Dans la tradition, le serpent est le symbole du malin, le

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Analyse du texte de Genèse 3
Que symbolise le serpent ?
Dans la tradition, le serpent est le symbole du malin, le tentateur, le sournois, le provocateur de la chute. Je ne prendrai pas cette option.
Prenons l’option de dire qu’a priori, et en tout cas au début du texte, le serpent est une créature intelligente, que Dieu a voulu intelligente, et qui n’est pas
forcément mauvaise, pernicieuse, vicieuse. Au contraire, le serpent est peut-être une créature bienveillante, complice (dans le bon sens du terme), et qui réfléchit.
Elle partage ses réflexions avec le couple primordial.
Je pense que le serpent est l’allégorie du doute (là encore, dans le bon sens du terme), de la logique pure : il met les paroles de Dieu radicalement à l’épreuve.
Il symbolise notre propension à vouloir user d’indépendance ou d’autonomie à outrance, d’individualisme, sans tenir compte des conséquences de nos actes. Le
serpent est astucieux, c’est-à-dire qu’il envisage ses actes en fonction de leurs conséquences. Ce n’est pas cela que Dieu lui reproche. Le serpent n’est pas maudit à
cause de son astuce. Il est maudit d’en avoir fait un mésusage.
Le serpent est aussi un symbole d’autorité et de salut : Nombres 21, 3 à 9, Moïse fait un serpent d’airain, sous l’ordre de YHWH, et quiconque est mordu par un
serpent regarde le serpent d’airain et il ne meurt pas. Même si, dans ce texte, les serpents qui attaquent les Israélites sont aussi envoyés par YHWH, le serpent
d’airain symbolise ce qui focalise un acte de foi et de relation à Dieu.
Les notes de la TOB indiquent que le serpent était un symbole de fertilité en Canaan, un symbole de force politique en Egypte, et qu’il a dérobé la plante
d’immortalité dans l’Epopée de Gilgamesh (Mésopotamie).
Les notes de la TOB insistent sur le fait que la nudité du couple primordial signifie sa faiblesse.
Texte (traduction personnelle, basée
sur la TOB)
Commentaires personnels
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Or le serpent était la plus astucieuse de
toutes les bêtes des champs que YHWH
Elohim avait faites.
Le serpent est une créature de Dieu, qui est astucieuse. Le terme employé peut aussi signifier « prudent, subtil, sagace,
adroit ». Il n’est pas toujours péjoratif. Voir par exemple Proverbes 13, 16 et 14, 8 : la prudence est associée à la
connaissance et à la sagesse ! Le serpent se révèle débrouillard, autonome. Il est lucide, pertinent, il est capable de
distinction.
Il (le serpent) dit à la femme: «Ah bon ?!
Elohim vous a dit: ‹Vous ne mangerez pas
de tout arbre du jardin›...»
Il n’est pas dit que le serpent fomente un mauvais coup contre Dieu. Le serpent est simplement étonné du fait que Dieu
ait pu interdire au couple primordial de manger de tout arbre du jardin, autrement dit : « d’aucun arbre ». Il ne comprend
pas pourquoi l’homme et la femme devraient avoir des arbres sous les yeux, arbres qui leur seraient interdits. Ce serait
quand même étonnant de la part de Dieu que de faire ce coup là aux humains.
L’arbre, en histoire des religions, est un symbole important : il indique le « centre du monde », le lieu de connexion entre
le monde des dieux et le monde des humains (plus tard, c’est la porte qui sera utilisée comme symbole dans ce sens, mais
la porte n’est que l’association de deux arbres qui sont les montants de la porte). L’arbre est pourvoyeur de nourriture, il
est symbole de vie (nous verrons plus tard que l’arbre de vie interviendra).
La femme répondit au serpent: «Nous
mangeons du fruit d’arbre du jardin,
La femme précise que ce n’est pas « de tout arbre », mais du fruit d’un seul dont il est question, de l’arbre au milieu du
jardin. Elle rectifie donc les dires du serpent. En effet, en Genèse 2, 16, YHWH Elohim a bien dit : « Tu mangeras de tout
arbre du jardin. » Le serpent a peut-être déformé les paroles de Dieu, peut-être était-il mal renseigné, mais il était peutêtre aussi bien intentionné.
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mais du fruit de l'arbre qui est au milieu
du jardin, Elohim a dit: ‹Vous n'en
mangerez pas et vous n'y toucherez pas
afin que vous ne mourriez pas.› »
Il y a toutefois une exception, c’est l’arbre du milieu du jardin. Les humains n’en mangeront pas et n’y toucheront pas
sous peine de mourir.
Le « fruit » est bien un fruit indéterminé. Ce n’est pas une pomme. La tradition en fait une pomme pour pouvoir le
représenter d’après les fruits connus et réels, et le choix de la pomme est dû au fait que « fruit », en latin, se dit
« pomus », même si ce n’est pas le terme employé dans la traduction latine de la Bible.
