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Pavot, mode d’emPloi
À Java, au
xvii
e
siècle, s’ouvrent les premières fumeries, nouvelle façon de consommer de la drogue. La firme pharmaceutique Bayer, en 1899,
isole l’héroïne et un autre alcaloïde du pavot, la codéine, qui est prescrite contre la toux. La morphine, tirée du pavot, reste d’ailleurs, malgré
les avancées de la médecine, le plus efficace antidouleur.
Botanique
Les abeilles nourrissent leurs larves avec le pollen. Chaque matin, dans certaines fleurs comme les coquelicots,
abeilles et bourdons secouent les anthères et se couvrent ainsi de pollen dans un bruissement caractéristique,
le "buzzing". Le pavot somnifère détient le record du plus grand nombre de grains de pollen par plante : 300 millions !
Il dispose également du plus grand nombre de graines par fleur : les 2 000 semences sont contenues dans
une « tête » avec une sorte de béret plat sous lequel s’ouvre une rangée de trous. À maturité, chaque fois
que la longue tige oscille, les graines sont expulsées aux alentours. C’est en observant ce phénomène
qu’un inventeur américain, R.H. Francé, a l’idée, au début du
xx
e
siècle, de la salière…
« Religion, oPium du PeuPle »
• Une dépendance qui se démocratise
Le pavot somnifère n’est pas une plante chinoise, l’opium était rare et cher en Chine et seuls quelques privilégiés pouvaient se l’offrir. Les
pauvres avaient recours à la décoction de têtes de pavots pour soulager leurs maux.
Au
xv
e
siècle, à la cour impériale de Chine, constamment à la recherche de raffinements nouveaux, l’opium acquiert peu à peu une réputation
d’aphrodisiaque.
« L’opium médicament »
devient alors
« l’art alchimique du sexe et des courtisans »
. L’empereur Chenghua (1464-1487)
envoie des émissaires à travers tout le continent pour rapporter
« la noire et odorante médecine du printemps triomphant »
, payée un prix
fabuleux. Au
xvii
e
siècle, sa consommation se démocratise. Un mélange tabac-opium, le
madak
, fumé en quelques bouffées dans un tube de
bambou ou une petite pipe, devient peu à peu un complément naturel de la chique de bétel et du thé traditionnel.
Au
xviii
e
siècle, des empereurs, parfois eux-mêmes fumeurs, interdisent vente et consommation d’opium pour usage non médical.
• Les Anglais tirent les premiers
Au début du
xix
e
siècle, les Anglais, qui cherchent un débouché pour leur production d’opium cultivé en Inde, inondent le marché chinois
par la contrebande. Lord Melbourne, Premier ministre de la Reine Victoria, déclare la guerre à la Chine après la destruction d’une grosse
cargaison d’opium à Hong Kong. Battue par un corps expéditionnaire franco-anglais, la Chine doit accepter le traité de Nankin en 1842
qui autorise les Anglais à faire commerce de l’opium. Ce dernier, théoriquement interdit, devient une aubaine pour de nombreux Chinois
qui se mettent à trafiquer, contribuant au développement de la consommation, au grand désespoir du gouvernement. Affirmant que sa
consommation
« n’était pas un dommage mais un réconfort »
, Français et Américains rejoignent les Anglais et participent à ce commerce
lucratif. Le 19 mars 1853, une troupe de rebelles Taiping dirigés par Hung Xiuquan s'empare de Nankin, capitale de la Chine du sud.
• La solution radical-socialiste
Leur révolte va se solder par 20 millions de victimes. Une seconde intervention des Occidentaux lui fait suite. Le résultat des deux guerres
de l’opium est la légalisation forcée de la consommation et du commerce de la drogue dans toute la Chine. Un traité conclu en juin 1858, à
Tien-Tsin par les représentants de la France, de l'Angleterre, de la Russie et des États-Unis, stipule que la Chine sera ouverte au christianisme
et au commerce étranger. Mao, en 1949, après la
« Longue marche »
et l’institution de la République populaire de Chine, interdit l’opium
et la religion, suivant le conseil de Marx.
• Épilogue : l’argent va à l’argent
Les Empereurs chinois exigeaient des lingots d’argent contre le thé qu’ils consentaient à
vendre à la Compagnie anglaise des Indes occidentales. En 1773, le
Tea Act
ouvre le
marché de la colonie américaine à la Compagnie anglaise des Indes. En réaction contre ce
monopole, les commerçants locaux jettent les caisses de thé dans le port de Boston. Ce
conflit débouchera sur la Révolution américaine.
Afin d’obtenir les lingots d’argent indispensables à l’achat du thé chinois, la Compagnie a
l’idée de vendre l’opium fabriqué en Inde aux contrebandiers chinois contre des lingots
d’argent, plus de cinq fois sa valeur.
Pour aller plus loin...
Voyage au levant (1553),
Pierre Belon, Chandeigne.
L’éloge de l’herbe : Les formes cachées de la nature,
Claude
Nuridsany, Adam Biro.
