Professeur émérite de l’Université de Montréal, membre honoraire de la Faculté de médecine, Guy Durand est théologien et juriste, spécialisé en éthique. Tout d’abord axé sur l’éthique chrétienne et l’éducation morale, son travail s’est graduellement orienté vers l’éthique médicale et infirmière. Depuis sa retraite, il s’intéresse davantage à l’éthique sociale et politique. Guy Durand Mise en pages : Bruno Lamoureux Conception de la couverture : Bruno Lamoureux Catalogage avant publication de Bibliothèque et Archives nationales du Québec et Bibliothèque et Archives Canada Durand, Guy, Brouillon de culture québécoise pour une démocratie authentique : valeurs, droits, laïcité, euthanasie, culture religieuse, paradis fiscaux et démocratie (Collection Éthique et politique) Comprend des références bibliographiques. ISBN ---- [éd. imprimée] ISBN ---- [éd. numérique PDF] ISBN ---- [éd. numérique ePub] . Démocratie – Québec (Province). . Québec (Province) – Conditions sociales e siècle. . Québec (Province) – Politique et gouvernement – e siècle. I. Titre. FC..D .’ C-- Dépôt légal : e trimestre Bibliothèque et Archives nationales du Québec © Groupe Fides inc., La maison d’édition reconnaît l’aide financière du Gouvernement du Canada par l’entremise du Fonds du livre du Canada pour ses activités d’édition. La maison d’édition remercie de leur soutien financier le Conseil des Arts du Canada et la Société de développement des entreprises culturelles du Québec (SODEC). La maison d’édition bénéficie du Programme de crédit d’impôt pour l’édition de livres du Gouvernement du Québec, géré par la SODEC. imprimé au canada en août Introduction Devant ce qui se passe à la Chambre des communes et à l’Assemblée nationale, devant ce qu’on entend à la Commission Charbonneau, devant ce que rapportent les journaux, de plus en plus de gens sont tentés par le cynisme. Je n’en suis personnellement pas là. Je suis plutôt indigné, et même en colère. Et je voudrais contribuer à construire une société plus humaine, plus juste, plus démocratique, plus harmonieuse, voire plus ouverte à l’humanisme (intégral), à l’éthique et même au spirituel, en présentant divers éléments de réflexion sur des sujets proches de l’actualité. Je suis particulièrement frappé par ce jugement d’Albert Einstein, l’un de nos congénères les plus éclairés : 7 brouillon de culture québécoise Le monde est dangereux à vivre non pas tant à cause de ceux qui font le mal, mais à cause de ceux qui regardent et laissent faire. Cette idée rejoint le témoignage du pasteur protestant Martin Niemöller (1892-1984), arrêté par la police nazie en 1937 et envoyé au camp de concentration de Sachsenhausen. Il fut ensuite transféré en 1941 au camp de concentration de Dachau, mais libéré de ce camp par la chute du régime nazi, en 1945. Dans le texte intitulé Le silence des pantoufles est plus dangereux que le bruit des bottes, il dénonce le silence de l’ensemble des Allemands devant la montée du nazisme et celui d’autres populations devant la montée de groupes fanatiques avant-coureurs de pogromes. Sa conclusion choc vaut pour le silence et l’indifférence quotidienne de chacun devant les signes de fanatisme naissant et les manœuvres de corruption de toutes sortes. Les leçons de l’Histoire sont souvent incroyablement simples et brutales, cependant, malgré toutes nos facultés de raisonnement, nous passons souvent à côté des choses les plus élémentaires et les moins compliquées […] Quand ils sont venus chercher les communistes, je n’ai pas protesté parce que je ne suis pas communiste. Quand 8 introduction ils sont venus chercher les Juifs, je n’ai pas protesté parce que je ne suis pas Juif. Quand ils sont venus chercher les syndicalistes, je n’ai pas protesté parce que je ne suis pas syndicaliste. Quand ils sont venus chercher les catholiques, je n’ai pas protesté parce que je ne suis pas catholique. Et lorsqu’ils sont venus me chercher, il n’y avait plus personne pour protester. Participer, interpeller, proposer, dénoncer, manifester, voire désobéir : voilà autant d’actions civiques qui furent nécessaires à cette époque, comme elles le sont encore aujourd’hui. Ce livre veut interpeller l’ensemble de la population, les dirigeants politiques et leurs conseillers, les journalistes et les faiseurs d’opinion. Il propose des analyses de questions d’actualité et des éléments de solution concrets, mais cherche avant tout à clarifier des notions de base. Le titre renvoie à la notion générale de culture, notamment à la dimension sociale et politique, et non au seul aspect littéraire. Le mot brouillon veut évoquer un bouillonnement d’idées qui présente des jalons de cette culture… un peu comme une courtepointe. 