Problèmes respiratoires chez les patients atteints de sclérose

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Forum Med Suisse No 39 26 septembre 2001
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Problèmes respiratoires
chez les patients atteints de
sclérose latérale amyotrophique:
options thérapeutiques
Le maladies neuromusculaires ont souvent besoin d’un «environnement» respiratoire
spécifique, particulièrement la sclérose laterale amyotrophique.
Prise de position du groupe de travail pour la ventilation à domicile.
A. Knoblauch, M. Gugger, R. Keller, S. Eychmüller, M. Baumberger, J.W. Fitting
et le groupe de travail pour la ventilation mécanique à domicilea LPS / SSPb
Introduction
a
b
F. Bacchetto, K. Bloch,
O. Brändli, J.-P. Janssens,
L. Junier, J. Nielsen, M. Pfister,
T. Rochat, M. Solèr, J. Wacker,
W. Karrer, J. Hammer, F. Michel,
M. Pons, W. Bauer.
Ligue pulmonaire suisse /
Société suisse de pneumologie.
Correspondance:
Dr A. Knoblauch
Pneumologie
Kantonsspital
CH-9007 St. Gallen
[email protected]
Le groupe de travail pour la ventilation à domicile est une institution permanente de la
Ligue pulmonaire suisse et de la Société suisse
de pneumologie. Il a été fondé en 1985 par le
Dr Rodolphe de Haller, PD. En sa qualité d’ancien président de la Ligue pulmonaire suisse et
avec Rolf Sutter, directeur de la Fédération pour
les tâches communes des assureurs maladie
suisses (gestionnaire de la CLM = Caisse pour
les longues maladies), il a posé les bases pour
le financement de la ventilation à domicile. Au
début, celle-ci resta longtemps figée sur ses prémices et sa condition de mise en œuvre était une
trachéotomie préalable; seuls les visionnaires
pouvaient à l’époque pressentir qu’en l’espace
de deux décennies elle allait devenir un des
traitements les plus florissants en médecine interne. Le groupe de travail pour la ventilation à
domicile (dont le premier président fut le Dr
Jean-Claude Chevrolet) fixa des standards de
qualité, rédigea des lignes directrices [1] et
ses membres exercèrent la fonction de médecin-conseil à l’égard de la CLM. La signification
pratique de cette mission réside encore aujourd’hui dans le fait que toute indication à une
ventilation à domicile doit être expertisée et
confirmée quant à sa conformité avec les lignes
directrices pour donner lieu à une prise en
charge financière par la CLM. En conséquence,
toute indication douteuse ou nouvelle est soumise à l’expertise du groupe de travail qui en
discutera dans les détails avec le prescripteur.
En raison d’expériences problématiques vécues dans divers centres suisses avec des patients atteints de sclérose latérale amyotrophique (SLA) ventilés à long terme, le groupe de
travail pour la ventilation s’est, dès sa fondation, penché à plusieurs reprises sur la question de la ventilation à domicile de patients atteints de SLA. Ces dernières années, le nombre
de demandes de prise en charge des frais de
ventilation à domicile pour les patients atteints
de SLA a considérablement augmenté, raison
pour laquelle le thème «problèmes respiratoires en relation avec la sclérose latérale
amyotrophique» a été mis prioritairement à
l’ordre du jour de l’assemblée annuelle 2000 à
Lucerne. Le but de cette discussion était de donner en Suisse accès à une prise en charge optimale à nos patients atteints de SLA (environ 75
nouveaux cas chaque année). Le groupe de travail avait pour objectif d’introduire l’élément
qualité dans le traitement respiratoire palliatif
de cette maladie sévère et de garantir cette qualité si possible sur toute l’étendue du territoire
helvétique. C’est dans cette optique que nous
publions ici sous forme résumée le procès verbal des exposés et discussions de cette réunion.
