Cas clinique mt Médecine de la Reproduction, Gynécologie Endocrinologie 2012 ; 14 (2) : 156-60 Dysgénésies gonadiques 46, XY et anomalies de la lignée turnérienne 46, XY gonadal dysgenesis and features of Turner syndrome Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 04/06/2017. 1 Linda Pivois Sika Nassouri2 Françoise Archambeaud2 Anne Drutel2 Sophie Galinat2 Stéphanie Lopez2 Marie-Pierre Teissier2 1 Service d’Endocrinologie-Diabétologie, CH Tulle, France 2 Service de Médecine Interne B- Endocrinologie, Diabétologie, Maladies métaboliques, CHU Limoges, 87042 Limoges cedex, France <[email protected]> Mots clés : dysgénésie gonadique 46, XY, syndrome de Turner, mosaïque, gène SRY Abstract. 46, XY complete gonadal dysgenesis often reveals as delayed puberty and primary amenorrhea in a girl without ambiguous genitalia, virilization, or short stature. If present, those last features can lead to detection of chromosomal mosaicism such as 45, X0/46, XY, or deletion of the short arm of the Y chromosome. Initial and following evaluations must then be performed as recommended in Turner syndrome. Key words: 46, XY gonadal dysgenesis, Turner syndrome, mosaicism, SRY gene L médecine thérapeutique es dysgénésies gonadiques 46, XY (DG 46, XY) sont des anomalies de la détermination testiculaire en rapport soit avec un défaut de signalisation par le gène SRY, soit avec une anomalie d’un autre gène impliqué dans la cascade de régulation déclenchée par SRY [1-3] (figure 1). Elles se présentent selon plusieurs modalités phénotypiques selon l’importance des sécrétions testiculaires résiduelles [1, 3]. Le phénotype externe et interne peut en effet être masculin, ambigu ou féminin sans ambiguïté sexuelle comme dans la forme « pure », encore appelée syndrome de Swyer, où les gonades sont réduites à un stroma indifférencié [1, 3]. Dans ce cas, les DG 46, XY sont révélées par une aménorrhée primaire associée à un impubérisme, sans présence d’une petite taille ou d’un syndrome dysmorphique comme dans le syndrome de Turner (ST) [1, 3]. Des formes associées existent également [1, 4, 5]. Observation Nous rapportons le cas de Melle B, dont le diagnostic de « dysgénésie gonadique » a été évoqué à l’âge de 13 ans devant un retard statural (-3,5 DS) et pubertaire avec un appareil génital externe de type féminin. L’examen clinique retrouvait par ailleurs un hypertélorisme mammaire, une implantation basse des cheveux et des oreilles. Les bilans biologiques devaient révéler un hypogonadisme périphérique, sans hypertestostéronémie, (l’hormone anti-müllerienne n’ayant pas été dosée). Le caryotype sanguin standard est 46, XY de formule homogène. L’exploration cœlioscopique montrait un utérus et des trompes d’aspect infantile, deux gonades en bandelettes, qui ont été réséquées. En histologie, ces dernières étaient constituées d’un tissu fibreux associé, pour la gonade droite, à des structures testiculaires (cellules de Pour citer cet article : Pivois L, Nassouri S, Archambeaud F, Drutel A, Galinat S, Lopez S, Teissier MP. Dysgénésies gonadiques 46, XY et anomalies de la lignée turnérienne. mt Médecine de la Reproduction, Gynécologie Endocrinologie 2012 ; 14 (2) : 156-60 doi:10.1684/mte.2012.0401 doi:10.1684/mte.2012.0401 Médecine de la Reproduction Gynécologie Endocrinologie Tirés à part : M.P. Teissier 156 Résumé. Les dysgénésies gonadiques 46, XY sont révélées classiquement dans leur forme pure par un impubérisme et une aménorrhée primaire chez une jeune fille, qui ne présente par ailleurs aucune ambigüité sexuelle ni signe de virilisation, ni aucun stigmate évocateur de syndrome de Turner. Une petite taille ou des anomalies phénotypiques caractéristiques peuvent cependant être retrouvées, ce qui doit faire rechercher soit une mosaïque chromosomique comportant une lignée 45, X0, soit une délétion du bras court du chromosome Y. Ces situations doivent conduire à un bilan complémentaire et à une surveillance, identiques à ceux recommandés par la Haute Autorité de santé (HAS) dans le syndrome de Turner. Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 04/06/2017. Leydig, tubes séminifères sans spermatogénèse) et dénuées de toute lésion tumorale. Le caryotype standard et la technique de fluorescence in situ hybridization (FISH), effectués sur des cellules issues de biopsies gonadiques et cutanées, ont permis d’isoler une mosaïque 45, X0/46, XY. Le diagnostic de dysgénésie gonadique mixte a donc été posé [4]. Elle a bénéficié après la castration d’un traitement par hormone de croissance, puis d’une supplémentation estro-progestative. Au moment de sa prise en charge dans notre centre, Mlle B est âgée de 18 ans. Elle est en bonne forme, mesure 1 m 60 et pèse 58 kg. Le contexte de DG, en mosaïque Turner, nous a conduits à rechercher d’éventuelles anomalies somatiques classiquement associées à ce syndrome [6]. Ce bilan s’est avéré normal en dehors de la constatation de multiples nævi pour lesquels nous avons préconisé des résections compte tenu du potentiel carcinologique. Discussion Les dysgénésies gonadiques 46, XY sont classiquement différenciées en formes « pures », sans activité gonadique PAR 1 masculine, et en formes « mixtes », où la persistance d’îlots de tissu testiculaire peut être à l’origine d’une sécrétion androgénique et donc de signes de virilisation [1-3]. Notre observation est en cela atypique. En effet, le tableau évoque une forme pure au plan clinique et biologique, néanmoins l’analyse histologique des gonades montre des cellules de Leydig et de Sertoli, la classant en “mixte”. Toutefois, le retard pubertaire, le phénotype purement féminin et la testostéronémie effondrée, ainsi que l’absence de résidus wolffiens en cœlioscopie, font penser que les cellules de Leydig isolées dans la bandelette sont non fonctionnelles. De même, nous formulons l’hypothèse que les cellules de Sertoli, également présentes, n’étaient pas opérantes compte tenu de l’absence de spermatogenèse et de la persistance chez notre patiente des structures müllériennes (utérus et trompes), ce qui signe l’absence d’hormone anti-müllérienne (AMH), mais malheureusement les dosages n’ont pas été effectués [1-3]. Par ailleurs, le tableau phénotypique de Mlle B s’associe à un retard de croissance et des éléments dysmorphiques très évocateurs d’un ST en dépit d’un caryotype sanguin de formule 46, XY homogène. Actuellement, la FISH est réalisée de façon systématique sur lymphocytes en complément du caryotype standard pour rechercher les mosaïques Shox Bras court (p) Gène du Iymphœdème Centromère (c) Shox SRY Gène du gonadoblastome Centre d’inactivation POF2 Bras long (q) Hétérochromatine POF1 PAR2 Chromosome X Chromosome Y Figure 1. Chromosomes X et Y. PAR = régions pseudo-autosomiques. SHOX = short stature homeobox-containing gene on the Xchromosome. POF = primary ovarian failure. SRY = sex-determining region of Y chromosome. mt Médecine de la Reproduction, Gynécologie Endocrinologie, vol. 14, n◦ 2, avril-mai-juin 2012 157 Cas clinique Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 04/06/2017. Tableau 1. Recommandations de surveillance des patientes atteintes de syndrome de Turner [6]. Au diagnostic Enfance Age adulte Examen clinique détaillé : poids, taille, TA, recherche de strabisme, cyphose, scoliose Oui Tous les ans Tous les ans Glycémie à jeun ± HbA1c ± HGPO Après 10 ans Tous les 2 ans (après 10 ans) ou Tous les ans avant traitement par GH ASAT, ALAT, ␥GT, PAL Après 6 ans Tous les 2 ans Tous les ans Créatininémie Si malformation rénale Si malformation rénale Si malformation rénale ou HTA Bilan lipidique Après 10 ans Tous les 2 ans (après 10 ans) Tous les ans TSH ± T4L Ac anti-TPO Après 4 ans Tous les 2 ans si Ac anti-TPO négatifs Tous les ans si Ac anti-TPO positifs Tous les 1 à 2 ans si Ac anti-TPO négatifs Tous les ans si Ac anti-TPO positifs FSH ± LH Oui Contrôle avant induction pubertaire Ac anti-transglutaminase (IgA) Après 4 ans Tous les 2 ans IGF1 Tous les 2 ans Début traitement