Actes réalisés par Sarah Behar, Lucie Combes et

publicité
Journées de réflexion organisées par l’association A Double Sens les 2 et 3 juillet 2010
à la Maison des Métallos en partenariat avec la Maison des Métallos et Arcadi
Actes réalisés par Sarah Behar, Lucie Combes et Pauline David de l’association
A Double Sens avec le soutien de la Fondation Réunica.
Arts participatifs, partageons l’état de l’art !
► C’est dans un esprit de dialogue et de transmission
que la Fondation Réunica soutient les actes des
Rencontres A°Double Sens de juillet 2010. Elle souhaite
contribuer à la mise en visibilité du phénomène des
Créations partagées. Elle prolonge ainsi son engagement
financier sur nombre de créations dans le cadre de l’axe
« Partager l’art, transformer la société » initié par la
Fondation de France.
Trop peu d’entre nous le savent ! Loin de la « culture de
masse », des artistes professionnels s’impliquent et
impliquent des personnes de 7 à 77 ans - et bien plus ! touchées par des difficultés de tout ordre, parfois très
éloignées du monde de la culture. Ils recueillent leur
histoire, leur intime, leur imaginaire. Ils les placent au
cœur de processus de créations artistiques qui revêtent
des formes variées : théâtre, cinéma, danse ou
concert, lecture, défilé de mode, peinture, chant.
La Fondation Réunica s’intéresse particulièrement à ces
projets de créations partagées car ils sont porteurs de
mieux-être, voire de transformation : l’un y gagne en
autonomie, l’autre en confiance. Ces arts stimulent des
potentiels insoupçonnés, font jaillir ce qui rassemble,
élargissent le champ des possibles. Ils sont à même de
« réveiller le désir » de ceux chez qui la force de vie s’est
parfois évanouie.
Fertiles et généreux, ils ouvrent les portes de la
rencontre, de la transmission, du non-jugement, du vivre
ensemble et aussi celles de la Culture, cet immense
patrimoine dont beaucoup d’entre nous se sentent encore
exclus.
Quels sont les facteurs de réussite ? Que nous disent ces
expériences ? Comment sont-elles reçues par le public ?
C’est tout ce savoir accumulé au fil d’aventures
éminemment humaines que la Fondation Réunica a à
cœur de voir partagé et enrichi.
Puissent ces rencontres animées par Florence Castera,
spécialiste du sujet, y avoir contribué et ces actes en
conserver la trace !
La Fondation Réunica espère ainsi sensibiliser de
nombreux acteurs culturels et sociaux (artistes,
institutions, intervenants…) et les encourager à explorer
cette voie.
En soutenant des projets participatifs qui s’appuient sur
une pratique culturelle et artistique à destination des
personnes fragilisées, le mécénat de la Fondation Réunica
rappelle le droit au beau, à la dignité et à l’excellence
pour tous avec cette conviction sans cesse renforcée :
« Faire du bien à l’esprit, ça fait du bien à la vie ! »
Éliane Hervé-Bazin
Déléguée générale de la Fondation Réunica
Sommaire :
Introduction générale ................................................................................. 5
QUELLES IMPLICATIONS ESTHÉTIQUES ? .......................................................... 9
I. Un positionnement d’artistes :
1. Des parcours hétéroclites
2. Un enrichissement de la pratique artistique
3. Un positionnement artistique et personnel
II. Un travail à part :
1. Faire "avec" ce qu’apportent les "non-professionnels"
2. Donner de la valeur
III. Processus vs œuvre :
1. Quel rendu ?
2. Quels publics ?
VERS UNE TRANSFORMATION DES MODES DE PRODUCTION ARTISTIQUES ET
CULTURELS ? ........................................................................................... 20
I. La question du partenariat ou comment travailler ensemble ?
1. Parler la même langue
2. Partager les mêmes objectifs ?
II. L’économie de ces projets
1. Des projets transversaux
2. Des projets risqués et longs
3. La nécessité de trouver des financeurs pluriels et pérennes
III. Face à leurs spécificités, quels dispositifs sont à réinventer pour valoriser et mettre en
œuvre ces projets ?
1. La médiation
2. La mutualisation des expériences, les réseaux
3. Des nouvelles formes de diffusion et de médiatisation
PROJETS PARTICIPATIFS : UNE RÉPONSE Á DES ENJEUX SOCIO-ÉCONOMIQUES ? ..... 29
I. Contre une segmentation des personnes et des compétences
1. Provoquer des rencontres, faire bouger les lignes de la représentation
2. Mettre en complémentarité, faire bouger les lignes dans le travail
3. Révéler des compétences
II. Une préparation à la participation citoyenne ?
1. Donner les clés pour plus d’implication citoyenne
2. Préparer à la gestion participative des biens communs ?
ET APRÈS ? ..............................................................................................38
I. Des impacts qualitatifs très forts, à la fois individuels et collectifs
1. Reconstruire des vies
2. Mieux vivre ensemble
3. Participer à la construction d’un projet de société plus large
II. Les limites de l’évaluation des projets
1. De l’urgence d’élaborer des critères de référence pertinents
2. Médiatisation et instrumentalisation
3. Les effets psychologiques sur les participants : un risque à prendre ?
Conclusion générale .................................................................................. 45
Bibliographie ............................................................................................46
Liste non exhaustive de réseaux et structures de mutualisation...........................47
Remerciements.........................................................................................48
4
Introduction générale
Pourquoi réfléchir
interactifs ?
aux
arts
participatifs
et
L'introduction des nouvelles technologies dans notre quotidien a
transformé notre rapport au monde et à la création. Avec Internet,
l'interactivité est donnée comme essentielle en tant qu'elle permet
l'expression de tous. Apparaît alors le paradoxe d'une société dont les
membres sont actifs dans leur rapport aux nouvelles technologies alors
qu’ils sont souvent maintenus dans un rôle de simples récepteurs dans
les lieux culturels « traditionnels ». De nouveaux processus artistiques
apparaissent néanmoins où l’artiste n’est plus seul créateur et où il
s’investit dans des projets sociétaux. Parallèlement, de nouvelles
économies et de nouveaux modes d’organisation se mettent en place qui
vont vers plus de mutualisation et une plus forte collaboration entre
différents secteurs d’activités.
Il y a là un enjeu crucial pour les années à venir : cette implication
croissante de tout un chacun dans les processus créatifs et les ponts
construits entre acteurs économiques, sociaux et culturels ne sont-ils
pas les marques de profondes mutations futures dans nos sociétés ? La
prise en compte de ce que les arts participatifs et interactifs
représentent en termes "d'émancipation" apparaît nécessaire et doit
être encouragée. Ainsi paraît-il opportun d'ouvrir le débat sur les
questions "d'interaction" et de "participation" sous l'angle du public, dans
les différents champs de création actuels : quels sont les enjeux de la
participation des publics à la création ? quelle vision de notre société
ces pratiques portent-elles ?
Pourquoi des Rencontres ?
Nous souhaitions valoriser des initiatives souvent isolées et contribuer à
mettre en relation les professionnels des différents secteurs. Beaucoup
d’entre eux cherchent à enrichir leur pratique et ne disposent pas
toujours de temps de réflexion et d’échange sur celle-ci. Des rencontres
étaient l’occasion d’amener les différents acteurs des projets
participatifs et interactifs à s’interroger sur leur travail, au-delà du
simple témoignage. Elles ont été conçues autour de problématiques et
invitaient les participants à réfléchir sur les enjeux globaux liés à ces
pratiques.
Comment se sont-elles déroulées ?
Nous avons pensé ces Rencontres comme un moment d’échange. C’est
pourquoi nous avons souhaité que la réflexion ne soit pas uniquement
destinée aux professionnels. Un cycle de rencontres-spectacles a ainsi
été organisé en amont des Rencontres afin que les publics et les
participants formulent leurs impressions et questionnements sur
l’expérience participative ou interactive vécue.
► Les
► Le
Rencontres des 2 et 3 juillet 2010 :
Les deux demi-journées de débats ont été organisées à la Maison des
Métallos afin de confronter les différents points discutés lors du cycle et
mettre en lumière des artistes, lieux et œuvres interactives et
participatives.
cycle :
Du 18 avril au 29 juin 2010, cinq rencontres-spectacles ont été menées
dans différents lieux d’Île-de-France autour des projets suivants :
Le vendredi 2 juillet : Participation et interaction : des mutations
esthétiques et une reconfiguration de la filière culturelle ?
*14h-16h : Quelles implications esthétiques ?
*16h-18h : Vers une transformation des modes de production artistiques
et culturels ?
- Dale Recuerdos XXI (Je pense à vous) de Didier Ruiz –
Le 18 avril 2010 à la Maison des Métallos
Théâtre participatif
- Allons z’en France du Collectif DAJA –
Le 17 mai 2010 au WIP-Villette
Théâtre et danse participatifs
Le samedi 3 juillet : Démarches participatives et interactives dans la
société : enjeu local ou enjeu global ?
*14h : Lecture de Marie-Pierre Bésanger
*14h30-16h30 : Projets participatifs et interactifs : une réponse à des
enjeux sociopolitiques ?
*16h30-18h30 : Et après ?
- Théâtre forum autour de « Victor ou les enfants au pouvoir » par le
Théâtre de l’Opprimé et un groupe de comédiens amateurs –
Le 22 mai 2010 au Théâtre de l’Opprimé
Théâtre interactif et participatif
Pour rendre l’ensemble plus participatif, les séances se sont déroulées
sur le modèle suivant : un chercheur a fait une courte communication,
des extraits vidéo rendant compte de projets ont été diffusés, le sujet a
été posé par Florence Castera et les intervenants, et la discussion s’est
engagée immédiatement avec la salle.
- Mon corps mon lieu avec Thierry Thieu Niang –
Le 29 mai 2010 à Maison du Temps Libre de Stains dans le cadre des
Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis
Danse participative
- La web radio du Vent se Lève !, Radio 10 de l’association « Un
Sourire de toi et j’quitte ma mère » et Lecture(s) de Bouche(s) de
Patrick Fontana – Le 29 juin 2010 au Vent se Lève !
Projets participatifs (web radio / poésie)
L’ensemble de ces Rencontres a été animé par Florence Castera,
consultante en ingénierie de projets dans les domaines de la culture, de
l’éducation et de l’insertion pour A faire, à suivre.
6
formes très particulières s'appuient sur ce type de réflexion, parmi eux:
le théâtre d'improvisation, le théâtre forum, le théâtre d'intervention,
le théâtre invisible. Très utilisées pour sensibiliser des populations à des
questions de société, certaines de ces formes ne sont pas considérées
comme réellement artistiques. Ainsi, si les arts de la rue s'inscrivent
souvent dans une relation toute particulière avec le public, ce dernier
est souvent utilisé comme support pour permettre à l'artiste de faire la
démonstration de sa virtuosité ; l'œuvre varie légèrement selon les
publics, mais ceux-ci n'interviennent pas réellement dans le processus
de création.
Avant de rendre compte des discussions qui se sont engagées durant les
Rencontres A Double Sens des 2 et 3 juillet 2010, il nous paraît utile de
préciser ce que nous entendons par "interaction" et "participation".
Interaction: action réciproque (action/réaction/interdépendance)1
L'interaction est un processus par lequel différentes entités
s'influencent réciproquement. Ce terme est employé dans plusieurs
domaines comme la physique et les sciences sociales pour désigner un
même processus qui suppose la mise en contact de sujets, d'objets ou de
phénomènes qui agissent de manière non linaire les uns envers les
autres et se modifient réciproquement.
Les interactions sont de diverses formes ; les plus évidentes sont les
interactions verbales ou physiques. Elles sont aussi de différentes
natures, selon les sujets engagés, c'est-à-dire qu'elles varient
qualitativement et dans leur substance selon les publics (douces,
violentes, conflictuelles, symbiotiques…).
Dans le domaine de l'art, l'interaction est principalement pensée en
termes de secteurs ; on parle notamment d'interaction entre la musique
et le théâtre, entre la vidéo et la danse. Pourtant ce terme rend compte
d'un processus humain, que l'on tient traditionnellement pour acquis
dans le domaine du spectacle vivant et qui pourtant est sans cesse
questionné par la frontalité institutionnalisée qui sépare le public de la
scène. L'intérêt que représente une réflexion sur cette notion réside
dans le fait qu'elle suppose un questionnement sur la place du
spectateur comme individu et du public comme collectif. En effet,
l'interaction en art signifie la mise en contact du public (comme groupe
ou individu) et du créateur, des interprètes ou de l'œuvre qui
nécessairement, dans ce processus, se transforme, s'adapte. Le public
réagit, participe, et l'œuvre se modifie à son contact. Cela suppose une
part d'imprévu, une capacité d'improvisation des artistes dans certains
cas, et une attitude plus dynamique du public qui s'approprie l'espace
d'expression et construit avec l'artiste une œuvre toujours renouvelée.
Bien entendu, la question n'est pas de nier les liens qui existent entre le
spectateur et l'œuvre par le regard et l'attention que le premier porte
au second, elle n'est pas de nier l'aspect actif du spectateur dans sa
position frontale à l'œuvre, mais de se pencher sur les nouvelles
pratiques des publics avec l'apparition des nouvelles technologies et les
moyens employés pour les intégrer dans les modes de création. Il s'agit
de penser un art autre, qui implique d'une manière plus évidente les
spectateurs dans la réflexion de l'artiste, dans la création.
On connaît fort bien des installations interactives qui ne mettent plus en
interaction des artistes et un public, mais un spectateur et une
technologie (on parle alors plutôt d'interactivité) ou plusieurs
spectateurs et une technologie, situation qui crée un nouveau rapport
entre l'œuvre et le public mais aussi, au sein même du groupe "public",
entre les entités "spectateurs". Il est en revanche moins évident de
trouver cette interaction avec le public dans le spectacle vivant. Des
1
Définition issue du Robert de la langue française 2006.
7
quartiers dits « difficiles ». Les artistes ont donc dans ce cas pour
mission de « redonner la parole », à ceux qui sont souvent exclus de la
société notamment par leur statut social et leur origine géographique.
La participation des citoyens à un projet artistique en lien avec un
problème de société plus ou moins grave peut faire craindre un risque
d’instrumentalisation des artistes, et de récupération des projets
participatifs à des fins politiques. Mais ce serait oublier que les artistes
travaillent sur l’humain, font émerger une parole peu sollicitée
habituellement et qui peut se révéler assez encombrante pour les
décideurs politiques.
Participation : action de participer à
quelque chose ; son résultat.
Droit de regard, de libre discussion et d'intervention des membres d'une
communauté.2
La participation désigne des tentatives de donner un rôle aux individus
dans une prise de décision affectant une communauté. Cette notion
s'est appliquée à plusieurs champs distincts.
L’art dit «participatif» ne se revendique pas comme un mouvement ; il
s’agit plutôt d’une manière de penser l’art et de le mettre en œuvre, en
recherchant une véritable rencontre avec l’autre, qui fut – ou non spectateur d’une œuvre et qui est amené à prendre une part beaucoup
plus grande au processus de création.
A ce titre, et tout en ayant cette crainte d’être instrumentalisés à des
fins politiciennes, les artistes du participatifs se revendiquent parfois
d’un mouvement politique au sens large : les citoyens, souvent oubliés
par leurs élus, ont la possibilité de s’exprimer publiquement, ou plus
exactement chacun peut voir sa personnalité reconnue comme unique,
valorisée comme telle et non plus fondue dans la masse du « public ».
De la même façon qu’Internet a révolutionné la manière de produire et
de recevoir l’information journalistique et que l’on parle de
« démocratie participative », de « journalisme participatif », etc., les
mondes de l’art font de plus en plus participer de non-professionnels
aux processus de création pour que leurs voix soient reconnues et
entendues.
L’art participatif implique son public dans la création de l’œuvre et
dans sa représentation3, conférant ainsi un nouveau statut à l’œuvre, au
spectateur et à l’artiste. A travers cette participation, celui qui n’était
qu’un spectateur non-artiste n’est plus devant l’œuvre, en tant que
«regardeur», mais bien dedans. Il est chargé d’y inscrire l’empreinte de
sa personnalité, de sa singularité, de façon à changer profondément
l’œuvre par rapport à ce qu’elle aurait pu être sans lui. L’action
aléatoire du public que présume la forme participative nécessite une
évolution du statut d’artiste : il peut être amené à partager la
conception de son œuvre, à organiser l’action des participants, à
déléguer tout ou partie de la restitution finale. Avant même d’être
confronté à la réaction d’un public classique, l’artiste doit se confronter
aux actions, propositions et réactions des participants qui s’approprient
le projet par leurs subjectivités. Les formes participatives sousentendent presque toujours une certaine dépossession de l’œuvre pour
l’artiste, ce qui amène un risque pour lui de ne pas reconnaître son
projet une fois celui-ci terminé.
Le point commun que nous établissons entre art participatif et art
interactif est la possibilité pour les participants de modifier l’œuvre, d’y
imprimer leurs personnalités. La différence entre les deux réside dans la
temporalité de chaque forme : alors que l’art interactif fait intervenir
un public, le temps d’une représentation, l’art participatif construit
une œuvre à plus long terme (de quelques jours à plusieurs années)
avec des personnes issues de divers horizons.
Depuis plusieurs années, de nombreuses collectivités territoriales ou
organismes sociaux font appel à des artistes pour les aider à gérer un
problème de société sur un territoire donné, en particulier sur des
2
Définition issue du Robert de la langue française 2006.
Lorsqu’on parle d’arts participatifs, la notion d’œuvre -comme celle de public- fait
l’objet de nombreuses discussions qui seront développées plus tard. Si nous avons choisi
de parler d’œuvre ici c’est pour poser les bases d’une réflexion dans les termes usuels du
champ de l’art afin de mieux souligner les enjeux du participatif.
3
8
QUELLES IMPLICATIONS ESTHETIQUES ?
► INTERVENANTS :
de l’art de participation depuis l’époque moderne, Christian Ruby
montre comment la manière d’aborder l’œuvre révèle les différentes
façons de poser la question du référentiel commun. « Toute perspective
artistique pose le problème global du « commun » de référence (dans le
spectacle, et pour le spectacle) », explique-t-il.
Christian RUBY : docteur en philosophie, enseignant, chargé de cours sur le serveur
audiosup.net de l'Université de Nanterre (Paris 10), et chargé de cours à l'antenne
parisienne de l'Université de Chicago.
Didier RUIZ : metteur en scène et directeur artistique de la Compagnie des Hommes.
Géraldine BENICHOU : metteure en scène et directrice artistique du Théâtre du Grabuge.
Marie-Pierre BÉSANGER : metteure en scène et directrice artistique du Bottom Théâtre.
Laurence PETIT-JOUVET : réalisatrice de documentaires, elle a mené le projet participatif
« Correspondances »
Dans le cas d’un tableau représentatif classique comme la Joconde, le
spectateur est placé dans une position de contemplation. Il se situe à
une juste distance du tableau et reçoit, seul, la "création" artistique
selon le présupposé du sens commun à faire valoir pour tous.
