Running Head : COMPARAISON DES CREOLES

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Running Head : COMPARAISON DES CREOLES REUNIONNAIS ET GUADELOUPEEN
Mi koz kréol, An ka palé kréyol
Une comparaison du créole réunionnais et du créole guadeloupéen
Anne Sheriff
Colorado State University
COMPARAISON DES CREOLES REUNIONNAIS ET GUADELOUPEEN
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Quand des groupes de personnes d’origines et de langues maternelles différentes habitent
ensemble, ils doivent trouver un moyen de communiquer. Dans certains contextes, un groupe
apprend la langue du groupe dominant. Par exemple, beaucoup d’immigrants qui viennent aux
Etats-Unis doivent apprendre l’anglais. Dans d’autres contextes, les deux groupes apprennent
une troisième langue qui n’est la langue maternelle d’aucun des groupes. Un exemple de ce
choix est en Inde où tous les groupes ethniques apprennent l’anglais qu’ils utilisent comme
lingua franca. Dans d’autres situations, les langues des groupes se mélangent pour créer une
nouvelle langue avec plusieurs langues apparentées. On appelle cette nouvelle langue un créole.
On trouve des langues et des cultures créoles dans les anciennes colonies. Le mot créole
vient du mot espagnol ‘criollo’ qui, selon M.-C. Hazaël-Massieux (2005), veut dire ‘celui qui
naît aux Indes [Occidentales] de parents espagnols, ou de parents originaires d’autres nations qui
ne sont pas Indiens’ (p. 25). On peut généraliser cette définition et l’appliquer aux personnes,
aux cultures et aux langues d’aujourd’hui qui sont nées dans les îles de parents qui n’en étaient
pas originaires, ou à un mélange d’éléments venants de plusieurs origines. Les langues créoles
ont toujours une langue colonisatrice et une ou plusieurs langues de colonisées ou d’esclaves
comme langues apparentées. On trouve des créoles aux bases portugais, français, anglais et
néerlandais. Bien que deux créoles puissent partager une langue de base, on va trouver des
différences. Pour examiner ces variations, on va comparer deux créoles français, le créole
réunionnais et le créole guadeloupéen. Les différences qu’on trouve vont être dues à des
variations de cultures des habitants et au développement séparé des deux langues. D’abord, on
examine le contexte historique des deux îles qui mène à la naissance des créoles. Ensuite, on
compare la syntaxe et le lexique des deux langues et cherche les différences qui indiquent des
variations culturelles entre ces deux îles françaises et créoles.
COMPARAISON DES CREOLES REUNIONNAIS ET GUADELOUPEEN
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Contexte Historique
Le contexte historique de ces deux créoles aide à comprendre pourquoi il y a des
différences entre deux langues qui partagent une langue de base. Pour commencer, on va
examiner le développement des créoles en général et puis le peuplement de ces deux îles. Avec
cette information, il sera possible de voir la façon que ces deux catégories ont touché la forme de
ces langues.
Développement des créoles
Quand on a commencé à coloniser l’Afrique, l’Amérique et l’Asie, on visait à des buts
économiques. On espérait cultiver des produits qui ne poussaient pas en Europe. Au début de la
colonisation, ces produits étaient surtout le café, la canne à sucre et aujourd’hui les bananes.
Cependant, on avait besoin de main-d’œuvre pour travailler les champs. Alors, on a fait venir
des esclaves de l’Afrique. Ces esclaves ne parlaient ni le français ni tous la même langue
africaine parce qu’ils venaient de tribus différentes. Pour que les esclaves puissent les
comprendre, les maîtres leur parlaient en utilisant l’infinitif, sans conjuguer les verbes. Pour
indiquer le temps d’une phrase, ils ont ajouté des mots temporels comme ‘demain’ pour le futur
et ‘hier’ pour le passé (M.-C. Hazaël-Massieux, 2005). Ils pensaient qu’en simplifiant leur
manière de parler les esclaves allaient mieux les comprendre. De cette tendance, on voit la
naissance d’un pidgin que les esclaves pouvaient utiliser pour parler aux propriétaires. On
considère cette nouvelle langue un pidgin et non pas un créole parce que personne ne le parlait
comme langue maternelle.