Le serpent dit à la femme: «Vous ne
mourrez pas,
Le serpent joue peut-être sur l'ambiguïté qui réside dans l’expression « tu mourras (Genèse 2, 17) » ou « afin que vous ne
mourriez pas (3, 3) ». En effet, cette expression ne veut pas forcément dire que dès que l’on mange de ce fruit, on en
meurt. La preuve en est que l’homme et la femme le font et qu’ils ne meurent pas. Effectivement, ce n’est pas ça qui va
les faire mourir, même si c’est ça qui va les rendre sensibles, « affectables » par la mort.
Ainsi, l’expression signifie « tu deviendras mortel », ou « afin que vous ne deveniez pas des mortels ».
Le serpent lève l’ambiguïté, il précise ce que Dieu avait laissé vague : non, vous ne mourrez pas de manger de ce fruit.
Autant Dieu n’a pas tout dit ou a laissé le couple primordial dans l’ignorance (certainement pour son bien, pour le
préserver), autant le serpent non plus n’a pas tout dit, puisqu’il aurait dû préciser : Dieu n’a pas eu tort de vous dire ça,
puisqu’en mangeant de ce fruit, ok, vous n’allez pas mourir tout de suite, mais vous deviendrez vulnérables et vous ne
saurez plus vous préserver de la mort.
Le serpent manque d’honnêteté, et ses paroles provoquent un doute dans le cœur des humains : Elohim nous dit-il tout ?
Même si le serpent ne ment pas, il se permet de procéder de la même façon que Elohim, en ne disant pas tout.
mais Elohim sait que le jour où vous en
mangerez, vos yeux s'ouvriront et vous
serez comme des dieux connaissant le
bon et le mauvais.»
Le serpent précise encore plus ce que Elohim voulait dire. On remarque donc qu’il jouait bien à jeu pour savoir si le
couple primordial était en pleine connaissance de cause. Il savait les effets de cet arbre lorsque l’on mange de son fruit et
que Elohim n’avait pas dit aux humains.
Nous avons la confirmation que le fruit n’est pas mortel ou mortifère en soi, mais qu’il a simplement pour effet d’ouvrir
les yeux. Est-ce cela qui nous rend mortel ?
Dieu ne redoute pas d’avoir des concurrents. C’est de facto et par principe impossible. Si les humains deviennent comme
des dieux, cela signifie peut-être qu’ils seront comme les dieux des autres nations, des idoles, à qui l’on rend un culte ou
que l’on vénère.
La connaissance du bon et du mauvais, ce n’est pas l’immortalité ou la mortalité. Est-ce que Elohim n’avait pas prévu de
donner aux humains l’esprit de distinction ? Cela fait-il des humains des sur-humains dangereux ? Non. A nos yeux, les
humains ne seraient pas humains sans esprit de distinction, donc le couple primordial, avant de manger de ce fruit, n’était
humain.
Le fait de manger de ce fruit est un progrès pour l’humanité.
Pourquoi Elohim redoute-t-il que les humains sachent ce qui est bien et ce qui est mal ? Peut-être parce que c’est par là
qu’ils apprendront à se diviser, à se juger, et nous savons combien les divisions et les jugements humains sont parfois
mortifères. Peut-être que Elohim voulait garder pour lui seul la prérogative du jugement.
Toutefois, cela ne fera pas des humains l’égal de Elohim, mais simplement des entités sources de conflits, capables de
violence.
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La femme vit que l'arbre était bon à
manger, séduisant à regarder, désirable
Le fruit n’a donc que des bons côtés. Il est hautement désirable, il n’est pas nuisible. La femme ne fait que le constater :
« la femme vit » et non pas « la femme crut. »
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pour rendre intelligent.
Pourquoi cet arbre, qui est si bon, était-il interdit par Elohim ? Elohim savait-il que par la consommation de cet arbre,
l’humain prendrait conscience de sa condition et que cela lui procurerait des tourments mortels ?
Elle prit un fruit de cet arbre, elle mangea,
elle donna aussi à son mari, qui était avec
elle, et il mangea.
Je ne sais pas pourquoi les auteurs ont tenu à faire de la femme l’initiatrice de la consommation du fruit. Il est regrettable
que la tradition en ait fait l’initiatrice du péché. L’homme est tout aussi responsable : il est avec elle, il mange.
Leurs yeux à tous deux s'ouvrirent et ils
surent qu'ils étaient nus.
Ce verset donne raison au serpent : ce fruit ouvre les yeux. Dieu aurait-il caché cette information aux humains ? Si oui,
dans quel objectif ?
« Ils surent qu’ils étaient nus » : d’après la note de la TOB, ils prirent conscience de leur faiblesse. C’est peut-être le fait
de savoir nos faiblesses qui nous rend mortel. Si nous n’étions pas en connaissance de nos faiblesses, cela nous
permettrait de ne pas craindre et donc de ne pas user de violence.
Ayant cousu des feuilles de figuier, ils s'en
firent des pagnes.
Les humains prennent des dispositions pour se protéger. Mais est-ce bien efficace ? Le figuier, dans le reste de la Bible,
apporte des bienfaits, ses fruits font partie des cadeaux aux invités et aux voyageurs, et parfois même ils rentrent dans des
compositions thérapeutiques.
