Éléments d`ethnologie contemporaine. Le Folklore sur l

STUDIA UNIVERSITATIS BABEŞ-BOLYAI, PHILOLOGIA, LIV, 2, 2009
ÉLEMENTS D’ETHNOLOGIE CONTEMPORAINE. LE
FOLKLORE SUR L’INTERNET
ELEONORA SAVA
ABSTRACT. Contemporary Narrations: the Internet Folklore. The present study
suggests an anthropological radiographyof messages that can be named Internet
Folklore since they have a theoretically infinite number of addressees, do not convey a
personal content for a unique recipient; on the contrary, they imply a largely general
character and in the end can contain the indication to be sent to as many recipients as
possible. Messages of this type verify a series of folklore defining features, mentioned
by the classical textbooks: the anonymous character (the message’s initial transmitter is
often unknown), the syncretic character (they use text, images and sound at the same
time, being multimedia messages), the traditional character (many of them are built on
familiar epic structures, typical for the oral narrations). At the same time, they require a
redefinition of the folklore because the conveying way is not oral, non-mediated (man
to man and mouth to ear) but written, mediated, through a non-traditional channel
(Internet) that in its turn involves a series of contextual modifications.
The group of messages on which I base my analysis was gathered during two
years (2007 2008) and contains mostly narrations. From a typological point of view,
they can be integrated in four great categories: jokes, urban legends, rumors and chain
messages. The addressees and addressers were teenagers and adults, mainly girls and
women (it’s about messages received by this study’s author). Most of the texts are
written in Romanian but there are some in other languages, too: English, French.
The chosen examples show the vitality of the folklore, contradicting the opinions
which supported its disappearance, since the contemporary societies, like the
traditional ones are creators and carriers of folklore. The addressee of these messages is
a public that has never ceased to tell stories and to trust the power of story to take
possession and signify the reality. The comparison of folklore-traditional narrations
with those sent through Internet shows only superficial differences: the medieval or
rustic settings, the mythical characters and the conflicts that motivated the heroes’
actions have disappeared; the texts have neither the complexity nor the amplitude of
the old fairy tales. In essence though, they are built on the same logic of symbolic
nature and resort to the same narrative elements action schemes, characters,
significance systems that exist within the cultural register shared with both the
recipient public and the old narrations.
Keywords: Folklore, Internet, Narrations, Postmodern Media Culture.
Notre étude se propose de faire une radiographie d’ordre anthropologique de
certains messages qui puissent être identifs avec le syntagme Folklore sur l’Internet,
puisqu’ils ont un nombre théoriquement infini de destinataires, ils ne transmettent pas
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un contenu personnel à l’adresse d’un récepteur unique, mais tout au contraire, ils
impliquent un caractère de large généralité, et ils peuvent, à la fois, contenir la
consigne de les faire disséminer autant que possible aux plusieurs récepteurs. Les
messages de ce type vérifient une série de caractéristiques définitoires du folklore
qu’énoncent les manuels classiques : le caractère anonyme (l’énonciateur initial du
message reste souvent inconnu), le caractère syncrétique (en tant que messages
multimédia, ils ont recours au texte, à l’image et au son à la fois), le caractère
traditionnel (bon nombre d’entre eux se construisent sur des schémas épiques connus,
typiques du discours oral). Ils revendiquent en même temps une redéfinition du
folklore, car la voie de transmission n’est plus orale, sans interdiaire (psence
directe, côte à côte et bouche à l’oreille), mais écrite, par intermédiaire, par le
truchement d’un moyen non traditionnel (l’Internet), qui, implique, à son tour, une
multitude de modifications contextuelles. Les dernres décennies ont imposé la
refinition des phénomènes folkloriques, car les conséquences des moyens média par
rapport au processus de transmission sont devenues essentielles.
