Forum du Bâtiment Durable 7-8 mars 2016 - Lyon Les pôles de compétitivité Tenerrdis et Axelera, avec l’appui du Pôle Innovations Constructives (PIC) ont organisé les 7 et 8 mars 2016 un forum consacré au bâtiment durable. Cet événement a été accueilli par la Région Rhône-Alpes et a également bénéficié du soutien du Ministère de l'Environnement, de l'Energie et de la Mer (MEEM) et de la Délégation Rhône-Alpes de l'Agence de l'Environnement et de la Maîtrise de l'Energie (ADEME). La massification des solutions innovantes pour la rénovation des bâtiments Quels leviers d'action pour atteindre les objectifs environnementaux et économiques : retours d'expériences et mises en réseau d'acteurs Sommaire 1 - Session plénière : Les enjeux de la massification des solutions innovantes pour la rénovation des bâtiments 1. 2. 3. 4. 5. L’efficacité énergétique, un enjeu territorial Un contexte européen porteur L’ADEME en soutien des régions Une massification des projets portée par la Région Les conditions de réussite pour généraliser l’efficacité énergétique 2 - Les facteurs clés des modèles économiques innovants : quelles perspectives pour une bonne intégration des solutions innovantes dans la chaîne de valeur ? 1. 2. Regrouper les offres et les disciplines Développer les échanges collectifs 3 - Les réseaux gagnants : comment aider les entreprises innovantes à valoriser leurs solutions ? 1. 2. 3. 4. 5. Imaginer des incitations positives L’innovation en marche Offrir du sens aux travaux de rénovation : l’exemple de la montagne L’usager en première ligne Une adhésion partenariale 4 - Maquette numérique : en quoi le recours à la maquette numérique influence-til l’utilisation du bâtiment en aval ? 1. 2. 3. 4. 5. Les projets issus du Club IBM du pôle Fibres-Energivie L’usage de la maquette en phase conception et comme outil de relation avec les locataires Retour d’expérience sur des chantiers de rénovation de copropriété BIM et gestion patrimoniale Faire bénéficier les parties prenantes de la structuration des données du bâtiment 5 - Innovation : quels matériaux pour la rénovation ? Avantages et inconvénients des offres. Solutions et approches prospectives. Introduction - Nouveaux critères de choix - Les implications de la rénovation - Nouveaux enjeux pour la filière - Deux projets innovants : Home Skin et Fondatherm 1. - Positionnements entrepreneuriaux dans la rénovation Evolutivité et complémentarité des matériaux L’importance de la mesure 2. L’innovation dans la tradition : l’exemple de la terre cuite 3. - Quelle place des matériaux bio-sourcés dans la rénovation ? En phase de valorisation des ressources Plus loin que l’efficacité énergétique 3. Les éco-matériaux : performance et massification 4. Des solutions innovantes qui recherchent aussi l’esthétisme 6 - Innovation dans les services : les nouvelles fonctions et nouveaux usages du bâtiment à valoriser lors des chantiers de rénovation 1. 2. 3. Suivi des consommations : service d’assistance au management de l’énergie ISO 50001 Commissionnement et déploiement d’outils de pilotage innovants Nouveaux services dans les bâtiments connectés 7 - Les facteurs de confort : comment jouer sur ce levier pour déclencher le passage à l’acte de la rénovation ? 1. Eclairage sur les besoins, besoins d’éclairage 2. Vulgariser la notion de confort 3. - La qualité de l’air intérieur, facteur clé pour la rénovation L’argument sanitaire à privilégier 4. - Le confort, levier pour les opérations à grande échelle Rassurer pour accompagner les changements d’habitude Une expérience réplicable ? 8 - Conclusion Interventions de Philippe Pelletier et Catherine Candela Les enjeux de la massification des solutions innovantes pour la rénovation des bâtiments Le bâtiment représente 44 % de la consommation d’énergie et contribue à 30 % des émissions de gaz à effet de serre. Il y a urgence à diviser par quatre la réduction de ces émissions d’ici à 2050 si l’on souhaite limiter la hausse du réchauffement. Plusieurs constats s’imposent : 1) 23 000 logements sont rénovés chaque année dans la région Rhône-Alpes, loin de l’objectif des 100 000 fixés par le Schéma régional climat-air-énergie. 2) 14 % des entreprises du BTP sont reconnues RGE. Une dynamique s’amorce : elles n’étaient que 5 % un an plus tôt. Soit 5500 entreprises sur 62 000 environ. 