Articulation entre santé au travail et santé publique : une illustration

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Inspection générale
des affaires sociales
Articulation entre santé au travail et
santé publique : une illustration au travers
des maladies cardiovasculaires
RAPPORT
Établi par
Anne-Carole BENSADON
Philippe BARBEZIEUX
Membres de l’Inspection générale des affaires sociales
- Avril 2014 2013-127R
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IGAS, RAPPORT N°2013-127R
IGAS, RAPPORT N°2013-127R
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SYNTHESE
La prévention primaire des maladies cardiovasculaires est aujourd’hui essentiellement axée
sur les facteurs de risque classiques or le rôle de l’environnement professionnel est établi ce qui
justifierait une prévention collective englobant tous ces facteurs.
L’interaction entre ces différents facteurs de risque et l’extrême complexité liée à la mise en
évidence de causalité respective de ces différents facteurs constitue une des explications à la faible
place laissée jusque là à la prévention des maladies cardiovasculaires dans la santé au travail, alors
même que des auteurs, y compris en France, ont déjà attiré l’attention sur ce phénomène. D’autres
raisons peuvent être évoquées qui renvoient aux modalités mêmes de construction du système de
santé au travail. Il repose sur un triptyque associant responsabilité des employeurs, réparation et
prévention avec un poids accordé à la prévention biaisé par les enjeux financiers et réglementaires
liés aux deux autres points du triptyque.
Mieux anticiper et analyser les risques liés au travail pour les prévenir, notamment ceux liés
à de nouvelles formes d’organisation du travail, suppose d’accorder toute sa place à la prévention.
Les acteurs des services de la santé au travail et en particulier le médecin du travail jouent un rôle
majeur dans ce domaine. Le vieillissement de la population a jusque là surtout été pensé en termes
de maintien de l’autonomie. C’est également au défi du vieillissement des salariés en activité qu’il
convient maintenant de s’attaquer. L’incidence des maladies cardiovasculaires et plus généralement
des maladies chroniques augmentent avec l’âge. Le caractère multifactoriel des maladies
cardiovasculaires et l’existence de facteurs liés à l’environnement professionnels justifient la prise
en compte des maladies cardiovasculaires dans le cadre des démarches de prévention des risques
professionnels menées en entreprise. Le futur plan national santé travail doit comporter, parmi les
thématiques abordées, la prévention des maladies cardiovasculaires.
Permettre une qualité de vie au travail et le maintien dans l’emploi de salariés vivant avec
ces maladies suppose de prendre la mesure de cet enjeu et en mettre en œuvre des stratégies
adaptées. Ces stratégies doivent être impulsées et partagées par les acteurs concernés de la santé.
La problématique du retour à l’emploi des travailleurs âgés avait du reste fait l’objet d’un précédent
rapport IGAS1.
La sensibilisation des différents acteurs à l’enjeu des maladies cardiovasculaires au travail et
plus généralement des maladies chroniques constitue un atout pour repérer des situations à risque et
adapter au mieux l’orientation des personnes. Si les risques professionnels ont été soulignés, les
interactions avec le mode de vie justifient que cette démarche s’inscrive dans un cadre de
prévention globale.
Cette prévention doit articuler santé au travail et santé publique comme en témoignent les
structures de santé qui font du maintien de l’activité professionnelle une dimension forte de la prise
en charge du malade et les services de santé au travail qui se sont organisés pour gérer ce risque.
L’entreprise apparait ainsi comme un lieu de prévention. Le cloisonnement entre les différents
acteurs peut être surmonté, puisque certaines entreprises et acteurs de santé publique ont réussi à
articuler des interfaces favorables à l’élaboration du parcours de vie et de soins du salarié vivant
avec une maladie chronique.
La prévention des maladies cardiovasculaires contribue par ailleurs à réduire les inégalités
sociales. Rappelons que, s’agissant par exemple des maladies cardiovasculaires, les personnes au
chômage présentent des risques accrus de développer une maladie cardiovasculaire ; une fois
neutralisé l’effet « travailleur sain ».
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Daniel C, Eslous L, Karvar A, Retour à l’emploi des séniors au chômage, rapport IGAS, septembre 2013
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Si l’entreprise a un rôle à jouer, les stratégies à mettre en œuvre supposent de s’intéresser à
la promotion de mesures efficaces et adaptées relevant clairement de la santé publique. Dans cette
optique, les données sur la santé au travail mériteraient d’être structurées et optimisées et de
s’inscrire dans le cadre d’une politique globale d’ amélioration des connaissances sur la santé au
travail.
L’interface entre les médecins confrontés aux problématiques de santé au travail, médecins
du travail mais également médecins généralistes, spécialistes de ville et hospitaliers est complexe.
