ACTA ARITHMETICA
LXXIII.1 (1995)
Transformation homographique appliqu´ee
`a un d´eveloppement en fraction continue fini ou infini
par
Salah Labhalla (Marrakech) et Henri Lombardi (Besan¸con)
Introduction. Soit mun entier positif et xun nombre rationnel. L’algo-
rithme de Mend`es France ([Men1]) permet de calculer le d´eveloppement en
fraction continue de mx `a partir de celui de xsans passer par le calcul
du rationnel x. Cet algorithme permet en cons´equence d’obtenir des in-
formations de nature th´eorique sur la mani`ere dont se comporte “la mul-
tiplication par m” lorsqu’elle est vue comme portant directement sur les
d´eveloppements en fraction continue. Dans [Men1] par exemple, Mend`es
France obtient la borne suivante. Notons θ(m) la longueur maximum des
d´eveloppements en fraction continue “pairs” pour les rationnels de d´enomi-
nateur m, et notons lf(x) la longueur du d´eveloppement en fraction con-
tinue de x(pour xrationnel). Alors, si xest un rationnel positif, on a
lf(mx)(lf(x)1)θ(m) + 1.
Dans la suite, nous abr´egeons “d´eveloppement en fraction continue” par
dfc.
Des majorations analogues mais plus compliqu´ees sont obtenues dans
[Men2] pour lf ((ax +b)/(cx +d)) lorsque a,b,c,dsont des entiers premiers
entre eux dans leur ensemble.
Dans l’article pr´esent, nous constatons que l’algorithme de [Men1] calcule
en fait le dfc de (ax +b)/d pour xrationnel et a,b,dentiers avec ad > 0.
Ceci nous permet de simplifier l’algorithme donn´e dans [Men2] et nous en
d´eduisons une meilleure majoration pour lf((ax +b)/(cx +d)). Si on note
lfp(x) et lfi(x) les longueurs des d´eveloppements en fraction continue pair
et impair de xon a pr´ecis´ement le r´esultat suivant.
Th´
eor`
eme 2. Soit un rationnel x et des entiers a, b, c > 0et d. On
suppose a,b,cet d premiers entre eux dans leur ensemble et le d´eterminant
=ad bc 6= 0. Alors,si ∆ > 0, on a
1991 Mathematics Subject Classification: Primary 11A55.
[29]
30 S. Labhall a et H. Lombardi
(lf(x)lfi(d/c)2)()lf ax +b
cx +dlf(x)θ() + lfi(a/c) + 2,
et si ∆ < 0, on a
(lf(x)lfp(d/c)2)()lf ax +b
cx +dlf(x)θ() + lfp(a/c)+2.
Ces r´esultats restent valables pour le cas c= 0 si nous prenons convention-
nellement lfi() = 2et lfp() = 1.
Enfin nous montrons (th´eor`eme 3) que les kpremiers termes du d´evelop-
pement en fraction continue de (ax +b)/(cx +d) ne d´ependent que des
kθ(ad bc) + lf (d/c) + 3 premiers termes du d´eveloppement en fraction
continue de x.
Ce r´esultat de continuit´e uniforme “lipschitzienne”, bien que d´ecoulant
intuitivement du th´eor`eme 2, semble a priori assez surprenant, dans la
mesure o`u il s’agit d’un r´esultat de continuit´e uniforme et non de continuit´e
en tout point. Cela permet aussi de montrer que, lorsque xest irrationnel,
le d´eveloppement en fraction continue de (ax +b)/(cx +d) peut ˆetre calcul´e
par “le mˆeme algorithme”.
1. Rappels sur les fractions continues. Soit a0un entier et (a1,
a2, . . . , an) une suite finie d’entiers strictement positifs. Nous notons par
/a0, a1, . . . , an/la fraction continue finie
a0+1
a1+1
a2+...
+1
an
.
Dans le cas d’une suite infinie, nous notons ´egalement /a0, a1, . . . , an, . . . /
la fraction continue infinie.
Alors chaque nombre irrationnel xa une unique repr´esentation en frac-
tion continue infinie et chaque nombre rationnel xa une unique repr´esenta-
tion en fraction continue finie
/a0, a1, . . . , an/avec an>1 si n1.
En outre /a0, a1, . . . , an/=/a0, a1, . . . , an1,1/(avec n0). On en d´eduit
que tout rationnel xa une unique repr´esentation en fraction continue finie
/a0, a1, . . . , an/avec npair. Il existe ´egalement un unique d´eveloppement
en fraction continue se terminant avec nimpair.