Joël 2, 22 : « le figuier et la vigne donnent leurs richesses »
Proverbes 27, 18 : « Qui soigne son figuier en mangera les fruits, qui veille sur son maître en sera honoré. »
Cette citation de Proverbes est intéressante, elle reprend l’idée de l’intérêt pour le maître, idée qui est ici très importante.
Face à la prise de conscience de leurs faiblesse, les humains se couvrent symboliquement des feuilles d’un autre arbre,
très répandu même à l’état sauvage au Proche-Orient. Ils se couvrent des feuilles d’un arbre qui symbolise le partage, la
rencontre, la nourriture, la guérison. Cela répond au danger auquel ils viennent de s’exposer en prenant conscience des
risques qu’ils encourent en étant capables de violence.
Les pagnes sont le symbole de la force contenue : on ceint les reins avec le pagne = on se contrôle. La seule façon de se
prémunir des effets dévastateurs de la violence, c’est de contrôler sa force.
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Ils entendirent la voix de YHWH Elohim
allant dans le jardin au souffle du jour.
Le verbe « entendre », shamar, est le même que celui qui est utilisé pour dire : « Ecoute Israël, le Seigneur est notre Dieu,
le Seigneur est un », la confession de foi juive. C’est le verbe qui signifie que le peuple ou l’individu est attentif à ce que
dit YHWH. Le couple primordial est enfin à l’écoute de YHWH. Il était temps !
Qu’entendent-ils ? Ils entendent « la voix YHWH allant dans le jardin au souffle du jour ». Pourquoi YHWH donne-t-il
de la voix quand il marche ? Parce que ça fait partie de lui et que son existence par rapport à nous se traduit
essentiellement par sa parole. YHWH est verbe, logos, communication, relation.
Il ne faut pas considérer que l’usage dans ce verset du terme « voix » est dû au verset 10. Un mot n’est que très rarement
utilisé pour ce genre de raison dans la Bible (et dans ce cas, il s’agit souvent de modifications tardives pour
« harmoniser » le texte), d’autant plus dans ce texte très travaillé.
YHWH est en mouvement, il habite son jardin et va à la rencontre de ses créatures (voir v. 9).
Le « souffle du jour », c’est l’esprit à la fois intemporel (présent chaque jour), et présent dans l’histoire (présent ce jour-là
précisément). [j’avoue que je suis peut-être un peu foireux sur ce point-là, mais c’est tout ce que j’ai trouvé]
L'homme et la femme se cachèrent de
devant YHWH Elohim parmi l’arbre du
jardin. (traduction littérale. On peut
L’homme et la femme ont quelque chose à cacher et cette chose, c’est eux-mêmes.
Ont-ils honte ? Ont-ils peur ? N’ont-ils pas envie de rencontrer YHWH ? Refusent-ils de rencontrer celui qui ne leur avait
pas tout dit ? En veulent-ils à YHWH ou le craignent-ils ? Le verset 10 nous dira que c’est par crainte.
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adapter un pluriel sur « arbre »)
La consommation du fruit a donc eu pour effet que la peur s’est immiscée dans le cœur de l’humain. A tel point qu’ils se
cachent et que la crainte elle-même n’est pas évoquée tout de suite : c’est une crainte silencieuse, sournoise, profonde,
indicible, insidieuse.
Ils se cachent parmi l’arbre : l’arbre permet donc la dissimulation. Il n’y a pas que ses fruits qui participent à l’intrigue.
YHWH Elohim appela l'homme et lui dit:
«Où es-tu?»
YHWH ne se promenait pas par hasard dans le jardin, il est venu pour y trouver l’homme. Est-ce à dire qu’il est déjà au
courant qu’ils ont mangé du fruit de l’arbre défendu ? Le verset 11 semble dire le contraire, à moins que ce ne soit une
technique employée par YHWH pour faire avouer l’homme et la femme plutôt que de les accuser.
Rien n’est encore dit au sujet de la raison qui pousse YHWH à aller à la rencontre de l’homme. Et d’ailleurs, on ne le
saura jamais, à moins que ce soit pour lui faire avouer sa contravention.
L’aveu n’est pas reconnu dans le judaïsme comme une preuve de culpabilité. La pensée juive reconnaît la confession des
péchés, elle peut l’exprimer par le verbe yadar au causatif (« faire savoir »). Mais dans le droit traditionnel du judaïsme,
l’aveu n’est pas utilisable pour établir la culpabilité d’un suspect. Il n’est donc pas étonnant que Adam et Eve n’avouent
rien : ce n’est pas dans la mentalité juive.
Il me semble important de noter que c’est YHWH qui va à la rencontre de l’homme et de la femme, alors que ces derniers
se cachent. On voit rapidement le type de relation qui est recherchée par chacune des deux parties.
Il répondit: «J'ai entendu ta voix dans le
jardin, j'ai pris peur car j'étais nu, et je me
suis caché.»
L’homme n’a pas besoin de sortir de sa cachette. C’est comme si se cacher leur avait été inutile.
