Les mécanismes complexes de la résistance aux antirétroviraux

Les mécanismes complexes de la résistance aux antirétroviraux
Revue critique
de l'actualité scientifique internationale
sur le VIH
et les virus des hépatites
n°42 - janvier-février 96
MUTATIONS
Les mécanismes complexes de la
résistance aux antirétroviraux
Laurent Bélec
Laboratoire de virologie et Inserm U430 - Hôpital Broussais (Paris)
Development
of zidovudine
resistance
mutations in
patients
receiving
prolonged
didanosine
monotherapy
Demeter L.M.,
Nawaz T.,
Morse G.,
Dolin R.,
Dexter A.,
Gerondelis P.,
Reichman
R.C.
Journal of
Infectious
Diseases,
1995, 172,
1480-1485
Une étude montrant une sélection de mutations conférant la
résistance à la zidovudine chez deux malades recevant la
didanosine en monothérapie prolongée, est l'opportunité
d'analyser la complexité des interactions multiples entre la
réplication virale et les molécules antirétrovirales.
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Le phénomène de résistance du VIH aux molécules
antirétrovirales constitue un problème d'interprétation
difficile. L'infection à VIH est une infection chronique active.
Les molécules antirétrovirales actuelles n'inhibent que
partiellement la réplication du VIH, en diminuant de 10 à 100
fois la quantité de virus plasmatique.
Cette inhibition incomplète de la réplication virale, associée à
un renouvellement viral incessant, rapide, important,
représente les conditions idéales de sélection de mutants
résistants sous l'effet de la pression de sélection
médicamenteuse. La résistance fait habituellement référence à
une diminution de la sensibilité du virus à une molécule
antirétrovirale, mesurée in vitro dans un système de culture
cellulaire. Les variants peuvent être présents au sein de la
population virale initiale, ou encore apparaître à la suite d'une
mutation au cours de la réplication virale en présence du
médicament.
¬ L'énumération de la liste des mutations de résistance
induites par chaque antirétroviral peut apparaître très
formelle; elle constitue cependant le pré-requis indispensable
pour appréhender la complexité des interactions multiples
entre la réplication virale et les molécules antirétrovirales. La
résistance aux analogues nucléosidiques de la transcriptase
inverse est la mieux documentée; Larder et coll. ont été les
premiers, dès 1989, à rapporter que les isolats provenant de
malades sous zidovudine (AZT) devenaient progressivement
résistants après 6 mois environ de traitement [1]. Certains
patients traités depuis plus de 11 mois par la zidovudine
avaient des isolats montrant une augmentation importante de
la CI50, d'un facteur supérieur à 100 par rapport à l'isolat
recueilli avant traitement et testé en parallèle.
¬ La résistance à la zidovudine est associée à l'apparition de
mutations spécifiques au niveau du gène pol, induisant des
substitutions d'acides aminés au niveau de la transcriptase
inverse. Au total, cinq mutations principales ont été
rapportées au niveau des codons pol 41 (Mét —> Leu), pol 67
(Asp —> Asn), pol 70 (Lys —> Arg), pol 215 (Thr —> Tyr
ou Phe) et pol 219 (Lys —> Gin) du gène de la transcriptase
inverse.
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Une évolution continue des mutations a été observée par
Boucher et coll. chez 18 patients initialement
asymptomatiques qui recevaient de la zidovudine, de telle
sorte qu'au bout d'un certain temps, des souches virales de
résistance élevée ont remplacé celles de faible résistance [2].
La première mutation apparaît transitoirement en pol 70. La
disparition de cette mutation est contemporaine de l'apparition
des mutations en pol 41 et pol 215, et, chez certains patients,
de la réapparition de la mutation en pol 70. Apparemment, un
traitement prolongé est nécessaire avant qu'un virus
partiellement résistant contenant des mutations en pol 41, 70
et 215 ne devienne hautement résistant, en acquérant d'autres
mutations, situées en pol 67 et 219. De fait, ces dernières
mutations sont rarement observées dans les deux premières
années de traitement.
L'étude des prélèvements séquentiels de patients inclus dans
le protocole Concorde a confirmé la rareté des mutations des
codons 67 et 219; elle a montré également que la mutation au
niveau du codon 70 peut persister isolément pendant plusieurs
mois, voire disparaître sans annoncer l'apparition ultérieure de
mutation sur le codon 215, ce qui laisse penser que la
mutation en pol 70 n'a pas de valeur pronostique [3]. La
signification clinique de l'émergence de mutants résistants à
la zidovudine commence à être mieux comprise. Ainsi,
l'apparition d'une résistance pourrait être prédictive d'une
évolution clinique plus rapidement défavorable. Ceci a été
démontré au cours de l'essai ACTG 116B/117 (essais
comparant l'alternance pour la ddl versus la poursuite de la
zidovudine, après au moins 16 semaines de zidovudine, chez
des patients ayant moins de 300 lymphocytes CD4/mm3),
dans lequel les malades (15 %) ayant des isolats de VIH
hautement résistants à la zidovudine (CI50>1 µM) avaient
une aggravation clinique plus rapide, en tenant compte des
facteurs de confusion potentiels que sont la lymphocytémie
CD4 ou encore le phénotype syncytium-inducing [4]. Dans
cette étude, un haut niveau de résistance à la zidovudine était
également un marqueur indépendant de décès. La mutation en
pol 215 apparaît bien corrélée à l'existence d'isolats ayant un
phénotype de résistance in vitro.
