définitif. L’installation du patient se fait en décubitus dorsal bras en croix avec un drapage large allant des mamelons à la racine des cuisses afin de permettre la pose d’un drain thoracique dans le champ opératoire ou l’accès aux triangles de Scarpa par exemple. Le matériel comprend impérativement une aspiration efficace, si disponible un système de recueil de sang pour autotransfusion, un monitorage de la température et un système de réchauffement du patient et des solutés. La voie d’abord est une laparotomie médiane xypho-pubienne parce qu’elle est rapide, facilement agrandissable et permet le meilleur jour pour une exploration rapide des 4 quadrants. Il n’y a bien évidemment pas de place, dans une chirurgie de Damage Control, pour la laparoscopie. L’exploration permet l’inventaire lésionnel. Elle doit être rapide, méthodique quadrant par quadrant et exhaustive. L’hémostase temporaire est obtenue par tamponnement à l’aide de champs opératoires jusqu’à circonscrire précisément la ou les zones de saignement. L’hémostase provisoire ou définitive doit être obtenue rapidement et par tous les moyens. Il peut y avoir une indication de clampage aortique abdominal initial en présence d’une hypovolémie incontrôlable ou chez le patient moribond. Il se fait rapidement le long du pilier droit du diaphragme à l’aide d’un clamp antéropostérieur est placé contre le rachis et maintenu en place. Le tamponnement péri-hépatique consiste à obtenir une hémostase temporaire par compression extrinsèque du foie à l’aide de champs chirurgicaux placés sous les lobes droit et gauche et sur les côtés du foie afin de le « refermer » et de le plaquer contre la coupole diaphragmatique. Il est laissé en place jusqu’à 48 heures. Son inefficacité est rare et le plus souvent due à une lésion artérielle, elle doit faire réaliser le clampage ou la ligature de l’artère hépatique propre en association au tamponnement périhépatique. Un traumatisme splénique se solde par une splénectomie d’hémostase rapide sans considération pour les méthodes de conservation splénique. Un hémo-rétropéritoine diagnostiqué peut être respecté s'il est contenu et non expansif sinon il sera ouvert et l’hémostase obtenue au besoin par néphrectomie. Un saignement pelvien d’origine veineuse impose un packing pelvien. Les plaies et pertes de substances digestives sont traitées par résection éventuelle et rapide des segments intestinaux détruits, puis par suture, ligature sommaire, ou agrafage à la pince mécanique. Il n’y a pas de place lors d’une laparotomie écourtée pour la confection d’anastomoses ou de stomies. Les hémorragies d’origine mésentérique ou mésocolique sont traitées par la réalisation de ligatures vasculaires appuyées, sans considération du risque d’ischémie intestinale en regard mais en respectant l'artère mésentérique supérieure. Les plaies des canaux biliaires et pancréatiques sont drainées au contact. La laparotomie écourtée étant une intervention délibérément inachevée, (qui sera reprise à la 24-48e heure), on procède à une fermeture temporaire afin d’épargner la paroi et de prévenir l'apparition d'une hyperpression abdominale. Il peut s’agir d’une simple fermeture cutanée exclusive ou d’une technique d’abdomen ouvert, préférable en cas de packing ou d’œdème digestif important avec risque de syndrome du compartiment abdominal. La laparostomie avec système de Thérapie à Pression Négative (TPN), qui se présente sous forme de kits commercialisés (KCI, Smith et Nephew), est simple à mettre en œuvre et permet une fermeture provisoire étanche et aspirative. 2ème temps : Réanimation post-opératoire Une réanimation post opératoire intensive est alors débutée afin de placer le patient dans les meilleures conditions pour envisager le 2ème temps opératoire. 