L’homme ne reconnaît pas la consommation du fruit comme la raison de sa crainte. Mais ce sont les conséquences de son
acte (la conscience de sa nudité et de sa vulnérabilité) qui provoquent chez lui la crainte.
L’homme a-t-il pris peur parce qu’il était nu ou bien est-ce sa nudité, symbole de sa faiblesse, qui symboliserait aussi sa
crainte ? Le texte répond à cette question en donnant l’avis de l’homme. On peut se demander s’il dit vrai et s’il dit tout.
Dans notre perspective, la nudité, la faiblesse et la crainte ne forment pas une chaîne de causes et de conséquences, mais
expriment les différents aspects d’une même réalité.
Il dit : «Qui t'a raconté que tu étais nu?
Est-ce que tu as mangé de l'arbre dont je
t'avais prescrit de ne pas manger?»
Deuxième question de YHWH. Dieu n’accuse pas, il essaie de comprendre ce qui s’est passé. Peut-être est-il même
surpris de voir que l’être humain se voit lui-même comme un être nu, faible. Peut-être que YHWH ne croit pas l’être
humain lorsqu’il lui dit qu’il se sent faible. Mais il entrevoit que l’être humain a appris quelque chose qui ne venait pas
de lui-même. YHWH attend que la réponse désigne un sujet, un responsable. A priori, ce n’est pas la consommation de
l’arbre qui pose problème. On pourrait même considérer que YHWH trouve impensable que quelqu’un ait pu faire croire
une telle sottise à l’être humain.
La troisième question de YHWH n’est pas forcément une conséquence ni une paraphrase de la question précédente. Cette
formulation pourrait confirmer l’interprétation de la deuxième question, puisque dans cette troisième question, YHWH ne
cherche pas qui a dit cette « sottise » à l’être humain, mais ce qu’il aurait pu faire pour en arriver là. S’il pose une
question, c’est qu’il n’en est pas encore sûr. Certes, YHWH est omniscient, mais il considère aussi que ses
recommandations sont respectées.
L'homme répondit: «La femme que tu
m’as donnée auprès de moi, c'est elle qui
m'a donné de l'arbre, et j'ai mangé.»
L’homme fait le lien entre les deux questions : c’est la femme qui est responsable, et il a mangé ce que la femme lui a
donné, de l’arbre. Il est important de regarder le texte en hébreu parce que c’est bien le même verbe qui est utilisé pour
dire que YHWH a donné la femme à l’homme et que la femme a donné de l’arbre à l’homme. C’est comme si l’homme
disait à YHWH : « Tu m’as donné une femme, elle m’a donné de l’arbre, tout ça est donc à cause de toi. Si je ne peux pas
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faire confiance à celle que tu as placée à mes côtés, je n’y peux rien. Et j’ai mangé. » Oui, « j’ai mangé » et pas « j’en ai
mangé ». Quoi de plus normal que de manger. Manger, ce n’est pas grave, c’est même vital. Manger de l’arbre, là, c’est
autre chose. L’homme se considère totalement innocent et ne voit pas où est le problème. Ou alors, il ne veut pas
reconnaître qu’il y a un problème. (Cf. v. 6)
YHWH Elohim dit à la femme: «Est-ce
cela que tu as fait?»
Dernière question de YHWH. Il s’adresse à la femme et la question peut être traduite de différentes façons. Il faut
prendre toutes ces possibilités en compte :
-Est-ce cela que tu as fait ? YHWH vérifie les dires de l’homme.
-Pourquoi as-tu fait cela ? YHWH accrédite les dires de l’homme et demande les raisons d’un tel agissement.
-Comment as-tu fait cela ? YHWH accrédite les dires de l’homme, mais il ne comprend pas comment elle a pu en arriver
à faire cela, ou encore, il ne comprend pas de quelle façon.
Dans tous les cas, YHWH est stupéfait.
La femme répondit: «Le serpent m'a
présenté une illusion et j'ai mangé.»
La femme rejette la responsabilité sur le serpent (symbole de l’astuce et de l’autonomie). On pourrait donc comprendre :
« J’ai cru que je pouvais décider de moi-même ce qui était bon à faire ou pas. » Or, nous savons que la décision de la
consommation a eu lieu avant la consommation et donc la prise de conscience de ce qui est bien ou mal. La femme a été
prétentieuse. Et l’homme aussi, en plus d’être irréfléchi.
« m’a présenté une illusion ». On traduit en général par « le serpent m’a trompée » ou « m’a abusé » ou encore « m’a
séduite ». Si j’utilise ici le terme d’illusion, c’est pour mettre en valeur une notion du terme hébreu qui est ici utilisé et en
général laissée de côté. La tromperie du serpent se base sur la proposition d’une illusion.
Voici quelques définitions de l’illusion (CNRTL) :
-« Perception erronée dans la mesure où elle ne correspond pas à la réalité considérée comme objective, et qui peut être
normale ou anormale, naturelle ou artificielle. »
-« Interprétation perceptive erronée de données sensorielles réellement existantes, due aux lois mêmes de la perception et
susceptible d'être critiquée par le raisonnement. »
-« Croyance ou conception erronée procédant d'un jugement ou d'un raisonnement faux (dû à l'ignorance ou à
l'imagination). »
A chaque fois, la définition met en avant le décalage entre la réalité et la perception ; le terme employé est « erroné », ce
qui est différent de « faux ».
