prendre en considération le terme à qui de la formule communicationnelle aussi dans le
sens de combien. Le nombre de destinataires augmente de manière exponentielle en
fonction du nombre d’expéditeurs, virtuellement infinis. Une étude plus approfondie
pourrait prendre en compte les dimensions des différents groupes auxquels le message
est parvenu, ainsi que les implications sociologiques de ce type de communication à
travers de longs réseaux. La redéfinition du caractère collectif du folklore implique
aussi la dimension interactive de la communication par l’Internet : de tous les moyens
de communication modernes, celui-ci permet la participation directe la plus vivante des
utilisateurs, à la différence de la radio, de la télévision ou de la presse écrite, qui, dans
une première étape, ont été, en grande partie, passives. À la longue, elles sont
devenues, elles aussi, interactives (après l’apparition de la télécommande, des appels en
direct, des émissions publiques, etc), mais dans une plus petite mesure que l’Internet.
Quant aux messages sur l’Internet, la narrativité est, de loin, la plus productive,
mais le contexte du conteur change, de manière inévitable et radicale : la
communication n’est plus directe, elle se fait par l’intermédiaire de l’ordinateur, et les
conséquences en sont multiples. La culture orale, en grande partie, une culture de
l’oreille, en harmonie avec les paysages sonores, se voit remplacée par une culture de
l’œil, où ce que l’on voit est plus important que ce que l’on entend, et où l’individu ne
communique plus directement, dans un espace physique, avec un autre individu, mais
avec une machine, dans un espace cybernétique. Le terme d’interface devient de plus
en plus fréquent, en signifiant cette relation entre les humains et les ordinateurs, mais
aussi cette communication entre des ordinateurs et d’autres ordinateurs encore, et plus
récemment, entre différents individus ou groupes d’individus.
2
La problématique qui se pose naturellement est si l’Internet détruit les
communautés ou s’il crée de nouveaux types de communautés dans lesquelles le
rapprochement spatial perd de son importance. Dans le contexte du récit oral, le
rapprochement spatial était vif et profondément humain, en apportant sa pierre à la
configuration de l’identité du narrateur, tandis que, dans le cas du récit sur
l’Internet, l’identité du narrateur s’efface derrière des adresses e-mail, des noms,
des sobriquets, des listes d’expéditeurs. La transmission par courrier électronique
exige un passage de la communication organique à la communication électronique,
échange qui entraîne une série de conséquences psychologiques et sociales.
3
2
Voir Briggs – Burke 2005, p. 288.
3
Dans l’ouvrage The World on Paper (1994), le psychologue canadien David Olson en fait l’analyse de
quelques-uns et propose le concept d’esprit alphabétisé, par lequel il additionne tous les changements
produits par la pratique de l’écriture et de la lecture par rapport à la façon dont on réfléchit sur le langage,
sur l’esprit et sur le monde, depuis la subjectivité jusqu’à l’image du monde en tant que livre » (apud
Briggs – Burke 2005, p. 22). Un autre chercheur canadien, Walter Ong, connu pour Orality and Literacy
(1982), « a souligné les différences de mentalité entre les cultures orales et la culture qui relève de l’écrit,
soit-elle, chirographique, typographique ou électronique, en remarquant, par exemple, le rôle de l’écrit
dans la décontextualisation des idées, en d’autres mots, son rôle dans l’enlèvement des idées du cadre des
situations face-à-face, où elles étaient initialement formulées, pour pouvoir les ancrées dans d’autres
situations » (apud Briggs – Burke 2005, p. 288).