La ventilation invasive au stade précoce de la
maladie lorsqu’un sevrage est encore ultérieurement possible, par exemple dans le cadre
d’une pneumonie, n’est pas concernée par cette
prise de position.
Gestion du risque pulmonaire
Les patients atteints de SLA souffrent d’une faiblesse progressive de la musculature respiratoire, dont les conséquences sont une défaillance respiratoire mécanique et le décès à
l’occasion d’une pneumonie. Le groupe de travail s’est penché de manière itérative sur la
situation des patients atteints de SLA qui, en
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raison d’une défaillance respiratoire, étaient
soumis à des procédés invasifs de ventilation en
urgence et ne purent plus être sevrés à cause
d’une progression de la maladie. L’intubation
pratiquée dans une situation d’urgence ne
laisse souvent pas le temps d’expliquer au patient qu’il est possible qu’un sevrage ne puisse
plus être réalisé par la suite. On peut dès lors
se trouver dans une situation de dépendance totale à l’égard de l’appareil de ventilation et des
soins en rapport, pour une durée indéterminée
et sans que le patient lui-même ou ses proches
n’aient souhaités cette situation ni même ne
soient en mesure de l’influencer.
C’est pourquoi le groupe de travail recommande au médecin traitant de discuter avec le
patient et ses proches du comportement à
adopter dans une telle situation et de le faire
prioritairement et au moment où il est encore
temps. Selon l’expérience des membres du
groupe de travail, lorsque les patients atteints
de SLA sont confrontés à la réalité qu’au stade
terminal de leur maladie parler, déglutir et respirer n’est plus possible et que l’expression se
réduit à quelques mouvements infimes (p.ex.
avec les yeux), la majorité d’entre eux se décident nettement pour des mesures palliatives
sans ventilation invasive de nature à prolonger
la vie. Si le patient a été au préalable correctement instruit du pronostic de sa maladie, que
la situation décrite ci-dessus a pu être discutée
de manière approfondie et répétée avec lui et
que, conformément à sa décision éclairée, il a
Tableau 1. Prophylaxie respiratoire
chez les patients atteints de SLA.
«Incentive spirometry» (p.ex. 10 fois matin et soir,
avec 1 minute de pause après chaque fois).
Insufflation mécanique jusqu’à la capacité pulmonaire totale par une tierce personne (p.ex. avec
ballon Ambu ou appareil de ventilation) [21],
p.ex. 2–3 fois par jour. Maintient une légère
compliance thoracique et pulmonaire.
Toux assistée:
«Air stacking» (emmagasinage d’air): inspirations répétées sans expiration (fermeture de
la glotte). L’inspiration se fait spontanément,
par insufflation au moyen d’un ballon Ambu
ou par respiration glossopharyngienne [22,
23]. Appareillage d’assistance de la toux [24]
(p.ex. Emerson Cough-Assist-InsufflatorExsufflator).
Apprentissage de la respiration glossopharyngienne (respiration de la grenouille).
Pression sur l’abdomen par une personne
auxiliaire.
Dispositif d’aspiration.
Vaccination anti-pneunococcique et contre la
grippe.
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été décidé, le cas échéant, de renoncer à une
ventilation invasive, on peut alors envisager
une mort digne et paisible. Une disposition
écrite du patient peut être d’une grande utilité
dans une telle situation.
Ci-dessous, nous discutons les possibilités de
traitement respiratoire préventif et palliatif, y
compris la ventilation non invasive. Puis nous
parlerons de la problématique inhérente à la
ventilation invasive à long terme chez les patients atteints de SLA.
Monitorage respiratoire
La mesure régulière des paramètres respiratoires permet une surveillance adéquate de
l’évolution et de mettre en œuvre au bon moment les mesures préventives susceptibles
d’éviter certaines complications respiratoires.