Là encore, la femme a simplement mangé, mais elle refuse de dire quoi.
14
YHWH Elohim dit au serpent: «Parce
que tu as fait cela, tu es maudit plus que
tous les bestiaux et toutes les bêtes des
champs; tu marcheras sur ton ventre et tu
mangeras de la poussière tous les jours
de ta vie.
YHWH ne maudit pas lui-même, il énonce que le serpent est maudit. C’est un passif.
A force de vouloir aller de ses propres moyens (ses pattes, comme tous les animaux), il en sera privé. C’est bien le verbe
« marcher » qui est utilisé, alors que le verbe « remuer » aurait pu être utilisé, comme en Genèse 1, 28. C’est un
anthropomorphisme. Le serpent, symbolisant l’astuce, aurait donc eu une forme humaine (il parle, il marche, il mange).
Mais une fois que son tort est reconnu, il est dépourvu de ce qui symbolisait sa liberté de mouvement et donc de ce qui
symbolisait son potentiel de décision, d’autonomie.
15
Je mettrai l’inimitié entre toi et la
femme, entre ta descendance et sa
descendance.
Cela pourrait être compris comme une mesure de protection prise à l’égard de la femme. Le serpent ayant révélé toute la
menace qu’il était capable de faire peser sur l’humanité, YHWH va permettre à cette dernière de prendre ses distances
par rapport à cette menace.
13
Celle-ci te meurtrira à la tête et toi, tu la
meurtriras au talon.»
Alors que la femme pourra faire du mal au serpent à la tête (donc à un endroit vital), le serpent ne pourra le faire qu’au
talon. Cela signifie que même lorsque le serpent attentera à la femme, cette dernière le foulera aux pieds.
Il dit à la femme: «J’augmenterai ta
peine et ta grossesse; dans la peine tu
enfanteras des fils.
La femme n’est pas maudite, elle n’est pas reconnue coupable, elle n’est pas punie. La formule accusatoire employée à
l’encontre du serpent « Parce que tu as fais cela » n’est pas reprise.
YHWH décide toutefois d’augmenter la peine et la grossesse. N ous avons ici un hendiadys (conjonction à la place d’un
complément). C’est énigmatique. Est-ce une punition ? Est-ce un moyen de remédier à la transgression ? En tout cas,
c’est étiologique : on explique un fait actuel en lui donnant une origine mythique. Il n’est pas dit que la femme est
maudite. Mais c’est bien YHWH qui rend nombreuses les douleurs de la femme.
Qu’est-ce que cette « peine » ?
Proverbes 14, 23 : « Tout labeur donne du profit, mais le bavardage n'aboutit qu'au dénuement. » (Ici, c’est le terme « labeur »
qui traduit le terme en question.) Le labeur est profitable.
Le même terme sert à désigner les idoles. Le verbe qui lui est lié signifie : « faire ou avoir de la peine, de l’affliction, du
chagrin, être outragé ». Il ne s’agit donc pas forcément de douleur physique. Avec la conscience de sa faiblesse, l’être
humain, notamment la femme, devient sujet à la douleur, comme si la procréation ne pouvait plus se passer de douleur
pour qu’elle ait du sens. A approfondir.
Ton désir sera vers ton homme et lui (=ton
homme) te dominera.»
Le désir est de l’avidité, de la langueur. C’est un simple constat : quand on désire quelque chose, on lui est soumis, on en
est l’esclave. Mais finalement, c’est une bonne nouvelle que la femme soit attirée par un désir intense envers son mari. La
domination de l’homme sur la femme n’est pas une malédiction, mais YHWH en parle à la femme pour la prévenir qu’il
y a un risque auquel elle doit veiller. YHWH ne fait pas de l’homme le dominateur de la femme, il explique quelles sont
les incidences du désir dans une relation d’amour.
Voir Genèse 4, 7, où les deux mots « désir » et « dominer » sont à nouveau associés, c’est alors le péché qui désire Caïn
s’il n’agit pas bien et YHWH lui recommande de dominer le péché.
A Adam, il dit: «Parce que tu as écouté
la voix de ta femme et que tu as mangé de
l'arbre au sujet duquel je t’avais donné un
ordre en disant : ‘Tu n’en mangeras pas’,
le sol est maudit.
Là encore, YHWH ne maudit pas lui-même, mais il explique la conséquence des actes de l’homme. Précisément, ce n’est
pas le fait d’avoir contrevenu à l’ordre de YHWH qui a provoqué la malédiction, mais c’est le fait d’avoir écouté sa
femme plutôt que ce qu’avait dit YHWH, et d’avoir mangé de l’arbre. Ici, ce qui est mangé est précisé, à la différence des
explications données par la femme et par l’homme.
