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INTRODUCTION
Dans l’aire culturelle caribéenne, la Révolution haïtienne de 1791
apparaît comme un événement matriciel. Symbole historique, vecteur artistique,
cadre conceptuel et philosophique, cette épopée de la liberté a inspiré artistes,
historiens, écrivains, bien au-delà des frontières haïtiennes, acquérant dès le
XVIIIe siècle un retentissement universel. Notre intuition première était d’aller à
la recherche des représentations de personnages haïtiens dans les œuvres
d’auteurs étrangers, caribéens, américains, européens. Scruter Haïti au miroir
des autres et s’inscrire dès lors dans une démarche comparatiste, transculturelle.
Monsieur Toussaint, La Tragédie du roi Christophe, Dessalines /
Glissant, Césaire, Placoly, trois esthétiques dramatiques différentes mais une
unité originelle : Haïti et sa révolution. Au-delà de ce trait d’évidence, ces trois
pièces de théâtre ont été écrites en regard les unes des autres. Elles ont été écrites
dans l’intervalle de deux décennies, de 1960 à 1983. Ainsi leur date de création
voisine. La première version de Monsieur Toussaint date de 1961, celle de La
Tragédie du roi Christophe date de 1963 et Dessalines paraît en 1983 aux
éditions Casas de las Americas.
Et que dire de ces trois titres éponymes ? Ils semblent s’interpeler, se répondre
d’une pièce à l’autre. Si le substantif « monsieur » ramène Toussaint à son
humble appartenance à la classe commune des hommes, il n’en va pas de même
chez Césaire. Le titre nobiliaire de « Roi » sonne l’entrée légitime du personnage
dans un genre dramatique dit noble, la tragédie, soulignant sa stature héroïque.
Dessalines : Placoly, quant à lui, choisit l’épure tranchant ainsi avec ses deux
ainés. Les trois tragédies mettent donc en scène - scène de l’Histoire, scène de la
mémoire, scène de la fiction - trois figures emblématiques de l’épopée
révolutionnaire haïtienne : principe premier, Toussaint le fondateur, Dessalines,
le premier chef d’Etat d’une Haïti libre de la domination coloniale française et
Christophe, le roi bâtisseur.