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R E V U E F R A N Ç A I S E D ’ Œ N O L O G I E M A I / J U I N 2 0 1 3 N ° 2 5 8
C A H I E R T E C H N I Q U E
1. Le French Paradox, 20 ans après : bilan
des connaissances acquises. Définition
d’une consommation modérée de vin
Matinée technique du 53ème Congrès des Œnologues de France
par Pierre-Louis Teissedre
Institut des Sciences de la Vigne et du Vin, Unité de Recherche Œnologie, EA 4577
USC 1366 INRA, Faculté d’Œnologie, 210 chemin de Leysotte - 33882 Villenave-d’Ornon cedex
Aujourd’hui, il est communément admis qu’une consommation
modérée mais régulière de vin rouge (deux à trois verres par jour)
protège contre les maladies cardiovasculaires. C’est le fameux
“paradoxe français”, qui défraie la chronique depuis près de 25 ans.
C’est grâce à de nombreuses enquêtes épidémiologiques qu’il est
confirmé que les populations consommatrices de vin présentent
des taux bas de mortalité pour les maladies cardiovasculaires.
Une activité protectrice du vin contre les maladies cardiovasculaires
est admise et un nombre important d’études suggère que le vin peut
diminuer de 40 % les risques d'infarctus du myocarde, ainsi que
les risques de thromboses vasculaires cérébrales de 25 %.
1. Le paradoxe français
Le premier travail qui évoque dès 1981 le french paradox est celui
des Dr Ducimetière, Cambien et Richard (1) après avoir comparé
les niveaux de maladies cardiaques avec les données de prise
de graisse alimentaire fournies par l’OCDE (Organisation pour la
Coopération Economique et le Développement). Dans ces données,
la consommation de graisses animales en France apparaît très élevée
en dépit du fait que les données de mortalité pour les hommes de
la tranche d’âge (35-64 ans) se situent juste au-dessus de la Grèce
ou du Japon. En fait, les risques classiques n’ont pas pu expliquer
la diminution par 4 de la mortalité dans les maladies cardiaques
ischémiques plus tard observée entre Toulouse et Belfast (2).
En effet, l’unité INSERM “Épidémiologie cardiovasculaire”
du Dr P. Ducimetière coordonne, à partir de 1985, la participation
française au projet Monica, lancé par l’Organisation mondiale
de la santé afin d’analyser les variations de la mortalité par maladie
coronaire dans 27 pays. Il est alors mis en place un véritable système
de surveillance des maladies coronaires en France, grâce à la mise
en place de trois équipes en région (Lille, Toulouse, Strasbourg),
devenues aujourd’hui des centres actifs de recherche épidémiologique.
Les données recueillies permettent d’effectuer pour la première fois
des comparaisons internationales qui montrent que l’incidence
de la maladie coronaire en France est intermédiaire, se situant entre
celle des pays d’Europe du Nord et celle des pays d’Europe du Sud.
Dés 1978, une étude (3) est menée sur 123 934 personnes par le Dr Klatsky
(Oakland, Californie) pour voir s’il est possible de trouver des facteurs
qui affectent de manière significative les risques de maladies
cardiovasculaires. Les travaux montrent l’existence d’une courbe en J :
les personnes qui consomment de 1 à 3 verres par jour ont un risque
plus bas de décès par maladies cardiovasculaires que ceux qui
s’abstiennent ou ceux qui boivent de façon immodérée. Depuis, cette
relation a été confirmée dans plusieurs études sur des populations
diverses et l’alcool en modération est connu pour augmenter les teneurs
en HDL (Lipoprotéines Haute Densité), réduire les lipoprotéines
athérogèniques ainsi que l’agrégation plaquettaire (4).
Le retentissement le plus célèbre reste celui de l'émission “60 minutes”,
présentée en novembre 1991 sur la chaîne américaine CBS où le
Dr Serge Renaud permet de vulgariser l'existence du “French Paradox”.
Cette dénomination révèle donc un constat épidémiologique montrant
que, si dans la plupart des pays une consommation élevée de graisses
saturées est fortement corrélée avec des mortalités importantes
pour les maladies cardiovasculaires, cela n’est pas le cas en France
et, plus particulièrement, dans la région de Toulouse où la mortalité
d’origine coronarienne est faible malgré une consommation
conséquente de graisses saturées. Parmi les hypothèses avancées
pour expliquer ce paradoxe, la consommation régulière et modérée
de vin est émise. Le Dr Serge Renaud a rapporté (5) la relation entre
graisses alimentaires, vin et mortalité coronaire pour les hommes
et les femmes dans 17 contrées développées. Une relation positive
a été trouvée entre graisses alimentaires et maladie coronaire
(r = 0,73, p <0,001). Cependant, la France, et, à un moindre degré
la Suisse, étaient éloignées de la droite de régression ; avec des taux
plus bas de maladie coronaire que ceux attendus. L’analyse multivariée
ajustée sur la consommation de vin déplaçait la France et la Suisse
plus près de la droite de régression, et la corrélation augmentait
(r = 0,87, p<0,0001) (Figure 1).
Une méta-analyse réalisée en 2002 par le Dr Di Castelnuevo et al.
de l’ université Campobasso en Italie (6), montre que pour 13 études
impliquant 209 418 personnes, le risque relatif de la maladie vasculaire
associée à la consommation de vin était de 0,68 (l’intervalle de confiance
de 95 %, 0,59 à 0,77) par rapport aux abstinents (Figure 2). Une forte
évidence soutient l’existence d’une relation de courbe en J entre
le risque de mortalité vasculaire et les différentes quantités de consom-
mation de vin à partir de 10 études impliquant 176 042 personnes.
Une association inverse statistiquement significative est également
trouvée jusqu'à une consommation quotidienne de 150 ml de vin.
Dans le même temps, le risque relatif global de la consommation
de bière modérée, qui a été mesurée dans 15 études impliquant
208 036 personnes, est de 0,78 (l’intervalle de confiance de 95 %,
0,70 à 0,86). Cependant, aucune relation significative entre les quantités