3ème temps : Réintervention chirurgicale programmée Le ré-intervention programmée se déroule entre 24 et 48h après la laparotomie écourtée dès que les paramètres physiologiques, en particulier d’hémostase, ont été corrigés. Elle consiste en l’ablation d’un éventuel tamponnement péri-hépatique ou pelvien, un nouvel inventaire lésionnel exhaustif et le traitement définitif des lésions organe par organe. Gestion des complications A l’issue d’une stratégie de Damage Control, la phase finale de la prise en charge consiste en la gestion des complications et séquelles à distance. La morbidité après chirurgie de Damage Control est due à la survenue, par ordre de fréquence décroissante, de déhiscences pariétales, d’infections post-opératoires et de fistules entéro-cutanées. Peu de patients ont une fermeture aponévrotique au cours de l’hospitalisation initiale, la majorité d’entre eux sont réopérés à distance par différentes techniques de pariétoplastie prothétique. Les infections post- opératoires sont, par ordre de fréquence décroissante, les bactériémies sur voie d’abord vasculaire (56%), les abcès intra-abdominaux (24%), les infections du site opératoire (12%) et les autres infections (7%). Le taux de fistules entéro-cutanées varie selon les études de 7 à 21% [2]. Echecs du traitement non opératoire Le traitement non opératoire peut se solder par un échec qui peut être dû à un saignement persistant ou réactivé ou à une péritonite par perforation d’organe creux méconnue. Le taux d’échecs du traitement non-opératoire dû au saignement est dans la littérature de 12% et est associé à une mortalité significativement accrue. Par exemple, les facteurs prédictifs d’échec du traitement non opératoire dans les traumatismes fermés de la rate sont : l’âge >55 ans, la présence d’un hémopéritoine initial modéré à important et un score de gravité AAST (American Association for the Surgery of Trauma) de 4-5 [3]. Chez ces patients il est nécessaire d’intensifier la surveillance afin de dépister précocement l’échec du traitement conservateur et de proposer une chirurgie qui au plan technique est superposable à une chirurgie décidée d’emblée. Par ailleurs, les lésions post-traumatiques de l’intestin grêle et du mésentère ont une incidence de 1% à 5% et la sensibilité dans leur détection va de 80 à 96%. Elles peuvent donc être méconnues en cas de traitement médical et se manifester secondairement. Il faut donc être particulièrement vigilant au cours des 48 premières heures sur les modifications cliniques et biologiques, devant conduire à réitérer le scanner à 12h ou 24h [5] afin d’opérer ces lésions de diagnostic retardé le plus tôt possible avant le stade de la péritonite installée. Place de la laparoscopie La laparoscopie est formellement proscrite chez le patient hémodynamiquement instable. Toutefois, elle peut s’avérer utile pour explorer la cavité abdominale et procéder à des gestes simples comme certaines réparations d’organes creux, une cholécystectomie... Par ailleurs, la laparoscopie exploratrice a permis de diminuer le taux de laparotomies blanches et non thérapeutiques, dans les traumatismes abdominaux pénétrants comme fermés, lors de suspicion d’organe creux à l’imagerie initiale [6]. Le choix de la voie d’abord laparoscopique peut être fait au cas par cas chez un patient hémodynamiquement stable quand le bilan lésionnel initial oriente vers des lésions accessibles. L’opérateur ne doit pas oublier que l’exploration laparoscopique ne permet pas l’examen aisé et exhaustif de toutes les zones d’accolement de la cavité péritonéale et qu’en cas de difficulté ou de doute la conversion doit être la règle. Conclusion Le traitement non opératoire des traumatismes fermés de l’abdomen, grâce aux techniques de radiologie interventionnelle, est devenu le standard de prise en charge. La chirurgie conserve néanmoins ses indications dans les critères d’exclusion du traitement médicoinstrumental, en particulier chez le blessé hémodynamiquement instable. La technique et les critères de mise en œuvre de la chirurgie de Damage Control sont maintenant bien codifiés. Ils ont permis le sauvetage de blessés qui seraient décédés au cours ou dans les suites de gestes obstinés de réparation chirurgicale que la gravité du tableau clinico-biologique rendait inutiles. Proscrite en cas d’instabilité hémodynamique, la chirurgie laparoscopique peut être utile dans le diagnostic et le traitement de certaines lésions. Enfin, les échecs du traitement non opératoire constituent de nouvelles indications chirurgicales, et constituent un plaidoyer pour une surveillance clinico-biologique rapprochée, rigoureuse et chirurgicale de ces patients. Références [1] Rotondo MF, Schwab CW, Mc Gonigal MD et al. 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