Quand les enfants de la première génération des esclaves commencent à apprendre cette
langue dès la naissance, ils continuent à la transformer pour qu’elle puisse tout exprimer. Ces
transformations créent une autre version de ce pidgin qui est maintenant la langue maternelle
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d’une génération d’enfants. Les linguistes considèrent cette langue un créole. Comme toutes les
langues vivantes et naturelles, il continue à évoluer dû aux besoins des locuteurs, aux influences
des autres langues avec lesquelles le créole est en contact et aux nouvelles technologies et
croyances.
Le peuplement des îles
Les langues des colonisateurs et des esclaves déterminent la forme qu’un créole prend.
Pour mieux comprendre les différences entre le créole réunionnais et le créole guadeloupéen, on
a besoin des connaissances du peuplement de ces deux îles. Par exemple, qui était là avant
l’arrivée des européens, quels européens ont peuplé l’île et d’où venaient les esclaves.
La Réunion. Les premiers européens qui ont découvert l’île de la Réunion étaient des
Portugais qui l’ont trouvée ainsi que d’autres îles Mascareignes au seizième siècle. Bien que les
Portugais aient découvert l’île de la Réunion, ils n’y ont pas établi de colonie. Alors, en 1642, la
compagnie française de l’Orient en a pris possession mais n’y a pas envoyé de colons avant
1663. Les premiers arrivés étaient deux Français et dix domestiques malgaches. Après que ce
premier petit établissement sur l’île a eu du succès, des colons ont continué à y venir. Pendant la
croissance de la colonie, on devient de plus en plus dépendant de Madagascar et de l’Afrique de
l’est pour les esclaves (Prabhu, 1999).
Au début de la colonisation, il n’y avait pas assez d’esclaves pour construire leur propre
maison. Alors, les maîtres et les esclaves, que les colons réunionnais appelaient des domestiques
à cette époque, habitaient dans la même maison. Dans les maisons, les domestiques apprenaient
le français en parlant quotidiennement avec la famille. Il y avait même des curés qui les
instruisaient. Par contre, quand les petites fermes sont devenues de grandes plantations, on avait
les moyens et l’espace pour construire de petites maisons d’esclave et pour les éloigner de leur
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maître (Chaudenson, 1993). Il devenait plus difficile pour les esclaves d’apprendre le français de
leur maître et puisqu’ils venaient de divers endroits en Afrique, ils ont dû trouver un nouveau
moyen de communiquer. Ils n’utilisaient que l’infinitif des verbes, le moyen avec lequel leur
maître leur parlaient, et ils ont transformé cette manière de parler d’abord en pidgin et de là en
créole.
La Guadeloupe. Avant l’arrivée des Européens à la Guadeloupe, les Amérindiens
peuplaient l’île. Cependant les espagnols qui étaient les premiers à arriver à la Guadeloupe les
ont tués, soit avec des maladies, soit avec la violence de leur conquête de l’île. Quand les
Français sont arrivés, les Caraïbes, comme groupe ethnique, ne composait qu’une toute petite
partie de la population guadeloupéenne à cause des Espagnols et ceux qui restaient ont eu des
enfants avec des esclaves ou avec des Européens de l’île. C’était la guerre entre les espagnols et
les Caraïbes qui a laissé le pouvoir de l’île aux français. Le 28 juin 1635 des Français, quatre
missionnaires, 150 ‘engagés,’ et « quelques familles les accompagnant à leur frais » sont arrivés
sur l’île (Chevalier, 1963). Un recensement en 1656 montre qu’il y avait environ 12.000 colons
français et 3.000 esclaves noirs. La Guadeloupe faisait partie du commerce triangulaire et les
esclaves qui y sont arrivées venaient de l’Afrique de l’ouest. Chaudenson (1993) explique que
quand les Noirs dans les colonies étaient moins nombreux que les Blancs, les Noirs « étaient
fortement intégrés à la maisonnée » (p. 424). En revanche, un siècle plus tard, la population des
blancs sur l’île a baissé et a remonté pour rester plus ou moins le même, mais la population des
esclaves est passés de 3.000 à 80.000 à cause de l’arrivée de la canne à sucre (L.C. 1963).
