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Le Porche mamelouk
Une rue du Caire transportée par magie en plein Paris
En 1889, l’Exposition universelle à Paris accueille un projet spectaculaire : la reconstitution en plein Paris
d’une « rue du Caire » idéale groupant « des maisons et des monuments de bon style ». Portes,
moucharabiehs, revêtements de faïence proviennent du Caire où d’anciennes demeures avaient été démolies
lors des grands travaux urbanistiques au XIXe siècle. Cent soixante égyptiens animent cette rue idéale :
ouvriers, orfèvres, tisserands, potiers, ciseleurs, confiseurs, marchands de soieries et bibelots, musiciens et
danseuses. Soixante ânes blancs y promènent les visiteurs parisiens. Le contraste avec la Tour Eiffel,
construite non loin et la Galerie des Machines est saisissant. Le succès est énorme et laissera un souvenir
durable. Ce projet, d’une surface de trois mille mètres carrés, est orchestré et financé par le baron Alphonse
Delort de Gléon (1849-1899) qui habita l'Egypte pendant plus de vingt ans, période durant laquelle il y
réalisa tous les travaux de voirie des quartiers neufs et créa le plus important établissement financier
d'Egypte.
Un trésor resté dans l’ombre pendant plus de cent ans
Le porche mamelouk était partie prenante du projet « rue du Caire ». Il fut ramené pierre par pierre (cinq
tonnes) en France depuis le port d’Alexandrie. Alors que la rue fut entièrement créée, le porche, d’une
hauteur de quatre mètres, ne put être remonté en raison de la complexité technique du projet, et demeura
dans l’ombre jusqu’à nos jours.
En 2004, le musée des Arts décoratifs consent au Louvre un précieux dépôt : sa collection d’œuvres d’art
de l’Islam. Sur la liste des œuvres figurent une cinquantaine de caisses, répertoriées sous le titre flou de
« caisses d’un porche mamelouk, non inventoriées ». Grâce à l’appui d’un historien du Caire et la
redécouverte à l’Institut national d’histoire de l’art des dessins de Jules Bourgoin montrant l’édifice au
Caire avant destruction, il est désormais possible de retracer en grande partie le destin de ce porche issue de
la résidence cairote d’un émir mamelouk au XVe siècle, entre sa destruction et son arrivée à Paris .
Un précieux témoignage de l’époque mamelouke
Le Caire, capitale du pouvoir mamlouk, s’est couvert durant leur 267 ans de règne, de plus de 2000
monuments de prestige. Leur domination marque un âge d’or pour le Caire qui est alors l’une des plus
grandes villes du monde et la plus importante du monde de l’Islam qui s’étend du Maroc à l’Inde.
A l’origine membres d’une milice formée d’esclaves affranchis, au service des califes musulmans et de
l’Empire ottoman, les Mamelouks régnèrent de 1250 à 1517, jusqu’à la prise de pouvoir par les Ottomans.
Redonner vie à une merveille du Caire médiéval : les défis techniques
Les archives des Arts décoratifs conservaient 10 dessins au trait, donnant une idée de la forme d’origine de
cet impressionnant fragment architectural. Dès 2004, grâce à la Samuel H. Kress Foundation qui a financé
une bourse d’étude dédiée au Porche Mamelouk, un long et minutieux travail de recherche et de
restauration a commencé : les blocs ont été nettoyés, pesés et identifiés (). Des ingénieurs ont pensé une
nouvelle structure, coque en résine sur laquelle seront fixées chacune des pierres. Cette structure ainsi que
les blocs de pierre, formant un ensemble de 10 tonnes, ont été rassemblés à 2,60 mètres du sol pour être
installés au niveau de l’emplacement définitif. Une dizaine de compétences se suivent désormais sur le
chantier afin de choisir les meilleures options de restauration, l’objectif étant que chaque intervention
puisse être réversible. Un restaurateur s’est rendu au Caire pour vérifier l’hypothèse que les pierres, de
taille inégale, ne formaient pas un assemblage mais un parement sculpté dans un mortier. Un des points de
complexité de cette restauration est de sculpter dans la pierre certains décors disparus à partir des dessins
faits par l’architecte avant destruction de l’édifice. Pour remplacer certaines pierres manquantes, des
moulures sont reproduites sur des pierres blanches et jaunes choisies respectivement dans l’Oise et en
Dordogne.
Le remontage est une occasion unique pour les chercheurs d’étudier les savoir-faire mis en œuvre par les
architectes et maîtres tailleurs de pierre syriens qui permirent la floraison architecturale du Caire aux XIe et
XVe siècles. Il a ainsi fallu déterminer les types de calcaire employés, identifier les sens de taille, étudier les
traces d’outils ainsi que les modes d’assemblage et de décoration.