Points soumis à la discussion

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Points soumis à la discussion
Suite à l’intervention de Laurent Loison Penser le vivant et son évolution hors du
lamarckisme : se détourner des conceptions premières. 18 mars INRP
Rédigé par Michèle Prieur
Théorie de l’évolution et contexte scientifique
Si le contexte religieux, politique joue un rôle dans l’acceptation de la théorie de l’évolution,
le contexte scientifique est aussi très important.
Opposition de Cuvier (1769-1832) à Lamarck (1744-1829)
Le fixisme et le catastrophisme de Cuvier ne sont pas des positions idéologiques religieuses
ou politiques. Cuvier s’appuie sur des arguments scientifiques étayés d’ordre paléontologique
et anatomique.
Cuvier, brillant anatomiste, s’intéresse en particulier dans son travail de thèse à l’anatomie
comparée. Il définit alors quatre grands types d’organisation différents, ne montrant aucune
relation de parenté apparente entre les espèces, donc aucune origine commune. L’étude des
corrélations anatomiques l’empêche de concevoir une petite variation localisée, l’ensemble ne
pouvant fonctionner que si les pièces restent stables. Cuvier développe ainsi des arguments en
faveur de la fixité des espèces qui lui permette de s’opposer au transformisme de Lamarck.
Par ailleurs, Cuvier réalise un travail rigoureux d’analyse des enregistrements fossiles. Ces
études révèlent des discontinuités successives qui argumentent en faveur de créations
successives faisant suite à des catastrophes planétaires. Il s’oppose ainsi au gradualisme et au
continuisme de l’évolution défendu par Lamarck.
L’enseignement de l’évolution en France
On peut noter que la place accordée à la sélection naturelle dans l’enseignement de
l’évolution en France a toujours été réduite (il existe dans les programmes du lycée actuel un
très grand déséquilibre entre l’étude des phylogénies et des mécanismes génétiques de la
variation et celle de la sélection naturelle). D’une façon plus générale, on peut noter que la
France a longtemps eu des difficultés à accepter et comprendre la sélection naturelle, ceci
pouvant s’expliquer par le fait que la génétique des populations s’est développée à l’extérieur
des frontières françaises.
La sélection naturelle est un objet scientifique ambitieux, difficile car contre-intuitif qui
pourrait néanmoins constituer un point fondamental de l’enseignement de l’évolution.
Le hasard dans la théorie de l’évolution
Dans le contexte historique du début du 19ème siècle, les lois de la nature permettent
d’expliquer le passé et de prévoir le futur, l’univers est déterminé. Lamarck s’inscrit dans ce
paradigme et ne laisse en conséquence aucune place au hasard dans sa théorie de l’évolution.
La prise en compte du hasard dans l’explication scientifique est récente, elle est liée au
développement des probabilités et des statistiques.
Selon Jean Gayon1, la théorie de l’évolution met en jeu trois niveaux d’intervention du
hasard :
1
Jean Gayon, « Hasard et évolution », L’évolution, sous la direction de H. Le Guyader, Belin, 1998
« La chance » : le hasard des mutations non dirigées d’un individu
Les résultats d’une variation génétique sont sans relation avec les conditions du milieu.
« L’aléatoire » : la probabilité à l’échelle des populations
Il existe des événements aléatoires répétitifs, définis par des lois de probabilité. Ces
événements sont pris en compte dans les modèles de l’évolution des populations.
« La contingence » : des événements imprévisibles à l’échelle de la macroévolution
Certains événements extérieurs imprévisibles, comme par exemple la chute d’une météorite,
peuvent venir perturber l’écosystème. Ces évènements contingents ne peuvent être pris en
compte dans les modèles prédictifs de l’évolution, ils ne seront identifiés qu’à postériori, à
partir de l’étude des traces (sur ce point voir S.J. Gould, La vie est belle).
Un vocabulaire constituant des obstacles sémantiques
Un certain nombre de termes ou d’expressions utilisés pour expliquer les mécanismes de
l’évolution constituent des difficultés, voir des obstacles à la compréhension de ces
mécanismes.