9 brouillon de culture québécoise Je commence par la question tellement débattue depuis quelque temps : les valeurs québécoises et la laïcité. Débat de société, choix de société : les deux enjeux se rejoignent. Il y a certains mots à éclaircir, comme valeur et droit, et encore davantage valeurs québécoises, que l’on essaiera d’ailleurs d’identifier. Puis, les notions de laïcité, de culture et de culture chrétienne, dont on tâchera d’expliciter le contenu. La deuxième partie portera sur les exigences de la vie démocratique : notion, distinction des pouvoirs, élection statutaire, vote proportionnel, ligne de parti, clause dérogatoire, etc. La dernière partie s’arrêtera sur quelques questions concrètes de l’ordre de la santé, de l’éducation et des finances publiques : les soins de fin de vie, l’avortement, les écoles privées, le cours d’Éthique et culture religieuse et les paradis fiscaux. Je m’inspire de plusieurs textes d’opinion que j’ai envoyés à divers journaux, sans qu’ils fussent toujours reproduits. D’autres sont publiés sur le site Auvidec.ca. J’y ajoute évidemment des éléments inspirés de quelques-uns de mes derniers livres. Dunham, printemps 2014 I re partie VALEURS QUÉBÉCOISES ET LAÏCITÉ Depuis octobre 2012, la question de la laïcité, puis de la Charte des valeurs, occupe le devant de la scène médiatique et politique au Québec. Les oppositions sont parfois très vives. Les deux thèmes rejoignent la couche émotive et même inconsciente de la personne. Ils touchent au sens de la vie de chacun et mettent en cause la manière dont chaque citoyen et citoyenne voit l’identité et l’avenir du Québec. Je commence par des éclaircissements sur la nature et le sens des mots valeur et droit, et sur leur complémentarité (chap. 1). Suivra une réflexion appliquée (comme dans recherche appliquée, éthique appliquée) sur les exigences 11 brouillon de culture québécoise des valeurs de vie, sécurité, intégrité physique, égalité homme-femme (chap. 2). On terminera par un long débat sur la laïcité et plus particulièrement sur le modèle de laïcité ajusté au Québec et à son héritage chrétien (chap. 3). CHAPITRE I Droit et valeurs Droit et valeurs, deux notions que l’on confond souvent, surtout quand on y joint la notion de droits de la personne. Il n’est pas inutile d’essayer de les clarifier, même s’il faut faire un détour par la philosophie. Les valeurs Le mot « valeur » prend un sens différent pour l’économiste ou le gestionnaire, le psychologue, le sociologue ou le philosophe. Certains prétendent qu’il appartient essentiellement au vocabulaire de l’économie. La valeur d’une chose désignerait tout simplement son prix ou, plus exactement, le prix qu’on juge équitable de payer pour cette 13 brouillon de culture québécoise chose. Le mot a cependant un sens beaucoup plus large : on parle de valeurs physiques, matérielles, économiques, intellectuelles, sociales, morales, spirituelles. Certains auteurs les rattachent à des besoins : besoins primaires (respirer, manger, coïter), puis besoins de comprendre, de socialiser, de se dépasser. Dans le langage philosophique, le mot « valeur » comporte pourtant un sens plus précis : il a rapport avec la morale ou l’éthique1. Ce terme est populaire parce qu’il est plus large que le mot éthique et parce qu’il connote moins de directivité que les mots morale, norme, obligation, devoir. Il est plus attrayant et stimulant. On peut faire un parallèle entre la notion de « valeur » et les notions traditionnelles de « bien » ou de « vertu » : par exemple, la valeur de justice