DOSSIER THÉMATIQUE Effets secondaires et séquelles des traitements après cancer du sein Les séquelles fonctionnelles de la chirurgie pour cancer du sein The surgical functional sequels J.R. Garbay*, A. Dumortier** L * Chirurgien, Institut Gustave-Roussy. ** Kinésithérapeute, Institut GustaveRoussy, 39, rue Camille-Desmoulin, 94805 Villejuif. ongtemps négligées, considérées comme le prix inéluctable à payer pour une bonne chirurgie, les séquelles fonctionnelles de la chirurgie pour cancer du sein sont les séquelles de la chirurgie de l’aisselle sur le bras et l’épaule. Au niveau du sein, les séquelles sont plus esthétiques et sont le fruit de l’association radio-chirurgicale où la part de chacun est difficile à distinguer (voir l’article de F. Rimareix). Ici, seule la chirurgie est en cause. Nous avons encore beaucoup à apprendre sur la constitution de ces séquelles et leur prise en charge. Nous voyons bien que les femmes ont des réactions très inégales face au même type de chirurgie, témoignant d’une aptitude à générer une fibrose rétractile dans des proportions très variables. Et cela commence très tôt. Le postopératoire de J10 à J30 C’est à cette période très critique qu’il est essentiel de faire le diagnostic de certaines complications cicatricielles débutantes : leur prise en charge précoce permettra d’éviter la constitution de séquelles tardives, qui peuvent retentir sur la qualité de vie d’une patiente jusqu’à la fin de ses jours. Les thromboses lymphatiques superficielles Figures 1 et 2. Thrombose lymphatique. 6 | La Lettre du Sénologue • n° 44 - avril-mai-juin 2009 À l’examen, on voit se dessiner de fins cordons souscutanés très douloureux faisant saillie et cheminant du creux axillaire à la face interne du bras et parfois jusqu’au poignet. Ces cordons peuvent être mis en évidence sous la peau en mettant le bras en abduction rotation externe, poignet en extension et supination (figures 1 et 2). Ce sont des thromboses lymphatiques superficielles, réaction inflammatoire secondaire à la sténose des extrémités supérieures des collecteurs lymphatiques survenant après leur section. Elles peuvent donc s’observer après un curage axillaire et, exceptionnellement, après exérèse du ganglion sentinelle. Elles sont parfois partielles, suspendues avec des douleurs au niveau du creux axillaire puis du coude, voire même au poignet, qui entraînent souvent une limitation de l’amplitude articulaire. Ces thromboses lymphatiques Mots-clés Cancer du sein Chirurgie Séquelles fonctionnelles superficielles doivent bénéficier d’une prise en charge spécifique en urgence. La rupture de ces cordons lymphatiques est à proscrire car la reperméabilisation du lymphatique thrombosé est possible et un retour à son état physiologique peut être envisagé si le vaisseau est respecté, alors que sa rupture diminue le capital vasculaire et augmente le risque de lymphœdème. Une rééducation par étirement postural progressif avec des étirements doux actifs et passifs, des postures vers l’antépulsion, l’abduction et la rotation externe permettent la récupération de l’amplitude de l’épaule. On complètera par un drainage digital sur ces cordons, un drainage du moignon de l’épaule pour la stimulation des voies de suppléance du membre supérieur. Un traitement antalgique à prendre avant la séance de rééducation est souvent utile ; un traitement et une pommade anti-inflammatoire peuvent être nécessaires en cas de douleurs intenses. Même si une résolution spontanée est possible, le traitement kinésithérapique de ces thromboses lymphatiques est une vraie urgence car, en son absence, on risque d’observer en quelques semaines une évolution vers la fibrose : les cordons deviennent volumineux, durs et douloureux, entraînant une limitation fonctionnelle des mouvements de l’épaule et du coude, qui sera difficile à récupérer complètement. Il existe une non-reperméabilisation des vaisseaux lymphatiques avec une augmentation du risque de lymphœdème tardif. Les cicatrices, les adhérences et les lymphocèles La cicatrisation cutanée va passer par une phase inflammatoire puis une phase proliférative où la cicatrice va devenir congestive et les tissus rétractiles. Lors d’un curage, l’exérèse de la lame cellulo-adipeuse axillaire crée un espace qui se comble par des sérosités évoluant vers des adhérences rétractiles entre les différents plans de clivage qui fixent tous les éléments entre