Pour les patients atteints de SLA, il est pertinent
de mesurer les paramètres suivants:
Capacité vitale (CV): elle permet d’évaluer la
probabilité d’une hypercapnie. Le risque d’hypercapnie augmente dès que la CV chute endessous de 60% de la valeur prédite et ce risque
est très élevé pour des valeurs de CV inférieures
au 30% de la valeur prédite. Lorsque la CV
chute en-dessous de 1,5 litre, l’inspiration ne
permet plus de générer un coup de toux efficace
et le moment est alors venu d’introduire des
techniques de toux assistée [2].
Capacité d’insufflation maximale: le volume
maximum qui peut être retenu glotte fermée
puis expiré après insufflation d’air par un ballon Ambu ou un appareil de ventilation mécanique. En cas d’intégrité de la fonction bulbaire,
cette valeur peut rester élevée (2–3 litres) même
lorsque les valeurs de CV sont très basses en
raison d’une atteinte de la musculature respiratoire. Une toux assistée efficace est alors possible [3].
Peak flow à la toux: le peak flow est mesuré
durant un coup de toux. Il faut un peak flow à
la toux non assistée de >160 L/min pour générer un coup de toux efficace. Les patients atteints de SLA qui, dans un état stable, ont une
valeur inférieure à 270 L/min courent le danger qu’à l’occasion d’une infection respiratoire
la valeur chute en-dessous de 160 L/min et devraient donc être instruits aux techniques de
toux assistée [4].
Pressions respiratoires maximales (PE max
et PI max): la pression statique expiratoire
maximale (PE max) et la pression statique inspiratoire maximale (PI max) sont des indicateurs précoces de faiblesse de la musculature
respiratoire lorsque la CV est encore normale.
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Tableau 2. Mesures palliatives respiratoires en cas de sclérose latérale amyotrophique.
Sialorrhée
Bromure de butylscopolamine (Buscopan®) supp. à 10 mg une à plusieurs fois par jour. Administration s.c. aussi possible, une à plusieurs
fois par jour 1 ml à 20 mg, au maximum 100 mg/j.
Amitryptiline (Saroten® retard), caps. à 25 mg, 50 mg. 25 mg peuvent suffire, adapter la dose individuellement.
Trihexyphénidyle (Artane®), cp. à 2 mg, 5 mg. Apparenté à l’atropine mais avec moins d’effets indésirables. Dose initiale 1 mg.
Adapter la dose individuellement. Délire possible chez les personnes âgées.
Scopolamine (Scopoderm® TTS), 1 patch pour 3 jours (cave: avertir les patients que le médicament n’est pas utilisé ici contre le mal de voyage,
contrairement à l’indication du prospectus). Chez les patients âgés délire possible surtout si administration concomitante d’autres psycholeptiques. Dans ce cas, enlever le patch et antagoniser avec 1 mg de physostigmine i.v. ou s.c. Disponible dans les pharmacies avec relations
internationales ou auprès des pharmacies d’hôpitaux.
Chez des patients non atteints de SLA mais souffrant de sialorrhée médicamenteuse rebelle, on a pratiqué avec succès l’irradiation unilatérale
de la parotide (3–30 Gray en 3–10 fractions [25]).
L’injection de toxine botulinique dans les glandes salivaires peut réduire efficacement la production de salive pour une durée s’étendant
jusqu’à 6 mois [26–28].
Viscosité du mucus augmentée
Propranolol (Inderal®), metoprolol (Lopresor® ou Beloc®) [29]. Un titrage est nécessaire.
Dysphagie
Nourriture tendre; aspiration de nourriture en purée à travers un tuyau de diamètre convenable. Conseil et instruction dans le cadre d’une
consultation spécialisée.
La scopolamine (Scopoderm® TTS, cf. posologie supra), en supprimant la production de salive, restreint la fréquence du besoin de déglutir.