Palikao (1860) : Le sac du Palais d’été et la prise de Pékin,
Raymond
Bourgerie et Pierre Lesouef, Economica.
Jardin des plantes de Caen (Calvados) : ouvert tous les jours, tél. :
02 31 30 48 40. Spécialisé dans la flore normande et la conservation
des espèces menacées, ce jardin possède une riche collection de 101
taxons de plantes médicinales, dont les pavots somnifères en saison.
Jardin des plantes médicinales du Musée Flaubert, Rouen (Seine-
Maritime) : ouvert le mardi, mercredi et samedi, tél. : 02 35 15 59 93.
Une somme de renseignement sur les vertus des plantes.
Idées de visites
Pour voyager par les livres
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P B (1517-1564), ou le «stupéant» pouvoir des plantes
Les abeilles nourrissent leurs larves avec le pollen. Chaque matin, dans certaines fleurs comme les coquelicots,
abeilles et bourdons secouent les anthères et se couvrent ainsi de pollen dans un bruissement caractéristique,
000 semences sont contenues dans
» avec une sorte de béret plat sous lequel s’ouvre une rangée de trous. À maturité, chaque fois
Empereur Chenghua
l’idée de vendre l’opium fabriqué en Inde aux contrebandiers chinois contre des lingots
d’argent, plus de cinq fois sa valeur.
Départ de Paris en 1546
Retour en 1549
Départ de Paris en 1546
Issu d’une famille modeste de la Sarthe, il devient «garçon
apothicaire » au Mans où il gagne la protection de
l’évêque René du Bellay en charge des cours de botanique à
l’université de Wittenberg. Après des études de médecine à
Paris, Belon entre dans l’entourage du cardinal de Tournon,
diplomate puis ministre. En 1546, celui-ci envoie le jeune
naturaliste en mission scientique au Levant où François
er tient à marquer son amitié, intéressée, avec Soliman le
Magnique.
Un brillant début de carrière
Belon visite l’Italie, la côte dalmate, la Grèce et ses îles,
Constantinople et ses environs, l’Égypte, la Palestine,
la Syrie puis traverse l’Anatolie où il séjourne un hiver,
approfondissant ses connaissances des mœurs turques.
On lui doit les premières descriptions de nombreuses
plantes, mais seule une petite partie de ses collectes est
arrivée en France, des pirates ayant intercepté le vaisseau
chargé de convoyer ses caisses. Par chance, son stock de
graines n’était pas du voyage.
Son nom reste associé à l’introduction du platane. Le
platane commun en France est le Platanus acerifolius,
hybride fertile du Platanus orientalis ramené par Belon et
du Platanus occidentalis américain. Il a également introduit
le lilas, bouturé discrètement dans le jardin du Sultan de
Constantinople, de l’olivier, du laurier-rose, de la rose de
Jéricho, de l’hellébore noire et du prunier Reine-Claude,
dédié à la première épouse de François er. En Égypte, il
mentionne le papyrus du Nil, la canne à sucre originaire de
l’Inde, le bananier, le sycomore, le séné (Cassia).
Il propose au nouveau roi Henri d’acclimater diverses
essences de l’est du bassin méditerranéen : chêne-liège,
chêne-vert, arbousier, térébinthe, sumac.
Des fréquentations dangereuses
Outre les plantes d’ornement, Belon s’intéresse également
aux pouvoirs de certaines plantes pouvant enrichir
le « droguier du roi » : l’hysope (Hysopus), le henné
(Lawsonia), l’arbre à myrrhe (Commiphora) mais surtout
le pavot à opium (Papaver somnifera), cultivé en Turquie
pour ses graines alimentaires, ses vertus somnifères mais
aussi euphorisantes. Belon, subjugué par cet analgésique
puissant, tente sans doute d’en faire commerce : « Un
Arménien chez lequel j’ai longtemps logé en mangeait souvent
devant moi; et ayant éprouvé l’opium, je n’y trouvais autre
accident que de m’échauer la poitrine, et de me troubler
quelque peu le cerveau, et rêver en dormant».
Une n mystérieuse
À son retour, il publie Observations de plusieurs singularités
et choses mémorables trouvées en Grèce, Asie, Judée, Égypte,
Arabie et autres pays étranges. Henri succède à François
eret malgré ses amitiés avec le poète Ronsard, les dignitaires
ecclésiastiques Tournon et du Bellay, le nouveau roi
n’accorde à Belon que de maigres subsides. Belon aurait-
t-il eu recours au commerce de l’opium et autres plantes
euphorisantes pour améliorer ses ns de mois? Serait-ce
la raison de son assassinat nocturne dans un chemin du
Bois de Boulogne? Si Pierre Belon ne gure plus dans les
dictionnaires modernes, son nom reste cependant associé
à un palmipède à bec rouge au plumage multicolore mais
à la chair immangeable, le tadorne de Belon, qui niche au
Moyen Orient.