Pendant ce temps, les maîtres ont construit de petites maisons pour leurs esclaves pour qu’ils
restent loin des maîtres. Cette période s’appelle la période de la plantation. Cette nouvelle
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organisation de la société déclenche le processus de la créolisation. Chaudenson (1993) explique
les causes de ce déclenchement en écrivant
la cible linguistique des esclaves bossales (immigrants nouveaux) n’est désormais plus le
français (quelle que soit sa forme), mais des variétés elles-mêmes approximatives parlées
par les esclaves créoles ou créolisés qui constituent, à la place des Blancs, le personnel
d’encadrement (p. 424).
Après la construction de grandes plantations, les Noirs passaient trop de temps dans les champs
pour apprendre le français de leur maître ou pour être instruits. A cause de cette raison, le créole
s’est développé pour résoudre le problème de communication qui était présent.
Le peuplement de la Guadeloupe s’est passé beaucoup plus rapidement que celui de la
Réunion parce que la mer des Caraïbes est plus accessible à la France que l’Océan Indien, et on y
a apporté la canne à sucre plus tôt. Cela veut dire que la créolisation y a aussi commencé plus
tôt.
Les Français ont colonisé la Réunion et la Guadeloupe. Donc, c’était le français qui a
servi de langue de base du créole qui s’était développé dans ces deux îles. Les colons qui y sont
venus étaient originaires des mêmes régions de France et des mêmes catégories sociales et socioprofessionnelles. On a trouvé qu’ils venaient des régions où l’on parlait des langues d’oïl au
nord-ouest d’une ligne Bordeaux-Paris (Chaudenson, 1993). Tout cela indique que le français
des colons avec lequel on a créé les créoles était plus ou moins le même dans les deux îles.
Quelques Limitations
Il y a quelques limitations à cette étude. Les créoles ont commencé et sont surtout restés
des langues orales. Bien qu’on commence à les écrire, qu’on trouve des cours de langue créole
et qu’on puisse trouver des livres traduits en créole guadeloupéen et en créole réunionnais,
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l’orthographe de ces langues n’est pas encore codifiée. On les écrit comme on les entend. En
fait, l’orthographe qu’on choisit peut avoir un côté politique. En créole réunionnais, il y a
plusieurs formes d’orthographe qui sont plus ou moins éloignés de l’orthographe française. Il y
en a une qui reste très proche du français pour simplifier la compréhension des noncréolophones. Cependant, les groupes qui veulent l’indépendance réunionnaise choisissent une
orthographe qui ne ressemble pas du tout au français. Le nom d’un chanteur réunionnais, Danyel
Waro, est un bon exemple de cette orthographe. A cause de toutes ces différences
d’orthographe, les phrases représentées ici ont gardé l’orthographe que leur source a choisie
d’utiliser.
Une autre limitation de cette comparaison est le traitement de différents dialectes des
deux créoles. Des articles utilisés pour analyser le lexique et la grammaire de ces deux créoles
donnent parfois des formes différentes pour les temps et les relatifs. Ces différences peuvent être
dues aux variations dans les dialectes locaux des locuteurs. Même dans les petites îles comme la
Réunion et la Guadeloupe, on trouve plusieurs dialectes et sans plus d’information de la part de
l’auteur de l’article, on ne peut pas savoir quel dialecte les phrases données représentent. Pour
cette raison, on présente plusieurs possibilités pour certaines formes. Ces formes peuvent être
reprises par les deux créoles grâce à leurs racines similaires ou peuvent apparaître dans
seulement un des créoles.
