dans deux circulaires288 portant réaménagement des horaires, programmes et emplois du temps stipulés
dans les textes officiels de l’Etat colonial289. Ces programmes, dont l’objectif déclaré était « d’adapter
l’enseignement aux besoins d’un jeune Etat indépendant »290, résultaient de la volonté du Sénégal de se
conformer aux recommandations de rupture avec le modèle éducatif colonial édictées lors de la conférence
d’Addis-abéba de 1961291. Ils devaient alors présenter un visage décolonisé en remaniant l’enseignement de
l’histoire alors fortement enrôlé par la machine de guerre coloniale.292 Seulement, si les contenus
présentaient une nouvelle allure293, leur formulation n’avait guère varié par rapport à la période coloniale : ils
continuaient à être déclinés sous forme de thèmes d’étude regroupés en liste pour chaque niveau. Par
exemple, au CE2 (Cours élémentaire deuxième année), les thèmes d’étude retenus étaient déclinés de la
manière suivante : « Mon pays : les premiers royaumes sénégalais (le Tékrour, le Walo, le Fouta Toro) »294.
Cependant, la révolte de mai 1968 amena l’Etat du Sénégal à opérer une rupture radicale avec l’Ecole
coloniale et à tenter d’édifier enfin une école plus sénégalaise. En effet, à partir du 28 mai 1968, un
mouvement de contestation populaire et estudiantine embrasait Dakar295 et fit vaciller le pouvoir de Senghor.
Il exprimait une profonde volonté populaire de parachever lé processus de décolonisation du Sénégal296 et
induisait également une culture juvénile se traduisant par un désir ardent de bouleverser les bases d’une
société qui ne semblait plus satisfaire la jeunesse. Par exemple, la presse locale dénonçait régulièrement la
crise d’autorité qui sévissait selon elle à Dakar297. Cette attitude de rébellion de la jeunesse s’accompagnait
aussi, selon la presse dakaroise, d’un effritement de certaines valeurs autochtones comme le kersa (la
pudeur). Un concours du plus beau maillot de bain féminin, organisé le 05 mai 1968 sur une plage de Dakar,
se révélait, pour le quotidien de Dakar-Matin298, comme un fait significatif de l’effondrement du titre kersa à la
bourse des valeurs morales et sociales. Défié ainsi par une jeunesse contestataire, l’Etat réagit en tentant de
recourir, entre autres, à la solution éducative. Déjà le 05 juin 1970, lors d’un Conseil interministériel consacré
à la jeunesse sénégalaise, le gouvernement décida « d’assainir le climat psychologique dans lequel vivent
les jeunes Sénégalais de moins de 25 ans »299. Cet assainissement devait passer par une réforme en
profondeur de l’éducation et par l’avènement d’une Ecole enracinée dans ses bases sénégalaises et
africaines car, les autorités étatiques considéraient que la jeunesse sénégalaise était extravertie300. Cette
réforme était d’autant plus urgente que les performances scolaires se dégradaient considérablement. La
baisse du taux d’admission en classe de sixième de 39,2% en 1961 à 17% en 1976301 en était une parfaite
288 Il s’agit de la circulaire 11. 450 du 8 octobre 1962 qui fixait les horaires et les programmes de l’enseignement primaire et celle du 13. 550 du 14-
11-1962 qui détaillait ces horaires et programmes. Ibid.
289 Il s’agit principalement de l’arrêté 2576 du 22 août 1945 qui organisait alors l’enseignement dans la colonie du Sénégal.
290 Circulaire du 13. 550 du 14-11-1962 », Ministère de l’Education et de la Culture. (1962), op. cit., p. 32.
291 Cette Conférence des Etats africains sur le développement de l’éducation en Afrique s’était tenue à Addis-Abeba (Ethiopie), du 15 au 25 mai
1961 pour faire l’inventaire des besoins de l’Afrique en matière d’éducation et établir un programme d’action répondant à ces besoins.
292 Voir à ce sujet Sow, A. (2004). L’enseignement de l’histoire au Sénégal : des premières écoles (1817) à la réforme de 1998. Dakar : UCAD. Thèse
de Doctorat d’Etat. Histoire.
293 Voir l’analyse des contenus, p. 8.
294 Ministère de l’Education nationale. (1962). Circulaire du 13. 550 du 14-11-1962, op.cit.
295 Le bilan de ce mouvement était assez lourd : le 31 mai 1968, il se chiffrait à 900 personnes interpellées, 25 blessés, 31 dirigeants syndicaux
emprisonnés. Cf., Bingo, n° 250, novembre 1973, p. 28.
296 Pour plus d’informations sur cet événement, lire Bathily, A. (1992). Mai 68 à Dakar ou la révolte universitaire et la démocratie. Paris : Chaka.
297 Bingo, n° 196, mai 1969, p. 41.
298 Dakar-Matin, n° 2130, 08 mai 1968, p. 3.
299 Le Soleil, n° 28 mai 1970, p. 2.
300 Senghor par exemple considérait que c’est par imitation de la jeunesse française (mai 68 en France) que les étudiants se révoltaient contre son
pouvoir.
301 Seck, A. (1987). L’Innovation dans l’histoire de l’enseignement au Sénégal. Dakar : UCAD/ENS. Mémoire de recherche, p. 47.