Sonde de gastrostomie mise en place par endoscopie percutanée [30]. Mise en place si possible tant que la capacité vitale est supérieure
à 50% de la valeur prédite. Elle empêche les fausses routes mais pas la pneumonie par aspiration. Si le risque de pneumonie par aspiration
doit être combattu ou si l’endoscopie révèle la présence d’une œsophagite: administrer par la sonde du cisapride (Prepulsid®) sous forme
de suspension 3 à 4 fois 5 à 10 mg (3 à 4 fois 5 à 10 ml) [31].
Aussi: nifédipine 10 mg, myotomie du muscle cricopharyngien; laryngectomie conservatrice [32]; diversion laryngée [33]
(trachéotomie plus anastomose de la trachée proximale avec l’œsophage).
Détresse respiratoire
Degré
Mesures
1
Présence d’une personne
«Dosage»
permanente tant que la crise dure
2
Haut du corps surélevé
en permanence tant que la crise dure
3
Ouvrir la fenêtre, oxygène
1 L/min si BPCO, sinon 2 L/min
4
Sulfate de morphine (morphine)
sans traitement morphinique préalable: 5 mg s.c.
avec traitement morphinique préalable: 10 mg s.c., répéter toutes les 1–4 heures ou oralement
(les gouttes sont absorbées par la muqueuse buccale): morphine gouttes 2%.
sans traitement morphinique préalable: 10 mg = 10 gouttes
avec traitement morphinique préalable: 20 mg = 20 gouttes
remplacer successivement les gouttes par MST continus® ou Durogésic TTS®, ou
®
Sulfate de morphine (Sevedrol )
5
Supp. à 10 mg ou supp. à 20 mg
Lorazepam (Temesta® expidet)
1 à 2,5 mg sublingual ou
Midazolam (Dormicum®)
2,5 mg s.c. ou 1–2,5 mg i.v. lentement. En phase terminale: induire le sommeil par bolus de midazolam 1 mg i.v. toutes les 10 min jusqu’à ce que le patient dorme, puis maintenir le sommeil par
perfusion de midazolam 25 mg dans 250 ml NaCl 0,9%. Vitesse de perfusion: commencer par 1 mg/h
(10 ml/h de solution de perfusion) et augmenter de sorte que le sommeil soit maintenu.
Si désiré, laisser des phases de réveil (p.ex. interrompre la perfusion 2–3 heures avant une visite,
etc.). Intracath. à demeure.
Rire / pleurs irrépressibles
Amitryptiline (Saroten®) 25–75 mg pour la nuit.
Levodopa (Madopar®), tinazidine (Sirdalud®).
Dysarthrie
Entraînement logopédique. Assistance électronique à la communication.
Modifié selon Sieb JP, Jerusalem F, Fresmann J: Symptomatische Therapie bei amyotropher Lateralsklerose. Dtsch med Wschr 1987;112:769–72.
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La méthode n’est pas applicable au stade
avancé de la maladie, à savoir lorsque l’embout
buccal ne peut plus être pincé assez efficacement pour garantir l’imperméabilité à l’air. La
pression nasale inspiratoire lors d’un reniflement (Sniff Nasal Inspiratory Pressure «SNIP»)
est un marqueur plus sensible de la faiblesse
des muscles respiratoires; elle peut être mesurée aussi bien au stade précoce que tardif de la
maladie car sa fiabilité ne dépend pas de l’efficacité de la pince labiale [5].
Gaz sanguins: la saturation en oxygène (SaO2)
mesurée par pulsoxymétrie et, pour autant que
l’appareil soit à disposition, la mesure de la
PCO2 en fin d’expiration (PetCO2) devraient être
régulièrement mesurées et d’éventuels résultats anormaux confirmés par une gazométrie
artérielle [2].
Pulsoxymétrie nocturne: on recommande de
la mesurer régulièrement, par exemple 6 fois
par mois en cas de CV <60%, en cas de symptômes d’hypoventilation ou d’hypoxémie
diurne, respectivement d’hypercapnie diurne
[2, 4].