Le sol se dit : « Adamah », c’est le même mot, mais ici au féminin, qui a servi pour nommer Adam, parce qu’il a été fait
avec la poussière du sol, avec de la terre.
Si l’homme avait vraiment péché, la malédiction aurait porté sur lui-même directement. Ce n’est pas le cas, bien que la
malédiction l’affectera tous les jours de sa vie.
C'est dans la peine que tu t'en nourriras
tous les jours de ta vie,
On retrouve le mot « peine », « douleur », « affliction », « chagrin ». On pourrait penser que le texte institue les tâches
respectives à chaque sexe : la femme procrée et l’homme cultive.
La peine en question peut être suscitée par le souvenir de la vie au jardin d’Eden, où les fruits étaient à portée de main.
Dorénavant, quand l’homme mangera, il sera dans l’affliction parce qu’il sait qu’il aura à servir la terre pour se nourrir.
Littéralement, l’homme se nourrira de la terre. On peut donc suggérer que la nourriture n’est pas seulement ce qui entre
par la bouche, mais aussi tous les efforts déployés pour avoir accès à la nourriture, pour passer de la terre à la nourriture.
Les efforts font partie de la nourriture.
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il (= le sol) fera germer pour toi l'épine
et le chardon et tu mangeras l'herbe des
champs.
Ici aussi, ce n’est pas YHWH qui envoie les épines et les chardons contre l’homme, c’est la terre.
Le sol n’aura pas d’égard pour l’homme, parce que ce dernier l’aura pas trouvé les moyens d’y vivre en harmonie.
René Girard pourrait dire à ce sujet que c’est tout à fait normal de penser que dans une situation de crise ou de conflit, les
cultures seront délaissées et les récoltes seront moins bonnes. En religion, on dira que c’est une malédiction qui s’abat sur
la population et on occultera l’origine du conflit ; alors qu’en anthropologie, on dira que c’est une résultante du conflit,
qui occupe les hommes à autre chose qu’à déployer tous leurs moyens pour assouvir leurs besoins fondamentaux comme
la nourriture. Ainsi, lorsque le sol donne des épines et des chardons, cela signifie que l’homme et la femme sont dans une
crise.
Sur l’herbe des champs, voir Genèse 2, 5. Ce verset précise qu’il n’y avait pas encore d’Homme (Adam) pour cultiver la
terre et c’est pour cela (en plus du fait qu’il n’avait pas encore plu) que les herbes ne poussaient pas encore. Le verbe
utilisé pour « cultiver » la terre est celui qui signifie « servir » et sur lequel l’hébreu a construit le terme « serviteur ».
Ceci nous indique que dès le début, l’homme avait pour responsabilité de servir la terre. Il y a une sorte
d’anachronisme : l’homme, dès le début, était le serviteur de la terre, avant même que les herbes des champs ne poussent.
Mais c’est seulement après la consommation de l’arbre que cette qualité de serviteur prendra effet. Cela signifie-t-il que
l’homme est encore imparfait, incomplet avant la consommation de l’arbre et qu’il n’est pleinement homme que lorsqu’il
sera hors du jardin d’Eden ? Dans ce sens, le chapitre 3 de la Genèse serait un épisode de l’évolution, de la civilisation,
une étape de l’hominisation. Est-ce à dire que YHWH l’avait prévu comme ça, j’en doute. En tout cas, YHWH n’avait
pas prévu que cette étape se déroule de cette façon-là.
L’herbe des champs signifie l’herbe sauvage. Le terme employé pour désigner les champs ne désigne pas forcément les
champs cultivés, il peut aussi désigner les territoires inoccupés, sauvages. Lorsque l’homme mange l’herbe des champs,
c’est qu’il ne se nourrit pas du travail de la terre. Cela confirme l’interprétation d’une métaphore de la crise.
Sans que je ne perçoive encore clairement le mécanisme précis de la réflexion, il me semble que le sujet qui est abordé ici
est celui du passage à l’agriculture, qui implique une certaine rigueur et un certain dévouement de la part de l’Homme.
Dans cette perspective, l’expulsion du Jardin d’Eden n’est pas une punition, mais un progrès.
À la sueur de ton visage tu mangeras
du pain jusqu'à ce que tu retournes au sol
(Adamah) car c'est de lui que tu as été
pris.
C’est difficile de dire ce que signifie la « sueur » dans le contexte biblique, c’est un hapax, un mot qui n’apparaît qu’une
seule fois dans la Bible (en tout cas en hébreu dans l’Ancien Testament).
Voir Genèse 2, 7 pour l’origine de l’Homme (Adam), tiré du sol (adamah).
Nous avons maintenant l’explication de la peine que ressentira l’homme quand il se nourrira : il ne pourra le faire
qu’après avoir fourni des efforts.
Car tu es poussière et à la poussière tu
retourneras.»
La poussière n’est pas une métaphore de la vacuité ou de l’insignifiance, à la différence de la vapeur. La poussière
désigne la matière du sol. En Genèse 13, 16, la descendance d’Abram est comparée à la poussière du sol : l’une sera aussi
nombreuse que l’autre. Le rite de deuil ou d’affliction consiste à se couvrir la tête de poussière et de cendre. Ceci
n’indique pas que la poussière soit mal considérée, au contraire : la poussière, dans le rite d’affliction, est un symbole de
notre origine et de notre destinée. La répandre sur la tête, ce n’est pas un geste d’humiliation, mais un geste de mémoire.