Des Similarités et des différences syntaxiques
Bien que les créoles de base de n’importe quelle langue colonisatrice soient très diverses,
ils ont tous une syntaxe qui est assez similaire. Les créoles, le créole guadeloupéen et le créole
réunionnais inclus, sont des langues analytiques et isolantes. Cela veut dire qu’ils ont beaucoup
de particules pour indiquer le temps, l’aspect et le mode d’un verbe. De cette manière, ils
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diffèrent du français qui utilise des morphèmes pour marquer le temps, le futur par exemple, ou
le mode, comme le subjonctif. Wittmann (1987) fait une liste de toutes les particules verbales en
créole réunionnais et en créole guadeloupéen. Le créole de la Réunion en a sept, tandis que celui
de la Guadeloupe n’en a que quatre et un temps qui est marqué par l’absence d’une particule. On
trouve ses conclusions dans le tableau 1. En regardant ce tableau, on remarque que le créole
réunionnais a plusieurs particules pour marquer le progressif and l’irréel. Puisque c’est deux
sens utilisent la même particule dans la deuxième position, on ne les mettrait jamais tous les
deux dans la même phrase. En outre, le créole réunionnais marque le perfectif avec une particule
tandis que le créole guadeloupéen le marque avec une manque de particule. Le fait final qui est
important à remarquer de la recherche de Wittmann (1987) est que l’ordre de ces particules tel
qu’il est présenté dans le Tableau 1 est fixe dans les deux langues. Par contre, comme on l’a
Créole
réunionnais
Créole
guadeloupéen
Perfectif1
Négation1
Antérieur
Progressif1
Irréel1
Négation2
Irréel2
Progressif2
la
*
té
i
alé
pa
po
po
Ø
pa
té
ka
sava
*
*
*
Tableau 1 (Wittmann, 1987)
déjà expliqué, pas tous les linguistes des créoles ne sont d’accord avec lui. Ils ont d’autres
explications de certaines particules ou ils donnent d’autres particules pour le temps, l’aspect ou
le mode que Wittmann met dans sa liste. Par contre, sans prendre l’opinion d’autres linguistes,
ce tableau donne une bonne illustration de la quantité des particules dans les deux langues et
montre que ces créoles n’ont pas besoin de morphèmes agglutinatifs pour s’exprimer dans tous
les temps.
Le présent et les articles
Pour explorer la syntaxe de ces deux créoles, on va commencer avec le présent. En
créole guadeloupéen, on marque le présent le plus souvent avec la particule ‘ka.’ Bien que
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Wittmann (1987) indique que ‘ka’ est un forme du progressif, la plupart des linguistes le
considère aussi le marqueur du présent. Le français ne marque pas non plus la différence entre le
progressif et le présent. Par exemple, la phrase « Machann-la ka vann bannann » (Poullet et
Telchid, 1990) veut dire ‘La marchande vend des bananes.’ La présence de la particule ‘ka’
indique que la phrase est au présent.
On trouve la même différence d’opinion du marqueur du présent et du progressif en
créole réunionnais. Wittmann (1987) et d’autres linguistes (Caid, 1998, Corne, 1974) explique
que la particule ‘i’ marque le progressif, mais certains professeurs du créole réunionnais explique
qu’elle indique le présent. De plus, on trouve ‘i’ dans beaucoup de phrases au présent parce que
quand on parle au présent, on parle souvent des choses qui sont en train de se passer. Une autre
explication du présent en créole réunionnais est que c’est un temps non-marqué mais qu’on peut
ajouter ‘viens d’,’ ‘la fine,’ ou ‘lé entrain d’’ devant le verbe (Letoullec et Fatout).
En comparant plusieurs phrases au présent dans les deux langues, on remarque d’autres
différences syntaxiques ainsi que des similarités. Il y a une différence des articles définis.
Prenons cette phrase « La petite fille vient : »
créole réunionnais : Ti fille y vient.
créole guadeloupéen : Tifi-la ka vin.
En créole réunionnais, on n’a pas besoin d’article défini. Quand il est utilisé, ce qui se passe
rarement, on utilise le ‘le’ aussi bien pour le singulier que pour le pluriel (Letoullec et Fatout).
