6 | La Lettre du Sénologue 44 - avril-mai-juin 2009
Effets secondaires et séquelles des traitements après cancer du sein
DOSSIER THÉMATIQUE
L
ongtemps négligées, considérées comme le prix
inéluctable à payer pour une bonne chirurgie,
les séquelles fonctionnelles de la chirurgie pour
cancer du sein sont les séquelles de la chirurgie de
l’aisselle sur le bras et l’épaule. Au niveau du sein,
les séquelles sont plus esthétiques et sont le fruit de
l’association radio-chirurgicale où la part de chacun
est difficile à distinguer (voir l’article de F. Rimareix).
Ici, seule la chirurgie est en cause.
Nous avons encore beaucoup à apprendre sur la
constitution de ces séquelles et leur prise en charge.
Nous voyons bien que les femmes ont des réac-
tions très inégales face au même type de chirurgie,
témoignant d’une aptitude à générer une fibrose
rétractile dans des proportions très variables. Et cela
commence très tôt.
Le postopératoire de J10 à J30
C’est à cette période très critique qu’il est essentiel
de faire le diagnostic de certaines complications cica-
tricielles débutantes : leur prise en charge précoce
permettra d’éviter la constitution de séquelles
tardives, qui peuvent retentir sur la qualité de vie
d’une patiente jusqu’à la fin de ses jours.
Les thromboses lymphatiques
superficielles
À l’examen, on voit se dessiner de fins cordons sous-
cutanés très douloureux faisant saillie et chemi-
nant du creux axillaire à la face interne du bras et
parfois jusqu’au poignet. Ces cordons peuvent être
mis en évidence sous la peau en mettant le bras en
abduction rotation externe, poignet en extension
et supination (figures 1 et 2).
Ce sont des thromboses lymphatiques superficielles,
réaction inflammatoire secondaire à la sténose des
extrémités supérieures des collecteurs lymphatiques
survenant après leur section. Elles peuvent donc
s’observer après un curage axillaire et, exception-
nellement, après exérèse du ganglion sentinelle. Elles
sont parfois partielles, suspendues avec des douleurs
au niveau du creux axillaire puis du coude, voire même
au poignet, qui entraînent souvent une limitation de
l’amplitude articulaire. Ces thromboses lymphatiques
Les séquelles fonctionnelles
de la chirurgie pour cancer
du sein
The surgical functional sequels
J.R. Garbay*, A. Dumortier**
* Chirurgien, Institut Gustave-Roussy.
** Kinésithérapeute, Institut Gustave-
Roussy, 39, rue Camille-Desmoulin,
94805 Villejuif.
Figures 1 et
2. Thrombose
lymphatique.
La Lettre du Sénologue 44 - avril-mai-juin 2009 | 7
Mots-clés
Cancer du sein
Chirurgie
Séquelles
fonctionnelles
superficielles doivent bénéficier d’une prise en charge
spécifique en urgence.
La rupture de ces cordons lymphatiques est à proscrire
car la reperméabilisation du lymphatique thrombosé
est possible et un retour à son état physiologique peut
être envisagé si le vaisseau est respecté, alors que sa
rupture diminue le capital vasculaire et augmente le
risque de lymphœdème.
Une rééducation par étirement postural progressif
avec des étirements doux actifs et passifs, des postures
vers l’antépulsion, l’abduction et la rotation externe
permettent la récupération de l’amplitude de l’épaule.
On complètera par un drainage digital sur ces cordons,
un drainage du moignon de l’épaule pour la stimulation
des voies de suppléance du membre supérieur.
Un traitement antalgique à prendre avant la séance
de rééducation est souvent utile ; un traitement et une
pommade anti-inflammatoire peuvent être nécessaires
en cas de douleurs intenses.
Même si une résolution spontanée est possible, le traite-
ment kinésithérapique de ces thromboses lymphatiques
est une vraie urgence car, en son absence, on risque
d’observer en quelques semaines une évolution vers
la fibrose : les cordons deviennent volumineux, durs et
douloureux, entraînant une limitation fonctionnelle des
mouvements de l’épaule et du coude, qui sera difficile à
récupérer complètement. Il existe une non-reperméabi-
lisation des vaisseaux lymphatiques avec une augmen-
tation du risque de lymphœdème tardif.
Les cicatrices, les adhérences
et les lymphocèles
La cicatrisation cutanée va passer par une phase
inflammatoire puis une phase proliférative où la cica-
trice va devenir congestive et les tissus rétractiles.