Terminologie et notation. Dans la suite, nous dirons dfc pair (resp. dfc
impair ) pour un dfc se terminant sur un indice pair (resp. impair). Pour un
rationnel xon notera
eveloppement en fraction continue 31
lf(x) la longueur du dfc de x,
lfp(x) la longueur (impaire) du dfc pair de x,
lfi(x) la longueur (paire) du dfc impair de x;
pour un entier positif mon note
θ(m) la longueur maximum des d´eveloppements en fraction continue
“pairs” pour les rationnels de d´enominateur m, c’est-`a-dire encore le maxi-
mum des lfp(i/m) pour i= 0, . . . , m 1. Enfin par convention θ(m) =
θ(m). Notez que θ(±1) = 1.
Les fonctions ψ(x) et ψ(x) dans [Men1] sont respectivement ´egales `a
lf(x)1 et lfp(x)1. A un d´eveloppement en fraction continue ordinaire
/a0, a1, . . . , an/est associ´ee une fonction homographique z7→ /a0, a1, . . . ,
an, z/, qui est la compos´ee des fonctions z7→ /ai, z/=ai+1/z. Ceci permet
d’attribuer une signification claire `a l’´ecriture /a0, a1, . . . , an, z/pour n’im-
porte quelles valeurs r´eelles des ai, avec zet /a0, a1, . . . , an, z/dans R{∞},
et donc aussi `a /a0, a1, . . . , an/=/a0, a1, . . . , an,/.
Terminologie. Si un rationnel xest ´egal `a un d´eveloppement /a0, a1, . . . ,
an/avec des entiers aiqui ne respectent pas la condition d’ˆetre strictement
positifs pour tous les i > 1, on dira que /a0, a1, . . . , an/est un faux dfc
de x. Un rationnel xa donc deux vrais dfc (son dfc pair et son dfc impair)
et . . . beaucoup de faux dfc.
Notez qu’on a pour tout k < n,
/a0, a1, . . . , ak, ak+1, . . . , an/=/a0, a1, . . . , ak,(/ak+1, . . . , an/)/,
ce qui permet d’attribuer raisonnablement la valeur au dfc vide //.
Lorsqu’on repr´esente les fonctions homographiques par des matrices
(d´efinies `a un scalaire multiplicatif pr`es), la fonction z7→ /ai, z/corre-
spond `a la matrice ai1
1 0 et la fonction z7→ /a0, a1, . . . , an, z/correspond
au produit des matrices
a01
1 0 a11
1 0 . . . an1
1 0 .
Notez qu’un produit vide de matrices est raisonnablement ´egal `a la matrice
identit´e, qui correspond `a la fonction homographique x7→ xlaquelle prend
bien la valeur en .
Terminologie. Si on consid`ere un d´eveloppement en fraction continue
/a0, a1, . . . , an/(vrai ou faux) form´e d’entiers, et si on a
u u0
v v0=a01
1 0 . . . ai1
1 0 ,
on dit que l’´el´ement u/v de Q∪ {∞} est le (i+ 1)-`eme convergent du dfc
(alors u0/v0est le i-`eme convergent du dfc).
32 S. Labhall a et H. Lombardi
2. Calcul du d´eveloppement en fraction continue de (ax +b)/d
`a partir du d´eveloppement en fraction continue de x
2.1. Premier algorithme. Nous donnons dans cette section un algorithme
analogue `a celui donn´e par [Men1] et bien explicit´e dans [Coh]. Il conduit `a
un faux dfc du rationnel (ax +b)/d. Il est bas´e sur le lemme suivant qui est
l’analogue matriciel des lemmes 1 et 2 dans le papier cit´e.
Lemme 1. On consid`ere des entiers a > 0, b arbitraire,d > 0et v
arbitraire. On note /e0, e1, . . . , e2s/le dfc pair de (av +b)/d. On note g=
pgcd(|av +b|, d), a0= (av +b)/g,d0=d/g et d00 le d´enominateur de l’avant-
dernier convergent,c’est-`a-dire encore que a0,d0et d00 sont donn´es par
a0a00
d0d00 =e01
1 0 e11
1 0 . . . e2s1
1 0 .
Alors on a
()a b
0dv1
1 0 =e01
1 0 . . . e2s1
1 0 gd00a
0d0a
avec 0d00 < d0. Le cas d00 = 0 correspond au cas o`u s= 0, c’est-`a-dire,
(av +b)/d entier.