Mesures respiratoires
préventives
Les mesures préventives visent à la mobilisation des sécrétions et au maintien de la compliance thoracique et respiratoire (tabl. 1). La
physiothérapie respiratoire est prioritaire et la
prise en charge devrait débuter très tôt, par
exemple sitôt le diagnostic établi.
Traitement palliatif (à l’exclusion
de la ventilation) (tabl. 2)
3
4
“We’re settled during this dying
phase”
“Not infrequently, patients have
anxieties based on inaccurate
and misleading information,
usually concerning the mode
of death. The most typical
clinical picture preceeding
death is one of a sudden and
rapid deterioration due to
respiratory failure ... No Patient
in this series chocked to death.
The term chocking ... must be
abandoned.”
Etant donné que les troubles respiratoires [6],
surtout les états de détresse respiratoire sont
fréquents en cas de SLA, de nombreux patients
vivent avec la constante angoisse d’une suffocation terminale. Cette peur ne se justifie pas.
Les fausses routes à la déglutition en raison de
troubles neurologiques bulbaires peuvent être
empêchées, au début par des mesures conservatrices telles qu’un training spécifique et une
préparation correcte de la nourriture, et plus
tard par l’installation en temps voulu d’une
sonde de gastrostomie percutanée endoscopique.
Mais plus important est de savoir que le décès
du patient atteint de SLA n’est pas un événement dramatique empreint d’angoisse de la
mort et d’une panique d’étouffer. En fait et
selon l’expérience acquise par l’observation de
nombreux patients atteints de SLA, le décès
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survient rapidement, paisiblement et sans sensation d’étouffement. Il est d’une importance
capitale d’informer les patients de cette constatation maintes fois répétée. L’expérience du «St.
Christopher Hospice» à Londres livre à ce sujet
des informations très précieuses [10]. Des 124
patients atteints de SLA inclus dans l’étude de
suivi, 106 (94%) décédèrent paisiblement3; la
médication principale consista en opiacés (en
moyenne 30 mg d’équivalent sulfate de morphine par jour) pour 101 patients (89%); 72
(64%) patients reçurent de la phénothiazine, 75
(66%) des anticholinergiques et 68 (60%) des
benzodiazépines. Le décès survint pratiquement toujours rapidement (en l’espace
d’heures ou de quelques jours) par arrêt respiratoire. Les auteurs notent (avec pertinence):
«Il n’est pas rare que les patients soient envahis d’une angoisse qui repose essentiellement
sur une information inadéquate ou trompeuse
concernant en général les circonstances de leur
décès. Le tableau clinique le plus typique précédant la mort est celui d’une soudaine et rapide détérioration due à une défaillance respiratoire … En fait, aucun patient de ce collectif
n’est décédé d’étouffement. Le terme ‹étouffement› … doit être définitivement abandonné4.»
Selon l’expérience de ces confrères anglais, la
détresse respiratoire, les douleurs et les
troubles du sommeil répondent très bien aux
opiacés qui devraient donc être administrés en
fonction des symptômes et non pas être tenus
en réserve pour les stades tardifs: «L’usage judicieux des opiacés garantit une palliation impeccable à chaque stade de la maladie, sans influencer ni l’évolution ni la durée de vie» [14].
D’ailleurs, l’éditorial qui accompagne la publication contient l’affirmation (confirmée dans
la publication): «L’administration généreuse
d’opiacés est efficace et n’entraîne sûrement
aucune dépendance» [7]. L’affirmation que
dans cette situation la morphine n’entraîne pas
de dépendance s’appuie notamment sur l’observation que l’augmentation des doses d’opiacés administrées dès le stade précoce de la maladie ne s’avéra jamais nécessaire en raison
d’un développement d’une dépendance, mais
que le dosage se calquait au contraire typiquement sur la symptomatologie.