GH Tous les 6-12 mois si traitement GH Consultation cardiologique + échographie cardiaque Oui Tous les ans si pathologie cardiaque et/ou HTA Tous les 5 ans si absence de cardiopathie et d’HTA Tous les ans si pathologie cardiaque et/ou HTA Tous les 5 ans si absence de cardiopathie et d’HTA IRM aortique Selon avis cardiologique Selon avis cardiologique Selon avis cardiologique Échographie rénale Oui Échographie pelvienne Avant induction pubertaire Contrôle en fin de croissance ou puberté Avant induction pubertaire Contrôle en fin de croissance ou puberté Préparation utérine hormonale ou suivi de grossesse Échographie thyroïdienne Si dysthyroïdie, nodule palpé ou goitre Si dysthyroïdie, nodule palpé ou goitre Si dysthyroïdie, nodule palpé ou goitre Âge osseux Oui Tous les 1 à 3 ans sous GH Ostéo-densitométrie Avant induction pubertaire Contrôle en fin de croissance ou puberté Avant induction pubertaire Contrôle en fin de croissance ou puberté Tous les 5 ans Consultation ORL et étude audition Oui Tous les 2 ou 3 ans minimum ou plus rapproché selon avis ORL Tous les 2 ou 3 ans minimum ou plus rapproché selon avis ORL Consultation ophtalmologie Oui Selon avis ophtalmologique Selon symptômes Consultation stomatologie Après 6 ans (avant, si anomalie clinique) Selon clinique Selon clinique Consultation diététique Si surpoids, intolérance au glucose, diabète, dyslipidémie Si surpoids, intolérance au glucose, diabète, dyslipidémie Si surpoids, intolérance au glucose, diabète, dyslipidémie Consultation psychologue ± tests psychométriques Oui Vers l’âge de 4 ou 5 ans (avant si signes d’appel) Réévaluation selon symptômes Selon symptômes Coloscopie Proposée à partir de l’âge de 45 ans puis tous les 5 ans TA = tension artérielle. HGPO = hyperglycémie provoquée orale. GH = growth hormone (hormone de croissance). ASAT = aspartate aminotransférase. ALAT = alanine aminotransférase. ␥GT = gammaglutamyltranspeptidase. PAL = phosphatases alcalines. HTA = hypertension artérielle. TSH = thyroid stimulating hormone. Ac = anticorps. TPO = thyroperoxydase. FSH = follicle-stimulating hormone. LH = luteinizing hormone. IgA = immunoglobuline A. IGF1 = insulin growth factor 1. 158 mt Médecine de la Reproduction, Gynécologie Endocrinologie, vol. 14, n◦ 2, avril-mai-juin 2012 Copyright © 2017 John Libbey Eurotext. Téléchargé par un robot venant de 88.99.165.207 le 04/06/2017. gonosomiques en cas de 46XY avec phénotype féminin comme en cas de 45X0 [1, 4]. Le contexte justifie de poursuivre la recherche diagnostique d’éléments de certitude de la présence ou non d’un contingent cellulaire turnérien. L’identification d’une mosaïque tissulaire (cutanée et gonadique) de type 45, X0/46, XY justifie d’un traitement adapté dans l’enfance et de conduire le bilan d’éventuelles malformations et/ou pathologies, classiquement associées au ST (tableau 1, d’après l’HAS). La revue de la littérature souligne que les modalités de suivi des patientes présentant une DG « associée » sous la forme d’une mosaïque tissulaire sont imprécises. Notre propos ne concerne pas les cas de mosaïques 45, X0/46, XY évidentes sur le caryotype sanguin, puisqu’elles renvoient à la prise en charge d’un ST avec présence de chromosome Y (5 % des cas de syndrome de Turner) [7-9]. En effet, il est établi que ces anomalies caryotypiques lymphocytaires en mosaïque sont volontiers associées à des malformations, notamment cardiovasculaires [1, 9]. Le bilan et la surveillance sont donc ceux du ST avec nécessité d’une gonadectomie bilatérale prophylactique, en raison des risques de virilisation et surtout de dégénérescence de ces gonades dysgénésiques Y [6-9]. Notre observation souligne la nécessité d’évoquer et de rechercher une dysgénésie gonadique associée chez la fille présentant une dysgénésie gonadique 46, XY homogène sur le prélèvement sanguin, en présence d’anomalies cliniques turnériennes. Cette association pourrait renvoyer à deux entités génétiques différentes : soit une mosaïque chromosomique « occulte » 45, X0/46, XY, soit une délétion du bras court du chromosome Y (Yp) qui correspond aux dysgénésies gonadiques 46, XY SRY-négatives [1, 4, 5, 10]. La fréquence de ces deux situations au sein des dysgénésies 46, XY n’est pas précisément connue [1-3]. Nous savons cependant que les anomalies du gène SRY sont rencontrées dans 10 à 20 % des cas de dysgénésie gonadique 46, XY, et correspondent essentiellement à des délétions de la région SRY après translocation des régions pseudo-autosomiques des chromosomes sexuels au cours de la méiose paternelle [1-3]. Les descriptions de mosaïques tissulaires 45, X0/46, XY avec formule sanguine 46, XY, comme notre patiente, sont quant à elles exceptionnelles [4, 5]. Les modalités de suivi sont tout aussi imprécises. Il apparaît donc nécessaire, dans la prise en charge des dysgénésies gonadiques 46, XY, d’orienter l’examen clinique vers la recherche de signes évocateurs de ST. En présence de telles anomalies cliniques, le bilan doit absolument rechercher une mosaïque 45, X0/46, XY tissulaire ou une délétion du bras court du chromosome Y [1]. Rappelons qu’en pratique, la recherche de mosaïque repose sur le caryotype standard sur 30 cellules, souvent complété par une étude de cytogénétique utilisant la technique de FISH qui permet d’analyser un nombre plus important de noyaux cellulaires [6, 7]. Ces explorations cytogénétiques peuvent être réalisées sur prélèvement sanguin, mais aussi sur frottis buccal, voire sur une biopsie cutanée ou gonadique comme dans le cas de Mlle B. [1, 4-6, 9]. D’autre part, pour objectiver une délétion du bras court du chromosome Y, sont utilisées généralement des sondes spécifiques du locus SRY, soit en cytogénétique (FISH), soit en biologie moléculaire par polymerase chain reaction (PCR) [1, 4-6, 9] (figure 1). La mise en évidence de cellules 45, X0 ou 46, XY délétées en Yp doit conduire à une surveillance identique à celle du ST et, à l’âge pédiatrique, à un traitement par hormone de croissance [1]. Dans notre observation, le bilan initial systématique à la recherche de malformations associées au ST s’est avéré négatif, à l’exception de la constatation de nævi pigmentaires multiples. Son suivi à 4 ans révèle d’autres naevi à réséquer et l’apparition d’un surpoids androïde associé à une dyslipidémie et à une HTA qui peuvent être rapportés au ST. La normalité des premiers examens ne doit pas faire omettre la surveillance ultérieure recommandée par les autorités de santé pour le ST [6]. Conclusion Tout comme il est recommandé de chercher du chromosome Y dans le syndrome de Turner 45, X0 [6, 7, 9], nous pensons qu’il faut évoquer la présence d’une « monosomie X » dans les dysgénésies gonadiques 46, XY chez la fille. Ceci renvoie aux mosaïques 45, X0/46, XY, ainsi qu’aux délétions du bras court du chromosome Y (dysgénésies gonadiques 46, XY SRY-négative) qui conduisent aux mêmes situations d’haplo-insuffisance des gènes de l’X. Cette notion cytogénétique devra orienter l’examen clinique à la recherche de petits signes de la lignée turnérienne, et amener en leur présence à approfondir les explorations génétiques. Le rationnel de cette démarche est la nécessité de pratiquer chez ces patientes des bilans réguliers à la recherche de malformations et anomalies classiquement associées au syndrome de Turner. Références 1. Ostrer H. 46, XY disorder of sex development and 46, XY complete gonadal dysgenesis. In : Pagon RA, Bird TD, Dolan CR, Stephens K, eds. GeneReviews. Seattle (WA) : University of Washington, Seattle ; 1993. http://www.ncbi.nlm.nih.gov/bookshelf/br.fcgi?book¼gene & part¼gonad-dys-46xy. 2. Coutin AS, Hamy A, Fondevilla M, Savigny B, Paineau J, Visset J. La dysgénésie gonadique pure à 46, XY. J Gynecol Obstet Biol Reprod 1996 ; 25 : 792-6. mt Médecine de la Reproduction, Gynécologie Endocrinologie, vol. 14, n◦ 2, avril-mai-juin 2012 159 Cas clinique 3. Kuttenn F, d’Acremont MF, Mowszowicz I. 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