Par contre, pour l’indéfini, on marque le masculin et le féminin avec le mot ‘in.’ Pour exprimer
‘une petite fille vient’ en créole réunionnais, on dit « In ti fille y vient. » Le pluriel est marqué
avec le mot ‘bann,’ placé devant le nom. La phrase précédente au pluriel devient « Bann ti fille
y vient » (Staudacher-Valliamée, 2004). En créole guadeloupéen, par contre, l’article défini est
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toujours présent et est toujours ‘la’ au masculin et au féminin. C’est un article post-posé, donc il
ne se trouve jamais avant le nom comme il l’est en français. L’article indéfini est ‘on’ dans la
forme masculine et dans la forme féminine. L’article pluriel et défini est marqué par le mot ‘sé,’
alors la phrase ‘les petites filles viennent’ est « Sé tifi-la ka vin » en créole guadeloupéen. Par
contre, l’article pluriel et indéfini au créole guadeloupéen n’a pas de marqueur. Pour la phrase
‘des petites filles viennent,’ on dirait « Tifi ka vin » (Poullet et Telchid, 1990). Les deux langues
font les mêmes distinctions de sens des articles, mais elles se servent des formes différentes pour
le faire. Ces différences peuvent venir des diverses origines des esclaves amenés aux deux îles
ou des façons différentes de faire l’analyse grammaticale du français de leurs maîtres.
Le passé et la négation
Le passé dans les deux langues est un autre moyen de voir des différences entre les deux
langues. Commençons avec une phrase au passé composé en français : « Il a bu du rhum. »
Dans nos deux créoles, cette phrase devient :
créole réunionnais : « Li té bwar rom »
créole guadeloupéen : « I bwa wonm »
En créole réunionnais, on marque le passé avec la particule ‘té’ ou ‘la’ (Cellier, 1985). Il est
probable que ce ‘té’ vienne de la forme de ‘être’ à l’imparfait ‘était’ et que le ‘la’ vienne de la
liaison de ‘il a’ au passé composé. Par contre, en créole guadeloupéen, on utilise ce ‘té’ pour
« exprimer le temps qui s’est écoulé avant de l’acte de communication » (Poullet et Telchid,
1990, p. 112), c’est-à-dire le plus-que-parfait. En créole guadeloupéen, la phrase « I té bwa
wonm » serait traduite en français comme « Il avait bu du rhum. » Contrairement à l’équivalent
du passé composé en créole réunionnais, l’équivalent guadeloupéen n’a pas de particule.
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Utilisons un nouvel exemple pour montrer l’équivalent créole de l’imparfait. Cet exemple
vient de Cellier (1985) et contient des équivalents non-seulement de l’imparfait mais aussi du
passé composé en français.
créole réunionnais : « Kan li la vini, moin té i manz »
créole guadeloupéen : « Lé i vin, an té ka manjé »
F : « Quand il est venu, je mangeais »
En créole réunionnais, on voit un exemple de ‘la’ du passé, et le moyen dont on combine des
particules pour donner un nouveau sens du temps du verbe. On prend la particule du passé et le
met devant la particule du progressif pour créer l’équivalent de l’imparfait. On utilise plus ou
moins le même procédé en créole guadeloupéen. Puisque le créole guadeloupéen indique le
passé avec un manque de particule, pour former l’imparfait, on utilise ‘té’ qui forme l’équivalent
du plus-que-parfait.
Pour montrer la différence de la négation entre les deux créoles, on va garder la phrase
« je mangeais » mais au négatif.
créole réunionnais : « Moin té i pa manz »
créole guadeloupéen : « An pa té ka manjé »
Le créole guadeloupéen marque la négation de la même façon que tous les autres créoles
français. Il met la particule ‘pa’ devant toutes les autres particules de la phrase. Le créole
réunionnais fait l’opposé de ce procédé. Wittmann (1987) remarque que « le placement de pa
dans cet ensemble nous paraît être un anachronisme mineur que le créole réunionnais ne partage
avec aucune autre variété du français non standard, populaire ou créole » (p. 148). Son
placement à la fin de toutes les particules le différencie comme unique dans le monde des créoles
français. Il est possible que cette différence vienne de l’influence que la langue malgache a eu
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sur le créole réunionnais ou des origines des esclaves amenés d’Afrique qui sont venus de
l’Afrique de l’Est.