eux. Une prise en charge précoce de la cicatrice aura pour but de limiter la poussée inflammatoire, donner le maximum de souplesse et améliorer les échanges de la région cicatricielle. Elle permet de ralentir la fibrose et d’éviter l’installation d’adhérences susceptibles de limiter l’amplitude articulaire. Le massage des cicatrices, qu’il s’agisse de la cicatrice axillaire, de celle de tumorectomie ou de mastectomie, est donc une nécessité qui se heurte à l’appréhension de la patiente : crainte d’une désunion et d’une infection. C’est ici que la kinésithérapie trouve toute sa place. Le traitement manuel de la cicatrice est réalisé par sa mobilisation digitale transversale sur le plan sous-jacent, vacuothérapie, endermologie… À ce stade, un drainage lymphatique du membre dans son ensemble est formellement contre-indiqué, car il augmenterait le débit lymphatique au niveau du creux axillaire, pouvant entraîner une stase de la lymphe dans l’espace de la lame cellulo-adipeuse et donc une lymphocèle. En revanche, la stase lymphatique de la paroi thoracique antérieure et postérieure peut bénéficier d’un drainage lymphatique “en étoile” permettant la résorption de l’œdème vers d’autres régions. ◆◆ L’enraidissement de l’épaule Avec le démarrage de la cicatrisation vont apparaître des douleurs, source de raideur antalgique, limitant alors l’élévation et la rotation externe du bras. L’enraidissement précoce est dû essentiellement à la crainte de la patiente de déclencher des douleurs en utilisant son membre, ou d’une désunion de la cicatrice ; il est favorisé par l’existence de problèmes tendineux ou articulaires préexistants. Il faut apprendre à la patiente à faire des mouvements doux, progressifs et qui restent indolores. Les mouvements sont globaux, à effectuer lentement avec des postures d’étirement du membre supérieur. La patiente est encouragée à répéter ces mouvements en l’absence du kinésithérapeute en privilégiant les mouvements posturaux aux exercices répétitifs. Avant le dixième jour, toute mobilisation trop active est contre-indiquée, car elle peut être responsable de l’augmentation du débit de la lymphe, et de l’apparition d’une lymphocèle à la partie latéro-inférieure de l’aisselle. En revanche, une immobilisation du membre supérieur diminuera les lymphorrhées mais sera responsable de raideurs articulaires. Il faut donc un juste milieu. Après le dixième jour, en cas de curage axillaire, la rééducation avec l’aide d’un kinésithérapeute est indispensable. Par ailleurs, le nombre de séances nécessaires est assez variable (de dix à trente environ). Keywords Breast carcinoma Surgery Functional sequels ◆◆ Les douleurs Les douleurs classiques par excès de nociception sont aujourd’hui bien prises en charge dans leur évaluation et leur traitement. Nous ne les détaillerons donc pas, pour aborder les douleurs neuropathiques, parfois appelées neurogènes. Ces douleurs neuropathiques peuvent être facilement reconnues à partir de leur séméiologie très spécifique : sur un fond douloureux permanent, le plus souvent à type de brûlure ou de sensation d’étau, vont se greffer des paroxysmes hyperalgiques spontanés et/ou provoqués. L’apparition en dehors de toute stimulation périphérique est très évocatrice. Cette symptomatologie douloureuse s’inscrit habituellement dans un contexte de déficit sensitif et de perturLa Lettre du Sénologue • n° 44 - avril-mai-juin 2009 | 7 DOSSIER THÉMATIQUE Tableau. Précautions à prendre après curage axillaire. Recommandations à suivre toute la vie, qui ont pour but de limiter le risque d’apparition d’un œdème du bras. Du côté opéré, il faut : ➤ Éviter de faire pratiquer une prise de sang, une injection ou une prise de tension artérielle. ➤ Éviter de porter des charges lourdes (pas plus de 5 kg) et de faire des efforts violents. ➤ Éviter le travail répétitif : faire des poses régulièrement. ➤ Éviter toute agression : piqûre, griffure, écorchure, etc., à désinfecter immédiatement avec un produit adéquat. ➤ Éviter toute source de chaleur : une exposition prolongée au soleil, le sauna. ➤ Porter des gants lors de la manipulation de produits corrosifs, lors du jardinage ou de l’utilisation du four. ➤ Suivre attentivement les conseils du kinésithérapeute et en cas d’apparition de certains symptômes : rougeur, chaleur, œdème, consulter rapidement le médecin traitant. Effets secondaires et séquelles des traitements après cancer