et la vertu de justice, la valeur d’honnêteté et la vertu d’honnêteté. La valeur désigne d’abord paradoxalement ce qui n’a pas de prix, ce qui compte vraiment pour moi, ce qui 1. Les mots éthique et morale désignent étymologiquement la même chose, la conduite de la vie, la recherche de la vie bonne, la recherche de l’excellence en humanité. En Occident, le mot morale a été lié à moralisateur : on lui préfère souvent le mot éthique. Mais ce dernier en est venu à signifier presque n’importe quoi ; au mieux, des règles de déontologie. Je prends donc les deux mots comme synonymes et dans leur sens le plus profond, le plus exigeant. 14 droit et valeurs me fait vivre. La valeur ne concerne donc pas des choses insignifiantes. Elle n’est pas un sentiment passager. Elle suppose une continuité. On est prêt à exposer publiquement et à défendre une valeur à laquelle on croit. Elle marque un style de vie. Elle n’est pas une adhésion théorique : elle pousse à agir conformément aux convictions qu’elle suppose. Les valeurs ont donc un aspect subjectif : chacun a ses valeurs. Il n’y a de valeur que par et pour un sujet. Mais les valeurs ont également un aspect objectif. Personne ne les invente totalement, arbitrairement. La valeur se reconnaît, elle s’offre à moi, elle vient d’ailleurs, elle exerce une certaine autorité sur moi. Quand j’estime que la musique de Mozart est belle, ce jugement est sans doute subjectif parce qu’il vient de moi, mais il n’est pas purement subjectif. Quand pareillement je juge que le viol est une injustice grave, que la cruauté envers les animaux est avilissante, je porte des jugements subjectifs, mais aussi objectifs. Je ne crée pas les valeurs ; celles-ci me sollicitent et s’imposent à moi. J’ai à m’approprier les valeurs, à les faire miennes. L’humanité elle-même a pour tâche essentielle et permanente d’identifier et de promouvoir 15 45 46 Lieux de diffusion Lutte contre l’intégrisme religieux 49 CHAPITRE III — LAÏCITÉ ET IDENTITÉ DU QUÉBEC 50 52 54 62 64 68 Notion de laïcité Modèles divers de laïcité Projet de modèle québécois de laïcité Distinction culture et foi La culture québécoise Repères particuliers 79 II e partie — Démocratie et participation 81 C H A P I T R E I V — L E PA R A D I G M E D É M O C R AT I Q U E 81 85 Notion et modèles Éléments essentiels 89 C H A P I T R E V — U N E P R AT I Q U E À RÉINVENTER 89 94 97 100 L’équilibre des pouvoirs Le scrutin proportionnel Des élections statutaires Les programmes des partis politiques 105 108 112 Vote libre et ligne de parti La clause dérogatoire La désobéissance civile 119 III e partie — Quelques exemples de mise en œuvre 121 CHAPITRE VI — SOINS DE SANTÉ ET RESPECT DE LA VIE 122 132 Soins de fin de vie et euthanasie La question de l’avortement 139 C H A P I T R E V I I — S Y S T È M E D ’ É D U C AT I O N , É T H I Q U E E T C U LT U R E R E L I G I E U S E 140 Complémentarité écoles privées/écoles publiques Le cours d’Éthique et culture religieuse 146 153 CHAPITRE VIII — FINANCES PUBLIQUES E T PA R A D I S F I S C A U X 154 156 157 Notion et situation Deux cas ambigus L’enfer des paradis fiscaux 161 163 Conclusion Bibliographie récente Vale urs, droits, laïcité, équilibre des pouvoirs, élections, euthanasie, avortement, école privée, culture religieuse, paradis fiscaux « La démocratie est le pire des régimes à l’exception de tous les autres », a dit Churchill. C’est faux, évidemment ! Mais c’est dire combien elle est fragile et combien elle a toujours besoin d’ajustements, de réformes et d’enracinement. Cette exigence repose sur l’action de politiciens voués au bien de la population et sur l’implication active des citoyens et citoyennes. «Le monde est dangereux à vivre, a dit Albert Einstein, non pas tant à cause de ceux qui font le mal, mais à cause de ceux qui regardent et laissent faire.» Le livre analyse diverses questions d’actualité sociales et politiques, et propose des éléments de solution. Utopiques ? Pourquoi pas ! Professeur émérite de l’Université de Montréal, Guy Durand est théologien et juriste, spécialisé en éthique. ISBN www.groupefides.com 978-2-7621-3819-1