Le futur
Le futur dans les deux langues est basé sur la construction française ‘aller au présent +
infinitif’ mais indique le futur simple. Dans ces deux créoles, il n’y a pas de distinction entre le
futur simple et le futur proche comme on trouve en français de référence. Voilà un exemple dans
les deux créoles avec sa traduction française :
créole réunionnais : « Nou va désann pré bazar »
créole guadeloupéen : « Nou ké désann koté laplas-mawché » (Poullet et Telchid,
1990)
F : « Nous descendrons (du car) près du marché. »
Le marqueur du futur ‘va’ du créole réunionnais ressemble à la troisième personne plurielle du
verbe ‘aller’ en français (Staudacher-Valliamée, 2004). Le futur est un autre temps où tous les
linguistes ne sont pas d’accord. Letoullec et Fatout dit qu’il s’indique avec les particules ‘laura
fini,’ ‘sra en train d’’ ou ‘sra pour.’ Wittmann (1987) dit qu’il y a un morphème agglutinatif, ‘ra,’ qu’on met à la fin du verbe. Il est probable que cette différence d’opinion vient de
l’évolution de la langue. Il y a aussi un désaccord en créole guadeloupéen que G. HazaëlMassieux (1986) montre, comme en créole réunionnais, vient de l’évolution du créole vivant. Il
dit que le ‘ké’ représente le futur lointain, mais qu’on trouve aussi le ‘sra’ et le ‘va’ qu’on trouve
dans le créole réunionnais et ‘kalé.’ On pense que le mot ‘kalé’ est une contraction de ‘ka’ et
‘alé,’ un forme du ‘aller’ français, qui s’est raccourci encore pour devenir le ‘ké’ qui est le plus
commun aujourd’hui (Poullet et Telchid, 1990). Des variations dans les deux langues montrent
des différences de dialectes et l’évolution des langues. Il est évident que les deux créoles ont pris
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une forme du verbe ‘aller’ qui est utilisé dans le futur immédiat du français pour former leur
futur.
Le relatif
Pour lier des phrases avec des conjonctions de subordination dans les deux créoles, on
utilise des mots qui sont près des mots ‘qui’ et ‘que’ en français. En créole réunionnais, la forme
du relatif est ‘ke,’ mais il est presque toujours facultatif (Corne, 1995). Dans la phrase, « mou y
vien voir in amize à moin lé malade » qui veut dire ‘Je suis là pour voir mon amie qui est
malade.’ On voit qu’on n’utilise pas la conjonction de subordination ‘ke’ entre les deux
propositions, « mou y vien voir in amize à moin » et « lé malade. » Corne (1995) fait remarquer
que cette construction qui est facultative vient de la langue malgache. En malgache, comme en
créole réunionnais, la conjonction de subordination qui est (i)zay en malgache est facultative.
Par contre en créole guadeloupéen, cette conjonction est obligatoire. ‘Ki’ est devenu le
défaut, mais il peut contraster avec le mot ‘yo.’ Dans les dialectes qui utilisent les deux mots,
‘ki’ marque des relatifs restrictifs (Ludwig, 1992). Un exemple de cette sorte de relatif est « Sé
pyébwa-la ki an flè-a ké pòté fwi » ce qui veut dire ‘Les arbres qui sont en fleur porteront des
fruits (et non les autres).’ Par contraste, le mot ‘yo’ indique une construction appositive comme
dans la phrase « Sé pyébwa-la an flè, yo ké pòté fwi » ce qui veut dire « Les arbres, qui sont en
fleur, porteront des fruits, » c’est-à-dire tous sont en fleur, tous porteront des fruits (Ludwig,
1992, p. 112). Bien que l’ordre des mots entre les deux phrases ait un peu changé, la différence
la plus marquante est le changement de conjonction de subordination. Le créole guadeloupéen
reste plus proche au français que le créole réunionnais, peut-être parce que toutes les langues
africains parlées aux Antilles avaient des conjonctions de subordination qui étaient obligatoires.
