Mohamed Robert, Françoise Khantine-Langlois, Valérie Munier…
74 | aster | 2008 | 47
Un pourcentage très important d’élèves, dans des lières et à des niveaux
d’enseignement variés (Lascours & Calmettes, 1998 ; Robert, 2007), donnent pour
réponse 3 V car ils utilisent, en régime sinusoïdal, la loi des mailles dans les mêmes
conditions qu’en régime continu, c’est-à-dire en appliquant la propriété de linéarité
de la mesure d’une tension continue (74 % des étudiants interrogés par Lascours
& Calmettes et 88 % des élèves interrogés par Robert). Ces auteurs ont montré
que les étudiants savent pourtant utiliser le formalisme des vecteurs de Fresnel si
on le leur propose mais qu’ils ne le mobilisent pas spontanément (Lascours
& Calmettes, 1998). Robert (2007) a poursuivi cette étude avec des élèves de
sections techniques. Conformément à la réalité de la pratique de référence profes-
sionnelle de l’électronicien ou de l’électrotechnicien, le formalisme préconisé dans
les sections génie électronique est celui des nombres complexes alors que dans
les sections génie électrotechnique les élèves utilisent la représentation de Fresnel.
Il a obtenu les mêmes résultats : quel que soit le formalisme préconisé, une grande
proportion des élèves ne l’utilise pas, même s’ils le maîtrisent.
Ces travaux antérieurs ont donc montré qu’une maîtrise insufsante du forma-
lisme ne sufsait pas à expliquer les difcultés des élèves. Nous proposons donc
d’explorer ici une autre piste qui se situe du côté de l’épistémologie implicite des
étudiants à propos de la mesure en courant variable.
Avant toute chose, nous précisons ci-dessous quelles sont les grandeurs en
jeu dans l’étude du courant variable. Sont-elles mesurables ?
On distingue souvent en sciences les grandeurs mesurables et les grandeurs
repérables. On considère que lorsqu’on peut dénir la somme de deux grandeurs,
celles-ci sont dites mesurables, c’est le cas par exemple de la quantité de chaleur,
par opposition à des grandeurs repérables, telle la température : « pour qu’une
grandeur soit réellement mesurable, il faut encore qu’elle obéisse à la loi d’additivité,
c’est-à-dire qu’en réunissant plusieurs corps identiques, sièges de phénomènes semblables,
on puisse constituer un système équivalent aux phénomènes isolés dont on peut mesurer
la grandeur » (Le Chatelier, 1936, p. 141). Selon Malifaud « on peut repérer des
valeurs d’une grandeur et les ordonner selon une échelle numérique par rapport à une
valeur stable prise comme point de repère […] » (1998, p. 141). Cette proposition
pourrait s’adapter à la température si elle n’était complétée par la loi d’additivité
formulée ensuite : « la mesure demande qu’on sache dénir la somme de deux gran-
deurs de même espèce ou de deux valeurs d’une même grandeur. Cette espèce de
grandeur est dite additive ». Pour ces auteurs, une grandeur est mesurable si elle
est additive, mais il n’y a pas de consensus : pour De Broglie (1955) la dénition
de la mesure d’une grandeur à travers la mesurabilité de celle-ci et la reconnais-
sance de la grandeur mesurable à l’additivité est trop restrictive. Pour lui, le
repérage est aussi une mesure, avec les qualités qu’il lui attribue.
Duhem (1914/1997) distingue la quantité et la qualité et considère que « dans
le domaine de la qualité, la notion d’addition n’a point de place ; elle se retrouve au