La connaissance de la possibilité d’une ventilation palliative non invasive telle qu’elle est de
plus en plus souvent mise en œuvre aujourd’hui
a pour conséquence qu’au sein du Corps médical, on pense facilement qu’il s’agit là de la première mesure à envisager pour soulager la
souffrance. Pour la qualité de vie des patients
atteints de SLA, il est pourtant décisif que leurs
médecins traitants connaissent et envisagent
au contraire toute la palette des mesures palliatives, indépendamment du fait que le plan de
traitement introduise ou non la ventilation non
invasive (tabl. 2).
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Ventilation non invasive
et invasive
La ventilation non invasive constitue aujourd’hui un traitement palliatif bien établi des
troubles en relation avec la SLA. Elle permet
d’améliorer la qualité du sommeil, de diminuer
la dyspnée et d’écarter les épisodes d’hypoventilation à tendance nocturne au début, puis
aussi à l’état de veille. Il n’existe actuellement
aucune indication valable concernant le
meilleur moment pour la mise en œuvre d’une
ventilation non invasive. On se guidera en fait
sur l’importance des symptômes tels qu’une
mauvaise qualité de sommeil avec agitation
et cauchemars, fatigue diurne, somnolence
diurne excessive et maux de tête. Il est important de garder à l’esprit qu’une insuffisance
partielle constatée à l’analyse des gaz sanguins
ou une désaturation nocturne à la pulsoxymétrie sont le signe d’une ventilation insuffisante
et ne doivent donc pas être traitées en premier
par l’administration d’oxygène. La ventilation
non invasive peut aussi être instituée précocement (p.ex. suite à une première bronchite infectieuse) à titre de traitement préventif contre
les infections des voies respiratoires; elle favorise en outre le sommeil en décubitus en cas
d’atteinte prédominante du diaphragme. Les
études les plus récentes semblent indiquer que
la ventilation non invasive allonge la vie des patients atteints de SLA sans en modifier pourtant
l’issue fatale [8, 9].
Les membres du groupe de travail sont
convaincus qu’à condition d’une sélection adéquate, la ventilation non invasive peut améliorer la qualité de vie des patients. En cas d’atteinte bulbaire, la ventilation non invasive n’est
pourtant souvent pas possible. Le groupe de
travail est d’avis que l’indication et l’instruction
à une ventilation non invasive doivent impérativement être données dans le cadre d’une hospitalisation dans un centre qui possède l’expérience de tout le spectre des mesures palliatives, aussi bien neurologiques que respiratoires. Si cela n’a pas déjà été fait il faut, dans
le cadre de cette hospitalisation, insister sur la
nature palliative de la ventilation. Cela signifie
que le patient et tous les intervenants doivent
être parfaitement conscients que cette forme de
ventilation peut à un moment donné s’avérer
inopérante et qu’il faut alors passer à un autre
traitement, en règle générale une palliation médicamenteuse, par exemple la morphine.
La ventilation mécanique invasive par trachéostomie permet de vivre au-delà de la défaillance respiratoire terminale, empêche la
broncho-aspiration et facilite l’évacuation des
sécrétions. Le patient qui désire la mise en
œuvre d’un tel moyen doit être dûment informé
qu’il deviendra tétraplégique, qu’il ne peut ni
déglutir ni parler ni se mouvoir en dépit du fait
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que la motilité oculaire peut fréquemment encore être préservée durant quelques années. Le
patient entre dans une situation de locked-in en
dépit d’une présence d’esprit absolue et il est
complètement dépendant des soins, de l’intégrité de fonctionnement de l’appareil de respiration artificielle et du dégagement des voies
respiratoires. Certains systèmes électroniques
peuvent dans certains cas rendre une communication lente possible. En 1993, Moss [10] a
rapporté que dans la partie nord de l’Illinois,
sur 335 patients atteints de SLA, 19 (5,4%) ont
été ventilés de manière invasive. Ceux-ci nécessitaient chacun en moyenne journalière
neuf heures de soins prodigués par les
membres de leur famille ainsi que 15 heures
supplémentaires de soins prodigués par du personnel soignant externe. Il fallait 3,5 soignants
par patient. Les coûts s’élevaient à $ 153 000 et
même jusqu’à $ 366 000 par année, selon que
les patients étaient soignés à domicile ou dans
une institution. L’expérience a par ailleurs
montré que l’équipe soignante au service de ces
patients subit de rapides changements. Une enquête nord-américaine sur les patients atteints
de SLA au bénéfice d’une ventilation invasive à
long terme a certes montré que 88% se réjouissent d’être en vie et que 80% se décideraient à nouveau pour une telle mesure [11].