COMPARAISON DES CREOLES REUNIONNAIS ET GUADELOUPEEN
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Après une brève investigation de la syntaxe du créole réunionnais et du créole
guadeloupéen, on voit qu’elles sont assez similaires. Les deux ont beaucoup de particules
préverbales qui indiquent le temps, l’aspect et le mode d’une phrase bien que le créole
réunionnais en ait beaucoup plus. Avec plus d’étude, on trouvera encore des similarités, parce
qu’ici on s’est concentré sur les différences des articles et des relatifs.
Des Différences et des similarités des lexiques réunionnais et guadeloupéen
Il y a beaucoup plus de différences au niveau du lexique entre nos deux créoles. Une
grande partie de ces différences peuvt être expliquée par le fait que ces deux langues se sont
développée tout à fait isolée l’une de l’autre. En examinant le lexique, on peut voir le lexique du
français à l’époque de la colonisation de ces îles et comment les premiers créolophones ont
transformé et ont compris le français qu’ils entendaient chez les colons.
Il y a aussi des similarités, bien sûr. Ces similarités sont souvent liées aux mots toujours
existants en français d’aujourd’hui. De plus, les francophones les reconnaissent facilement parce
qu’on ne les a pas beaucoup transformés de leur racine originale. Dans les mots qui sont très
similaires dans les deux langues, on trouve souvent des différences phonétiques à cause de la
manière différente dont les deux créoles ont transformé les sons français.
Les formules de politesse
Les formules de politesse sont importantes dans n’importe quelle langue. Un simple
‘bonjour’ et ‘comment ça va ?’ peuvent ouvrir des portes. En créole réunionnais et en créole
guadeloupéen, le mot pour ‘bonjour’ n’a pas beaucoup changé pendant la créolisation. En créole
réunionnais, on dit « bonzour » et en créole guadeloupéen, on dit « bonjou. » Ces deux mots
montrent seulement des transformations phonétiques. Le ‘j’ en français est devenu un ‘z’ dans
des mots réunionnais et le ‘r’ soit a disparu, soit est devenu un ‘w’ dans des mots guadeloupéens.
COMPARAISON DES CREOLES REUNIONNAIS ET GUADELOUPEEN
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Comme en français, il y a beaucoup de moyens pour dire ‘comment ça va ?’ en créole
réunionnais et en créole guadeloupéen. On va examiner un seul de chaque langue pour montrer
comment les deux créoles ont pris des mots différents pour former cette phrase. En créole
réunionnais, on dit « Comon y lé ? » (Letoullec et Fatout). Le ‘comon’ vient de ‘comment’ en
français et ‘lé’ est le verbe ‘être’ en créole réunionnais. En créole guadeloupéen, on dit « Ka ou
fé ? » (Poullet et Telchid, 1990). Le ‘ka’ vient du mot ‘quoi,’ ‘ou’ veut dire ‘tu’ et ‘fé’ est du
mot ‘faire.’
De vieux mots
Il y a des mots en créole réunionnais qui prennent des mots qui sont aujourd’hui
archaïque mais qui étaient communs à l’époque de la colonisation. Par contre, leurs équivalents
guadeloupéens ressemblent plus aux mots français modernes. Par exemple, en créole
réunionnais, ‘parler’ est ‘koz’ du mot ‘causer’ qui a pris un sens différent en français
d’aujourd’hui. Par contre, on utilise le mot ‘palé’ en créole guadeloupéen qui se rapproche au
mot ‘parler.’ Un autre exemple de ce phénomène est le mot pour ‘enfant.’ En créole
réunionnais, on a le mot ‘marmay’ du mot ‘marmaille’ en français. En créole guadeloupéen, on
trouve le mot ‘ti-moun’ qui est construit de ‘ti’ qui veut dire ‘petit’ et ‘moun’ qui veut dire
‘personne’ du mot ‘monde.’ Un dernier exemple de ce choix de mot différent est le mot
‘marché.’ En créole réunionnais, on utilise le mot ‘bazar’ et en créole guadeloupéen, c’est le mot
‘laplas’ ou ‘laplas-mawché.’ En français moderne, ‘bazar’ a un sens plus spécifique que le mot
‘marché,’ pendant que ‘la place’ indique le lieu du marché. Ces vieux mots qui apparaissent
dans des créoles montrent l’histoire de la langue française. Quand un créole contient des mots
plus modernes, ils peuvent indiquer une influence française plus récente.