En fait, c’est comme si YHWH expliquait à l’homme et à la femme comment la responsabilité fonctionne : « Vous avez
voulu faire ça tout seul, bein voilà ce qui arrive dans ces cas là. Je ne vous en veux pas, mais sachez que je ne peux pas
faire grand’chose pour vous aider afin que ça se passe mieux. J’aurai bien voulu vous protéger, mais après ce que vous
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avez fait, cela m’est impossible ». A la limite, YHWH regrette que cela se passe comme ça.
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L'homme donna pour nom de sa femme
Ève - c'est-à-dire La Vivante - , car c'est
elle qui a été la mère de tout vivant.
Le texte fait une césure et on apprend le nom de la femme : Eve, la Vivante. Ce nom confirme qu’elle n’est pas la grande
pécheresse comme le dit la tradition. C’est une sorte de bénédiction, qui fait d’elle l’origine, l’archétype, de tout ce qui
vit.
Dans la Bible, les végétaux ne sont pas reconnus comme vivants. Mais qu’en est-il des animaux ? Eve en est-elle la
mère ? Ou bien sont-ce les êtres humains seuls qui sont considérés comme des vivants ? « Vivant » désigne ce qui est
animé par le souffle, par l’esprit, par le principe de vie.
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YHWH Elohim fit pour Adam et sa
femme des tuniques de peau et il les vêtit.
YHWH est bienveillant envers l’homme et sa femme.
En Néhémie 7, 69, le même terme désigne les tuniques sacerdotales. Ailleurs, c’est toujours une tunique dont le contexte
permet de comprendre que ce sont des vêtements de luxe. Il ne s’agit donc pas d’un pis-aller. Ces tuniques ont une grande
valeur. D’autant plus qu’elles sont en peau. Ce sont comme des objets magiques. La peau désigne soit la peau humaine,
soit la peau animale. Le verbe qui s’écrit avec les mêmes lettres signifie : « se réveiller », « se mettre en mouvement ».
L’homme et la femme, ainsi revêtus, s’éveillent. Ils progressent.
YHWH Elohim dit: «Voici que l'homme
est devenu comme l'un de nous par la
connaissance du bon et du mauvais.
Confirmation qu’il s’agit d’une évolution, d’un progrès, dû à la capacité de distinction. YHWH ne considère pas que
l’homme est devenu un concurrent, ni une menace. Il constate, peut-être avec satisfaction, que ça y est, le péril est écarté
après la crise. Maintenant qu’ils sont vêtues de peau et donc éveillés, et non plus seulement de feuilles figuiers, symbole
de contenance de la force.
Et maintenant, qu'il ne tende pas sa main,
qu’il ne prenne pas aussi de l’arbre, qu’il
ne mange pas et qu’il ne vive pas pour
toujours!»
Ayant compris que la relation entre lui et l’homme ne pouvait se faire sur un plan d’ordre énoncé par l’un à respecter par
l’autre, YHWH entrevoit un autre problème : l’arbre des vivants. YHWH redoute que même s’il lui dit de ne pas le faire,
l’homme mangera quand même. Il cherche une solution, car il sait que s’il mange, il vivra pour toujours, ce qui serait
complètement impossible vu qu’il va se reproduire.
Le texte dit, comme aux versets 12 et 13, lorsque l’homme et la femme ne veulent pas dire tout ce qu’ils ont fait. YHWH
utilise la même formulation et cela indique qu’il peut user de dérision. On pourrait l’interpréter en disant que YHWH se
remémore la défense de l’homme et de la femme, qu’il les imite avec dénigrement et moquerie, et qu’il ne veut pas que
ça se reproduise.
Maintenant, on apprend qu’il y a un autre arbre, celui des vivants (c’est bien un pluriel dans le texte hébreu). C’est à ne
plus rien y comprendre : le couple était immortel, on le prévient que s’il mange du fruit de l’arbre de la connaissance du
bon et du mauvais, il deviendra mortel et maintenant, on apprend qu’il y aurait une « antidote ? » L’illusion n’était-elle
pas de considérer que l’arbre de la connaissance (qui était si séduisant) était l’arbre des vivants ?
L’arbre des vivants, est-ce l’image de la reproduction, comme un arbre généalogique ? Si l’homme en mange, il dévore sa
propre descendance, il s’autodétruit. (Bon, là, il faut rester prudent avec cette hypothèse d’interprétation, elle m’est venue
comme ça, elle mérite d’être vérifiée et approfondie).
YHWH Elohim l’envoya en dehors du
jardin d'Eden pour cultiver le sol d'où il
avait été pris.