P r e u v e. La propri´et´e 0 d00 < d0est bien connue et r´esulte de ce que
les eisont >0 pour i1. Le calcul de la matrice
A=a0a00
d0d00 1a b
0dv1
1 0 =d00 a00
d0a0av +b a
d0
fournit facilement les termes 0, d0aet d00ade la matrice
A=gd00a
0d0a.
Enfin le dernier coefficient est gpuisqu’on sait que le d´eterminant de Aest
´egal `a ad.
Remarquez que l’´egalit´e () signifie qu’on peut remplacer le produit
d’une matrice du type a b
0det d’une matrice du type v1
1 0 par le pro-
duit de plusieurs matrices du type v1
1 0 et d’une matrice du type a b
0d. On
en d´eduit l’algorithme suivant :
Algorithme 1. Entr´ees : des entiers a > 0, barbitraire, d > 0 et le dfc
/x0, x1, . . . , xn/d’un nombre rationnel x. On note le d´eterminant ad.
Initialisation :a0=a,b0=b,d0=d.
´
Etape k (pour kde 0 `a n) : On calcule /ek,0, ek,1, . . . , ek,2sk/le dfc pair
de (akxk+bk)/dk. On note λkla liste [ek,0, ek,1, . . . , ek,2sk].
eveloppement en fraction continue 33
Si k < n on fait quelques calculs suppl´ementaires :
ak+1 = pgcd(|akxk+bk|, dk),
dk+1 =∆/ak+1 et
bk+1 =fkako`u fkest “le d´enominateur de l’avant-dernier conver-
gent” du dfc λk: notez qu’on a dk+1 < bk+1 0 et que bk+1 = 0 ssi
(akxk+bk)/dkest entier (cf. lemme 1).
Sortie : la liste concat´en´ee des λk:
λ=λ0λ1. . . λn= [e0,0, e0,1, . . . , e0,2s0, . . . , en,0, en,1, . . . , en,2sn].
Proposition 1. La sortie de l’algorithme 1, lorsque les entr´ees v´erifient
les hypoth`eses indiqu´ees,fournit un d´eveloppement en fraction continue (en
g´en´eral faux )de (ax +b)/d :
/e0,0, e0,1, . . . , e0,2s0, . . . , en,0, en,1, . . . , en,2sn/.
P r e u v e. L’´egalit´e matricielle obtenue par application r´ep´et´ee du
lemme 1 montre en fait le r´esultat un peu plus fort : la fonction homo-
graphique associ´ee au faux dfc calcul´e est ´egale `a la compos´ee
(z7→ (az +b)/d)(z7→ /x0, x1, . . . , xn, z/).
Les faits suivants, concernant le faux dfc calcul´e par l’algorithme, sont
expliqu´es en mˆeme temps qu’´enonc´es.
Faits 1. Dans le faux dfc obtenu, tous les entiers sont strictement positifs
sauf ´eventuellement les ek,0qui peuvent ˆetre ´egaux `a 0 ou 1 pour k=
1, . . . , n (et avec e0,0arbitraire). En outre:
La longueur du faux dfc obtenu est major´ee par θ()lf(x) (clair).
Si un ek,0avec k1 est ´egal `a 1, l’entier bkest <0 et le rationnel
(akxk+bk)/dkest strictement compris entre 1 et 0, donc la longueur de
λk1et celle de λksont 3. Ainsi un terme 1 non initial est toujours
pr´ec´ed´e et suivi de deux termes >0.
Si une liste λkest de longueur 1 et si k < n, l’entier bk+1 est nul et le
rationnel (ak+1xk+1 +bk+1)/dk+1 est >0. Ainsi deux termes 0 cons´ecutifs
sont n´ecessairement suivis de deux termes >0. Remarquez cependant que
le faux dfc peut tr`es bien se terminer par un 0.
2.2. Algorithme de ecriture d’un faux dfc. Nous passons maintenant `a
la deuxi`eme phase de l’algorithme de Mend`es France, qui consiste `a r´etablir
le “faux dfc” dans sa forme normale. La version donn´ee dans [Men2] est
plus g´en´erale, et, nous semble-t-il, plus convaincante que celle donn´ee dans
[Men1]. Avec l’algorithme de [Men2] tout “faux dfc” peut ˆetre transform´e
en un vrai dfc au moyen de “transformations ´el´ementaires”.
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