Dans le cas d’une œuvre d’art d’avant-garde moderne, comme un readymade, le spectateur devient "regardeur". « La multiplicité des
spectateurs possibles est collectivement poussée vers des exercices
d’une (autre) sensibilité qui, à l’encontre des esthétiques du goût
s’appelle "expérience". L’œuvre fait l’objet d’une pratique ou d’une
participation du regardeur, non d’une contemplation. » Dans ce cas de
figure, l’intervention participative sollicite l’idée d’une communauté qui
n’est pas et qu’il convient de fabriquer.
Dans un troisième cas, c’est la notion d’interférence qui préside.
Extraits diffusés : Correspondances, film réalisé par Laurence Petit-Jouvet
Captation de la pièce Pose ta valise mise en scène par Géraldine Benichou
« Une très intime conviction me conduit à souligner que le
champ des arts n’est pas le terrain de la paix esthétique
que certains veulent y voir, simplement parce qu’ils
réfléchissent encore les arts au miroir du décoratif et du
ludique. Rien n’est plus délibérément absurde que de
croire que les formes artistiques se juxtaposent seulement
alors qu’elles se fondent sur des présuppositions qui
excitent des vitalités antagonistes. L’histoire de l’art est
justement tissée de ruptures et de conflits autour des
règles de l’art. Les oppositions entre les genres, les
supports ou les partis pris artistiques ne sont jamais
réductibles à de simples choix de sensibilité. Ce sont
toujours des puissances d’impulsion qui sont en jeu et des
rapports aux formes de la communauté »4.
«Tel artiste d’art contemporain vient s’adresser à nous pour
nous entraîner, nous public, à dialoguer entre nous autour
d’une proposition que l’artiste nous fait, afin de servir de
déclencheur. [...] Ce n’est plus ni affaire de goût, ni affaire
d’expérience, mais affaire d’exercice de soi (dans le rapport
aux autres). L’œuvre disparaît aussitôt après. Parfois même
l’œuvre est sans objet et sans spectateur ».6
C’est avec ces considérations que Christian Ruby a choisi d’introduire le
débat sur les implications esthétiques des arts de la participation5. Il
existe divers parcours de spectateurs. En retraçant rapidement l’histoire
L’interférence en art contemporain a « pour point d’appui l’idée d’une
communauté faite qu’il convient de refaire à partir d’exercices de soi ».
On parle ici souvent de "spect-acteur".
4
Ce que Jacques Rancière appelle le « partage du sensible », dans le livre éponyme (Paris,
La Fabrique, 2000).
5
Christian Ruby travaille sur la notion de spectateur. L’expression “les arts de la
participation” ou “arts de participation” renvoie à tout art impliquant des “spectateurs”.
6
Mélik Ohanian, Œuvre sans public, 2005 : Invisible Film, film projeté dans le désert sans
écran, mais filmé lui-même et ce deuxième film est projeté en salle ; Loris Gréaud, Palais
de Tokyo, 2007.
9
« en faisant éclater les formes et en dénonçant les
esthétiques du "point du sujet" et de la création, [il]
attend des œuvres, des actions et des manifestations
artistiques qu’elles travaillent avec des "acteurs non
professionnels", s’ouvrent à de nouveaux publics, de
nouveaux lieux de l’art, qui cessent de se définir par la
clôture sur soi et donnent lieu à de multiples discours
esthétiques inédits. » 8
Enfin, Christian Ruby évoque la question des arts de rue et de la logique
des flux, celle-ci restant ouverte : « la question reste celle du rapport
envisageable entre la foule et un public, celle du mode de structuration
opéré par le spectacle urbain ». La rue présente la spécificité d’être un
lieu ouvert où circule tout type de personnes. Dans ce contexte, il est en
effet difficile de penser la relation aux spectateurs car si certaines
personnes viennent assister à une performance, déambulation ou autre
spectacle, d’autres ne font que passer qui s’intéresseront ou pas à ce qui
est donné à expérimenter ou à voir. Dans la foule, des personnes peuvent
être ou devenir des spectateurs. Ils peuvent l’être par hasard,
temporairement, puis retourner dans le flux de la foule. Dans ce
contexte, le public n’est pas un groupe de personnes bien défini ; il se
définit en étroite relation avec le mouvement de la foule qui arpente
l’espace urbain. C’est pourquoi la question se pose : comment
s’articulent la foule et le public ?
Avant de laisser place au débat, Christian Ruby souligne le risque pour les
pratiques participatives de tomber dans la pratique ludique, l’artiste
devenant « animateur institutionnel ».
Ce qui se pose ici, c’est à la fois le positionnement de l’artiste et les
implications que cela a pour la pratique de spectateur. Le rapport
frontal, contemplatif à l’œuvre étant bouleversé par les arts impliquant
des "non-professionnels" au sein même des processus de création, nous
avons souhaité questionner des parcours d’artistes, voir comment ces
pratiques s’inscrivent dans leur démarche et nous interroger sur la notion
d’œuvre et de processus. Quelle place ont les créations dites
"participatives" ou "partagées" dans les champs de l’art ? Qu’implique ce
travail de création entre des artistes et des "non-professionnels" dans les
mondes de l’art ? Et, comme le formule Thomas Cepitelli, chargé de
développement au Théâtre de l’Opprimé, « que produit l’artiste s’il ne
produit pas d’œuvre ? »
Après avoir présenté ces différents rapports du spectateur à l’art,
Christian Ruby se concentre sur les « grandes heures » de la
participation, à savoir celles des avant-gardes du début du XXe siècle et
celle des années 1960-1970. Il note que :
« l’audace des mouvements artistiques révolutionnaires
aura été de déclencher des processus qui s’attaquaient à
l’idée classique d’un public unique et homogène ainsi
qu’au rapport de représentation. Le renouvellement de ces
pratiques dans les années 1960 a érigé la participation en
modèle de travail [...]. L’impératif en tout cas est bien
celui de la participation critique, devant d’ailleurs
conduire à une prise de conscience politique ».7
Il observe : d’un côté, l’art de participation se bâtit sur une contestation
des mœurs esthétiques classiques et dénoue « l’autorité immédiate de
l’œuvre classique » ; de l’autre,
8
Gaëtanne Lamarche-Vadel, La gifle au goût public... et après ?, Paris, éditions de la
Différence, collection "Les Essais", 2008. Dada, le Bauhaus, les happenings, les events ont
déconstruit les formes du goût, du public et même de l'art en réinventant de nouveaux
processus de création. Et après ? Sur fond de "déclin du public", la commande publique a
ressurgi augmentée d'un rouage : les médiateurs chargés d'ajuster la création à la
réception, ou, au contraire, le public à l'œuvre. Cependant des artistes, partant du même
constat, ne se contentent plus de faire œuvre dans un espace public institutionnel et
engagent des pratiques artistiques et conceptuelles créatrices de nouvelles façons d'exister
avec les autres et avec la ville.
7
Frank Popper, Art, action et participation, l’artiste et la créativité aujourd’hui, Paris,
Klincksieck, 1972.
10
DALE RECUERDOS
I. Un positionnement d’artistes
1.
C’est en 1999, avec cette annonce : « Metteur en scène cherche personnes âgées de plus de
70 ans pour faire un travail sur le thème de la mémoire », que démarre la démarche
d’écriture et de mise en scène Dale Recuerdos, une pièce devenue depuis une série
constamment renouvelée, chaque fois avec un groupe de 8 à 10 personnes, dans des villes
différentes et même à l’étranger. La méthode est toujours la même : au cours d’entretiens
individuels, Didier Ruiz recueille un grand nombre de souvenirs dont il sélectionne une
partie qu’il soumet à l’approbation de chacun des participants. Rien n’est écrit pour que
tout soit toujours "raconté". Didier Ruiz regroupe ensuite les participants et travaille la
mise en scène de leurs souvenirs avant de les faire monter sur scène pour les raconter. Ce
travail dure 4 semaines.
Des parcours hétéroclites
Lorsque l’on interroge des artistes sur leur parcours et les raisons de leur
travail avec des "non-professionnels", il ressort des réflexions très
singulières qui s’inscrivent dans des trajectoires professionnelles et
personnelles hétéroclites.
Géraldine Bénichou : « j’ai eu envie de voir ce que ça faisait
d’inscrire l’imaginaire au cœur du réel »
Didier Ruiz : « repenser mon métier d’interprète dans un théâtre
dans lequel je ne me reconnaissais plus »
Formée à la philosophie, dotée d’un goût particulier pour les histoires,
Géraldine Bénichou a souhaité raconter des histoires aux gens pour voir
ce qui en résulte. Son passage à une pratique participative a été très
progressif. Elle a d’abord investi des lieux à vocation sociale pour
raconter les mythes, lire et faire lire des grands textes comme l’Odyssée.
« C’était un partage de l’écrit avec la conviction [...] que l’imaginaire
produit quelque chose dans le rapport que l’on a au monde ». A partir de
ces textes elle montait des spectacles professionnels auxquels elle
invitait les personnes avec qui elle avait partagé ces écrits. Rapidement,
l’impression qu’entendre ces histoires donnait envie aux gens de se livrer
s’est imposée et un nouveau travail s’est ajouté au premier. A partir des
mythes, Géraldine Bénichou a travaillé sur l’ « écho intime » que
produisent ces récits sur les histoires personnelles de chacun. Restituer
les textes issus de ces récoltes a généré une réflexion sur les formes à
donner à cette restitution. Ce fut d’abord par des lectures publiques
participatives au cours desquels les gens rencontrés lisaient leur histoire
et les mythes, puis par des spectacles professionnels à partir des paroles
de ces personnes, avant de passer à la mise en scène des auteurs de ces
paroles. « J’ai, petit à petit, au gré des rencontres, modifié, inventé des
formes différentes, des traces de ces rencontres ». Ici la participation
est née d’une recherche personnelle artistique et philosophique sur la
question de l’imaginaire et de son impact.
Après avoir été comédien, Didier Ruiz s’est attelé à la mise en scène.
Avant de lancer, il y a 10 ans, la série Dale Recuerdos (Je pense à vous),
il a travaillé la mise en scène « classique », à partir de textes.
Aujourd’hui, il a le
sentiment d’avoir
réellement débuté
la mise en scène
avec la première
expérience
Dale
Recuerdos
(Je
pense
à
vous).
Cette
forme
participative
a
« amené
une
réponse à cette
recherche de la
définition
d’un
théâtre qui me correspondrait plus, dans lequel je me reconnais plus en
tous cas ». C’est en cherchant un sens à son métier que Didier Ruiz est
venu aux pratiques participatives. Il continue parallèlement à faire du
théâtre avec des professionnels.
11
Les Passerelles du Théâtre du Grabuge
Être au contact de la parole de ces personnes, et « d’une présence
poétique » l’a décidée à être metteure en scène. Ainsi son
positionnement artistique est-il né d’une rencontre et de la volonté de
rendre compte de ce qui en ressortait.
Les Passerelles sont une programmation de rencontres artistiques en lien avec des lieux à
vocation sociale et culturelle sur un territoire donné. Ce sont des formes artistiques
ouvertes à la participation des habitants, conçues comme des étapes dans les créations de
la compagnie, des temps d’expérimentations artistiques au cœur de la ville et des réalités
sociales. Elles prennent la forme de lectures musicales et théâtrales, interprétées par les
participants à des ateliers et l’équipe du Théâtre du Grabuge.
Ligne de faille
Depuis décembre 2004, une équipe artistique réunie par le Bottom Théâtre arpente le pays
de Tulle, et plus particulièrement les communes de Lagraulière, Saint-Bonnet Avalouze et
Tulle. Des rencontres, individuelles ou collectives, ont permis aux artistes de tisser des
liens avec des habitants, d'ouvrir la parole, le regard, de confronter les perceptions.
Chaque artiste a disposé de sept semaines de présence sur le territoire et a produit des
objets artistiques, films, photographies, phonographies, textes... Un spectacle réunit toute
l'équipe et une manifestation rend compte de l'ensemble de la démarche et en rassemble
tous les acteurs.
Laurence Petit-Jouvet : « au départ c’est une proposition de
Claudie Le Bissonnais à Arcadi »
Laurence Petit-Jouvet est réalisatrice de documentaires. Dans le cadre
des ateliers d’éducation à l’image menés avec Passeurs d’Images,
Claudie Le Bissonnais a initié une collection de lettres filmées entre des
communautés de diasporas d’Île-de-France et les "gens au pays". L’idée
est ainsi venue de proposer à la cinéaste d’ajouter une pièce à cette
collection. Il s’agit d’un échange de lettres filmées entre des femmes
maliennes de Montreuil et des femmes au Mali. Ce travail a donné
naissance au film Correspondances.
Il apparaît qu’aucune des démarches exposées ne procède d’une volonté
d’engagement politique mais que les hasards des différents parcours ont
guidé ces artistes vers des pratiques impliquant des "non-professionnels "
et dont le sens s’est construit progressivement. Néanmoins, deux
éléments se retrouvent dans plusieurs de ces expériences : le hasard
d’une rencontre avec un ou plusieurs individus, la volonté de partager
des paroles surgies de ces rencontres.
Correspondances
Des femmes de la diaspora malienne vivant à Montreuil en Seine-Saint-Denis s'adressent,
dans une “lettre filmée” à une personne de leur choix, réelle ou imaginaire. Des femmes de
Bamako et de Kayes au Mali s'en inspirent ensuite librement, pour réaliser à leur tour leur
lettre “filmée”. Chacune était invitée à parler de son travail, chacune a saisi l'occasion
pour dire ce qui est important pour elle. Toutes ont participé aux étapes successives de la
fabrication de ces courts-métrages, dans le cadre d'ateliers de création audiovisuelle menés
en France et au Mali par Laurence Petit-Jouvet. Cette expérience a duré 3 ans.
Marie-Pierre Bésanger : « j’ai pensé que je ne pouvais pas être la
seule à recevoir ça ».
Marie-Pierre Bésanger a été comédienne et a mené un atelier-théâtre
avec des personnes handicapées mentales dans un Centre d’Aide par le
Travail. Ce qu’elle a vécu durant ces ateliers a fait naître chez elle le
désir de passer à la mise en scène. « Ce qui se passait dans le travail a
fait qu’à un moment j’ai pensé que je ne pouvais pas être la seule à
recevoir ça, et c’est comme ça que je suis venue à la mise en scène ».
12
2. Un enrichissement de leur pratique artistique
dirait [l’homme de théâtre Armand] Gatti : "Faire l’homme plus grand
que l’homme". C’est un peu ça la tension commune », précise MariePierre Bésanger.
Si les parcours et les motivations des artistes sont très différents, chacun
s’accorde sur le fait que ces expériences, pérennes ou ponctuelles,
apportent beaucoup à leur pratique artistique.
Il s’agit également, de fait, d’une régénération de sa discipline. Vincent
Bady, comédien, auteur et directeur du Nouveau Théâtre du 8e à Lyon
souligne la nécessité pour les artistes de se déposséder mais dans un sens
un peu différent :
Se déposséder pour acquérir plus de liberté dans le travail.
Le
déplacement
et
l’immersion
de
l’artiste
dans
des
environnements autres que ceux des mondes de l’art, permet, par le jeu
des rencontres humaines, de réveiller des éléments sensibles et de
régénérer ainsi la pratique artistique. Que ce soit un moyen pour l’artiste
d’être plus libre dans son processus de création, d’accéder plus
facilement à une forme de vérité ou que cela le pousse à repenser les
formes qu’il donne à son travail, les pratiques participatives sont de
véritable terreaux pour les artistes. Elles apportent plus de liberté dans
le travail.
« Il y a un besoin d’aller hybrider le théâtre ailleurs que là où
sont ses repères constitutifs depuis longtemps. [...] Cela me
paraît une nécessité vitale pour nous artistes et cela suppose
que l’on se dépossède un peu de nos canons.»
Porter un regard neuf sur son propre métier
Le travail avec des « non-professionnels » est aussi un moyen de
reconsidérer les professionnels. Avec Dale Recuerdos, Didier Ruiz a
changé et affiné son regard d’humain sur les autres êtres humains. Cela
lui permet de « se nettoyer les yeux pour revenir sur les acteurs, de les
regarder à nouveau. Cela permet une acuité », confie-t-il. Ce projet
participatif nourrit son travail plus "classique" en montrant une palette
plus riche de cette humanité qui est tellement difficile à percevoir. A
travers Dale Recuerdos, le metteur en scène recherche une spontanéité
et une force parfois difficile à retrouver chez des comédiens
professionnels qui travaillent à partir de textes. Cette spontanéité passe
bien souvent par l’improvisation, ce « mystère de la première fois ».
« Didier nous a interdit d’écrire. A chaque fois où l’on a raconté nos
souvenirs, nous avons brodé. Il fallait qu’à chaque fois, ce soit comme
un premier jet » nous raconte Annette Goldstein lors de la rencontre
menée à la Maison des Métallos en avril 2010. En somme, une expérience
participative décale le regard des praticiens et enrichit aussi le travail
mené avec des professionnels.
Pour Marie-Pierre Bésanger :
« L’acte poétique a quelque chose à voir avec la
dépossession. [...] Moi je ne me sens pas forcément très
bien dans les théâtres, en tous cas je ne peux pas y
commencer. [...] Pour entrer en art j’ai besoin d’être
débarrassée. Avec les personnes les plus démunies [...],
j’accède plus rapidement à quelque chose de la grâce, du
sensible, à quelque chose de plus immédiat. C’est-à-dire
qu’on est ensemble placés tout de suite à l’endroit qui est
le fondement de ce qui peut aller vers l’art. [...] C’est
d’un accès plus rapide à la vérité. »
Il est important de noter ici que le travail s’effectue "ensemble". Pour
que quelque chose de riche naisse de ce positionnement, il faut un
échange ; l’artiste ne doit être ni vampire, ni voyeur. « C’est aussi le
chemin que les gens nous font faire. [...] On voyage ensemble. Comme
13
Les limites de la mise en valeur des singularités dans la fabrique du commun
Sur cette question de la fabrique du commun, Vincent Bady s’interroge
sur l’intérêt d’un théâtre dans un quartier populaire : est-ce encore un
espace possible du commun ? Comment en faire un espace commun ?
Comment raconter encore des choses ensemble ? Ces questionnements et
le positionnement de ce directeur de théâtre qui mène des actions
participatives se posent en réaction à la formule d’Antoine Vitez, "l’art
élitaire pour tous". Il considère en effet qu’il faut la dépasser parce
qu’elle ne pose pas la question de savoir pourquoi il y a des gens qui ne
partagent pas aujourd’hui les espaces communs où l’on raconte des
histoires, d’où le sens des théâtres qui vont à la rencontre des personnes
habitant le quartier et qui ne sont pas des habitués de ces espaces.
3. Un positionnement artistique et personnel
Pour un artiste, il n’est pas toujours facile de faire reconnaître son
travail lorsqu’il s’inscrit dans une démarche participative. Il est souvent
dénigré ou considéré hors des cadres artistiques. Pourtant il s’agit pour
les artistes, que ce soit leur unique mode d’expression ou une forme
parmi d’autres, d’un véritable positionnement à la fois personnel et
artistique.