Le verbe que l’on traduit en général par « expulser », c’est le même verbe qui est utilisé pour dire au verset précédent que
l’homme pourrait « tendre » la main vers l’arbre des vivants. L’idée qu’il y a derrière cette racine verbale, c’est celle
d’envoyer. Il n’y a pas de raison de traduire par « expulser » si on retient l’interprétation selon laquelle l’homme n’est pas
coupable. Il n’est pas exclus du jardin, il part en mission. Il va servir la terre. La même que celle d’où il a été tiré et qui
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forme son propre corps. Il va servir son origine. Il va cultiver son histoire. On peut nuancer cette interprétation avec une
autre traduction : « YHWH le laissa aller ».
J’ai l’impression que c’est comme si l’homme était enfin prêt à être livré à son milieu définitif. Il est enfin complet.
Au lieu d’un renvoi, c’est un envoi. Il va accomplir ce pour quoi il existe. L’envoi n’est pas une punition, mais un
accomplissement.
Et la femme, elle y reste, elle, dans le jardin ? C’est bien « l’envoya » et pas « les envoya ».
Il renvoya l'homme, il fit s’installer les
chérubins à l'orient du jardin d'Eden avec
la flamme de l'épée tournoyante pour
garder le chemin de l'arbre des vivants.
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Le terme « renvoyer » est différent par rapport au verset précédent, et celui-ci est plus violent : on peut l’utiliser pour
exprimer la répudiation. Mais cette connotation n’est pas permanente. YHWH renvoie l’homme, cela ne signifie pas qu’il
lui en veut. Simplement, leur entretien est terminé, il peut repartir, et cette fois-ci, ce sera définitivement, d’où le fait que
ce soit un verbe assez fort.
Les chérubins à l’épée tournoyante, c’est pas facile à expliquer. Mais ce ne sont pas forcément des êtres dangereux : ils
sont là pour défendre, pas pour attaquer. Ils guideraient l’homme s’il lui arrivait de prendre ce chemin en lui disant de
faire demi-tour.
Qu’est-ce que le péché originel ? Y a-t-il eu péché originel ?
Le péché, c’est de rompre la relation avec Dieu, ne pas lui faire confiance et vouloir faire sans lui, agir sans lui laisser de place. C’est aussi ne pas se
souvenir de la loi de YHWH. Le texte ne nous dit pas que la femme ou l’homme ont péché. C’est la tradition qui le dit. Le terme « péché » en hébreu (taJ'x;)
n’apparait qu’en Genèse 4, 7.
Une autre raison pour expliquer l’absence du mot « péché » dans Genèse 3, c’est qu’on peut lire le texte comme une description de l’innocence de l’être
humain dans le projet de Création de Dieu. Le péché est absent, il n’est donc pas originaire, mais l’histoire qui nous raconte son émergence en fait un péché
originel1.
Alors, maintenant, tentons de répondre à la question suivante posée et que je reformule ainsi : « Quand on considère Dieu comme l’amour qui met en
relation, comment situer l’épisode du fruit du serpent et d’Ève ? Il y a séparation d’avec Dieu et pourtant bien plus tard on nous dit que rien ne peut nous séparer de
l’amour qui est Dieu. Est-ce que l’amour du fruit devient premier ? Non, c’est d’être égal à Dieu. Mais dans le cas qui nous occupe, rien ne peut égaler l’amour. »
Je ne pense pas qu’il y ait séparation d’avec Dieu, même si le couple primordial se cache. L’enjeu du texte est plutôt exprimé en termes de désir
d’indépendance et d’autonomie. C’est de la prétention. Inconsciemment, c’est se prendre pour dieu. Mais ce n’est pas forcément une volonté déterminée, ce peut
être tout simplement lié au fait de ne pas tenir compte de YHWH, sans pour autant vouloir l’égaler. Il s’avère que cette démarche met l’être humain comme un
prétendant à la divinité, mais ce n’est qu’une conséquence involontaire de cette posture, ce n’est pas un désir en soi.
En d’autres termes : l’homme ne voulait pas a priori se séparer de YHWH, mais son comportement a provoqué d’importantes modifications de son essence.
A tel point qu’il s’est mis en danger. Il n’a pas reconnu que l’amour de YHWH (ou Dieu lui-même) aurait pu le protéger. Dans ce nouveau paradigme de l’être
humain perfectible (mais pas forcément pécheur), un autre type de relation s’impose et c’est YHWH qui choisit la distanciation, en envoyant l’homme cultiver la
terre. Dans ce choix, YHWH ne nous sépare pas de son amour, il le traduit en actes. Cet envoi est une protection, le danger est retourné pour devenir
accomplissement de l’être humain. Donc, rien ne peut nous séparer de l’amour de Dieu.
Plutôt que de prendre comme clé de lecture : « L’amour du fruit devient premier » (parce que j’aurai du mal à accepter que YHWH nous refuse l’accès à la
distinction du bon et du mauvais), je préfère dire : « Envisager que la dépendance à YHWH n’est pas première est une source de danger ».
1
Voir à ce sujet : RICŒUR, P., « Culpabilité tragique et culpabilité tragique », in : Revue d’Histoire et de Philosophie Religieuse, Strasbourg, tome 33/4, 1953, pp. 285 à 307.
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