3) 4 à 8 millions de Français souffrent aujourd’hui de précarité énergétique. Ce sont 400 000 personnes sur la région Rhône-Alpes. 4) seulement 1,5 % des travaux de rénovation ont été financés par un prêt à taux zéro dans la région. Malgré les politiques et les moyens mis en œuvre, notamment à l’échelle des EPCI, la réponse reste faible. L’efficacité énergétique, un enjeu territorial Pour Alain Maugard, Président de Qualibat, organisme français de qualification des entreprises du bâtiment, « le réchauffement climatique est la question du siècle ». Il importe donc de trouver des débouchés pour l’innovation dans la rénovation des bâtiments. « Grâce au Grenelle, la société a réglé la question énergétique, mais elle cale sur les émissions de gaz à effet de serre. La question carbone impacte la question énergétique : ces deux aspects sont imbriqués et complémentaires », a expliqué Alain Maugard. Il est nécessaire de s’attaquer immédiatement à la valeur carbone du bâtiment, en portant ses efforts sur l’énergie grise de la construction. Il faut aujourd’hui 50 à 100 ans d’exploitation d’un bâtiment pour couvrir le carbone dépensé lors de sa construction. Ainsi, à force de s’attaquer à la sobriété énergétique des bâtiments, leur potentiel carbone s’accroît de manière très forte. Alain Maugard estime que la question énergétique se règlera à l’échelle territoriale. Un changement de société est à prévoir, par la décentralisation de la production d’énergie, avec un rapprochement, voire une coopération entre le producteur et le consommateur. Le numérique va permettre de régler l’équilibre à tout moment entre production et consommation. Par ailleurs, l’arrivée des énergies renouvelables ira de pair avec des nouvelles règlementations de consommation. De même, les BEPOS joueront le rôle « d’amortisseur » de ces énergies renouvelables, par nature non continues. Un continuum doit aussi s’établir entre le bâtiment, le quartier et la ville : l’innovation doit s’appliquer à toutes ces échelles. Deux axes pour accélérer la transition énergétique : contraindre par l’obligation et faire se rencontrer l’offre et la demande, en donnant à tous l’envie de franchir le pas. « Pour les chercheurs, c’est moins dans la tête que pour les industriels, qui ont besoin de débouchés », pointe Alain Maugard. Qui estime par ailleurs qu’on ne trouvera pas de quoi rénover 500 000 logements par an, car le confort et l’esthétique dominent encore la question énergétique. « On doit embarquer les travaux de rénovation énergétique dans les travaux en général, même si la demande n’existe pas. » Autres idées : l’innovation doit être ludique, associer les notions de plaisir et d’envie, elle doit aussi couvrir des aspects esthétiques. La question des financements reste cruciale, notamment pour renforcer la compétence des acteurs. Un contexte européen porteur Margot Pinault, de la Direction générale de l’énergie au sein de la Commission européenne, a confirmé la place prépondérante de l’efficacité énergétique au sein de la Communauté européenne. Le groupe d’intervention des politiques européennes fixe des niveaux d’ambition pour les 28 états membres à Bruxelles et joue le rôle de chef de chantier en trois étapes : législation européenne, stratégie générale, incitation aux bonnes actions. L’action du groupe d’intervention s’inscrit dans un cadre plus général : le Plan Climat Energie 2030 fixé lors de la COP21, où les 28 états membres se sont engagés devant le monde entier à réduire leurs émissions de gaz à effet de serre. L’énergie thermique représente plus de 50 % de la consommation énergétique en Europe. Une grosse partie de cette énergie est utilisée pour le bâtiment résidentiel. L’Union Européenne a donc engagé une stratégie pour le chauffage et le refroidissement, pour la réduction de la consommation d’énergie thermique et la « décarbonation » de la production de cette énergie, à travers l’électrification de la production de chauffage et la réutilisation de la chaleur perdue. Autre plan : Smart Finance for Smart Buildings et Businesses, qui vise à améliorer le climat d’investissement dans l’efficacité énergétique. Des subventions pour les acteurs locaux sont prévues pour encourager le lancement d’investissements d’envergure. Il existe plusieurs sources