Trouver sa place en tant qu’homme et en tant qu’artiste
Didier Ruiz travaille depuis 10 ans sur Dale Recuerdos et si cette
expérience nourrit sa pratique artistique, elle lui donne aussi un sens qui
tient à la série. Cela rencontre son intérêt pour la notion de trace, de
souvenir. « Cela donne du sens à ma place d’artiste et d’homme dans le
monde ». Cette démarche participative forge une réflexion très
personnelle sur la place de chacun.
Cela
dit,
cette
construction
d’espaces communs
qui intègrent les
singularités a ses
limites.
Vincent
Bady
s’interroge
également sur le
fait de demander
aux
gens
de
raconter
leur
histoire :
«à
centrer
très
souvent
notre
travail de glanage sur des histoires passées ou sur les origines,
notamment sur les populations d’origine étrangère, est-ce que, loin de
constituer une chose commune, on ne les renvoie pas à leur statut
d’étranger ? » En effet, alors que l’enjeu est de construire un avenir
ensemble n’est-il pas stigmatisant pour ces personnes d’être sans cesse
renvoyées à leur passé et à leurs origines ?
La responsabilité artistique : la fabrique du commun
Lors de la rencontre organisée au WIP en mai 2010 autour d’Allons z’en
France du collectif DAJA, une personne du public avait souligné que le
« théâtre a perdu sa fonction citoyenne, l’agora dans laquelle on peut
débattre, cette dimension politique. Ce genre de projet renoue avec
l’origine du théâtre par nature politique.» Géraldine Bénichou revient
sur cette dimension politique du théâtre : « petit à petit j’ai découvert
ce que c’était au fond que ma responsabilité artistique. Je crois que ce
que j’aimais c’est le théâtre politique ». Petit à petit, son travail
prenait sens. En invitant les gens à raconter quelque chose de leur
singularité autour d’un mythe, d’une grande histoire, elle fait du théâtre
politique. En effet, la question qui se pose au travers de cette
expérience est celle du vivre ensemble : « comment aujourd’hui on se
raconte à peu près une même histoire, comment on vit dans le même
monde sans être dans un effacement de nos singularités ». Ce que
recherche Géraldine Bénichou c’est un « air théâtral [qui] continue à
inventer un commun, qui affirme des histoires communes et qui en
même temps donne une place à des singularités, à des différences. » En
ce sens, le travail effectué avec des "non-professionnels" positionne
l’artiste dans une démarche symbolique qui agit sur le "partage du
sensible", notion développée par Jacques Rancière.
14
manière de travailler avec ces femmes et avec les personnes choisies
pour ses films documentaires, à ceci près que pour ce film les femmes
sont co-auteures. Elles ont écrit leurs lettres. Le rôle de l’artiste a été,
au début, d’ouvrir « l’espace de l’imaginaire ». Le prétexte du travail a
permis de toucher à une grande intimité. Les femmes se sont
« emparées » de cette opportunité pour s’exprimer. Dans ce travail, il
est impossible de savoir à l’avance ce que sera le film. Pour Didier Ruiz
le fait de ne pas choisir les gens avec qui il travaille lui interdit d’être
dans une demande, il est nécessairement dans l’acceptation de ce qui va
advenir. Cependant il insiste sur le besoin d’avoir un cadre bien défini.
Cet aspect très "directif" du metteur en scène permet à la parole d’être
plus libre et permet aussi de construire une pièce cohérente. Dans un cas
comme dans l’autre, il faut se plier à une forme (pièce, film...) qui a ses
codes et ses contraintes tout en laissant ouvert l’espace d’expression.
II. Un travail à part
1. Faire "avec" ce qu’apportent les "non-professionnels"
La disponibilité apparaît être un élément central du travail avec des
"non-professionnels". Ne pas avoir d’attentes trop déterminées, laisser
émerger les possibles est une nécessité. Cette attitude ne facilite pas la
mise en place des projets sous les formats systématiques incluant
objectifs et moyens d’évaluation. Cette ouverture aux possibles peut
transformer l’idée que se faisait l’artiste du projet et constitue aussi
pour lui une contrainte dans le travail.
De la difficulté de fixer des objectifs
Lorsque l’on met en
place un projet, il
est convenu de
fixer des objectifs.
Dans
le
cas
d’expériences qui
réunissent
des
artistes
et
des
"nonprofessionnels"
pour travailler sur
du
sensible,
la
question se pose
d’autant
plus
qu’elle n’est pas
évidente. Éliane Hervé-Bazin, responsable de la Fondation Réunica,
souligne la tension qui existe souvent entre la valeur artistique de ces
travaux et leur valeur humaine et pose la question des objectifs de
l’artiste, même si l’imprévu contenu par essence dans ce type de projet
amène parfois à revoir les objectifs fixés initialement. Cette
interrogation n’a pas trouvé de réponse mais a permis de soulever la
difficulté d’un travail dans lequel l’artiste ne maîtrise pas tout. Pour
Laurence Petit-Jouvet, travailler avec des femmes sur Correspondances a
été plein de surprises. Il n’y avait pas tellement de différences entre la
Faire des choix parfois douloureux
Cette part d’inconnu est une contrainte pour l’artiste : « il a fallu que je
fasse avec ce qu’elles apportaient, contrairement à mes propres films où
il y a un grand repérage et où, en fonction de ce que je trouve, je
construis le film » précise Laurence Petit-Jouvet. D’autre part il a fallu
effectuer des choix, couper des lettres, des séquences. Malgré
l’implication de certaines femmes et l’intérêt que revêtaient leurs
lettres, leur travail ne sera pas montré. Il s’agit de décisions difficiles à
prendre pour l’artiste d’autant qu’il y a un enjeu humain très fort dans
ce type de pratique.
2. Donner de la valeur
Les co-auteures de Correspondances : de la dépossession à la satisfaction
Malgré les responsabilités de l’artiste vis-à-vis du film, l’implication des
femmes n’est pas sans conséquences sur la manière dont celle-ci
considère l’objet fini. Pour Laurence Petit-Jouvet il a été difficile de
l’apprécier comme elle apprécie ses autres films : « J’ai eu du mal à
trouver la distance avec cet objet, cela m’a fait souffrir [...], il y a des
moments où j’ai eu du mal à aimer le résultat ; ce n’était pas mon film
et en même temps c’était mon film donc c’était très difficile». Ne pas
être totalement maître de ce que l’on produit peut faire douter de la
15
qualité du travail accompli même si l’on s’était imposé de garder une
« exigence artistique ». C’est avec les retours des femmes et l’accueil
réservé au film par la communauté malienne que celui-ci a trouvé sa
place pour la réalisatrice : « Les femmes qui ont présenté le film à
l’avant-première ont dit des choses que, je pense, les personnages de
mes films n’auraient pas dites. Elles ont dit qu’elles s’étaient libérées,
autorisées à dire quelque chose et à se dire quelque chose qu’elles ne
s’étaient jamais dit ». Au sentiment de dépossession dont faisait part
Laurence Petit-Jouvet suit une forme de satisfaction due à l’apport qu’a
été cette expérience d’atelier pour les participantes : « je constate que
les femmes en sont très fières aujourd’hui ». C’est aussi par
l’importance qu’a le film pour les co-auteures, le fait qu’il y ait un avant
et un après, qu’il acquiert une valeur accrue pour elle : « une expérience
comme ça fait grandir ensemble, on en ressort tous différents ». Et
lorsqu’elle aborde la question de la diffusion de ce film, elle y inclut les
co-auteures qui, en tant que telles, participent au devenir du film.
De son côté, Géraldine Bénichou s’interroge sur ce que signifie
l’expression "exigence artistique". Pour la metteure en scène, dire que
l’on met la même exigence artistique dans un travail avec des "nonprofessionnels" est une manière de se défendre de quelque chose. Le
travail est totalement différent : « Je ne fais pas de sélection [...] je
donne des armes pour être au plus près de ce qu’ils sont sur le
plateau ». Lorsque Laurence Petit-Jouvet fait référence à l’exigence
artistique, elle précise : « il m’a semblé tout de suite indispensable de
maintenir un enjeu artistique à cette expérience, de réunir les moyens
économiques qui permettaient qu’à la fin on ait un vrai film. Cela m’a
pris 3 ans [...] donc effectivement cette expérience est très proche des
expériences avec mes films ».
La durée et les moyens semblent être des éléments qui participent de
l’exigence artistique et donc de la valeur qu’aura un objet artistique car
ils contribuent à la qualité de celui-ci en permettant un travail en
profondeur à la fois sur le relationnel, la création et la technique.
L’enjeu artistique s’adjoint à la notion d’ "exigence". Quel est l’enjeu
artistique ? Est-ce qu’il se situe au niveau de l’œuvre ou dans le
processus ?
Garder la même exigence artistique ?
Répondre à la question de la valeur d’un travail artistique mené avec des
"non-professionnels" est toujours difficile. Où place-t-on les exigences ?
Pour Miguel Borras, metteur en scène au Théâtre du Bout du Monde,
l’exigence est celle du parcours :
« Je veux que la personne aille plus loin que ce qu’elle a
fait la première fois. Je me situe toujours dans ce petit
interstice […]. A ce niveau-là c’est l’exigence du parcours.
Tout est dans l’interstice : quelle potentialité ? Où elle
peut aller ? L’important c’est la rigueur avec laquelle je
fais mon travail. Comme pour les comédiens avec qui on
travaille : les faire aller plus loin dans la connaissance de
soi, de l’artistique et dans le trou noir du "jusqu’où je
peux aller" ».
16
III. Processus vs œuvre
processus de fabrication, mais elle a une existence autonome ; elle
constitue un objet fini qui peut être présenté à un public.
Si l’on pose le fait que l’œuvre « est définie comme un produit fini qui
peut être possédé » comme l’explique Marc Le Glatin lors du troisième
débat des Rencontres (voir ci-après), il convient de s’interroger sur la
restitution d’expériences parfois menées sur plusieurs années et qui
n’ont pas nécessairement pour finalité de produire un objet. « Il peut y
avoir une vie artistique extrêmement riche qui n’a pas pour objectif de
réaliser des œuvres finies », souligne Marc Le Glatin. Finie ou en cours,
doit-on faire œuvre ? Et quelles implications cela a-t-il en termes de
publics ? Doit-on rendre compte de l’expérience vécue ? Et si oui,
comment ?
Évacuer l’œuvre, rendre compte du processus
L’essentiel étant le processus, certains préfèrent en rendre compte sans
produire d’objet fini. Patricia Perdrizet insiste sur ce point en
mentionnant certains spectacles de piètre qualité qui, selon elle,
desservaient le processus au lieu de rendre compte du travail important
qui avait été fourni :
« J’ai vu des pièces très mauvaises faites avec des sans
papiers ou des SDF, et au final ils sont contents d’être
allés jusqu’au bout […] mais heureusement que cela ne
tourne pas, ce n’est vraiment pas un avantage pour le
metteur en scène ni pour les personnes qui ont participé.
Mais tout le processus, la rencontre, les déplacements, la
considération de leur histoire, si ça a été coécrit avec eux
par exemple, c’est cela qui est passionnant. Il faut le faire
comprendre autrement ».
1. Quelle restitution ?
L’importance de construire un objet ensemble
Certains
artistes
construisent
leur
travail avec pour
objectif
de
présenter
un
"objet" à un public.
C’est le cas de
Géraldine Bénichou
pour
qui
la
représentation
permet un partage
plus
large
de
l’expérience avec
un
public.
Elle
souligne également la notion de « construction » commune. Le processus
est essentiel mais il faut que les gens construisent quelque chose
ensemble ; que du lien se crée entre leurs histoires. La représentation
est donc un objet sur lequel travailler ensemble avant de partager avec
d’autres cette expérience. L’œuvre est ici considérée en lien avec son
Pour Patricia Perdrizet, il ne s’agit pas de créer une œuvre, mais de
communiquer sur l’expérience vécue. Durant tout le processus, il faut
prendre des photos, faire des films ou encore avoir un graphisme de
qualité pour montrer ce qui a eu lieu. Elle insiste sur la nécessité que ces
différents éléments de communication soient de qualité de manière à
réellement valoriser l’expérience. Pour illustrer son propos, elle se
réfère au partenariat que son association a noué avec Arte radio et à la
différence qui est faite entre ce qui est diffusable (les créations des
réalisateurs) et ce qui ne l’est pas (les créations dans le cadre des
ateliers avec les jeunes). Les créations menées dans l’atelier ne seront
pas diffusées à la radio même si le travail a suffisamment d’intérêt pour
que l’on commande au réalisateur ayant travaillé avec les jeunes une
création personnelle autour de cet atelier.
17
Inscrire la rencontre dans l’œuvre
La relation à l’œuvre et l’intérêt qu’elle revêt dans ce type d’expérience
varie. En tant qu’écrivain, Bruno Allain insiste sur la rencontre qui est au
cœur de ce type de projets. Pour lui, l’intérêt est de présenter et
représenter la relation entre les êtres. Nous ne nous trouvons plus dans
un rapport à l’ego : « dans les résidences, ce qui est décrit dans les
textes est toujours la relation, que ce soit fictif ou documentaire ». « La
représentation n’est pas simplement pour du beau, cela pose toujours la
question d’où ça vient » souligne Marie-Pierre Bésanger. Cela décale la
relation au spectateur et pose la question de l’origine de l’œuvre, du
processus qui l’a fait naître. Pour Joëlle Naïm, plasticienne, le produit de
ce type de travail est « une relation, un être ensemble, un lieu
ensemble ».
participants au projet se font également relais. Il est important de
préciser que mobiliser différents publics qui ne sont généralement pas
des habitués des salles de cinéma, de spectacles ou des galeries et
musées représente un travail considérable et demande beaucoup
d’énergie pour parfois ne donner que de maigres résultats. Le revers
d’un tel travail ciblant le public non-habitué est l’absence d’un public
plus habitué aux salles de spectacles et non-concerné directement par le
projet. Une forte implication des habitants rend-elle le projet
incompréhensible pour un public plus large ? Chaque expérience étant
très particulière, il est difficile d’apporter une réponse à cette question.
On note néanmoins que souvent, un temps d’échange et de rencontre
accompagne la restitution afin que le projet soit apprécié dans sa
globalité.
Correspondances
pose la question
des destinataires
sous
un
autre
angle : doit-on ou
non faire parvenir
les
lettres
adressées dans le
film
à
leurs
destinataires
lorsqu’ils existent.
En
d’autres
termes, est-ce que
ce qui est produit
doit être révélé aux personnes qui ont motivé cette production ou au
contraire est-il plus pertinent que la production se détache de son auteur
pour devenir un objet universel, capable de toucher chacun d’entre
nous ? La démarche diffère selon que l’on se place dans une démarche ou
dans l’autre : d’un côté il y a un objet dépendant de son auteur et de son
histoire, de l’autre il y a une œuvre autonome et qui peut donc "tourner"
et être vue par tous. Pourtant certains exemples montrent que combiner
les publics est possible, ce dont témoigne Eric Chevance en mentionnant
le spectacle Bi-Portait Jean-Yves.
2. Quels publics ?
Il est difficile d’envisager une restitution sans s’intéresser aux publics
auxquels on la destine. A qui souhaite-t-on rendre compte de ces
expériences ? Quels en sont les publics ?
Quels destinataires ?
Qui souhaite-t-on toucher ? La question de la destination interroge
parfois. Dans la salle, on s’inquiète de voir tant de projets menés avec
des populations issues de l’immigration quand celles-ci viennent
rarement dans les lieux culturels et ne se déplacent pas toujours voir la
restitution de projets auxquels elles ont participé. Un certain nombre de
restitutions de projets se fait néanmoins devant des salles pleines de
familles, de proches, de voisins ou de membres de communautés
sollicités par des associations locales. Il y a tout un travail de relations
avec le public qui se construit spécifiquement autour de ceux
directement impliqués dans le projet. Tout tient à la relation établie
avec les différents acteurs locaux, les participants et plus généralement
les habitants. En effet, les associations qui ont pris part à l’aventure se
font souvent relais de l’information, ce qui permet de toucher différents
publics. Pour l’avant-première de Correspondances, à Montreuil, un tiers
de la salle était composé de Maliens et Maliennes, souligne Laurence
Petit-Jouvet. Ces moments de restitution sont organisés comme des
moments d’échanges conviviaux avec, par exemple, des repas. Les
18
Quelles attentes des publics ?
Eric Chevance, directeur du TNT à Bordeaux et président
d’Artfactories/Autre(s)pArts9 insiste sur le fait que chaque public trouve
ce qu’il vient chercher. Pour illustrer son propos il fait appel à une
expérience qu’il a vécue autour d’un projet de Mickael Phelippeau,
danseur et chorégraphe, qui, ayant rencontré le curé de Bègles, a décidé
de créer un spectacle avec lui, intitulé Bi-Portrait Jean-Yves. C’est la
rencontre entre les deux hommes qui est à l’origine de ce spectacle, et
non une envie particulière du danseur de travailler avec un curé. Ce
spectacle a été présenté au TNT en avril 2008.
réfléchi aux enjeux esthétiques d’un travail artistique mené avec un
amateur.
Cela laisse penser que la diffusion de ces restitutions est tout à fait
envisageable. Bien entendu, tout dépend de la forme qu’ils prennent.
Chaque expérience est très singulière et si certains, comme Catherine
Regula, font tourner les spectacles s’ils trouvent acheteurs, d’autres
n’envisagent pas de les déraciner du contexte de création. Il est
intéressant de noter qu’Internet s’avère être un outil efficace pour
rendre compte de ces projets et générer ensuite des désirs de
programmation. Au-delà de cette question de la diffusion, il reste celle
du suivi des projets : comment faire en sorte que les questions qui ont
été générées dans les publics continuent d’être interrogées ?
« Chacun est venu pour des raisons différentes. Il y avait
les spectateurs habitués de notre établissement qui sont
venus voir un spectacle de danse […] et puis il y a aussi nos
voisins, des gens de Bègles, qui ne sont pas venus voir un
spectacle de danse mais qui sont venus voir leur curé […].
Ils ont vu leur curé dans un contexte très différent, parfois
même choquant. Ils se sont rendu compte que leur curé
était aussi un homme, avec un corps, avec une sensualité,
qui pouvait avoir un discours, une parole déconnectée de
celle qu’ils ont l’habitude d’entendre. […] »
Ici le public vient par curiosité, mais il est amené à décaler le regard
qu’il porte sur un homme, peut-être même sur une fonction, puisque
Jean-Yves en était déconnecté dans ce spectacle, participant non en tant
que curé, mais en tant que personne. La plupart de ces gens ne reviendra
pas au théâtre, là n’est pas l’enjeu. « Ce qui est important c’est ce que
cela a provoqué chez eux, sur le regard qu’ils portent sur quelqu’un
qu’ils pensaient connaître et qu’ils ne connaissaient pas ». Les débats
suscités par ces expériences sont également passionnants. Dans ce cas
précis, beaucoup de questions se sont posées sur la place du curé :
devait-il être là ? Devait-il montrer autre chose que ce que son
institution lui demande ? Finalement, les motivations des spectateurs
sont différentes ainsi que les questionnements qui s’ensuivent. Si
certains ont réfléchi à la fonction de curé, d’autres ont peut-être
9
Artfactories/Autre(s)pARTs est une plateforme internationale de ressources pour les lieux
d’art et de culture citoyens. Depuis 2002, elle défend de nouvelles approches artistiques
d’appropriation par des populations, qui participent d’un développement culturel local et
durable en portant et diffusant à travers l’art des valeurs éducatives et coopératives.
