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reprochait déjà de voler la moitié de ses œuvres aux vieux bouquins, pour
avoir vécu sur la farce italienne et gauloise. Je ne vais pas refaire son
parcours, mais il me suffira de rappeler ce jour où Louis XIV demanda à
Boileau quel était le plus rare des grands écrivains, qui auraient honoré la
France durant son règne et qui s’entendit répondre sans hésiter par le juge
rigoureux : « Sire, c’est Molière. »
Il se donna la liberté, avec sa troupe de livrer au rire la vieille société, sa
fatuité, la piété, le mariage, l’inégalité conjugale, et ce grâce, dans ses
tentatives hardies et familières, au jeune Louis XIV qui le protégea de tous.
Cela ne signifiait guère que c’était le souverain qui écrivait lui-même les
pièces comme le Tartuffe, sur l’hypocrisie et le vice.
Il se rattachait à son siècle, s’y adaptait et en sortait avec panache. Ses
contemporains, Boileau, Racine, Bossuet sont plus spécialement des
hommes de leur temps. Molière n’entrait dans aucune réaction religieuse
ou littéraire, comme eux. Il était plus du monde de Ninon de Lenclos qui
ouvrait son salon aux libres penseurs, de madame de la Sablière, avant sa
conversion dont le salon de la Folie-Rambouillet rassemblait la meilleure
société tels que Racine, Boileau, Perrault ou encore Marie de Sévigné, pour
ne citer qu’eux. Molière recevait à Auteuil de jeunes seigneurs libertins, se
permettait de faire dire à son don Juan le fameux mot qu’il retira pour
avoir provoqué une levée de boucliers : « Tu passes ta vie à prier Dieu et tu
meurs de faim, prends cet argent, je te le donne pour l’amour de
l’humanité. »*
Alors, si comme le soutenait l’académicien, les pièces étaient de
Louis XIV, aurait-on osé y toucher ? Le roi l’aurait-il seulement autorisé ?
Molière pouvait-il fréquenter tout ce monde d’érudits, s’il ne pesait lui-
même du poids de son érudition ? Déjà avant lui, un autre de ses illustres
aînés, je veux nommer Shakespeare, avait été accusé de plagiat. La paternité
de son œuvre avait été contestée par des plumes respectables de Twain, de
Dickens ou Borges, alléguant du peu d’éléments qui pouvaient justifier une
telle prolifique production de ce bourgeois de province, acteur et monteur
de spectacles. On avait tout dit de lui, même qu’il était juif et Italien.
Un débat enflammé avec mes camarades s’en suivit. Chacun de nous
donna ses impressions, fit connaître ses convictions ; les miennes étaient
simples. Pour avoir lu les œuvres complètes de Molière, plusieurs