Lors d’un curage, l’exérèse de la lame cellulo-adipeuse
axillaire crée un espace qui se comble par des sérosités
évoluant vers des adhérences rétractiles entre les
différents plans de clivage qui fixent tous les éléments
entre eux. Une prise en charge précoce de la cicatrice
aura pour but de limiter la poussée inflammatoire,
donner le maximum de souplesse et améliorer les
échanges de la région cicatricielle. Elle permet de
ralentir la fibrose et d’éviter l’installation d’adhérences
susceptibles de limiter l’amplitude articulaire.
Le massage des cicatrices, qu’il s’agisse de la cicatrice
axillaire, de celle de tumorectomie ou de mastec-
tomie, est donc une nécessité qui se heurte à l’ap-
préhension de la patiente : crainte d’une désunion et
d’une infection. C’est ici que la kinésithérapie trouve
toute sa place. Le traitement manuel de la cicatrice est
réalisé par sa mobilisation digitale transversale sur le
plan sous-jacent, vacuothérapie, endermologie…
À ce stade, un drainage lymphatique du membre dans
son ensemble est formellement contre-indiqué, car il
augmenterait le débit lymphatique au niveau du creux
axillaire, pouvant entraîner une stase de la lymphe
dans l’espace de la lame cellulo-adipeuse et donc une
lymphocèle. En revanche, la stase lymphatique de la
paroi thoracique antérieure et postérieure peut bénéfi-
cier d’un drainage lymphatique “en étoile” permettant
la résorption de l’œdème vers d’autres régions.
L’enraidissement de l’épaule
Avec le démarrage de la cicatrisation vont apparaître
des douleurs, source de raideur antalgique, limitant
alors l’élévation et la rotation externe du bras.
Lenraidissement précoce est dû essentiellement à
la crainte de la patiente de déclencher des douleurs
en utilisant son membre, ou d’une désunion de la
cicatrice ; il est favorisé par l’existence de problèmes
tendineux ou articulaires préexistants.
Il faut apprendre à la patiente à faire des mouvements
doux, progressifs et qui restent indolores. Les mouve-
ments sont globaux, à effectuer lentement avec des
postures d’étirement du membre supérieur.
La patiente est encouragée à répéter ces mouvements
en l’absence du kinésithérapeute en privilégiant les
mouvements posturaux aux exercices répétitifs.
Avant le dixième jour, toute mobilisation trop active
est contre-indiquée, car elle peut être responsable de
l’augmentation du débit de la lymphe, et de l’apparition
d’une lymphocèle à la partie latéro-inférieure de l’aisselle.
En revanche, une immobilisation du membre supérieur
diminuera les lymphorrhées mais sera responsable de
raideurs articulaires. Il faut donc un juste milieu.
Après le dixième jour, en cas de curage axillaire, la
rééducation avec l’aide d’un kinésithérapeute est indis-
pensable. Par ailleurs, le nombre de séances néces-
saires est assez variable (de dix à trente environ).
Les douleurs
Les douleurs classiques par excès de nociception sont
aujourd’hui bien prises en charge dans leur évaluation et
leur traitement. Nous ne les détaillerons donc pas, pour
aborder les douleurs neuropathiques, parfois appelées
neurogènes.
Ces douleurs neuropathiques peuvent être facilement
reconnues à partir de leur séméiologie très spécifique :
sur un fond douloureux permanent, le plus souvent à
type de brûlure ou de sensation d’étau, vont se greffer des
paroxysmes hyperalgiques spontanés et/ou provoqués.
L’apparition en dehors de toute stimulation périphérique
est très évocatrice.
Cette symptomatologie douloureuse s’inscrit habituel-
lement dans un contexte de déficit sensitif et de pertur-
Keywords
Breast carcinoma
Surgery
Functional sequels
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Effets secondaires et séquelles des traitements après cancer du sein
DOSSIER THÉMATIQUE
bations de la sensibilité, notamment sous la forme d’une
allodynie mécanique ou thermique, d’une hyperalgésie.
Les troubles du sommeil sont très fréquents. La douleur est
nuisible à la qualité du sommeil, tandis qu’une mauvaise
nuit entraîne souvent une aggravation de la douleur. Et la
patiente entre facilement dans un cercle vicieux.
Enfin, ces douleurs se révèlent le plus souvent réfrac-
taires à de nombreux traitements médicamenteux.
Leur tendance à la chronicisation est donc évidente
avec une interaction inévitable de facteurs thymiques
et comportementaux, susceptibles d’intervenir dans
l’expression douloureuse et de gêner l’analyse de leur
profil. Ce sont des patientes “difficiles” en consultation,
qui demandent beaucoup de temps et de disponibilité,
qui nous découragent parfois par la complexité de leurs
symptômes et leur résistance aux traitements.