19
VERS UNE TRANSFORMATION DES MODES DE PRODUCTION ARTISTIQUES ET CULTURELS ?
► INTERVENANTS :
projet monté, il est souvent impossible de le diffuser, voire de le
"rentabiliser" par des tournées, parce que les participants sont amateurs
et que ce travail ne constitue pas leur activité principale. Cependant,
selon Philippe Henry, ce verrou économique n’est que la conséquence de
deux autres verrous : l’un organisationnel, l’autre idéologique.
Philippe HENRY : maître de conférences en études théâtrales à l’université Paris 8 – SaintDenis.
Eric CHEVANCE : directeur du TNT de Bordeaux et délégué général d’ARTfactories /
Autre(s)pARTs
Eliane HERVE-BAZIN : responsable de la Fondation Réunica
Samir KHEBIZI : directeur de l’association de médiation artistique Les Têtes de l’Art
François LORIN : responsable des relations avec le public aux Rencontres chorégraphiques
internationales de Seine-Saint-Denis
Anne MINOT : anciennement responsable du bureau des pratiques artistiques amateurs au
sein du Ministère de la Culture
- Un enjeu de construction identitaire personnelle.
« Sur le plan idéologique, ces formes non canoniques se heurtent à une
conception dominante de l’art développée dans la deuxième moitié du
20e siècle, dans laquelle la convention d’originalité » est mise en avant.
Cette convention est liée à l’impératif de la professionnalisation. Enfin,
s’ajoute à cela la question de l’excellence artistique. Se libérer de ce
référentiel
idéologique
dont
nous avons hérité
constitue
une
réelle
difficulté.
« Dans l’évolution
de nos sociétés,
c’est désormais à
chacun
d’entre
nous qu’est enjoint
de construire sa
propre singularité
et
sa
propre
originalité ». Selon
Philippe Henry, pour que ces nouvelles pratiques artistiques acquièrent
leurs lettres de noblesse, elles ne peuvent continuer à s’appuyer sur ce
triptyque idéologique.
Ces projets sont le plus souvent interculturels, transversaux et d’une
grande richesse, mais ils rencontrent de nombreuses difficultés dans leur
développement : l’émergence d’une parole habituellement peu sollicitée
et souvent fragilisée, ainsi que le travail avec des professionnels qui ne
viennent pas du monde culturel, impliquent un temps de production
beaucoup plus long que pour des projets classiques. De plus, une fois le
Elles doivent en effet s’en détacher pour passer à un référentiel
idéologique fondé sur la convention d’identité, dans laquelle le parcours
de chacun est valorisé. Cette nouvelle convention repose sur une
conception hétérodoxe de l’art, qui suppose que celui-ci soit questionné
au regard des préoccupations sociales, économiques et territoriales.
Extraits diffusés : 1’36 (2 jours pour apprendre le solo de Thierry Thieu Niang), projet
réalisé dans le cadre de Lieu Commun, à travers des ateliers avec des personnes âgées
menés par Thierry Thieu Niang et Jean-Pierre Moulères.
Avant-Première, action menée au Théâtre du Gymnase de Marseille, par la Compagnie
Souffle (Bruno Deleu) et l’association Les Têtes de l’Art, avec des enfants. Voir la vidéo.
Dans son introduction au débat, Philippe Henry souligne combien le
contexte économique et politique conditionne la production et la mise en
œuvre des projets artistiques participatifs. Selon lui, « ces formes "moins
canoniques" de l’art sont les héritières des formes actives de l’éducation
populaire et visent à renouveler les mises en interaction entre des
artistes professionnels et des populations locales. » Il ne faut pas
s’étonner que ces pratiques soient en nombre croissant car, dans un
monde en pleine mutation, elles relèvent d’un triple enjeu :
- Un enjeu d’expérience artistique
- Un enjeu de sociabilité
20
Philippe Henry soutient également que le manque de valorisation de ces
projets par les pouvoirs publics, voire même par une partie des
professionnels de la culture, a une conséquence à la fois sur le soutien
financier qu’on leur accorde et sur leur organisation :
la base de l’idéal d’une relation plus symétrique entre professionnels et
non-professionnels de l’art. Il met donc l’action culturelle au cœur
même du processus artistique et non comme un complément à une
œuvre artistique préalablement produite.
« Sur le plan [financier], nous héritons d’un système conçu
dans une sorte de duo entre l’initiative privée d’un côté et
l’initiative publique de l’autre, qui a laissé beaucoup
moins de place à un troisième type d’économie qui serait
une économie d’initiative privée mais à but autre que
lucratif […]. Or tant que nous ne serons pas sortis de cette
vision binaire […], les pratiques participatives et
interactives n’auront pas un espace suffisant pour se
déployer. »
Notre rôle à chacun est donc d’affirmer l’importance de ce deuxième
pilier et ces nouvelles démarches y participent. Cependant, tant qu’elles
resteront l’accumulation d’expériences singulières, il n’y aura pas
d’évolution. Philippe Henry insiste sur la nécessité de mettre en commun
les démarches, de les valoriser et de construire ensemble un
argumentaire commun relevant les enjeux artistiques, sociaux, culturels
et économiques de ce genre de projets.
Enfin, sur le plan organisationnel, « il y a de réelles difficultés à mettre
en place ces dispositifs de coopération entre [différents] acteurs
sociaux ». A chaque fois, la question de l’interculturalité se pose car la
culture des artistes professionnels n’est pas la même que la culture
d’autres acteurs, et plus il y a de partenaires, plus ces projets croisent
de cultures. Or, « c’est dans cette confrontation, dans cette interculturalité, dans cet échange […] entre plusieurs identités que se génère
le meilleur de ces pratiques ». Cela exige d’autres compétences que l’on
ne demandait pas encore aux artistes de la fin du 20e siècle. Se pose ainsi
la question de la formation des artistes à ces formes moins canoniques.
Après avoir exposé ces difficultés, Philippe Henry plaide pour que le
« développement culturel de l’art » ne soit plus appuyé sur un seul pilier
mais sur un double pilier :
- Le premier pilier prolonge l’héritage de notre passé. Dans le spectacle
vivant, il donne la priorité à l’œuvre textuelle mise en scène par des
professionnels, même si toute une série d’actions d’accompagnement, de
médiation culturelle et de sensibilisation est également mise en place.
Ce pilier reste aujourd’hui largement dominant.
- Le deuxième pilier, encore oublié par les artistes eux-mêmes et par les
pouvoirs politiques, se développe quant à lui sur la base d’une
confrontation et d’un croisement permanent entre la culture des
professionnels de l’art et « la culture d’autres mondes sociaux, d’autres
territoires, d’autres individualités ». Ce pilier se construit également sur
21
pour autant. L’important est surtout que s’établisse une vraie
connaissance mutuelle entre ceux-ci ».
I. La question du partenariat ou comment
travailler ensemble ?
Pour Éric Chevance, c’est cette question de la confiance et du respect
qui est au centre du partenariat. Il souligne à ce sujet que contrairement
à ce que l’on pourrait penser, le milieu artistique n’est pas plus tolérant
que d’autres milieux.
1. Parler la même langue
Les
projets
participatifs
impliquent
souvent
une
certaine
interdisciplinarité et demandent par conséquent des compétences
plurielles. Mais travailler avec des partenaires issus de milieux très
différents n’est pas toujours aisé : les formations, les démarches et
parfois même les objectifs peuvent différer d’un partenaire à l’autre.
Pour Éric Chevance, la première chose à faire avant de commencer un tel
projet
est
« d’apprendre
à
parler la même
langue »
car
« chacun ne met
pas nécessairement
les
mêmes
significations
derrière les mêmes
mots ».
Or
comment faire du
commun avec un
langage différent ?
En effet, comme le souligne Florence Eliakim, anciennement directrice
adjointe d’une MJC à Asnières, « le mépris des "cultureux" envers le
socioculturel, et particulièrement envers les maisons de quartier, est
encore très prégnant ». Ainsi, la charte culture/éducation populaire,
lancée en 1999 par Catherine Trautmann (alors ministre de la culture), a
malheureusement été une expérience de courte durée et l’éducation
populaire a vite été reléguée à une position très subalterne, avec la
complicité de la majorité des professionnels de la culture qui se sont
beaucoup défendus de "faire du socioculturel". Or il serait très
dommageable que ces pratiques artistiques participatives, à la croisée du
champ culturel et du champ social, soient considérées uniquement
comme un terrain d’expériences et par conséquent enfermées dans une
sous-catégorie artificielle et nécessairement réductrice, faisant des arts
participatifs et interactifs une discipline spécifique : « ces expériences
sont intéressantes parce qu’elles promettent quelque chose de nouveau
[pour l’art] », comme le souligne un participant au débat.
Ménager un temps de rencontres en amont du projet semble nécessaire.
Sur cette question, Anne Minot se dit favorable aux « formations
conjointes » et elle explique, évoquant un projet de danse qui s’est
déroulé au sein d’une école, que cela permet à chacun d’apprivoiser le
« jargon » de l’autre, ce qui contribue à une meilleure compréhension
par le danseur des enjeux pédagogiques et par l’enseignant des enjeux
artistiques. Par ailleurs, cette formation a permis également qu’une
confiance mutuelle s’établisse entre les différents partenaires. Un
glissement qualitatif s’effectue alors dans le cadre même du projet et le
renforce. Selon Éliane Hervé-Bazin, « ce n’est pas au nombre de
partenaires qu’on juge la valeur d’un projet. Certains projets
comptaient de nombreux partenaires mais ne fonctionnaient pas mieux
22
2. Partager les mêmes objectifs... sans perdre sa
spécificité d'artiste ?
Que ce soit des partenaires financiers ou des partenaires de terrain, les
objectifs et motivations de chacun diffèrent nécessairement. En effet,
un théâtre a pour mission de produire et de diffuser des œuvres
artistiques, un enseignant de transmettre des connaissances à ses élèves,
une entreprise de produire de la richesse économique et peut-être de
renforcer la cohésion entre ses salariés et le même projet peut répondre
à ces multiples objectifs.
Anne Minot apporte néanmoins une nuance : selon elle, les partenaires
financiers peuvent avoir des objectifs différents, mais les partenaires sur
le terrain doivent trouver un ou plusieurs objectifs communs pour que le
projet puisse fonctionner.
Mon corps, mon lieu – Thierry Thieu Niang et les Rencontres chorégraphiques
internationales de Seine-Saint-Denis
Depuis quatre ans, Mon corps, mon lieu propose à des habitants d'un même territoire de
poursuivre une "exploration corporelle commune de leur ville". En 2009-2010, ce projet
d'action artistique s’est déroulé dans deux quartiers de Stains : le clos Saint-Lazare et la
cité-jardin. Avec 25 élèves de maternelle, 25 élèves de Terminale comptabilité et des
seniors, le chorégraphe Thierry Thieu Niang a exploré le "vivre ensemble", les liens
intergénérationnels et le partage d'un lieu d'habitation dans une perspective créatrice. Ce
projet a été mené dans le cadre des Rencontres chorégraphiques internationales de SeineSaint-Denis.
Mais s’accorder sur des objectifs communs nécessite certains compromis.
Or c’est sans doute là que réside toute la difficulté pour un artiste :
comment monter des projets artistiques participatifs sans pour autant
perdre sa spécificité d’artiste au milieu des objectifs pédagogiques ou
sociaux qu’ont pu se fixer les autres partenaires ? Dans la salle,
quelqu’un nuance les propos de Philippe Henry sur les compétences
multiples que doivent acquérir les artistes pour mener ce type de projet
et souligne ainsi l’importance de la reconnaissance du statut d’artiste en
tant que tel. Lors de ces projets, celui-ci peut facilement être assimilé à
un enseignant ou un animateur ; or la compétence artistique doit être
reconnue en tant que telle, comme le sont les compétences
pédagogiques et d’animation. Un artiste n’est pas non plus un médiateur
entre des populations ou entre des corps de métier. Cela sous-entend
que les artistes peuvent avoir besoin de médiateurs, des maisons des
jeunes et de la culture et d’autres relais éducatifs et sociaux qui
connaissent bien mieux le territoire ou les populations.
Pour éviter ces confusions, Éric Chevance précise bien que ces projets
participatifs sont nécessairement « des projets de production [artistique]
et non des ateliers. Le rôle des artistes reste avant tout de produire des
œuvres. Si par ailleurs celles-ci créent du lien social, c’est parfait, mais
cela ne sera en aucun cas l’objectif principal ».
23
Politique de la ville, tantôt pour des projets élitistes et "cultureux" pour
avoir des sous de la Culture. »
II. L’économie de ces projets
Face à cette précarité, Philippe Henry note que « les artistes se
spécialisent rarement uniquement dans ce type de projets mais alternent
également avec des projets plus classiques. Si on peut expliquer ce
phénomène par des choix personnels artistiques et esthétiques, la raison
est peut-être également à chercher du côté économique. » Les seuls
financements pérennes proposés par le Ministère de la Culture aux
compagnies (aide à la structuration, conventionnement) ne sont pas
conçus dans l’objectif d’aider des artistes qui mettent au cœur de leurs
projets à la fois des enjeux artistiques et des enjeux sociaux.
1. Des projets transversaux
La question du financement de ces projets a souvent été évoquée lors de
ces deux jours de rencontres. En effet, les œuvres participatives et
interactives s’inscrivent très souvent dans une logique transversale tant
au niveau des disciplines qu’au niveau des secteurs professionnels.
Difficile alors de rentrer dans les "cases" souvent très réductrices des
dispositifs de financement publics et privés.
Philippe Henry dresse un tableau « peu optimiste mais réaliste » de la
situation économique de ces projets et identifie plusieurs financements
possibles. Ceux-ci n’ont cependant pas été créés explicitement pour ce
type d’initiatives mais ont permis de façon résiduelle de remédier à
l’absence de financement spécifique.
2. Des projets risqués et longs
Ainsi, les faibles possibilités de financement de ces projets artistiques
rendent leur situation relativement précaire. Or, « cette précarité est
d’autant plus dommageable que ces pratiques ne peuvent se développer
qu’à partir d’un maillage relationnel et organisationnel important qui
implique du temps. La durée de mise en œuvre de ces projets est en
effet beaucoup plus longue que pour les autres formes plus classiques »,
ajoute Philippe Henry.
« Sur le plan économique, de grandes difficultés se posent,
les aides du ministère de la culture restant extrêmement
modestes au profit de ces pratiques ; les aides publiques
en provenance des collectivités courent toujours le risque
d’être indexées à des enjeux éducatifs, sociaux ou urbains
tandis que les enjeux directement artistiques, et la
question esthétique, sont occultés. D’autre part, les
financements « Politiques de la ville », utilisés à la marge
par les porteurs de ces projets participatifs ont apporté
une relative liberté d’action même si la valorisation
symbolique de ces projets n’a pas suivi. Or, ces
financements sont en train d’être réduits drastiquement.
Enfin, du côté du Ministère de l’Éducation où là aussi, des
marges d’action pouvaient être dégagées pour ce type de
projets, on observe une tendance à ré-internaliser certains
dispositifs au sein même du ministère […]. »
En effet, trouver
des
personnesrelais, établir une
relation
de
confiance entre les
partenaires et les
participants
et,
plus généralement,
travailler avec des
amateurs, suppose
de s’adapter aux
rythmes de chacun.
Selon Éliane HervéBazin,
cette
Florence Eliakim souligne également que l’absence de financement
spécifique pérenne conduit les structures à « camoufler les projets pour
les faire passer tantôt pour des projets sociaux pour avoir des sous de la
24
temporalité plus longue entraîne également « de plus gros risques pour
les porteurs de projets comme pour les financeurs. Pour ce type de
projet, la gestion du risque est capitale et des solutions de repli doivent
absolument être trouvées ».
Les exemples de projets participatifs s’inscrivant sur le long terme
semblent primer autour de la table. Par exemple, le projet de Thierry
Thieu Niang développé dans le cadre des Rencontres chorégraphiques
internationales de Seine-Saint-Denis s’échelonne tout au long de l’année
scolaire. Pour François Lorin, le chargé de développement des
Rencontres, « le temps mis en œuvre en amont du projet est capital. Il
va poser les bases d’une compréhension réciproque entre ces retraités et
ces jeunes qui se rencontrent finalement pour la première fois ici alors
même qu’ils vivent côte-à-côte tout le reste de l’année. Pour l’artiste,
prendre le temps, c’est aussi et surtout croiser la question des
territoires et des corps ».
Ces projets fondés sur le long terme impliquent évidemment un risque
non négligeable d’abandon ou de désengagement de la part des
amateurs. François Lorin ajoute que le porteur de projet doit
nécessairement garder à l’esprit que le risque d’échec est grand, que le
projet peut se révéler artistiquement pauvre ou ne pas se réaliser du
tout.
La Fondation Réunica
Dotée d’un capital initial de 1,5 millions d’euros, la Fondation Réunica est née en 2002,
sous l’égide de la Fondation de France. Elle soutient des projets culturels dont l’objectif
est de venir en aide aux personnes touchées par la maladie ou le handicap. Les projets sont
sélectionnés par des spécialistes du monde médical et de la sphère culturelle française. Les
actions retenues doivent être utiles et fortes d'une solide implication locale. Par la qualité
artistique et l'originalité, la Fondation Réunica contribue à faire évoluer le regard sur le
monde de la maladie et du handicap. Elle apporte un financement notamment au festival
Futur Composé auquel participent des jeunes autistes.
On le voit, la faible reconnaissance de ces démarches par les pouvoirs
publics rend très délicate la mise en place de projets pérennes et
ambitieux. Cependant, certains financeurs privés ont pris conscience de
l’importance de ces démarches. Ainsi la fondation Réunica encourage-telle des projets mettant en œuvre des pratiques culturelles et artistiques
au bénéfice de personnes touchées par la maladie ou le handicap en
privilégiant le lien entre amateurs et artistes professionnels. En portant
son exigence sur ce dernier aspect, Éliane Hervé-Bazin espère apporter
une « valeur ajoutée » à ces projets.
25
impliquent donc de faire appel à des partenaires
connaissant parfaitement le territoire et les personnes
impliquées dans ce projet. Le fait que ces projets
s’inscrivent dans de longues durées amène à penser qu’il
vaut mieux travailler dans un système d’équipes associées
sur plusieurs années [par exemple en] résidences longues.
[D’autre part,] pour que ces équipes puissent trouver des
organisations partenaires sur les territoires et résoudre
des problèmes de production auxquels elles n’avaient
jamais été confrontées auparavant, peut-être doivent-elles
se tourner vers des agences de production mutualisées
mais là encore, la mise en commun et le travail mutualisé
est indispensable. »
III. Face aux difficultés, quels dispositifs sont à
réinventer pour valoriser ces projets ?