L’analyse des cinq termes classiques de la communication (qui est-ce qui
parle, qu’est-ce qu’on parle, à qui est-ce qu’on parle, comment est-ce qu’on parle (par
quel moyen) et pourquoi est-ce qu’on parle (pour quel sultat), marque le fait que,
pour ce qui est du folklore sur l’Internet, le moyen a le rôle central, en portant son
influence de manière directe sur tous les autres éléments. Ainsi, l’énonciateur autant
que le cepteur doivent en avoir les connaissances techniques et les équipements
cessaires : savoir manipuler l’ordinateur (être alphabétis/es et e-alphabétis/es),
avoir l’ordinateur personnel et/ou l’acs à la communication par l’Internet, avoir des
coordonnées électroniques (adresse e-mail), etc. Bien qu’il soit, d’une part, restrictif
(car il limite la sphère de ceux qui sont impliqués dans le processus de la
communication), ce moyen est, d’autre part, extrêmement permissif : il efface les
distances spatiales (les messages circulent sur tous les méridiens), temporelles (ils
sont transmis rapidement, quoique l’Internet soit l’un des moyens de transmission
asynchrone), sociales (ils circulent entre des gens appartenant à différentes catégories et
couches sociales)
1
, culturales (il y a effacement des frontières entre cits et traditions
locales, entre « culture haute » et « culture basse»). L’aire incroyable que recouvre
l’Internet a engenddes syntagmes tels «village global » ou « folklore planétaire ». Il
a, en même temps, restructuré le caractère collectif du folklore : bien qu’il recouvre
infiniment plus d’individus, ceux-ci ne représentent qu’une addition
d’individualités, et non pas une collectivité, car, autant l’énonciateur que le
récepteur se trouvent seuls devant leurs ordinateurs personnels- posture spécifique à
l’individu des sociétés post-industrielles. Lorsqu’il s’agit des messages à chaîne,
l’énonciateur n’est pascessairement le créateur du message, pouvant en reprendre le
contenu dans un message antérieur qu’il retransmette soit en tant que tel, soit sous une
forme changée (une version), et le destinataire n’est pas unique, situation qui nous fait
1
On a parlé, par exemple, du potentiel de l’Internet en tant qu’agent de démocratisation. Voir Briggs–
Burke 2005, p. 14.
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prendre en considération le terme à qui de la formule communicationnelle aussi dans le
sens de combien. Le nombre de destinataires augmente de manière exponentielle en
fonction du nombre d’expéditeurs, virtuellement infinis. Une étude plus approfondie
pourrait prendre en compte les dimensions des différents groupes auxquels le message
est parvenu, ainsi que les implications sociologiques de ce type de communication à
travers de longs seaux. La redéfinition du caractère collectif du folklore implique
aussi la dimension interactive de la communication par l’Internet : de tous les moyens
de communication modernes, celui-ci permet la participation directe la plus vivante des
utilisateurs, à la différence de la radio, de la télévision ou de la presse écrite, qui, dans
une premre étape, ont été, en grande partie, passives. À la longue, elles sont
devenues, elles aussi, interactives (après l’apparition de la télécommande, des appels en
direct, des émissions publiques, etc), mais dans une plus petite mesure que l’Internet.
Quant aux messages sur l’Internet, la narrativité est, de loin, la plus productive,
mais le contexte du conteur change, de manière inévitable et radicale : la
communication n’est plus directe, elle se fait par l’interdiaire de l’ordinateur, et les
conséquences en sont multiples. La culture orale, en grande partie, une culture de
l’oreille, en harmonie avec les paysages sonores, se voit remplae par une culture de
l’œil, où ce que l’on voit est plus important que ce que l’on entend, et où l’individu ne
communique plus directement, dans un espace physique, avec un autre individu, mais
avec une machine, dans un espace cybernétique. Le terme d’interface devient de plus
en plus fréquent, en signifiant cette relation entre les humains et les ordinateurs, mais
aussi cette communication entre des ordinateurs et d’autres ordinateurs encore, et plus
cemment, entre différents individus ou groupes d’individus.
2
La problématique qui se pose naturellement est si l’Internet détruit les
communautés ou s’il crée de nouveaux types de communautés dans lesquelles le
rapprochement spatial perd de son importance. Dans le contexte du récit oral, le
rapprochement spatial était vif et profondément humain, en apportant sa pierre à la
configuration de l’identité du narrateur, tandis que, dans le cas du récit sur
l’Internet, lidentité du narrateur s’efface derrière des adresses e-mail, des noms,
des sobriquets, des listes d’expéditeurs. La transmission par courrier électronique
exige un passage de la communication organique à la communication électronique,
échange qui entraîne une série de conséquences psychologiques et sociales.