Une enquête de l’INPES réalisée en 2009 montrait que 61 % des médecins généralistes s’estimaient
plutôt mal informés sur les maladies professionnelles et les problèmes de santé au travail. Des
formations sur la santé au travail doivent être proposées aux cliniciens dans le cadre du
développement professionnel continu.
Par ailleurs, le fait que le médecin du travail soit soumis au secret médical et exerce en toute
déontologie ne protège pas le salarié des conséquences sur son emploi de la connaissance sur sa
santé que le médecin du travail aura acquis lors ces temps d’échange. Ainsi, la question
omniprésente de l’aptitude vient-elle polluer les relations entre le salarié, l’employeur et le médecin
du travail.
S’agissant du maintien et du retour à l’emploi, de nouvelles organisations doivent être
envisagées pour permettre une meilleure accessibilité à l’éducation thérapeutique du patient (ETP)
qui intègre en théorie la dimension « travail ». Les modalités d’autorisation devraient être plus
souples et le financement adapté afin de favoriser le développement de l’ETP en ambulatoire et son
accessibilité sur l’ensemble du territoire. Les pratiques infirmières avancées des systèmes de santé
étrangers apparaissent également intéressantes dans le cadre de la prise en charge de malades
souffrant de pathologies chroniques et notamment d’affections cardiovasculaires. Des centres de
soins de suite et de réadaptation cardiovasculaires ont fait du retour à l’emploi un objectif majeur.
Dans ses recommandations concernant la pratique de la réadaptation cardiovasculaire chez l’adulte,
la Société française de cardiologie (groupe exercice réadaptation sport –GERS-) précise que la
reprise du travail est un des objectifs de la réadaptation cardiovasculaire avec des impacts tant au
plan humain que médico-économique2. Les critères d’orientation des patients vers ces structures
doivent être mieux définis
Cette articulation entre santé au travail et santé publique se traduit également au travers des
programmes de prévention pour la santé que développent certaines entreprises. Il s’agit de
démarches volontaires qui contribuent à la promotion de la santé des salariés. Certaines entreprises
ont développé des programmes dans ce sens, dans un rôle que l’on pourrait qualifier d’acteurs de
santé publique.
Ces démarches de promotion de la santé sont plutôt mises en œuvre par de grandes
entreprises. Leur initiation par des services de santé au travail dans un cadre mutualisé pourrait être
une piste pour faciliter leur développement dans de petites entreprises. Toutefois, il s’agit de
compromis difficiles à trouver car ces démarches ne peuvent conduire à utiliser des ressources qui
doivent être consacrées à la prévention des risques professionnels. Cela explique que la promotion
de la santé, contrairement à la prévention des risques professionnels ne puisse que se situer dans un
contexte de volontariat.
Cette articulation entre santé au travail et santé publique trouve aussi sa place pour aider à
faciliter le maintien dans l’emploi des salariés.
2
Pavy Ba et Al, Recommandations du Groupe Exercice Réadaptation Sport (GERS) de la société française de cardiologie
concernant la pratique de la réadaptation cardiovascuaire chez l’adulte, version3
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La sensibilisation sur les maladies cardiovasculaires au travail ne doit pas conduire à
l’éviction de certains salariés ou de certains métiers au sein des entreprises. En effet, le fondement
de la médecine du travail renvoie bien à une gestion interne des risques et non à leur
externalisation. Or, les démarches de prévention des maladies cardiovasculaires peuvent susciter
des effets anxiogènes sur l’ensemble des acteurs dont il faut tenir compte. Il importe de
communiquer de façon claire sur ces questions vis-à-vis de l’ensemble des acteurs concernés pour
éviter les idées fausses qui aboutiraient à une stigmatisation des malades atteints de pathologies
cardiovasculaires.
Les associations de malades constituent des partenaires incontournables dans ce domaine.
Les différents interlocuteurs que la mission a rencontrés ont souligné toute l’importance de
l’anticipation et d’une approche globale de cette question. Cela suppose que des échanges puissent
avoir lieu sur les situations de travail afin de mettre en place, au-delà des adaptations individuelles,
des démarches collectives d’adaptation des conditions de travail.
Le maintien dans l’emploi nécessite l’implication de tous au sein des entreprises. En premier
lieu des cadres dirigeants à qui il revient de les impulser, dans le cadre plus vaste de la qualité de
vie au travail, facteur de productivité et de compétitivité.
Il convient que l’ensemble des intervenants du champ de la santé puisse faire de
l’environnement travail un questionnement systématique, à l’instar de « public health in all
policies » qui guide les politiques de santé publique. La mise en œuvre de la stratégie nationale de
santé et l’élaboration du troisième plan santé au travail constituent des atouts certains pour
sensibiliser les acteurs concernés et développer ce type d’approche.
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