1. Médiation et organisation :
Il a été dit de nombreuses fois que ces pratiques imposent aux artistes de
développer de nouvelles compétences qu’ils ne possédaient pas
nécessairement. Seuls des "artistes complets" comme les nomme Anne
Minot peuvent porter de telles démarches. Or, ces derniers sont
rarement formés à travailler avec des non-professionnels. La formation
en amont d’un projet reste capitale pour venir à bout de la démarche.
Cependant, l’implication de médiateurs peut apporter une solution. Ces
derniers tissent des
liens entres les
artistes
et
les
autres partenaires.
Samir
Khebizi,
directeur fondateur
de l’association Les
Têtes
de
l’Art,
souligne
ainsi
l’importance
du
médiateur :
c’est
lui qui pose les
objectifs de chacun
et qui, dans le cas
de projets avec des scolaires par exemple, fait en sorte que les objectifs
pédagogiques ne prennent pas le pas sur les objectifs artistiques et
inversement. Il est en quelque sorte le garant du maintien de l’équilibre
du partenariat.
L’organisation en structures plus construites permettrait notamment aux
différents porteurs de projet de se rendre plus visibles et d’être plus
reconnus par les pouvoirs publics et leurs pairs. Une réflexion sur les
indicateurs d’évaluation semble absolument nécessaire, afin de s’appuyer
sur des données tangibles pour se valoriser.
Les Têtes de l'Art
Fondée en 1996, les Têtes de l’Art, association de médiation artistique, est spécialisée dans
l’ingénierie et l’accompagnement de projets artistiques participatifs. Les Têtes de l’Art
(TDA) est une association interface, d’appui technique au montage de projets culturels
participatifs. L’objet de l’association est de rendre l’art accessible à tous, d’être des
« déclencheurs d’arts » en intervenant dans le montage de projets artistiques. L’association
crée des passerelles entre un réseau pluridisciplinaire d’artistes et des porteurs de projets
collectifs (dans les secteurs de l’éducation, la formation, la prévention, l’insertion, la
santé, etc.). Elle accompagne les porteurs de projet à le concevoir – écriture,
formalisation,… – puis intervient dans la mise en œuvre, la valorisation et l’évaluation des
actions ainsi montées.
Ces pratiques par nature transversales, risquées et inscrites dans la durée
imposent aux artistes d'inventer de nouveaux dispositifs de travail.
Philippe Henry propose deux pistes différentes :
« Ces pratiques non canoniques font partie des pratiques
les plus risquées parmi les pratiques artistiques. Elles
26
En outre, créer une dynamique de réseaux pourrait s’avérer utile pour le
partage des connaissances qui entoure ces démarches. A travers
l’expérience du réseau ARTfactories / Autre(s)pART qu’il dirige, Éric
Chevance, explique l’intérêt et le mode de fonctionnement de ces
réseaux.
2. La mutualisation des expériences, les réseaux
Sans pour autant répertorier et mettre par écrit les « bonnes pratiques »
comme le précise Samir Khebizi, une troisième voie est indispensable
pour le développement de ces actions : « capitaliser ce qui relève du
modélisable ».
« Á ARTfactories, nous souhaitons aborder les modalités de
travail dans le cadre de projets participatifs et interactifs.
Nous organisons ainsi régulièrement, entre les structures
membres, des ateliers de travail autour de différentes
thématiques précises. Nous exposons un cas particulier de
façon très détaillée afin de le problématiser et de soulever
les difficultés ou les réussites pouvant être communes à
d’autres projets. Cette réflexion est ensuite rendue
publique sur le site du réseau ».
Ainsi, si chaque expérience reste singulière, certains éléments sont
récurrents à tous les projets participatifs et interactifs. François Lorin
souligne que les expériences participatives qui ont échoué ou qui ne sont
pas parvenues aux objectifs visés peuvent être tout aussi instructives que
les autres. Elles permettent de mettre en perspective des expériences et
de repérer ce qui a pu dysfonctionner.
Transmettre ces expériences pourrait constituer un premier pas vers la
structuration d’un discours commun pour mettre en valeur et reconnaître
enfin ces pratiques.
3. Des nouvelles formes de diffusion et de
médiatisation
Philippe Henry explique ainsi :
« On pourrait également reprendre et actualiser un projet
évoqué dans les « Propositions pour préparer l’avenir du
spectacle vivant » de septembre 2004 qui a bien sûr été
oublié depuis, celui d’un contrat pluriannuel d’action
artistique évoqué pour "traiter spécifiquement des équipes
artistiques qui interviennent régulièrement sur le champ
social". […] Cette convention devrait avant toute chose
porter des enjeux artistiques ET culturels qui ne sont pas
nécessairement les mêmes. Cette convention devrait aussi
être interministérielle et ne pas rester enfermée au sein
du Ministère de la Culture. […] Il serait indispensable
qu’une cellule nationale de veille d’étude de conseils et
d’impulsion
interministérielle
soit
consacrée aux
démarches participatives et interactives. Cette cellule
devrait être en lien avec les collectivités territoriales».
La valorisation de ces projets passe également par une meilleure
diffusion et par une
médiatisation
auprès du public.
Or,
pour
les
expériences
impliquant
des
amateurs, plusieurs
questions se posent
inévitablement sur
les modalités de
diffusion : Y a-t-il
des
lieux
de
diffusion
spécialisés dans ces
projets et peut-on les présenter de la même façon que les œuvres plus
classiques ? De la même manière que la production croise les champs
27
salles prévues pour cela, il est indispensable que la
rencontre entre les auteurs du film participatif et le
public ait lieu. »
artistiques et sociaux, la diffusion a-t-elle lieu indifféremment dans des
lieux artistiques et dans des MJC ?
Pour Éric Chevance, il convient de bien distinguer la question de la
présentation et celle de la circulation car c'est finalement celle-ci qui est
la plus problématique. Ainsi, « lorsque l'on travaille avec des amateurs
sur le plateau, le spectacle ne peut que très difficilement tourner car
ceux-ci ont bien évidement d'autres activités. Ce qui circule dans ces
projets, ce sont les modalités et les protocoles de travail, soit par
conséquent, des choses immatérielles ». Ainsi selon Philippe Henry, lors
de la diffusion de ces démarches artistiques, « l'œuvre disparait au
profit du processus ».
Pour Samir Khebizi, cette question rencontre celle de la capitalisation :
Il est intéressant de constater que même pour un support
cinématographique, dans un projet participatif, le passage par une
rencontre vivante entre les amateurs et leur public est maintenu et
considéré comme élément central du projet.
Une question importante se pose
rémunération et le statut des
développé puisqu’il soulève la
professionnel non plus du point
champ légal et contractuel.
« Les Têtes de l’Art étant une structure pérenne, il y a une
vraie mutualisation des contacts établis sur le territoire
qui nous permettent d’envisager, même si on ne les a pas
encore assez travaillées de notre côté, des formes de
diffusion alternatives et complémentaires aux formes de
diffusion traditionnelles. Quand ces connexions sont faites
avec d’autres structures sur un projet, on arrive à
construire un circuit de diffusion pour d’autres projets, à
partir du moment où on est dans une démarche de
rassemblement et de capitalisation ; et ce n’est pas
seulement un circuit alternatif, mais bien aussi
complémentaire car la confrontation de ces travaux-là au
sein des institutions traditionnelles est importante et il ne
faut pas la négliger. »
Pour ce qui est d’Internet comme possible canal de diffusion alternatif
des œuvres participatives, Claudie Le Bissonnais, responsable du
programme Passeurs d’images au sein d’Arcadi réagit vivement :
« Je considère que ces films participatifs souffrent […]
d’être "balancés" sur Internet et que précisément les
conditions de restitution de ces films sont encore à
imaginer, à réfléchir à l’aune de leurs conditions de
production. […] De la même façon que le cinéma "art et
essai" existe encore grâce aux débats organisés dans des
28
également qui n’a pas été évoquée : la
amateurs. Ce point mériterait d’être
question de la frontière amateur /
de vue des compétences, mais sur le
UNE REPONSE A DES ENJEUX SOCIOCULTURELS ?
► INTERVENANTS
Afin de mieux souligner les questions politiques que sous-tendent les arts
et la culture, Marc Le Glatin est revenu sur l’invention du théâtre et de
la démocratie avant d’élargir sur le contexte actuel et les enjeux qu’ils
supposent :
Patricia PERDRIZET : directrice de l’association Un sourire de toi et j’quitte ma mère
Frédérique KABA : directrice du territoire Emmaüs du 10e arrondissement de Paris, elle
travaille avec le Théâtre du Bout du Monde sur des projets participatifs.
Catherine REGULA : comédienne et fondatrice du Théâtre du Kariofole au sein de la MJC de
Ris Orangis, elle travaille à une forme de théâtre ouvert à une culture de proximité.
Thomas CEPITELLI : chargé de cours en médiation culturelle à l’université Paris III
(Sorbonne-Nouvelle), il est responsable du développement au Théâtre de l’Opprimé.
Marc LE GLATIN : comédien, metteur en scène et directeur du Théâtre de Chelles – scène
conventionnée, chargé de cours à l’Institut d’études européennes de Paris 8.
« C’est au Ve siècle avant Jésus-Christ que sont inventés en
même temps la démocratie et le théâtre. Ce n’est pas un
hasard ; le théâtre est le lieu de mise en représentation
des problématiques de la cité, qu’il s’agisse des problèmes
d’identité, des problèmes de pouvoir, des problèmes liés
aux relations amoureuses [...]. Et lorsque le théâtre
revient à la forme qui avait été inventée en Grèce au Ve
siècle avant Jésus-Christ, c’est à dire à la Renaissance en
Europe, un certain Shakespeare donne pour nom à son
théâtre le Théâtre du Globe, à nouveau “lieu de
représentation du monde”. [...] Par essence l’art revêt
invariablement une dimension politique. [...] le processus
de création artistique lui-même se situe au point
d’intersection entre une subjectivité qui s’exprime, celle
de l’artiste ou d’un groupe d’artistes [...] et la
communauté ou la collectivité à laquelle s’adresse cette
personne ou ces personnes. C’est ce point d’intersectionlà, à l’origine du processus de création, qui est la
définition même du politique. »
Lecture de Marie-Pierre Bésanger de textes écrits par des jeunes suivis par la Protection
Judiciaire de la Jeunesse du Service Territorial Educatif et d’Insertion de Paris, édités dans
l’ouvrage Rien n’est perdu, Ed Actualis (textes coordonnés par Frédéric Roussel).
Extrait diffusé : Vidéo Derrière les murs, la mer : projet théâtre de la Maison des Jeunes et
de la Culture de Ris Orangis.
Avec l’introduction des nouvelles technologies, nos modes d’interaction
et de participation, que ce soit dans des cercles fermés ou dans l’espace
public, se sont modifiés. La transmission du savoir ne se fait plus
seulement sur un mode vertical (des experts aux apprenants), comme
cela a longtemps été le cas : les pratiques artistiques interactives et
participatives qui se développent fortement aujourd’hui, encouragent la
participation de tous à la vie de la cité, non seulement dans une
démarche artistique individuelle, mais aussi à plus grande échelle et dans
une optique collective. Aujourd’hui, le désengagement politique des
citoyens que l’on peut constater par l’abstentionnisme récurrent lors des
élections par exemple, pourrait être contrebalancé par une plus grande
implication au débat public via des canaux non normés. Mais cette
participation demeure encore relativement confidentielle quand la
démocratie appelle à une implication de chaque citoyen. La discussion
autour des enjeux sociopolitiques qui s’est tenue lors de ces Rencontres
a donné lieu à des réflexions sur les liens entre art et politique et les
apports de ces pratiques à la vie collective.
Comme le politique, l’art concilie des subjectivités individuelles,
chargées de désirs, avec la nécessité de vivre en commun. D’autre part,
le travail artistique, jouant sur les modes de représentation, travaille à
faire bouger les structures qui régissent notre représentation du monde.
Ce travail est aujourd’hui plus que jamais nécessaire selon Marc Le
Glatin :
29
l’arrivée d’Internet a généré une accélération dans l’évolution de ces
conceptions.
« Quand on rentre dans la période qui est la nôtre où
l’économie immatérielle prend l’importance qu’elle prend
et où la matière première devient les signes, il est évident
que la question de la culture et de l’art doit ou plutôt
devrait être au cœur des problématiques politiques. On
est tout à fait conscients que nos représentants sousestiment la portée de cela mais [...] tout ce qui ressort de
la culture au sens le plus large du terme est placé au cœur
des enjeux politiques ».
« Avec l’arrivée d’Internet on sort quand même en bonne
partie de cette verticalité. Cela est dû à l’architecture
d’Internet. La communication sur Internet n’est pas une
communication du un vers tous mais une communication du
tous vers tous. Internet n’a pas de centre, c’est une espèce
de bulle au centre de laquelle il y a des connexions.
L’intelligence est toujours placée à la périphérie, derrière
l’écran de l’ordinateur, c’est-à-dire dans la boite
crânienne de la personne qui est derrière son écran. Cette
communication du tous vers tous est effectivement très
ennuyeuse pour les industries culturelles car elle permet
une médiation culturelle qui échappe aux verticalités
énoncées précédemment. On a à ce moment-là un trouble
qui
est
introduit
anthropologiquement
dans
le
fonctionnement qui avait précédé ».
Le contexte actuel est aussi celui d’un développement des technologies
et avec elles des moyens de surveillance. Marc Le Glatin insiste sur la
menace que cela fait planer sur la démocratie et souligne la nécessité de
mener ce qu’il appelle « la bataille symbolique » avec les différents
acteurs que sont les artistes, les travailleurs sociaux, les structures
éducatives, etc. Cette bataille symbolique se mène notamment contre un
système de transmission d’un savoir
et de savoir-faire vertical, du haut
vers le bas, du un vers le tous. Dans
l’industrie culturelle, cette verticalité
est omniprésente et fonctionne selon
les principes du marketing : une
œuvre créée est diffusée vers le
public
via
les
techniques
de
communication de masse. Dans la
théorie
de
la
démocratisation
culturelle,
cette
verticalité
se
retrouve également. Les politiques
publiques de l’art et de la culture
soutiennent certaines créations via
des
dispositifs
d’expertise
et
favorisent ensuite leur diffusion ou
l’accès des publics à ces œuvres.
Dans les deux cas, nous sommes en
présence d’une offre, même si les
finalités sont différentes. Pour Marc
Le Glatin l’un des problèmes principaux est la difficulté que rencontrent
beaucoup de professionnels à appréhender le rapport à l’œuvre
autrement que comme rapport à l’offre. Il souligne néanmoins que
Internet apporte la possibilité de produire des contenus (images, sons,
articles, etc.) que l’on peut diffuser en même temps que nous
partageons ce que l’on aime et recevons ce que d’autres souhaitent nous
faire parvenir. Il est ainsi à la fois possible d’être émetteur et récepteur.
Si certains s’interrogent sur le fait qu’être actif sur Internet ait des
conséquences néfastes sur la participation des internautes à la vie
sociale, Marc Le Glatin est plutôt optimiste. Pour lui, cette relation
individuelle à l’écran, bien que l’on soit connecté à des réseaux à travers
le monde, ne peut qu’avoir des conséquences sur la volonté d’implication
à l’échelle locale. Internet serait un accélérateur de cette tendance qui
se lit par l’augmentation des personnes pratiquant des activités en
amateur mais aussi par le fait que les lieux de proximité et notamment
ceux dédiés aux musiques actuelles rassemblent un public nombreux. Il y
a donc un réel désir et un enjeu très fort que les représentants politiques
tardent à prendre en compte.
Face à ce besoin accru de participer, d’être plus impliqué localement,
les démarches participatives et interactives se multiplient et l’on est en
droit de se demander à quoi elles contribuent d’un point de vue social et
politique.
30
différents corps de métiers issus de divers milieux. L’idée ici est d’ouvrir
des perspectives en présentant des réalités multiples, plus ou moins
proches de celles de ces jeunes.
Ce travail que l’on pourrait qualifier "d’interculturel" permet une
ouverture réelle sur d’autres possibles et une évolution dans les modes
de représentation qui fonctionne dans les deux sens ; les jeunes
apprennent à connaître d’autres réalités et les personnes qu’ils
rencontrent réajustent la représentation qu’ils se font de ces jeunes. Les
jeux de rencontres ont néanmoins des limites : des stéréotypes peuvent
également avoir cours au sein même des équipes qui initient et mènent
ces projets.
I. Contre une segmentation des personnes et des
compétences ?
1. Provoquer des rencontres pour faire bouger les
lignes de la représentation
En plaçant la notion de "rencontre" au cœur de leurs démarches,
beaucoup de porteurs de projets interactifs et participatifs contribuent à
transformer les représentations que l’on se fait de "l’autre".
Radio 10
Travailler à déplacer
Ce point apparaît central quelle que soit la discipline. Patricia Perdrizet
insiste sur la nécessité de provoquer ces rencontres pour amener chacun
à sortir des représentations stéréotypées :
Née en 2008, Radio 10 est un atelier de création sonore sur la thématique du travail à
destination de jeunes du quartier de Belleville à Paris (10e). Il est produit par l'association
"Un sourire de toi et j'quitte ma mère" (dont Patricia Perdrizet est la directrice) et mené
par Mehdi Ahoudig (réalisateur son), Anna Salzberg (journaliste) et Mathilde Guermonprez
(réalisatrice son). L'équipe des jeunes de Radio 10 se compose de Sidya Faty, Abdel Saada,
Simbaye Sylla, Milad Chouanine, Teddy Foly. Radio 10 favorise le déplacement à la fois
physique et symbolique. Les jeunes sont amenés à interviewer des personnes de cultures et
milieux sociaux différents autour de la thématique du travail. ARTE Radio est partenaire du
projet.
« Il y a d’abord tout un stade de rencontres à mettre en
place ; l’objet artistique permet, à partir de ces
rencontres, de décloisonner les genres […], de changer le
regard des jeunes sur le monde extérieur où ils pensent ne
pas avoir de place, changer le regard du monde extérieur
sur eux et changer le regard qu’ils portent sur eux-mêmes.
Il y a beaucoup de peurs, beaucoup de jugements hâtifs,
de racisme, d’homophobie».
Une mixité nécessaire mais difficile à mettre en place
La notion de mixité est également beaucoup évoquée. Il est important
que
ces
expériences
artistiques mêlent
des participants de
milieux,
d’âges
et/ou de cultures
différentes.
Frédérique Kaba et
Patricia Perdrizet
insistent
toutes
deux sur ce point.
L’association
Un
sourire de toi et
j’quitte ma mère a
La notion de déplacement est très importante ici. Qu’il soit symbolique
ou physique, le déplacement génère la remise en cause des
représentations. Patricia Perdrizet raconte notamment comment le fait
d’avoir travaillé avec une jeune étudiante chinoise a fait évoluer la
représentation que les jeunes participants de son atelier radio se
faisaient de la communauté chinoise. Ce changement de regard, si
minime puisse-t-il être, est notamment passé par une modification de
vocabulaire à l’encontre de la jeune femme.