3
2
Voir Briggs – Burke 2005, p. 288.
3
Dans l’ouvrage The World on Paper (1994), le psychologue canadien David Olson en fait l’analyse de
quelques-uns et propose le concept d’esprit alphabétisé, par lequel il additionne tous les changements
produits par la pratique de l’écriture et de la lecture par rapport à la façon dont on réfléchit sur le langage,
sur l’esprit et sur le monde, depuis la subjectivité jusqu’à l’image du monde en tant que livre » (apud
Briggs – Burke 2005, p. 22). Un autre chercheur canadien, Walter Ong, connu pour Orality and Literacy
(1982), « a souligné les différences de mentalité entre les cultures orales et la culture qui relève de l’écrit,
soit-elle, chirographique, typographique ou électronique, en remarquant, par exemple, le le de l’écrit
dans lacontextualisation des idées, en d’autres mots, son rôle dans l’enlèvement des ies du cadre des
situations face-à-face, elles étaient initialement formulées, pour pouvoir les ancrées dans d’autres
situations » (apud Briggs Burke 2005, p. 288).
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Le lot de messages qui fonde l’essentiel de notre analyse a été sélectionné
le long de deux ans (janvier 2007- janvier 2009) et il contient, dans la plus grande
partie, des récits. De point de vue typologique, ils peuvent s’encadrer en quatre
grandes catégories : des blagues, des légendes urbaines, des rumeurs et des
messages à chaîne. Le destinataire et les expéditeurs sont des adultes, en majorité
de femmes (les messages étant reçus par nous-mêmes des personnes avec
lesquelles nous avons une correspondance par l’Internet). La plupart d’entre eux
sont des textes écrits en roumain, mais il en existe quelques-uns en d’autres langues
aussi : en anglais, en français et en hongrois.
I. Des Blagues
Parmi les messages les plus fréquents que nous avons reçus et gardés dans
la période mentionnée, les blagues semblent être la catégorie la plus productive de
toutes les constances culturelles transmises par Internet. « Des produits folkloriques
spécifiquement citadins, plus récents du point de vue historique et peu étudiés chez
nous par rapport aux catégories de la littérature orale traditionnelle, les blagues
sont brefs récits humoristiques. Le plus souvent, elles ont une structure simple,
réduite à un seul épisode, qui réside dans la description du squelette d’une situation
et d’une conclusion. »4 Malgré sa simplicité apparente, l’espèce est difficile à
cadrer dans une définition. Au fil du temps, des folkloristes, des anthropologues ou
des psychiatres en ont proposé diverses définitions. »5 Il y a des blagues sur des
groupes humains (ethniques, régionaux, de genre, socio-professionnels), sur des
relations entre les parents et les enfants, sur des ivrognes, sur des nains, sur des
personnalités historiques, sur le travail, sur le sex, sur la Radio Erevan, etc. On l’a
déjà souligné, il n’y a aucun aspect de la vie et aucune catégorie humaine qui ne
fasse pas l’objet des blagues. »6 Au-delà de la richesse thématique de l’espèce, son
profond ancrage dans le réel est évident, car, ces textes sont un excellent baromètre
psychosocial du moment historique. Si avant 1989, en Roumanie, les blagues
politiques étaient des plus fréquentes et des plus prisées, aujourd’hui il n’y en a
plus beaucoup. Dans le cadre de l’échantillon sur lequel nous appuyons notre
recherche, il n’y a pas une blague proprement dite politique, sauf une, du type « de
la preuve de la suprématie » qui ait une quelconque allusion politique, puisqu’à la
4Eretescu 2004, p. 284.