Des Expressions
COMPARAISON DES CREOLES REUNIONNAIS ET GUADELOUPEEN
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Des expressions idiomatiques sont fortement liées à la culture qui parle la langue. Pour
cette raison, on ne trouve pas d’expression qui est la même entre les deux langues. Ici, on va
examiner quelques expressions pour regarder comment la culture des deux îles a influencé la
langue. En créole réunionnais, il y a l’expression « Out canard lé noar. » Traduite mot à mot,
cette expression est « Ton canard est noir, » ce qui ne veut rien dire en français. Par contre,
idiomatiquement, le sens de cette expression est ‘Tu vas avoir des ennuis.’ Il y a beaucoup de
superstitions à la Réunion dont une est que les poules noirs portent malchance et peuvent même
être utilisées pour jeter un sort. Une autre expression trouvée en créole réunionnais est « la
langue na poin lo zo » ou « la langue n’a pas d’os » en français. Son équivalent en français est
‘il faut faire attention aux commérages.’ On fait beaucoup attention aux commérages, qu’on
appelle « la di, la fé, » à la Réunion.
Quelques expressions à la Guadeloupe incluent « woulé kon nèg é bèf. » Quand on
traduit mot à mot cette expression, on a « Travailler comme un nègre et un bœuf » qui veut dire
‘travailler dur ou beaucoup.’ Cette expression idiomatique fait référence à l’histoire de l’île et de
l’esclavage qui y était présent. Il y a aussi l’expression « bannann jonn pas ka vini vèt » ou « les
bananes jaunes ne reverdissent pas » en français qui veut dire ‘Certaines évolutions ont
irréversibles.’ On cultive beaucoup de bananes aux Antilles et cette expression fait référence à
ce fait.
Les idiomes sont une grande partie de la culture et il est impossible de comprendre leur
origine sans comprendre la culture.
Conclusion
En comparant deux créoles français, on remarque beaucoup de qualités de leur syntaxe et
leur lexique. Les petites différences syntaxiques illustrent l’effet des autres langues de bases qui
COMPARAISON DES CREOLES REUNIONNAIS ET GUADELOUPEEN
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étaient des langues africaines des esclaves amenés aux îles. Bien que la syntaxe des deux créoles
soit très différente de la syntaxe française, elles sont assez similaires l’une de l’autre, ce qui peut
suggérer que ces créoles ont une syntaxe plutôt africaine.
Les différences et les similarités des lexiques peignent un portrait du français au temps de
la colonisation car les créoles ont pris la plupart de leurs mots du français et les ont transformés
par des règles phonétiques. Il est évident que le lexique des deux langues s’approchent à celui du
français parce que ces mots-là étaient ceux que tous les esclaves entendaient tous les jours et
pouvaient transformer pendant le procès de la créolisation. De plus, les expressions idiomatiques
marquent le fort lien entre une langue et la culture. Elles sont impossibles à traduire en français
sans changer la phrase complètement. De plus, elles reflètent ce qui était et est important à la
culture où on utilise ces expressions.
La culture, l’identité des locuteurs et la langue sont fortement liées. En comparant deux
créoles, on arrive à repérer ce qui est important à la culture réunionnaise et guadeloupéenne et
comment les locuteurs s’identifient par rapport au français.
COMPARAISON DES CREOLES REUNIONNAIS ET GUADELOUPEEN
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