Par ailleurs, dans le cadre des ateliers radiophoniques menés sur le
thème du travail avec ces mêmes jeunes de Belleville, Patricia Perdrizet
a fait en sorte que les participants rencontrent des professionnels de
31
stéréotypes des acteurs impliqués dans les projets ou les moyens donnés
à ces actions.
par exemple associé à certains ateliers menés avec les jeunes de
Belleville des élèves issus de différentes écoles d’art. Au sein d’Emmaüs,
un projet nommé « l’avenir c’est possible » associe de jeunes
polytechniciens aux travailleurs sociaux et aux personnes fragilisées.
Frédérique Kaba souligne que les ateliers sont mixtes, ce qui implique
souvent que les acteurs rusent avec les cadres rigides et segmentés des
financements, publics notamment, pour que leurs dossiers soient
recevables. Il s’agit d’une difficulté mentionnée par nombre de porteurs
de projets. Pour être financées, ces initiatives doivent bénéficier à
certaines catégories de la population : 13-18 ans, personnes des quartiers
prioritaires, personnes handicapées, etc. Pourtant, de plus en plus de
projets rassemblent différentes personnes ; ils dépassent les tranches
d’âges, les zones géographiques et les catégories sociales définies par les
institutions. Cela amène les équipes porteuses de ces projets à biaiser
pour qu’ils soient recevables au regard de ces institutions.
Derrière les murs, la mer
Projet mené par la MJC Ris Orangis sous l’impulsion de Max Leguem, son directeur, Derrière
les murs, la mer se construit autour de la rencontre de jeunes Israéliens et de jeunes
Rissois. Ces jeunes se sont rencontrés quatre fois pour échanger et travailler ensemble avec
Catherine Regula, metteur en scène attachée à la MJC, à ce spectacle en quatre langues
(hébreu, arabe, français et anglais) mariant théâtre et danse contemporaine. Ce projet est
né de la volonté de lutter contre les préjugés antisémites qui ont cours en France et
avaient donné lieu à des inscriptions « Mort aux juifs et vive Ben Laden » sur le mur du
centre aéré de Torcy, ville de la banlieue parisienne où Max Leguem était, en 2003,
directeur de la MJC. Ce projet se poursuit actuellement.
2. Mettre en complémentarité pour faire bouger les
lignes dans le travail
Un travail de longue haleine
Par ailleurs, la question de la temporalité se pose constamment.
Combien de temps nécessite un projet qui travaille sur les
représentations ?
Travailler ensemble
Associant des professionnels de différents secteurs, beaucoup de projets
de co-création invitent à une mise en complémentarité qui redéfinit les
spécificités de chaque métier. Philippe Guérin du Théâtre du Bout du
Monde parle du partenariat comme d’un fondamental : « C’est dans la
complémentarité qu’on apporte des réponses [...], chaque métier a ses
spécificités, et on a intérêt à créer des passerelles entre nous tous. »
En effet, comme le soulève Catherine Regula, ce type d’initiatives peut
impliquer des compétences autres que simplement artistiques.
Apprendre à travailler ensemble c’est aussi apprendre à se comporter en
groupe, à respecter un certain nombre d’engagements et de règles.
« Il ne faudrait surtout pas croire que le simple fait de
s’exprimer fasse changer d’avis, souligne Catherine
Regula. On parlait d’homophobie, c’est un sujet sur lequel
on a travaillé parce que les jeunes voulaient le faire, mais
je ne vous dis pas le temps que cela prend. Ce qu’il ne faut
surtout pas oublier c’est que l’on parle de
transformation ; il faut évaluer le temps que cela prend,
et si l’on n’arrive pas à développer des actions pérennes,
c’est mort ; on n’est pas dans le magique, on n’est pas
dans l’instantané. »
Le double travail d’éducation artistique et d’éducation "civique" (comme
le comportement de chacun dans un groupe) est très long et les différents
acteurs se heurtent souvent à des difficultés de financement au long cours
et de développement de partenariats pérennes.
Ainsi, si beaucoup d’initiatives s’inscrivent dans une volonté de rompre
avec les stéréotypes, notamment par les rencontres qu’elles provoquent,
elles se confrontent à de nombreuses difficultés, que ce soit les
« Moi je travaille main dans la main avec des éducateurs
[…]. L’artiste et l’éducateur, pour moi, dans ce contexte,
sont indissociables parce qu’il y a la personne en tant
qu’acteur qui va évoluer dans une œuvre artistique et il y
a la personne en tant que citoyen et là il y a un vrai travail
à faire ».
32
émerger de la parole donc d’avoir fait émerger de la
souffrance certainement aussi, en tous cas d’avoir fait
émerger de l’émotion, de la sensibilité, de la prise de
risque, en disant après "merci beaucoup ça fait tant
d’euros et puis nous on s’en va". On monte ces projets
vraiment en collaboration avec des éducateurs, des
travailleurs sociaux, des psychothérapeutes. »
Catherine Regula n’hésite pas ici à employer le terme d’ "éducation". Au
contraire, parlant du théâtre-forum, Thomas Cepitelli, insiste sur la
séparation
du
travail d’éducation
et
du
travail
artistique
en
soulignant
l’importance
de
s’inscrire, en tant
qu’artistes, dans un
cadre défini par les
partenaires. Il faut
qu’il y ait réelle
collaboration pour
que
ce
qui
adviendra durant le
théâtre-forum soit préparé mais aussi retravaillé ensuite. Si les
problèmes abordés par le théâtre-forum peuvent être les mêmes dans un
collège de zone prioritaire et dans un lycée privé par exemple, les
ressorts étant différents, le travail ne sera pas le même. Pour que le
théâtre-forum soit réellement efficace, il faut qu’il y ait eu un travail en
amont avec les équipes de la structure qui accueille le théâtre-forum. De
même, une fois que le forum a eu lieu, il faut que cette même équipe
poursuive la démarche entamée. L’artiste apporte une plus-value
artistique et non "éducative" :
Théâtre de l’Opprimé
Hérité d'Augusto Boal, le théâtre de l’opprimé (théâtre-forum) est une méthode créée en
Amérique Latine dans les années 1970. Dans le contexte brésilien de l’époque, Augusto Boal
souhaitait faire du théâtre une arme qui fasse émerger la parole des opprimés. « Ce que
propose le théâtre de l'opprimé, c'est l'action même : le spectateur ne délègue aucun
pouvoir au personnage, ni pour qu'il joue ni pour qu'il pense à sa place. » Ainsi est-il invité
à venir incarner un personnage sur scène afin d’essayer de résoudre une situation critique
qui lui est soumise. Cette méthode est aujourd’hui encore beaucoup utilisée pour
sensibiliser et mobiliser sur des questions comme l’homophobie, les violences conjugales, la
discrimination, le VIH, mais aussi le développement durable, le travail le dimanche etc. Le
théâtre-forum n’a pas de répertoire ; les scènes présentées s’adaptent aux situations pour
lesquelles on crée le forum.
Il existe de nombreuses compagnies qui travaillent sur cet héritage de manière différente.
La compagnie du Théâtre de l’Opprimé en est une. Le Théâtre de l’Opprimé est aussi le
lieu où cette compagnie travaille (Paris 12e).
Proposer et s’affirmer dans des environnements parfois réticents
Inscrire les projets artistiques au sein d’institutions sociales, médicales
ou pédagogiques n’est pas facile. Les différents porteurs de projet se
heurtent aux réticences de corps de métiers qui ne placent pas la culture
et les arts comme un fondamental et ne l’envisagent pas non plus comme
un outil qui peut être utile et complémentaire à leur travail. Dans le cas
d’Emmaüs, cela fait quatre ans que des ateliers de pratique artistique
ont été mis en place avec le Théâtre du Bout du Monde.
«Si on veut la participation la plus juste possible, la seule
chose à faire c’est de la préparer et donc d’aller à la
rencontre de l’institution, collège, Région, Point
d’information jeunesse, qui nous passe commande. [...]
Nous on hésite à employer le mot d’éducation [...]. On
n’est pas enseignant, on n’est pas éducateurs, on n’est pas
travailleurs sociaux, nous sommes des artistes donc on ne
se substitue pas à ça. [...] On ne mène ces ateliers ou on
ne donne ces forums que lorsqu’on est sûr qu’il y a un
cadre derrière, suffisamment important pour pouvoir
emmener ces gens ailleurs. [...] Quand on travaille sur des
sujets très sensibles on ne peut pas se permettre de venir
dire "on va faire un forum de deux heures", d’avoir fait
« Emmaüs a décidé de faire des pratiques artistiques un
droit fondamental au même titre que la santé, que le
logement ou que le travail par exemple. C’est un travail
de longue haleine parce que ce n’est pas un travail
habituel avec les pouvoirs publics qui financent. [...] C’est
difficile de faire entendre aux financeurs que cela fait
partie des droits fondamentaux, sociaux. [...] »
33
est évident que cette mise en complémentarité des différents acteurs
n’amène pas uniquement les acteurs sociaux à repenser leur travail mais
qu’il implique aussi une remise en question, par les artistes et opérateurs
culturels, de leurs pratiques.
Il est toujours difficile de rompre avec une segmentation du travail et les
représentations qui entourent les mondes de l’art. Ce sont des personnes
qui, au sein d’institutions, portent ces projets et les valorisent dans des
cadres institutionnels souvent rigides, en particulier lorsqu’il s’agit des
pouvoirs publics. Au sein d’Emmaüs, Hélène Tulucq a par exemple été un
important moteur. Aujourd’hui le centre d’accueil Louvel Tessier a pour
projet de se développer en proposant des espaces d’accueil,
d’hébergement, d’art.
En somme, ces projets hybrides tant dans leur définition que dans leur
mise en œuvre doivent contribuer à mettre en complémentarité des
compétences et à valoriser des outils qui enrichissent les savoir-faire des
différents professionnels pour mieux servir les différents objectifs qu’ils
se sont fixés.
Repenser la manière d’aborder son métier
Introduire l’art et la culture dans les droits fondamentaux de l’individu
permet de repenser le travail social. La tradition française construit la
rencontre du travailleur social et de l’usager (comme le nomme la loi de
2002) dans un mode individuel, souvent via un guichet. La mise en œuvre
d’ateliers de pratiques artistiques s’inscrit dans une volonté de renouer
avec un temps de parole non lié au travail social. Cela permet, comme le
mentionne Frédérique Kaba « de remettre de la créativité et faire
bouger les lignes du travail social ». Pour elle, il s’agit d’une démarche
très riche car elle contribue à passer d’une pratique sociale qu’elle
qualifie
de
« duelle » à une
« pratique
du
travail
social
communautaire,
collective, où à un
moment donné la
contribution de la
personne,
[...]
devient
une
contribution
proactive qui fait
bouger la ligne de
ce qu’on estime
être la personne intégrée ou pas intégrée, de ce qu’on estime être la
personne qui est dans le droit social ou qui n’y est pas ». Les personnes
issues de la rue, les "grands cassés", n’ont que rarement l’occasion de
s’exprimer au travers de pratiques artistiques, or ce mode d’expression,
parce qu’il diffère des autres qui leurs sont donnés dans les cadres
institutionnels notamment, contribuent au mieux-être des personnes. Il
L’Association Emmaüs
Créée en mars 1954 par l’abbé Pierre, l’association Emmaüs intervient dans le domaine de
l’hébergement, de l’accompagnement social, et du logement d’insertion des personnes
sans-abri. Les 5 équipes de maraude, les 30 centres d’hébergement et les 12 espaces
d’accueil aident régulièrement 5 000 personnes en France. Les personnes accueillies sont
au cœur du projet associatif, solidaire et laïc. Leur implication et leur expression sont
favorisées afin qu’elles puissent conquérir leur autonomie et être elles-mêmes actrices de
leur avenir.
L’accès à la vie culturelle est ainsi considéré comme l’un des droits
fondamentaux. Au sein de la Direction des Interventions Sociales et
Solidaires (DISS), la mission Culture a pour but de rendre le culturel
comme outil de remobilisation des personnes en situation de précarité,
grâce à la remise en activité et à la révélation des talents et des
compétences, pour faire de la culture un tremplin pour l’insertion
personnelle et professionnelle.
3. Travailler avec des personnes fragilisées pour
révéler des compétences
Rompre la temporalité des institutions
Il est souvent malaisé de justifier le travail mené avec des personnes
dont les parcours de vie ont été particulièrement difficiles. Beaucoup
arguent que les priorités sont ailleurs. Pour Frédérique Kaba, un des
points importants de ces ateliers artistiques se situe dans le fait qu’ils
placent leurs participants dans une logique temporelle différente. En
effet, ces pratiques ne s’inscrivent ni dans la temporalité du travail
social, ni dans celle des institutions. Or « le temps des personnes ayant
34
vécu dans la rue n’est ni celui des financeurs ni celui de la société en
général », souligne Frédérique Kaba, puisqu’il se redécoupe selon des
urgences différentes des nôtres.
II. Une préparation à la participation citoyenne ?
Nous l’avons mentionné, avec l’arrivée et le développement rapide des
nouveaux outils technologiques, la question de la démocratie se pose
plus que jamais. D’un côté, chaque citoyen est de plus en plus actif et
désireux de plus participer et de l’autre, les moyens de surveillance se
développent et sont de plus en plus présents au quotidien. A ce
contexte, Marc Le Glatin voit deux issues possibles : une pessimiste, qui
serait le glissement vers une société totalitaire, une optimiste qui serait
fondée sur une participation accrue de chacun et qui romprait avec la
verticalité pour adopter le mode tous vers tous d’Internet. Face à cette
alternative on peut se demander si les pratiques participatives et
interactives constituent un nouveau moyen de se sentir actif dans la
société et de préparer une société où chacun participe plus activement.
« Mettre en œuvre avec une troupe de théâtre un atelier
artistique, c’est ouvrir la possibilité du travail social et la
question de l’évolution au temps de celui qui est dans
l’atelier, première chose. Deuxième chose, c’est aussi
redécouvrir, découvrir, mettre en œuvre des compétences
de la personne, en dehors de la relation duelle avec le
travailleur social [...]. C’est aussi parce qu’il y a des
allers- retours avec le travailleur social, avec l’institution
qu’il y a quelque chose qui se construit pour la personne et
qu’il y a quelque chose qui se révèle, qui se réveille et qui
évolue. [...] C’est compliqué pour le financeur que le
temps qu’on lui propose ne soit pas le temps de
l’institution qui répond à des exigences calibrées et
légalisées par des textes de loi, mais celui de quelque
chose de l’ordre effectivement de la création, qui n’est
pas LA création, mais qui est un espace de création et de
révélation de compétences. C’est parce qu’il va y avoir de
la compétence qui va se révéler que l’énergie va être là à
nouveau, que la possibilité à s’exprimer, à avoir un avis
est à nouveau présente ou naît, et que l’on peut aussi
faire collectif, faire corps et exprimer ce que l’on
souhaite, ce que l’on veut et comment on le souhaite ».
1. Préparer la participation citoyenne ?
Maîtriser différents outils d’expression
Les ateliers de pratique artistique ou les projets participatifs constituent
des moyens pour les participants d’acquérir la maîtrise de certains outils
d’expression. Marc Le Glatin mentionne notamment les ateliers
d’écriture qui permettent une réappropriation du langage, ce qui
constitue le préalable de la réappropriation du politique. Donner des
outils c’est également permettre, à terme, une participation de qualité à
la vie publique. La maîtrise par chacun de différents outils d’expression
prépare une participation plus large et notamment dans la vie de la cité.
En se plaçant sur un autre rapport et dans un cadre différent, les
pratiques artistiques offrent un espace d’autres possibles. Cette
ouverture n’est néanmoins pertinente en termes de développement de la
personne que si des échanges réguliers sont opérés avec les différents
travailleurs sociaux. Permettre de s’exprimer et d’échapper aux
structures normées ne suffit pas ; travailler à redonner confiance et
énergie à des personnes fragilisées doit s’accompagner d’un travail
d’insertion ou de réinsertion. Cette complémentarité dans le travail est
importante mais se heurte à la question de la gestion du temps et des
partenariats, chacun fonctionnant avec des temporalités et des objectifs
différents.
« La participation se prépare, dans quelque domaine que
ce soit, [...]. Cela se prépare précisément par des ateliers
de pratique et cela peut se préparer à l’école, dans les
centres sociaux ou dans tous les lieux que l’on connaît »,
insiste Marc Le Glatin.
En somme, il s’agit d’acquérir un esprit critique et des moyens
d’expressions qui pourront être réinvestis, au quotidien, dans la vie
publique.
35
Prendre du recul et penser le vivre ensemble
Pour Catherine Regula, il faut bien préciser le sens que prend le terme
« politique ». Il est difficile de faire entendre que si les personnes qui
s’investissent dans ces projets acquièrent un sens politique, ils ne vont
pas nécessairement adhérer à un parti et s’investir par les voies
classiques dans la vie de la cité. Il s’agit d’une éducation citoyenne qui
passe en premier lieu par apprendre à se comporter au sein d’un groupe,
à travailler à plusieurs. Parallèlement, par les thèmes évoqués et la mise
à distance vis-à-vis des problématiques traitées, chacun est amené à
réfléchir sur des questions qui le préoccupent et à développer ainsi son
esprit critique. L’intérêt de toute activité artistique réside dans la
capacité à transposer les problématiques, à offrir un regard et une mise
en forme singuliers qui décalent le regard des personnes « de sorte que
ça accélère les mutations à l’intérieur des esprits », pointe Marc Le
Glatin. Ce mode d’exposition des problématiques est par ailleurs
complémentaire des travaux didactiques. A travers la transposition, ces
pratiques permettent notamment une mise à distance :
situation qu’eux il y a quelque temps. Cela les met en position de
travailleurs, rémunérés, face à des problématiques de décrochage
scolaire et autres difficultés auxquelles eux-mêmes ont été confrontés.
En somme les ateliers de pratique artistique ou les projets participatifs
constituent un outil qui permet d’avoir une meilleure prise sur les
questions de société et plus de confiance dans ses capacités. La difficulté
demeure dans la gestion de ces initiatives à valeur éducative. La
verticalité dont parle Marc Le Glatin est encore dominante dans les
modes de relation. Il est nécessaire de maintenir un rapport ouvert aux
personnes participantes.
2.
Quid de la préparation à la gestion participative
des biens communs
Contre une verticalité dans la gestion de lieux culturels
La question de la verticalité et de l’implication des participants se pose
également en termes de gestion d’équipements. En effet, les lieux
culturels sont administrés de manière verticale et ne semblent pas
toujours ouverts à
une gestion plus
communautaire.