¬ Bien que de signification clinique encore discutée, la
mutation en pol 215 serait liée à une augmentation de la
charge virale circulante, à une aggravation clinique ainsi qu'à
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un pronostic défavorable. Ainsi, l'apparition d'une mutation
en pol 215 peut constituer un marqueur de détérioration
imminente du statut immunologique.
Dans un groupe de 38 malades traités par la zidovudine
depuis 34 mois en moyenne, une diminution de 50 % du taux
des lymphocytes CD4 circulants était observée chez 17
patients dont les isolats viraux avaient une mutation en pol
215, alors que 21 autres patients, dont les isolats viraux
étaient de génotype sauvage, avaient une augmentation
moyenne du taux de lymphocytes CD4 de 11 % [5].
Chez des patients de l'essai Concorde, appartenant tous au
groupe traité immédiatement par la zidovudine, une étude cas
contrôle a été réalisée pour rechercher une corrélation entre la
résistance à la zidovudine et la progression clinique,
l'évolution de la charge virale plasmatique, et celle du nombre
de lymphocytes CD4 [3]. A partir du 12e mois de traitement
(M12) et à M17, l'analyse multivariée montre que le meilleur
prédicteur de la progression clinique est l'apparition de la
mutation en pol 215.
Par ailleurs, Japour et coll. ont corrélé l'existence des
mutations en pol 215 et pol 41, conférant la résistance à la
zidovudine, avec l'évolution clinique, chez 188 malades
inclus dans l'essai ACTG 116B/117 [6]. L'existence combinée
des mutations en pol 215 et pol 41 était significativement
corrélée avec un risque plus élevé de progression clinique (x
1,8), ainsi qu'avec un risque majoré de décès (x 5,4).
L'existence isolée de la mutation en pol 215 était également
liée à un mauvais pronostic, sans toutefois que le seuil de
significativité ne soit atteint (p = 0,07). De façon intéressante,
le bénéfice du changement thérapeutique AZT —> ddI était
indépendant de la présence de ces mutations, suggérant qu'il
pourrait être associé à d'autres marqueurs prévisionnels
d'évolution, comme la charge virale plasmatique [6].
Signalons enfin que Smith et coll. ont rapporté que les isolats
de VIH-1 porteurs de mutations conférant la résistance à la
zidovudine pouvaient être détectés dans le plasma durant de
longues périodes après arrêt de la zidovudine et relais par la
ddI, ce qui signifie que ces variants résistants peuvent se
répliquer in vivo en l'absence de pression de sélection
médicamenteuse [7].
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¬ La résistance à la didanosine (ddI) a été décrite par St Clair
en 1991 chez 5 patients ayant été traités auparavant par la
zidovudine, avec une augmentation d'un facteur 5 à 30 de la
CI50 de leurs isolats vis-à-vis de la ddI après 6 à 12 mois de
traitement par la ddI [8]. La diminution de la sensibilité à la
ddI est principalement associée à des mutations au niveau de
pol 74 (Leu —> Val) et pol 184 (Mét —> Val) de la
transcriptase inverse. Les souches virales qui possèdent ces
mutations présentent une résistance croisée avec la
zalcitabine, mais pas avec la zidovudine. De plus, la mutation
au niveau du résidu 184 est associée avec un niveau très élevé
de résistance à la didanosine et à la zalcitabine.
Les mutations de résistance peuvent croiser entre elles, et
ainsi conférer la résistance à plusieurs antirétroviraux [9].
Elles peuvent également interagir entre elles :
- Certaines mutations conférant la résistance aux
antirétroviraux interagissent de façon additive ou synergique :
par exemple, la CI50 est significativement plus importante en
cas d'association des mutations de résistance à la zidovudine
en pol 41 et en pol 215, induites par mutagénèse dirigée,
qu'en cas de mutations isolées [10].
- Certaines mutations conférant la résistance aux
antirétroviraux semblent interagir négativement les unes avec
les autres (effet suppresseur), ce qui pourrait privilégier
certaines associations thérapeutiques. Ainsi, au cours des
associations AZT + ddI ou AZT + ddC, l'émergence de la
mutation de résistance à la zidovudine en pol 215 préviendrait
dans une certaine mesure la sélection des mutations en pol 74
ou en pol 184 [9].
- Enfin, certaines mutations semblent pouvoir supprimer
l'effet d'une mutation vis-à-vis d'un autre antirétroviral, et
ainsi resensibiliser une souche de VIH devenue résistance
[11]. Ainsi, des souches de VIH ayant les mutations pol 41
et/ou pol 215 conférant la résistance à la zidovudine peuvent
se comporter comme des souches phénotypiquement
sensibles, à cause de l'addition des mutations conférant la
résistance à d'autres antirétroviraux.
A l'extrême, certaines mutations paraissent exclusives l'une de
l'autre. Par exemple, la principale mutation conférant la
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