5 Pour Cathy Linn Preston, la blague a une série de particularités spécifiques: «Une petite scène
fictionnelle- verbale, visuelle ou cinétique- qui a comme but de produire un effet commique dans le
cadre où on l’interprète.» On peut définir les inversions symboliques en art et en société, selon les
propos de Barbara Babcock « en tant que tout acte comportemental expressif qui qui vient à lenvers,
contredit, abroge ou offre une alternative quelconque aux codes, aux normes et aux valeurs
généralement acceptés, soient-ils linguistiques, littéraires ou politiques. » On peut identifier des
techniques identiques ou similaires dans les blagues. Pour Victor Turner, elles sont des formes
acceptées de clownerie, tandis que pour Freud, des formes de désinhibation qui ont une fonction
hostile (agressivité, satyrique ou de défense), soit une fonction dénonciatrice», Eretescu 2004, p. 284.
6 Voir Eretescu 2004, p. 285
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fin, elle se raporte au ministre des finances, mais elle pourrait être encadrée aussi
auprès des blagues sur les ethnies ou à celles sur des catégories professionnelles
(des médecins) : Le docteur américain dit :’Chez nous, en Amérique, la médecine
est tellement avancée, qu’on prend un rein à un individu, on en fait le transplant à
un autre, et, dans six semaines, çui-là cherche un emploi !’ Le docteur allemand
répond : C’est n’importe quoi, chez nous, en Allemagne, on prend un poumon à
un individu, on en fait le transplant à un autre, et, dans quatre semaines, çui-là
cherche un emploi !Le docteur russe dit : ‘c’est toujours n’importe quoi, chez nous,
en Russie, on prend une moitié de ur à un individu, on en fait le transplant à un
autre, et, dans deux semaines, tous les deux cherche un emploi !’ En voi le docteur
roumain qui se lève et qui répond : ‘Il y a point de comparaison, vous êtes tous en
arrière par rapport à nous : chez nous, en Roumanie, on en a pris un, sans cerveau et
sans cœur, on l’a fait ministre de finances et maintenant tous cherchent un emploi.’
Parmi celles qui ont plus de longévité, il y a les blagues avec Bula,
personnage représentatif d’ailleurs de la mémoire culturelle roumaine.
A côté des thèmes ents dans l’histoire de l’espèce, il y a beaucoup de
blagues modernes qui se moquent de quelques catégories, personnes ou phénomènes
récemment parus dans le paysage social : des blagues sur des blondes, sur des
mémés qui bossent sur l’ordinateur, sur la globalisation, sur des coïncidences ou
sur de nouveaux riches.
Blagues sur des coïncidences : À la maternité, dans la salle d’attente, trois homme
sont impatients, l’âme à la bouche. Et en voici la sage-femme qui sort et qui félicite
le premier : - Félicitations, vous avez des jumeaux ! – Mon Dieu, quel coïncidence,
je travaille effectivement à la Minessota Twins... Après une heure, en voilà qui sort
la même femme et qui dit au deuxième re : - Il est pas croyable, vous avez des
triplets !- Je n’en crois pas mes oreilles, quel coïncidence, je travaille effectivement
à la 3M Company. Le troisième perd ses esprits.- Qu’est-ce qui le prend ?
demande la sage-femme. – Lui, il travaille à la 7UP...
Blagues sur la globalisation : Question- Quelle est la définition la plus appropriée
de la globalisation ? Réponse- La mort de la princesse Diana ! Question- Comment
ça ? Réponse- Une princesse anglaise qui a un amant égyptien a un accident dans
un tunnel français, dans une bagnole allemande au moteur néerlandais, conduite
par un Belge, saoulé avec du whisky écossais, étant étroitement poursuivie par des
paparazzi italiens, sur des motos japonaises. La princesse était en traitement chez
un médecin américain qui lui prescrivait des médicaments brésiliens. Et tu reçois
ce truc d’un Roumain, tu le lis sur un moniteur coréen, assemb par des ouvriers de
Bangladesh, dans une usine de Singapore, transporté en bateaux par des Indiens et
déchargé par des Siciliens, transporté de nouveau dans des camions conduits par
des chauffeurs mexicains et enfin vendu par des Juifs à toi et à d’autres.
Blagues sur les nouveaux riches : On dit qu’un tzigane va à la pêche en sa Mertz
600 SEL. Et voilà le tzigane qui descend de la bagnole, il tire la moulinette d’or le
dernier cri au fil en soie naturelle et une aiguille de diamant et pêche à la mouche.
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