Des membres du
Comité
des
Métallos rappellent
le projet de la
Maison des savoirs
et des cultures de
l’Est
parisien,
devenue la Maison
des Métallos, et qui
était fondée sur
l’idée
qu’un
équipement public doit être géré collectivement et non dirigé par des
directions nommées par des élus. Ils s’interrogent : la participation à des
projets artistiques ainsi qu’à des ateliers de pratique ne devrait-elle pas
être conjointe à la participation à la gestion du lieu ? En effet, si l’on
« La transposition oblige à ne pas regarder le monde en
ayant le nez collé dessus. Cela oblige, à travers un atelier
d’écriture par exemple, à mettre les gens qui participent à
l’atelier dans une relation distanciée par rapport à une
question, à les obliger à avoir un regard de mise à distance
et donc un regard critique sur le monde. Tout ce à quoi
participent les gens dans des ateliers de pratique
artistique concourt justement à la préparation du
scénario, qui n’est peut-être pas le plus probable mais
auquel nous devons croire, qui est le scénario optimiste
offert par internet ».
Responsabiliser
Ces pratiques sont aussi un moyen de responsabiliser certaines
personnes. Même si, pour les jeunes avec lesquels Patricia Perdrizet
travaille, il est difficile de s’engager, il est important de créer des cadres
qui leur permettent de se responsabiliser. Dans le cas d’Un sourire de toi
et j’quitte ma mère, certains anciens des ateliers sont rémunérés pour
encadrer les plus jeunes. Ils se trouvent ainsi responsables du
comportement de leurs cadets, lesquels se trouvent dans la même
36
L’équilibre des différentes forces et la transversalité semblent être les
meilleurs ressorts. Les pratiques participatives et les ateliers, s’ils se
développent beaucoup aujourd’hui, continuent souvent à être considérés
comme des projets à part dans les lieux culturels. Repenser ces lieux et
leurs systèmes de gestion permettrait peut-être d’inventer de nouveaux
modes de participation plus globaux.
parle de citoyenneté et de démocratie il faut aussi se demander
comment s’invente la démocratie dans les lieux culturels : « Où est
l’urne qui permettrait de s’exprimer ? Où sont les budgets participatifs
qui permettraient de s’initier à la gestion d’un lieu ? » Il n’est par
exemple jamais demandé de voter sur les orientations, de
fonctionnement notamment, d’un équipement culturel.
La stratégie de l’oblique
Face à ces interrogations, Marc Le Glatin fait appel à la notion de
« stratégie oblique », l’oblique résultant du croisement de deux forces,
l’une verticale et l’autre horizontale. On l’a dit, les modes de
transmission qui ont toujours prévalus sont verticaux. Internet ouvre
d’autres voies, plus horizontales, sans normes, mais « pour que le
participatif gagne en qualité il faut aussi que les gens qui participent sur
Internet aient la possibilité de maîtriser quelques repères. C’est à dire
qu’à un moment donné il faut aussi de la verticalité ». Ce problème
rejoint la question qui se pose de l’articulation entre la démocratie
participative et la démocratie représentative. Si elles sont
complémentaires, Marc Le Glatin souligne néanmoins les difficultés qui
se posent lorsqu’on laisse à la société civile la possibilité d’occuper les
espaces publics. La première est celle, dans un système qui introduit le
vote, de bien respecter ceux que l’on représente. La seconde est celle,
dans un système participatif, de voir la parole accaparée par ceux qui
sont plus à l’aise et qui s’expriment plus facilement, occupant ainsi des
espaces que d’autres n’ont pas l’audace d’occuper.
« Par conséquent, quand je parle de stratégie oblique c’est
qu’il y a nécessité d’avoir des espaces de discussion libre
comme celui que nous avons [...], même si le lieu, parce
qu’il est subventionné et qu’il ne pourrait pas vivre sans,
reçoit des subventions selon des modalités verticales et
que l’articulation est à travailler, je n’en disconviens pas.
Il n’y a pas d’opposition entre la verticale et l’horizontale,
il faut travailler sur les stratégies obliques. »
37
ET APRÈS ?
► INTERVENANTS
I. Des impacts qualitatifs très forts, à la fois
individuels et collectifs
Danièle BELLINI : directrice des affaires culturelles de la ville de Champigny-sur-Marne
(94).
Jean-Pierre CHRETIEN-GONI : metteur en scène et directeur du lieu interdisciplinaire Le
Vent se Lève !,
Annette GOLDSTEIN : participante de Dale Recuerdos XXI (je pense à vous), mis en scène
par Didier Ruiz à la Maison des Métallos en avril 2010
Nathalie JOYEUX : réalisatrice de films documentaires
Pascal RICO : ancien participant-amateur à des ateliers de théâtre aujourd’hui acteur et
animateur d’ateliers au sein du Théâtre du Bout du Monde
Gilles ROLAND-MANUEL : directeur d’un Institut Médico-Educatif et président de
l'association du Futur Composé
1. Reconstruire des vies
Pour Pascal Rico, acteur et formateur au Théâtre du Bout du Monde à
Nanterre, participer à un projet artistique participatif a tout simplement
changé sa vie. En 1998, il passe de la rue, sans emploi ni logement,
toxicomane et délinquant, au Centre d’Accueil et de Soins Hospitaliers
(CASH) de Nanterre, qui a la particularité d’avoir un centre
d’hébergement et de réinsertion sociale, unique en France. En attendant
le renouvellement de ses papiers et dossiers administratifs, sa "référente
sociale" lui propose d’aller faire un tour à l’atelier-théâtre mené par
Philippe Guérin du Théâtre du Bout du Monde : « Il m’a donné le plaisir
de goûter au théâtre, de façon très progressive et très mesurée au
départ ». Après trois années de participation en amateur aux ateliers du
CASH, le Théâtre du Bout du Monde lui a proposé quelques contrats
intermittents, puis un contrat de travail permanent pour animer plusieurs
ateliers-théâtre, avec des enfants et des adultes, comme celui mené au
CASH de Nanterre. Cela lui fait dire aujourd’hui :
Extraits diffusés :
Parures pour dames de Nathalie Joyeux
captation du spectacle Le Songe d’une nuit de mai avec Pascal Rico.
Tout au long de ces rencontres, les différents intervenants ont plusieurs
fois souligné l’importance d’envisager ce qui n’est pas à proprement
parler le projet participatif et sa partie visible, mais ce qui l’entoure et
ses implications futures. Pour eux, le manque de reconnaissance de ces
démarches par les pouvoirs publics tient aussi aux difficultés rencontrées
pour les évaluer.
Comment en effet appréhender, quantifier et témoigner des impacts
invisibles des projets sur les participants amateurs comme sur les artistes
qui les portent ? Comment prouver aux financeurs que l’argent donné a
été « utile », que le projet a apporté une plus-value aux bénéficiaires,
souvent dans une situation fragile ? Pourtant, l’accumulation des
expériences permettent aux porteurs de projets d’affirmer que malgré
les difficultés rencontrées, les impacts qualitatifs sont extrêmement
importants, à la fois sur les individus et sur les groupes.
« La pratique des activités artistiques et culturelles a
constitué pour moi un moteur dans mon processus de
réinsertion sociale et dans mon parcours de reconstruction
intérieure, tant intellectuelle que sociale. »
Il souligne ainsi « l’importance d’une prise de conscience par les pouvoirs
publics : c’est incontournable et ça doit être soutenu, tant de façon
financière que de toutes les autres manières possibles. »
Une participante a également tenu à témoigner : après un licenciement
difficile, elle a eu « un mal fou à retourner à la vie active » et « s’est
beaucoup libérée grâce au théâtre ». Actuellement en recherche-action
au conservatoire national des arts et métiers (CNAM), elle s’interroge sur
38
le métier d’art-thérapeute, peu reconnu en France, qui intervient
souvent en milieu médicalisé où l’évaluation est plus courante. Comment
font-ils pour évaluer les impacts de l’art-thérapie ? Peut-être est-ce une
piste à explorer pour déterminer des critères d’évaluation propres à
l’activité artistique, sans se laisser enfermer par les critères trop
quantitatifs des pouvoirs publics.
spectaculaires. Ce serait idiot de dire que le théâtre les soigne ou que le
journalisme les guérit. […]
Mais au-delà du soin aux jeunes autistes, Gilles Roland-Manuel a
beaucoup souligné l’apport de ces projets aux soignants, aux
accompagnants en termes de partage et de meilleure compréhension de
ces personnes si déstabilisantes : « Ça change un peu leur vie, et ça
change aussi la nôtre ».
Le Projet « au cœur du quartier » du TBM
La Compagnie du Théâtre du Bout du Monde travaille depuis 1998 au sein du CASH (Centre
d’accueil et de soins hospitaliers) situé dans le quartier du Petit Nanterre. En résidence au
cœur même du quartier, la compagnie mène une action culturelle en continu sur le
territoire dont l’objectif est de (re)lier les différentes populations du quartier et de
permettre à des artistes d’engager leurs démarches et propositions artistiques auprès des
habitants, pour une amélioration du « vivre ensemble ». Leur mission se veut locale et
sociale.
« J’ai appris énormément comme j’étais sur scène avec
eux. J’ai appris le fait de pouvoir partager quelque chose
avec eux ENFIN : ça manque quand on fait un métier
comme le mien car on est toujours à distance et on
apprend toujours la bonne distance ; ce qui est très
important. Mais pour trouver la bonne distance, il faut
trouver aussi des moments de partage. »
Le songe d’une Nuit de Mai :
Au départ de cette création participative était le souhait du théâtre du Bout du Monde de
travailler sur l’idée de transformation. Cette thématique forte est en effet inhérente au
Songe d’une nuit d’été, texte travaillé au sein de l’atelier Emmaüs depuis janvier 2009.
S’ajoute à cela l’envie d’élargir ce travail à l’ensemble des publics avec comme point de
rencontre cette même pièce de Shakespeare. Ainsi, des personnes d’Emmaüs, du Centre
d’Accueil et de Soins Hospitaliers (CASH) de Nanterre, des habitants du quartier du Petit
Nanterre et de Nanterre, jeunes et moins jeunes, ont-ils travaillé ensemble, avec des
acteurs professionnels pour monter Le songe d’une nuit de mai présenté au printemps
2010.
L’impact serait donc double, pour les autistes comme pour le personnel
soignant qui a besoin de les comprendre, de partager quelque chose avec
eux pour les accompagner dans leur vie.
En
dehors
du
contexte médical,
les
projets
participatifs
ont
aussi la vertu de
créer des liens
sociaux,
de
reprendre confianc
e en soi et de
mieux
vivre
ensemble
dans
notre
société.
C’est ce que pense
Annette Goldstein,
participante amateur à la XXIe édition de Dale Recuerdos (je pense à
vous) mis en scène par Didier Ruiz à la Maison des Métallos en avril 2010.
La première peur a été celle de ne pas intéresser un "vrai" public : « Mais
on va montrer ça à qui ? Ça me paraissait invraisemblable que les gens
2. Mieux vivre ensemble
L’apport de la science en matière d’évaluation a également été souligné
par Gilles Roland-Manuel, psychiatre et directeur de l’hôpital de jour
d’Antony. Depuis toujours fervent partisan du travail entre des artistes et
les jeunes autistes accueillis à l’hôpital, il a créé le festival Futur
Composé qui propose des spectacles de jeunes autistes et d’artistes
reconnus.
Parce que les autistes souffrent de troubles de la communication, il est
très difficile pour eux de dire quel impact ont ces pratiques artistiques
sur leur vie quotidienne. Pourtant, « on constate des choses […] parce
qu’on les regarde vivre et qu’on les connaît bien ; il y a quelques fois
des améliorations après ces expériences qui sont extrêmement
39
viennent voir des petits vieux qui causent et qui racontent des souvenirs
très hétéroclites. » En réalité, la rencontre a eu lieu :
auront sans doute plus d’impact et les marqueront peut-être plus
durablement, au contraire des spectacles qui, pour le spectateur
lambda, semblent se faire de façon "magique", sans besoins de moyens
de production.
« On s’est donné beaucoup de mal, on a eu très peur parce
qu’on est vieux […] et puis aidés par les autres, poussés,
on a fini par y arriver. Nous avons eu un mal fou à nous
séparer. Nous étions arrivés à une espèce d’osmose dans le
travail, nous avons eu le sentiment de travailler tous
ensemble à quelque chose que nous ne connaissions pas du
tout. […] En fait nous étions très émus, très impliqués,
nous nous sommes tenus les coudes alors que nous ne nous
connaissions ni d’Eve ni d’Adam. »
Dans cet ordre d’idée, un participant au débat, membre du Comité
Métallos, est intervenu pour s’interroger sur la possibilité pour la
population de s’impliquer non pas seulement sur un projet, mais sur un
lieu sensible à ces thématiques. Les lieux culturels peuvent-ils mieux
reconnaître ou admettre des pratiques artistiques populaires
"spontanées", sans forcément l’aide d’un artiste extérieur ? Se pose alors
la question du rapport à la direction artistique du lieu en question :
« Peut-on imaginer des systèmes participatifs où les lieux culturels
puissent accueillir sans jugement les pratiques des gens qui n’ont pas
forcément la culture artistique instituée ? »
L’association Futur Composé
L’association Futur Composé permet la rencontre de personnes autistes et d’artistes
reconnus. Ils se retrouvent généralement sur une scène pour faire du théâtre, de la
musique, de la danse ou encore dans des expositions de peinture, au comité de rédaction
d’un journal, à la télévision, etc., mais avant de rencontrer des artistes et le public, les
personnes handicapées travaillent avec les membres des équipes qui les prennent en charge
dans des établissements spécialisés. Le Futur Composé fédère les différents professionnels
et propose un festival tous les deux ans.
S’il est difficile d’ôter aux directeurs des lieux culturels la maîtrise de
leur direction artistique, et si la mise en place concrète d’une
gouvernance participative paraît encore hasardeuse, cette intervention
montre bien que les projets artistiques participatifs peuvent donner
envie aux participants de s’impliquer plus largement, dans des projets de
société et de culture. Il s’agit en tous cas de créer du lien entre les
participants, mais aussi, dans le cas de personnes marginalisées, de
retisser des liens avec la société. Lorsque le projet se termine, lorsque
l’artiste part, que faire de l’énergie créée, des nouvelles envies des
participants, des projets en devenir lorsqu’il y en a ?
2. Participer à la construction d’un projet de
société plus large
Pour Jean-Pierre Chrétien-Goni, directeur du Vent se Lève ! (Paris 19e),
il est fondamental de partager avec les participants les "coulisses" des
projets participatifs. « Quand on parle avec les artistes, c’est comme si
tout était concentré dans l’œuvre, on ne parle pas trop des coulisses. »
Pourtant, il existe une « confrontation beaucoup plus globale qu’avec le
simple fait artistique au sens étroit du terme. Il faut entraîner les gens
avec qui on travaille à être aussi impliqués, interrogatifs en tous cas,
sur les moyens de production. »
Au cours des débats, il a beaucoup été dit que l’artiste ne devait pas
soigner les maux de la société et qu’il devait être accompagné par un
relais social pour que celui-ci puisse gérer les effets négatifs de l’aprèsprojet avec les participants, notamment le sentiment d’abandon qui peut
exister à la fin d’un projet. En revanche, la question des effets positifs
de l’après-projet a été moins soulevée : comment transformer en une
Il s’agit selon lui de « globaliser un dispositif d’invention du monde dans
lequel on est pris et que les artistes ont un peu oublié. » Si les
participants réfléchissent aux moyens de production des projets, ceux-ci
40
action durable la volonté des participants de poursuivre le projet ? Quels
pourraient être dans ce cas les relais sur lesquels s’appuyer, qui sont
tout autant indispensables afin de ne pas transformer ces volontés en
une frustration encore plus grande ?
II. Les limites de l’évaluation des projets
1. De l’urgence d’élaborer des critères de référence
pertinents
Danièle Bellini, directrice des affaires culturelles de la ville de
Champigny-sur-Marne et active dans le montage de projets participatifs
sur sa ville, suggère que l’appropriation directe des projets par les
habitants soit un critère retenu pour l’évaluation de ces projets. La
réussite d’un projet se mesurerait par une disparition progressive de son
service dans la prise d’initiatives et de décisions, puisque les habitants
n’en auraient plus besoin pour se lancer dans de nouveaux projets
participatifs. Mais loin de prôner un désengagement des acteurs publics
dans le montage de
projets
culturels,
elle alerte tout un
chacun,
en
demandant ce que
font les élus et les
partis
politiques,
qui ne voient pas
souvent
l’importance
de
permettre à ces
nouvelles
démarches
d’exister,
en
termes
de
développement artistique et de cohésion sociale.
En revanche, Jean-Pierre Chrétien-Goni dénonce fermement la notion
même d’évaluation, car elle « fait partie de la domination des
ingénieurs, de la logique de projet ». Selon lui, les dispositifs mis en
place par les pouvoirs publics piègent les porteurs de projets en leur
faisant accepter des règles et des critères d’évaluation extrêmement
restrictifs.
41
« La stigmatisation vient parce qu’on nous fait faire des
projets "18-25", "femmes seules", […] " quartiers
banlieue", "politiques
de
la
ville"
([citant
un
fonctionnaire :] “attention monsieur, votre projet est de
l’autre côté de la rue”). On nous met et on accepte
d’entrer dans ces dynamiques-là parce que derrière, il y a
des moyens qui sont proposés, il y a des cadres qui sont
posés par les pouvoirs publics et par un certain nombre de
gens qui pensent le monde dans lequel on est. »
2. Un risque d’instrumentalisation permanent
Si le témoignage et la restitution sont très importants, il existe toujours
en revanche un risque bien réel d’instrumentalisation provoqué par la
médiatisation. Nathalie Joyeux, réalisatrice du film Parures pour dames,
qui rend compte de l’atelier mené par la styliste Sakina M’Sa, écrit dans
le dossier de presse de son film : « Ces "laboratoires textiles" sont un
lieu de ressource pour la créatrice, en énergie comme en inspiration ;
pour les participantes, c’est l’opportunité de se questionner sur le
corps, le vêtement, et de réveiller leur créativité. J’ai vu des femmes
s’épanouir en cousant des morceaux de tissus, retrouver confiance, aller
vers les autres, se transformer. » En effet, Sakina M’Sa leur a proposé de
porter leurs créations lors de son défilé professionnel : les douze femmes
ont ainsi côtoyé le monde de la mode, les mannequins professionnels et
les journalistes. Si l’extrait projeté pendant les Rencontres montrait que
les femmes étaient très heureuses d’avoir été autant valorisées, l’une
d’entre elles ne s’est pas reconnue dans ce qui a été dit dans la presse.
Elle a eu l’impression d’être instrumentalisée et a regretté cette
médiatisation : « On utilise le fait qu’on soit des gens en difficulté pour
voir une sorte de “bon samaritanisme” qui me gonfle franchement, qui
me dérange ».
Dans un monde
évalué à l’aune de
ces critères, quelle
pourrait ainsi être
la
valeur
d’un
projet monté hors
plan, hors cadre ?