A l’Hôpital cantonal de Genève, sous la dénomination «VINCRE» (Ventilation à domicile des
Insuffisants Neuromusculaires Chroniques
Respiratoires Evaluation), on a institué une
commission dont la tâche est de conseiller les
médecins qui prennent en charge des patients
atteints de maladie neuromusculaire avec problèmes respiratoires. Ce groupe, constitué de
professionnels possédant une expérience spécifique de la prise en charge des patients ventilés à domicile a rédigé, suite à un important
travail de réflexion préliminaire, une prise de
position interne dans le but de pouvoir, sur la
base d’un concept reflétant le consensus des
personnes concernées, réagir aux questions
relatives au sujet «ventilation invasive via trachéostomie en cas de SLA et autres maladies
neuromusculaires» [12]. VINCRE recommande
que l’orientation des patients sur la possibilité
de ventilation invasive s’accompagne automatiquement d’une information adéquate sur les
importants problèmes liés à cette mesure thérapeutique. Si le patient envisage une ventilation invasive, il s’agit d’examiner soigneusement si le patient lui-même et son entourage,
c’est-à-dire en général sa famille, disposent des
ressources humaines nécessaires pour assumer une pareille charge à long terme, probablement des années durant et si des structures
de prise en charge adéquate sont disponibles
(famille?, domicile?, équipe de soins?, centre
spécialisé?). Ce n’est que lorsque ces assises
sont acquises qu’il faut alors prendre avec le pa-
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5
6
«En règle générale, la discussion tendra donc à déconseiller
une ventilation invasive à long
terme.»
“Although there is no formal
standard in Britain that dictates
whether or not mechanical ventilation should be discussed with
ALS patients, there appears
to be an unwritten consensus
that places more emphasis on
palliative care than on
aggressive life support.”
tient une décision définitive. La prise de position du groupe de travail genevois affirme notamment: «En règle générale, la discussion tendra donc à déconseiller une ventilation invasive
à long terme.»5 Les avis exprimés lors de l’assemblée annuelle 2000 du groupe de travail
pour la ventilation à domicile ont montré que
les membres du groupe de travail adoptent une
stratégie semblable dans leurs discussions avec
les personnes concernées: ils conservent la plus
grande retenue à l’égard de la mise en œuvre
d’une ventilation invasive. Cette attitude est
grandement facilitée par la disponibilité d’excellents instruments de palliation, comme nous
l’avons présenté ci-dessus. La connaissance de
la qualité des mesures palliatives est aussi importante pour le patient que pour le médecin
traitant.
Quelques centres, surtout aux Etats-Unis,
considèrent avec moins de pessimisme la ventilation à long terme pour les patients atteints
de SLA. En fait, sous la pression de la maladie,
certains patients développent une extraordinaire fureur de vivre qui, grâce à des soins d’un
dévouement parfait, ajoute à leur qualité de vie,
voire leur procure un véritable bien-être [13].
Au contraire, des auteurs britanniques s’expriment avec une certaine réserve (pertinente):
«Bien qu’en Grande Bretagne il n’existe aucune
ligne directrice qui indique formellement si la
ventilation mécanique doit être envisagée ou
non pour les patients atteints de SLA, une forme
non écrite de consensus paraît se dégager, à savoir qu’on met plus d’accent sur les soins palliatifs que sur le maintien agressif de la vie»6
[14]. Les cas présentant une évolution atypique
doivent être spécialement évalués. Il s’agit en
particulier des cas de maladie à évolution très
lente et des patients présentant une atteinte
prédominante de la musculature respiratoire.