Le traitement de ces douleurs neuropathiques est spéci-
fique, imposant le recours à des traitements médica-
menteux de mieux en mieux identifiés, mais non dénués
d’effets secondaires indésirables, parfois très limitants.
Dans la pratique quotidienne, il faut savoir prescrire des
traitements de première ligne et adresser au besoin la
patiente en consultation spécialisée de la douleur. Le
Lyrica® est plus pratique que le Rivotril® en raison de
sa présentation en comprimés, avec moins de risques
d’erreur de posologie. On commence à 75 mg le soir
pendant 3 jours puis 75 mg x 2 sont souvent néces-
saires. Si la dose doit être augmentée, on respectera
des paliers d’une semaine entre chaque augmentation,
sans dépasser une dose totale de 600 mg par jour.
Éducation : prévention du lymphœdème après
curage axillaire
Donner les conseils d’hygiène de vie fait partie de la
prise en charge préopératoire en cas de curage axil-
laire. En surveillance précoce, on vérifiera la bonne
mémorisation des précautions à prendre. Même si
ces mesures n’ont pas été beaucoup évaluées, elles
sont consensuelles et sont à appliquer tout au long
de la vie. Elles sont détaillées dans le tableau.
Un à deux mois
après la chirurgie
En principe, les thromboses lymphatiques et les
adhérences cicatricielles doivent avoir disparu en un à
deux mois. Mais elles peuvent réapparaître sans cause
déclenchante particulière ou éventuellement après la
radiothérapie. Lenraidissement de l’épaule peut aussi
apparaître secondairement. Le fait que l’évolution
précoce soit très favorable n’exclut pas entièrement
le risque d’enraidissement tardif, lié à une réaction
inflammatoire tardive mal expliquée. Il est encore
possible et évidemment urgent de prescrire une prise
en charge kinésithérapique à ce stade.
La capsulite de l’épaule, l’algoneurodystrophie, le
lymphœdème sont des complications rares mais de
diagnostic facile ; elles sont souvent d’apparition plus
tardive mais peuvent déjà se voir à ce stade.
La prise en charge du lymphœdème est détaillée
par le Dr Becker.
Au total
Après un curage axillaire, une ordonnance systéma-
tique de rééducation doit être délivrée à la sortie.
Ainsi, lors de son bilan initial, le kinésithérapeute
pourra dépister et déclencher une prise en charge
spécifique pour – par exemple – des thromboses
lymphatiques superficielles ou un enraidissement de
l’épaule, dont la prise en charge précoce permettra
la guérison, avant que les séquelles ne deviennent
définitives. Encore faut-il bien connaître les indica-
tions et les possibilités de la kinésithérapie.
La patiente et son entourage doivent bénéficier d’une
éducation préventive qui est essentielle.
Le raccourcissement général des durées d’hospita-
lisation et le développement de la chirurgie ambu-
latoire font disparaitre de plus en plus les quelques
jours d’hospitalisation qui étaient le lieu naturel de
cette prise en charge précoce de la rééducation du
membre supérieur et surtout de l’information et
de l’éducation des patientes. C’est aujourd’hui en
amont et en aval de l’hospitalisation que ce travail
devra être réalisé.
Lors des premières consultations postopératoires, il
faudra donc être vigilant sur ces points.
Tableau. Précautions à prendre
après curage axillaire.
Recommandations à suivre
toute la vie, qui ont pour but
de limiter le risque d’appari-
tion d’un œdème du bras.
Du côté opéré, il faut :
Éviter de faire pratiquer
une prise de sang, une injec-
tion ou une prise de tension
artérielle.
Éviter de porter des
charges lourdes (pas plus de
5 kg) et de faire des efforts
violents.
Éviter le travail répétitif
: faire des poses régulière-
ment.
Éviter toute agression : pi-
qûre, griffure, écorchure, etc.,
à désinfecter immédiatement
avec un produit adéquat.
Éviter toute source de
chaleur : une exposition pro-
longée au soleil, le sauna.
Porter des gants lors de
la manipulation de produits
corrosifs, lors du jardinage ou
de l’utilisation du four.
Suivre attentivement les
conseils du kinésithérapeute
et en cas d’apparition de cer-
tains symptômes : rougeur,
chaleur, œdème, consulter ra-
pidement le médecin traitant.
La bonne connaissance des séquelles précoces après
chirurgie de l’aisselle et leur prise en charge spéci-
fique sont essentielles pour limiter l’apparition des
séquelles tardives. Nous disposons ici d’un véritable
outil de prévention des séquelles tardives, qui reste
encore irrégulièrement utilisé.
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