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(liée à la théorie des invariants) est une réponse à la question du relativisme
qui traverse et hante toute l’histoire de la physique, de Galilée à Einstein,
et peut-être même de Protagoras à nos jours. »⁴ Ce qui peut donner assise
au développement des deux thèses opposées au sein des deux théories de
la relativité semble donc se centrer, si l’on suit Françoise Balibar, autour
de la notion d’invariant, et autour du choix du terme de relativité qui,
dans une perspective de philosophie du langage, peut porter à confusion.
Celle-ci conduit les postures qui sont privilégiées par l’une ou l’autre des
parties. Elle s’accompagne aussi, semble-t-il, d’un débat sur la prétention
d’une théorie scientifi que à être vraie, et sur ce que signifi e être vraie pour
une théorie. L’objet de ce propos n’est pas de prouver le relativisme de la
relativité, ou au contraire son mécanicisme, mais de montrer qu’à travers
le questionnement sur des concepts d’invariance, de relativité et de vérité,
la valeur d’explication⁵ accordée à une théorie change de donne radicale-
ment : qu’est-ce qu’une théorie doit dire du monde, et qu’est-elle en mesure
de dire ? Ce qu’apporte dans le débat la relativité est un « ni-ni » : la science
n’est pas un système achevé et parfait en puissance, une connaissance abso-
lue du monde, qui serait l’équivalent de celle de Dieu (comme l’envisageait
Laplace), mais elle n’est pas non plus une connaissance particulière reposant
sur la perception singulière du monde à partir d’un observateur. La contro-
verse qui, dans les années vingt, opposa les tenants d’un certain relativisme
(ou, pour reprendre l’expression privilégiée par Bachelard, d’une certaine
relativation), comme Léon Brunschvicg, à des néothomistes comme Gas-
ton Rabeau, illustre toute la diffi culté que peut représenter le passage d’un
système du monde à un autre. Le problème du nom, celui de l’invariance
et de la valeur d’explication du concept de relation et celui de la vérité et de
la référence sont, à nos yeux, les plus révélateurs de ces problèmes posés par
la relativité aux contemporains d’Einstein, à commencer par la peur – ou la
satisfaction – de voir avec elle s’imposer un relativisme qui renouvellerait de
manière radicale la façon dont la science peut envisager le réel.
Idem. On pourrait légèrement modifi er les propos de Balibar en insistant davantage sur l’idée
que la théorie de la relativité se veut une réponse au relativisme.
Le concept de valeur d’explication a été défi ni par l’historienne des sciences Evelyn Fox Keller
dans son ouvrage Expliquer la vie (, Gallimard) : « J’affi rme que la description d’un phéno-
mène a valeur d’explication si, et seulement si, elle répond aux besoins d’un individu ou d’une
communauté. L’enjeu est donc de comprendre les besoins auxquels répondent les diff érents
types d’explication. Bien sûr, les besoins varient, et c’est inévitable : ils varient non seulement
avec l’état de la science à une époque donnée, avec les possibilités technologiques, sociales et
économiques locales, mais aussi avec des préoccupations culturelles plus vastes. » (p. )
LA RELATIVITÉ EST-ELLE RELATIVISTE ?