Sélection naturelle, adaptation et finalisme
La sélection naturelle est non seulement un mécanisme contre intuitif mais encore une
expression qui sur le plan sémantique s’oppose à sa compréhension. Dans le langage courant
la sélection est effectuée dans un but déterminé, elle exprime en conséquence l’idée de
finalité. Dans le cadre de la sélection naturelle il n’y a aucun d’objet de sélection au sens
finaliste du terme.
Il pourrait-être intéressant d’expliquer aux élèves l’origine de cette expression construite par
Darwin en opposition à la sélection réalisée par les éleveurs, appelée par la suite sélection
artificielle.
Le terme d’adaptation est tout autant si ce n’est encore plus ambigu dans le domaine de
l’évolution. Dans le langage courant il est le plus souvent relié à l’idée d’acte dirigé et
volontaire, dans le langage scientifique, il peut recouvrir différents sens. Pour tenter de lever
cette ambigüité, les scientifiques ont recours à différents termes. Pour décrire l’adaptation
physiologique sous l’effet des contraintes du milieu sans lien avec l’adaptation évolutive, le
terme d’accommodation est retenu (exemple : adaptation des végétaux soumis à un stress
hydrique). Pour décrire le processus évolutif ou la structure résultant d’une adaptation
évolutive différents termes sont utilisés :
- aptation : structure qui présente un avantage sélectif, elle est le résultat final de la
sélection naturelle,
- adaptation : processus sélectif qui conduit à une aptation
- exaptation2 : structure adaptée à de nouvelles fonctions. Les plumes par exemple
possèdent des fonctions différentes au cours de l’évolution. Elles jouent en premier
lieu un rôle dans la thermorégulation puis dans la capture des proies et pour finir dans
la locomotion.
« Lignée buissonnante »
L’expression « lignée buissonnante » utilisée dans les programmes de SVT de lycée à propos
de l’évolution humaine est un oxymore pouvant être source d’incompréhension par les élèves.
Tandis que le terme lignée fait appel à une explication linéaire de l’évolution pour laquelle
chaque fossile est l’ancêtre commun de l’espèce qui lui succède, l’adjectif buissonante a pour
2
A consulter : SJ Gould, « Exaptation – a missing term in the science of form », The philosophy of biology,
Hull and Ruse, 1998.
objet de montrer l’existence de ramifications, les différents rameaux évolutifs partageant un
ancêtre commun hypothétique.
Dans le cadre des programmes, cet oxymore peut s’expliquer par la persistance d’un
vocabulaire issu des anciens programmes dans lesquels on étudiait la lignée humaine et par
l’étude de la phylogénie dans les programmes actuels.
Dans le domaine scientifique on constate parfois une inertie dans l’utilisation du vocabulaire.
C’est ainsi que les paléontologues utilisent encore le terme de lignée, notamment à propos de
la lignée des équidés, bien que leur étude soit axée sur celle des rameaux évolutifs. En
conséquence, on peut-être amené à observer un décalage dans l’utilisation du vocabulaire
entre disciplines pour lesquelles les contacts théoriques ou communautaires sont réduits.
Le niveau d’étude des mécanismes de l’évolution : individu, population, espèce…
« Micro et macroévolution »
Tandis que la microévolution s’intéresse aux mécanismes de l’évolution à l’échelle de
l’individu et de la population, la macroévolution s’intéresse aux mécanismes de spéciation et
d'évolution des groupes taxonomiques supérieurs à l’espèce. Bien que la seconde se déroule
sur une durée beaucoup plus longue que la première, Stephen Jay Gould3 souligne la tension
existant entre ces deux niveaux d’étude et le fait que la macroévolution est autre chose qu’une
microévolution augmentée de la durée.
Ces deux niveaux d’étude relevant d’une certaine complexité, on peut s’interroger sur leur
accessibilité par les élèves du secondaire.
Echelle individuelle et populationnelle
L’un des obstacles à la compréhension des mécanismes de la sélection naturelle par les élèves
est lié à leur échelle d’observation de ces mécanismes. En effet, spontanément les élèves
centrent leur raisonnement sur l’individu et non sur celle de la population, ils envisagent plus
facilement l’étude des allèles portés et transmis par un individu que celle de l’étude de la
fréquence des allèles au sein d’une population. Il semblerait nécessaire de favoriser une
approche concrète de l’étude de la diversité au sein d’une population dans les programmes
d’enseignement.
3
SJ Gould, La structure de la théorie de l’évolution
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