Les membres du groupe de travail sont tous
d’accord pour respecter la volonté d’un patient
dûment informé qui, présentant une évolution
«typiquement» rapide de sa maladie, se déciderait pour un traitement invasif, pour autant
que ce traitement soit techniquement possible
et qu’on dispose des ressources de prise en
charge nécessaires.
Quintessence
La faiblesse motrice des patients atteints de sclérose latérale amyotrophique
concerne principalement la musculature respiratoire et elle s’accentue
inexorablement avec le temps. La défaillance respiratoire favorise la
pneumonie, cause de décès la plus fréquente. La palliation respiratoire
est une tâche aussi satisfaisante qu’exigeante.
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Interruption de la ventilation
Lorsqu’une ventilation non invasive n’est plus
supportée et si l’escalade vers une ventilation
invasive a été exclue par le patient, ou si le patient ventilé de manière invasive exprime que
la poursuite de ce traitement signifie pour lui
une prolongation intolérable de sa souffrance,
on adoptera désormais une attitude réglée sur
les principes de l’euthanasie passive tels qu’ils
ont été fixés dans les «Directives médicoéthiques sur l’accompagnement médical des
patients en fin de vie ou souffrant de troubles
cérébraux extrêmes» de l’Académie suisse des
sciences médicales [15]. Elles contiennent
l’abstention ou la non-continuation de médicaments ou de mesures techniques, y compris la
ventilation. L’arrêt abrupt ou progressif de la
ventilation s’accompagne de mesures palliatives telles que décrites dans le tableau 2 (p.ex.
oxygène, morphine, benzodiazépines) [16–20].
Information
L’information est très diversement pratiquée
dans le monde. Aux Etats-Unis, on informe
sans ménagement sur la nature de la maladie,
tandis qu’au Japon on admet fréquemment que
l’information sur la sévérité du pronostic porte
préjudice au patient. En Europe l’information
est en quelque sorte soumise à un gradient
nord–sud [23]. On peut en inférer que l’information donnée sur la possibilité de ventilation
invasive à long terme est tout aussi hétérogène.
Mais avec le développement de l’accès à l’Internet et à la faveur de l’exemple de personnalités très en vue (le physicien Stephen Hawkins
et le comédien Christopher Reeves), le questionnement au sujet de la ventilation à long
terme tend aussi à se généraliser. Les membres
du groupe de travail sont d’avis que la règle
devrait être une information complète avec
discussion des avantages et désavantages de
chacune des mesures thérapeutiques envisageables, y compris la ventilation à long terme;
que cette information doit être modulée individuellement et qu’une place doit être réservée à
l’appréciation du médecin traitant quant aux
possibilités d’assumer du patient. A l’occasion,
il s’avère même nécessaire, dans un premier
temps, de clarifier avec les proches et le médecin de famille du patient à quelles conditions et
dans quelle mesure une ventilation invasive est
réalisable. Il est essentiel que ces entretiens
aient lieu au bon moment, c’est-à-dire avant
que l’on se trouve dans une situation aiguë,
laquelle pourrait incliner le sort du patient
dans une direction que ni lui ni ses proches
n’auraient désirée.
R A R E M A I S I M P O R TA N T
Forum Med Suisse No 39 26 septembre 2001
Remerciements
Nous remercions le PD Dr Kai Rösler de la Clinique de neurologie de l’Inselspital à Berne
ainsi que le Dr Markus Weber, Clinique de
neurologie de l’Hôpital cantonal de Saint-Gall
978
pour la lecture attentive du manuscrit et aussi
Mme R. Müller-Birrer pour le travail attentif au
manuscrit.
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