du sein bations de la sensibilité, notamment sous la forme d’une allodynie mécanique ou thermique, d’une hyperalgésie. Les troubles du sommeil sont très fréquents. La douleur est nuisible à la qualité du sommeil, tandis qu’une mauvaise nuit entraîne souvent une aggravation de la douleur. Et la patiente entre facilement dans un cercle vicieux. Enfin, ces douleurs se révèlent le plus souvent réfractaires à de nombreux traitements médicamenteux. Leur tendance à la chronicisation est donc évidente avec une interaction inévitable de facteurs thymiques et comportementaux, susceptibles d’intervenir dans l’expression douloureuse et de gêner l’analyse de leur profil. Ce sont des patientes “difficiles” en consultation, qui demandent beaucoup de temps et de disponibilité, qui nous découragent parfois par la complexité de leurs symptômes et leur résistance aux traitements. Le traitement de ces douleurs neuropathiques est spécifique, imposant le recours à des traitements médicamenteux de mieux en mieux identifiés, mais non dénués d’effets secondaires indésirables, parfois très limitants. Dans la pratique quotidienne, il faut savoir prescrire des traitements de première ligne et adresser au besoin la patiente en consultation spécialisée de la douleur. Le Lyrica® est plus pratique que le Rivotril® en raison de sa présentation en comprimés, avec moins de risques d’erreur de posologie. On commence à 75 mg le soir pendant 3 jours puis 75 mg x 2 sont souvent nécessaires. Si la dose doit être augmentée, on respectera des paliers d’une semaine entre chaque augmentation, sans dépasser une dose totale de 600 mg par jour. Éducation : prévention du lymphœdème après curage axillaire Donner les conseils d’hygiène de vie fait partie de la prise en charge préopératoire en cas de curage axillaire. En surveillance précoce, on vérifiera la bonne mémorisation des précautions à prendre. Même si ces mesures n’ont pas été beaucoup évaluées, elles sont consensuelles et sont à appliquer tout au long de la vie. Elles sont détaillées dans le tableau. Un à deux mois après la chirurgie En principe, les thromboses lymphatiques et les adhérences cicatricielles doivent avoir disparu en un à deux mois. Mais elles peuvent réapparaître sans cause déclenchante particulière ou éventuellement après la radiothérapie. L’enraidissement de l’épaule peut aussi 8 | La Lettre du Sénologue • n° 44 - avril-mai-juin 2009 apparaître secondairement. Le fait que l’évolution précoce soit très favorable n’exclut pas entièrement le risque d’enraidissement tardif, lié à une réaction inflammatoire tardive mal expliquée. Il est encore possible et évidemment urgent de prescrire une prise en charge kinésithérapique à ce stade. La capsulite de l’épaule, l’algoneurodystrophie, le lymphœdème sont des complications rares mais de diagnostic facile ; elles sont souvent d’apparition plus tardive mais peuvent déjà se voir à ce stade. La prise en charge du lymphœdème est détaillée par le Dr Becker. Au total Après un curage axillaire, une ordonnance systématique de rééducation doit être délivrée à la sortie. Ainsi, lors de son bilan initial, le kinésithérapeute pourra dépister et déclencher une prise en charge spécifique pour – par exemple – des thromboses lymphatiques superficielles ou un enraidissement de l’épaule, dont la prise en charge précoce permettra la guérison, avant que les séquelles ne deviennent définitives. Encore faut-il bien connaître les indications et les possibilités de la kinésithérapie. La patiente et son entourage doivent bénéficier d’une éducation préventive qui est essentielle. Le raccourcissement général des durées d’hospitalisation et le développement de la chirurgie ambulatoire font disparaitre de plus en plus les quelques jours d’hospitalisation qui étaient le lieu naturel de cette prise en charge précoce de la rééducation du membre supérieur et surtout de l’information et de l’éducation des patientes. C’est aujourd’hui en amont et en aval de l’hospitalisation que ce travail devra être réalisé. Lors des premières consultations postopératoires, il faudra donc être vigilant sur ces points. La bonne connaissance des séquelles précoces après chirurgie de l’aisselle et leur prise en charge spécifique sont essentielles pour limiter l’apparition des séquelles tardives. Nous disposons ici d’un véritable outil de prévention des séquelles tardives, qui reste encore irrégulièrement utilisé. ■