Car pour monter un
projet
hors
du
cadre imposé, il
faut pouvoir se
passer des moyens
donnés
par
les
pouvoirs
publics,
donc soit bénéficier d’autres sources de revenus, soit revoir à la baisse le
budget de la démarche, ce qui aura finalement des impacts sur la qualité
de celle-ci…
Parures pour Dames
Entre novembre 2006 et mai 2007, la styliste Sakina M’Sa a mené un « atelier de la
désobéissance » au Petit Palais à Paris, avec douze femmes sans emploi ; il s’agissait de
transformer de vieux habits donnés par Emmaüs en se rebellant contre la domination des
marques et leur valeur de code social. La réalisatrice Nathalie Joyeux a eu envie de filmer
les échanges entre ces douze femmes autour du vêtement et de sa signification esthétique
et sociale, mais aussi les transformations provoquées par cet atelier sur ces femmes. Son
documentaire s’appuie sur le projet « L’Étoffe des héroïnes », lui-même porté par
l’association Daïka, en partenariat avec la Direction de la Politique de la Ville et de
l’Intégration, la Fédération des centres sociaux de Paris, les centres d’hébergement de
l’association Emmaüs, et des associations d’insertion telles que Mosaïque-93.
Parce qu’il s’agit en grande partie de démarches travaillant sur l’humain,
l’évaluation quantitative reste difficile à mener et ne peut rendre
compte de l’entièreté des impacts de ces initiatives. Pour Jean-Pierre
Chrétien-Goni, la question à poser n’est pas tant « qu’est-ce que ça
vaut ? » que « comment décrire intelligemment ce que ça fait ? ». La
fragilité des participants amateurs et le caractère absolument sensible
de ces démarches rendent impuissante l’évaluation. En revanche, il faut
« témoigner », « tracer », « donner à voir », « contribuer à penser le
monde » et non « se justifier ».
La même question s’est posée à Gilles Roland-Manuel. Comment éviter
l’écueil de l’instrumentalisation, qui reste un risque important même
avec une volonté initiale de valoriser les jeunes autistes mobilisés pour
Futur Composé ? D’autant que l’instrumentalisation est vue dans le
monde médical comme un « sacrilège » : « [le personnel soignant] essaie
de ne pas se substituer [aux personnes autistes], de ne pas parler à leur
42
quelques personnes et sous un angle précis. Pour Jean-Pierre ChrétienGoni :
place. » Pourtant, ses expériences avec le secteur culturel lui ont montré
certaines vertus de l’instrumentalisation : l’un des comédiens a pris
l’initiative de jouer un duel en portant un jeune autiste sur son dos et en
dirigeant ses bras. Selon Gilles Roland-Manuel, le personnel soignant
« n’aurait jamais eu l’idée, ç’aurait été sacrilège de faire ça. C’est en
fait les comédiens, le monde culturel qui ouvre là des possibilités pour
ce gamin qui était enchanté de pouvoir le faire, qui depuis a une
valorisation de lui-même qui fait plaisir à voir. »
« La question la plus importante, c’est la durée. Le lieu
que j’ai dans le 19e, je dis souvent que ce n’est pas un
lieu, c’est du temps, et c’est de ça dont j’ai le sentiment
d’avoir profondément besoin. Un projet, ce n’est jamais
du temps. »
Pour ce pédopsychiatre, la question de l’instrumentalisation est à
mesurer en fonction de l’état de santé des jeunes autistes : tant que
cette médiatisation – voire cette instrumentalisation – leur apporte une
valorisation d’eux-mêmes, une possibilité de partager quelque chose
avec le reste de la société qui leur est tellement fermée, il faut
continuer à leur proposer. Gilles Roland-Manuel a d’ailleurs ouvert le
Foyer d’Accueil Médicalisé (F.A.M.) « L’Alternat » d’Antony, qui propose
aux adultes autistes de continuer à vivre ensemble, de bénéficier de
formation à la musique et de continuer à faire des concerts, voire de
partir en tournée ; pour lui, la première évaluation de ce F.A.M. se
résume à ce constat : « ils vont bien ! »
LE VENT SE LEVE !
Le Vent se Lève est un lieu interdisciplinaire qui associe les artistes et les « nonprofessionnels » dans un projet citoyen et d’éducation populaire. Situé dans le 19è
arrondissement de Paris, il se veut ouvert aux expérimentations diverses et orienté vers ses
voisins. Le collectif qui l’anime mène également des ateliers dans des lieux à vocation
pédagogique ou sociale. Dans le cadre du Cercle de Craie, laboratoire de théâtre, JeanPierre Chrétien-Goni explore notamment les espaces de l'enfermement et de la folie;
intervenant avec le théâtre dans les espaces de la difficulté : prisons, hôpitaux
psychiatriques, quartiers sensibles. Il a mené plus de trente chantiers d’intervention et de
recherche dans ce cadre depuis 1991.
Enfin, la question de l’instrumentalisation se pose aussi pour les artistes
et porteurs de projet, comme le souligne Danièle Bellini :
3. Les effets psychologiques sur les participants :
un risque à prendre ?
« Il faut qu’on fasse attention à ce que la pratique
culturelle et artistique ne tombe pas dans la recherche de
soin ; on est pas là pour soigner, mais pour réveiller, peutêtre pour déranger. Dans tous ces projets “politiques de la
ville”, je me demande si on n’est pas utilisés nous aussi
par les classes dominantes comme soupapes. »
La durée est nécessaire pour anticiper les risques psychologiques sur les
participants. La réalisatrice Nathalie Joyeux a travaillé pendant quatre
années avec des lycéens de Tremblay-en-France sur un film autour de
leurs vies. Elle remarque que la question des impacts est d’autant plus
prégnante avec un documentaire, qu’on expose sans filtre la vie des
gens, alors qu’au théâtre on joue le rôle de quelqu’un d’autre. Par
conséquent, se pose dès le début et tout au long du projet une question
éthique importante : jusqu’où peut-on aller ? « Les personnes saventelles ce qu’elles donnent ? »
Or, la pratique artistique seule ne soigne pas les jeunes autistes, ni ne
suffit à réinsérer les personnes en marge de la société, elle n’a rien de
miraculeux ; les projets se terminent, les artistes partent à la fin du
projet. Que faire pour que les participants et les artistes ne soient pas
instrumentalisés à des fins politiciennes ? La réponse la plus souvent
évoquée est la nécessaire participation des élus et des partenaires
sociaux aux projets, pour ne pas être dans cette croyance naïve que les
artistes vont trouver la solution à tous les problèmes de la société.
D’autant que les artistes n’interviennent que sur un temps donné, avec
43
Elle raconte que parmi les lycéens, un jeune garçon en grande détresse
psychologique a eu envie de participer au film sans être à l’image ; elle a
eu l’idée d’en faire le personnage central du documentaire, et a axé le
film autour de son absence régulière du lycée. Cette idée lui plaisait
cinématographiquement, mais après une année entière de travail, elle
s’est rendue compte qu’un film sur ce garçon allait être trop lourd à
porter pour lui et elle a renoncé :
« il ne faut pas le faire parce que
c’est dangereux pour lui. »
coûter, à tout le monde ; il faut ne pas lâcher l’affaire
sauf quand on dit “c’est mes limites”. »
Du côté de l’artiste comme du côté du participant (qu’il soit atteint d’un
trouble, marginalisé, ou pas) des limites humaines existent. Il faut savoir
les écouter, les déterminer et les travailler sans les outrepasser car cela
mettrait en danger la démarche dans sa globalité. Et c’est là peut-être le
meilleur moyen de ne pas instrumentaliser les artistes et les participants
dans ce type de projet qui n’est « pas là pour réparer mais pour
inventer », insiste Jean-Pierre Chrétien-Goni.
Aujourd’hui et demain
Ce film participatif est une aventure de trois
années qui implique des jeunes de Tremblayen-France. Il débute alors que les lycéens
doivent se déterminer sur une orientation
professionnelle, l’année du bac et s’achève
deux ans après le bac, alors que le trajet des
jeunes tremblaysiens vers une profession se
précise encore. Le film s’écrit à partir
d’entretiens menés entre la réalisatrice et les
participants. Les thèmes abordés, les
personnages secondaires, les décors, les
situations… sont choisis d’un commun accord
entre les jeunes et la réalisatrice. Une
étudiante tremblaysienne de 22 ans est
également impliquée sur la réalisation (sans
apparaître à l’image). Elle intervient sur les
tournages et sur le montage. Le film est en
cours de réalisation.
Une autre expérience menée par Jean-Pierre Chrétien-Goni avec des
prisonniers de Fleury-Mérogis lui a montré la « confrontation radicale »
et irréductible entre lui, partisan du « théâtre comme lieu où l’homme
se réalise comme être libre », et eux, qui retourneront dans leurs
cellules à la fin du projet.
« On ne peut plus rien faire de ça, cette confrontation est
radicale. Derrière cette radicalité, comment nous la
travaillons, ça c’est notre front à nous. Comment on
s’inscrit dans du non-abandon, […] avec ce que ça peut
44
Conclusion
posent ces problématiques de manière parfois différente et très riche
demandent à être questionnés. Plusieurs pistes restent donc à explorer
et à l’heure où le désengagement de l’État se fait sentir et où ces projets
ont besoin d’inventer de nouveaux dispositifs pour pouvoir se maintenir
et se développer, on se pose naturellement la question de ce qui se fait
ailleurs et de comment cela se fait ailleurs, en Europe et dans le monde.
Ces rencontres auront permis de partager des questionnements que nous
souhaitons voir mûrir. Nous espérons qu’ils en génèreront de nouveaux en
même temps qu’ils produiront leurs fruits.
Si la participation et l’interaction sont des notions omniprésentes dans
les pratiques artistiques actuelles, leur reconnaissance par les dispositifs
officiels reste timide. Les projets participatifs, souvent hybrides à la fois
par la forme et par l’éventail des personnes mobilisées, se multiplient et
questionnent la place de l’artiste dans la société en même temps qu’ils
interrogent le statut de « l’œuvre » et du « public ». Ces initiatives sont
portées selon des modes de production hétéroclites et la plupart du
temps sont fragiles. Elles souffrent des systèmes de représentation et de
classification encore en cours et notamment institués par des dispositifs
publics trop rigides. Pourtant un grand nombre de professionnels, qu’ils
soient issus du champ social, politique, éducatif, culturel, médical ou
artistique reconnaissent l’enrichissement mutuel qu’apportent les
créations participatives. Travailler ensemble dans la complémentarité, se
rencontrer, échanger, construire un objet commun, sont autant
d’éléments qui incitent professionnels comme amateurs à s’impliquer
dans ce type d’expériences.
A Double Sens… et après ?
La suite que l’association se propose de donner à ces Rencontres est de réunir des groupes
de travail pour approfondir des thématiques particulières, d’assurer le suivi et la
valorisation de certains projets pour, nous l’espérons, contribuer à valoriser ces initiatives
et à faire réfléchir ensemble leurs différents acteurs.
S’il a beaucoup été question du « participatif », « l’interactif » a été
moins questionné lors de ces rencontres. Associer ces deux notions nous
semblait important pour interroger ce qui se joue en matière de relation
au « public ». Les difficultés rencontrées pour trouver des projets où le
public modifiait vraiment l’œuvre et où son implication était réelle, rend
compte des différences d’approches dont relèvent « le participatif » et
« l’interactif ». Leurs enjeux sont, aujourd’hui, assez éloignés ;
« l’interactif » semble s’inscrire soit dans une démarche artistique assez
canonique, ce qui lui permet souvent de faire appel aux dispositifs
institutionnels et de se concevoir selon des modes de production
traditionnels tout en questionnant les notions de public et d’œuvre, soit
dans des sphères innovantes et très pointues qui interrogent notre
rapport aux technologies et questionnent les mondes de l’art tout en
restant très confidentielles et peu abordables aux non-initiés.
Deux jours ne suffisent pas à développer toutes les questions que posent
ces pratiques. Le spectacle vivant, particulièrement propice à ce type de
démarche, a été plus largement abordé, mais de nombreux travaux de
plasticiens, vidéastes, photographes, collectifs d’architectes, etc., qui
45
BIBLIOGRAPHIE (non exhaustive)
Ouvrages :
ARDENNE Paul, Un art contextuel - Création artistique en milieu urbain, en situation, d'intervention, de participation, Paris, Flammarion, 2009
BOAL Augusto, Théâtre de l’Opprimé, La Découverte, 1996.
BOURRIAUD Nicolas, Esthétique relationnelle, Dijon, Les presses du réel, 1998.
COLIN Bruno et GAUTIER Arthur, Pour une autre économie de l’art et de la culture, Paris, Éditions Érès, 2008.
HENRY Philippe, Spectacle vivant et culture d’aujourd’hui : une filière à reconfigurer, Grenoble, PUG, 2009.
LIOT Françoise (coord.), Projets culturels et participation citoyenne - Le rôle de la médiation et de l’animation en question, Paris, l’Harmattan, 2010
LE GLATIN Marc, Internet : un séisme dans la culture ?, Toulouse, Éditions de l’attribut, 2007.
RANCIERE Jacques, Le spectateur émancipé, Paris, La Fabrique, 2008.
RANCIERE Jacques, Le partage du sensible, esthétique et politique, Paris, La Fabrique, 2000 (PS).
RUBY Christian, L’Age du public et du spectateur, Bruxelles, La Lettre volée, 2007.
STIEGLER Bernard, L’adresse au public en question, conférence du 16 septembre 2009.
TEBOUL René (dir.), Les mutations technologiques, institutionnelles et sociales dans l’économie de la culture, Paris, l’Harmattan, 2004.
Articles :
Entretien avec STIEGLER Bernard, Pour une politique sans réserve in Mouvement n°48 juin-septembre 2008.
Toutes les pratiques culturelles se valent-elles ? revue Hermès n°20, éditions CNRS, 1997.
Numéro 58 du magazine La Scène : Projets culturels et démarches participatives – Automne 2010.
Comptes-rendus :
Compte rendu de la table ronde Partager l’art, transformer la société dans le cadre des Rencontres de la Villette le 25 avril 2008 (consulter)
Compte rendu de l’atelier de réflexion La place des habitants dans les projets artistiques, Artfactories / AutrepART (consulter)
Doc Kasimir Bisou, Art et populations, intervention au Séminaire professionnel autour des pratiques artistiques participatives du 18 juin 2008.
Conférence :
STIEGLER Bernard, Conférence Acteur ou spectateur ? L’adresse au public en question, donnée le 16 septembre 2009 au Nouvel Olympia de Tours.
Mémoires :
KHEBIZI Samir: L’accompagnement des projets artistiques participatifs, un enjeu sous-évalué : étude du projet Les Têtes de l’Art, Conservatoire
National des Arts et Métiers / CESTE, 2008. (consulter)
ECALLE Linda : Les projets artistiques participatifs comme nouvelles formes d’engagements en Europe. Quelles formes pour quels engagements ? Le cas
du projet « êtres » initié par Nicolas Frize, Institut d’études européennes de l’université Paris 8, 2006 (consulter)
A noter : En septembre 2010, Francis Lacloche et Guillaume Pfister, Conseillers au Ministère de la Culture, remettaient une note au Ministre énonçant un
programme et des perspectives autour de la notion de « la culture pour chacun » (consulter). Cette note évoque pour la première fois les « co-créations et
productions participatives. Elle a fait l’objet d’une analyse critique par Philippe Henry (consulter).
46
LISTE NON EXHAUSTIVE DE RESEAUX ET STRUCTURES DE MUTUALISATION
ARTfactories/Autre(s)pARTs
Née de la mutualisation d’une plateforme de ressource sur les lieux de créativité artistique et sociale et d’un groupe d’acteurs unis autour de la relation
population, art et société, l’association a pour fonction de repérer et mettre en réseau des lieux et des projets artistiques citoyens dans les régions du
monde entier. Elle a également pour vocation de relier ces espaces-projets initiés par des acteurs de la société civile pour les encourager à affirmer leur
singularité et ainsi contribuer à une diversité d’expression.
Actes-if
Réseau solidaire de lieux culturels franciliens, Actes-If a pour objectif de valoriser les actions, modes de fonctionnement des adhérents ; favoriser les
échanges d’informations, d’expériences et de savoir-faire et mettre en place des outils et des services en direction des adhérents ; favoriser la
construction d’une réflexion collective autour des principaux enjeux du secteur d’activité des adhérents, notamment par l’établissement de relations
d’échanges avec d’autres fédérations, associations ou réseaux ; conseiller et accompagner la création et le développement de nouveaux lieux culturels en
Île-de-France.
Banlieues d’Europe
Banlieues Bleues est un réseau européen qui a pour but de sensibiliser aux questions de l’intervention artistique dans les quartiers défavorisés et en
direction des habitants généralement et faire avancer au niveau européen une réflexion partagée entre chercheurs, élus et acteurs artistiques et culturels
sur les espaces de tension et d’innovation que sont aujourd’hui plus que jamais les périphéries des villes exclues.
Réseau Chaînon
Le réseau Chaînon est la fédération nationale des nouveaux territoires des arts vivants. Il contribue au développement culturel national et international ;
Il soutient la création et la diffusion artistiques dans l’intérêt général. L’association s’inscrit, dans le domaine des arts, comme un acteur dans le débat
des politiques publiques à travers un mouvement citoyen et un engagement professionnel définis dans son projet politique inspiré des valeurs de
l’éducation populaire et de la défense de l’éducation artistique et culturelle.
FEDUROK
Fédération Nationale de Lieux de Musiques Amplifiées/Actuelles.
47
Remerciements
Nous souhaitons remercier avant tout Florence Castera, non seulement
pour la qualité avec laquelle elle a su animer les Rencontres A Double
Sens, mais aussi pour l’énergie et l’enthousiasme qu’elle a mis à nous
accompagner dans l’organisation et la conception des débats.
Nos plus vifs remerciements vont également aux partenaires qui nous ont
fait confiance et aidé à mettre en œuvre les Rencontres, bien au-delà
d’un apport financier : Arcadi et son précieux pôle ressources (Françoise
Billot et Franck Michaut), la Maison des Métallos (Philippe Mourrat,
Christine Chalas, Ophélie Deschamps), et pour le financement des actes,
la Fondation Réunica (Éliane Hervé-Bazin). Merci à Julien Couaillier pour
le site Internet, à Coraline Janvier pour le son, à Grégory Voivenel pour
les photos et à Elodie Morel pour les vidéos.
Nous remercions chaleureusement les quatre autres lieux qui ont montré
très tôt leur intérêt pour notre projet en accueillant les ateliers de
réflexion entre le 18 avril et le 29 juin 2010 : le WIP-Villette (MarieFrance Ponczner), le Théâtre de l’Opprimé (Thomas Cepitelli), les
Rencontres chorégraphiques internationales de Seine-Saint-Denis
(François Lorin), le Vent se Lève ! (Jean-Pierre Chrétien-Goni) en
partenariat avec l’Espace Khiasma (Olivier Marboeuf). Merci à ces
personnes, qui ont permis de vraies rencontres.
Merci enfin aux nombreux artistes, chercheurs, responsables de lieux
culturels et socioculturels, responsables politiques, qui nous ont accordé
un peu de leur temps pour construire notre réflexion et ce projet. Parmi
eux, nous remercions bien sûr tout particulièrement tous les intervenants
et les participants aux débats des 2 et 3 juillet 2010 pour leur présence,
leurs témoignages et leurs réflexions.
48
Téléchargement