de financement européennes, à l’instar d’Horizon 2020, programme pour la recherche et l’innovation. Le Défi Sociétal 3 est le sous-chapitre pour les bâtiments et les technologies innovantes de rénovation thermique. Une Union de l’Energie doit à terme se mettre en place. L’ADEME en soutien des régions L’ADEME joue un rôle de premier plan dans la transition énergétique. Elle est en pointe sur trois principales échéances : 2017 > 500 000 rénovations par an, dont la moitié concernent des logements occupés par des ménages à revenus modestes 2025 > les bâtiments privés résidentiels de classe DPE F et G auront été rénovés 2050 > tous les bâtiments auront été rénovés niveau BBC ou assimilé. José Caire, directeur Villes et Territoires Durables à l’ADEME, fait toutefois remarquer que « l’obligation de rénovation énergétique lors d’une mutation a été jugée anticonstitutionnelle ». Pour la construction neuve, tous les bâtiments publics neufs seront chaque fois que possible BEPOS et à haute performance environnementale : une question d’exemplarité de l’Etat et des collectivités. D’un point de vue réglementaire, c’est sur l’ensemble du cycle de vie du bâtiment que l’on évaluera les impacts, non seulement énergétiques mais aussi environnementaux. C’est ici que s’opère un changement de paradigme, avec quatre critères évalués : la consommation d’énergie, la production de gaz à effet de serre, la consommation d’eau et la production de déchets. Dès septembre 2016 sera mis en place une étiquette environnementale expérimentale dans le bâtiment neuf. Prochaine étape : le passage du bâtiment environnemental au bâtiment durable, qui inclura les notions sociales et économiques. Une approche de coût optimal est adoptée dans cette réglementation, notamment pour contenir les surcoûts liés à la construction neuve (: on ne cherche pas la performance à n’importe quel coût). - - Le BEPOS repose sur trois grands principes : c’est un bâtiment sobre, mieux isolé qu’un bâtiment RT 2012, le BEPOS sera assorti de systèmes économiques plus performants (amélioration du CEP) il devra assurer un minimum de recours aux énergies renouvelables. Toutes les ENR sont à considérer : solaire photovoltaïque, solaire thermique, géothermie, biomasse, énergie fatale (l’air extrait et les eaux usées étant désormais considérées comme des ENR). La notion de bilan d’énergie nulle (compensation) ne se ferait pas obligatoirement au niveau de chaque bâtiment mais plutôt au niveau de l’îlot ou du quartier (la différence d’une logique où tous les bâtiments sont individuellement BEPOS). José Caire estime que la région est le bon échelon pour l’efficacité énergétique. Des programmes régionaux d’efficacité énergétique (PREE) pour le résidentiel et le tertiaire privé seront mis en place à travers des services publics d’efficacité énergétique. Ils prévoient notamment : - - le déploiement de plateformes territoriales de la rénovation énergétique, soutenues par l’ADEME. Celles-ci ont pour mission d’accueillir, d’informer, de conseiller le particulier et de l’accompagner dans ses démarches ; les EIE et les PRIS seront en première ligne ; la mobilisation des professionnels et l’implication des réseaux bancaires. Ces PREE sont liés à deux dispositifs : le carnet numérique de suivi et d’entretien du logement (obligatoire dans le neuf dès 2017 et en 2025 dans la rénovation) et le passeport de la rénovation. L’ADEME entend aussi soutenir l’innovation dans le bâtiment, avec : - - le lancement d’appels à projets R&D annuels « Vers des Bâtiments Responsables à l’Horizon 2020 », les appels à projets dans le cadre des investissements d’avenir « Méthodes Industrielles pour la Rénovation et la Construction », la mise en place d’un outil de soutien dédié aux PME innovantes : Initiatives PME, déjà pratiqué dans d’autres domaines, et consacré ici aux performances énergétiques des bâtiments et de l’industrie. Le PACTE (Programme d’actions pour la qualité de la construction et la transition énergétique) est un outil majeur d’accompagnement à la rénovation des bâtiments. Il vise à accompagner la montée en compétence des professionnels du secteur en matière d’efficacité énergétique, à la fois pour renforcer la qualité dans la construction et réduire les risques de sinistres. Il est doté de 30 M€ sur quatre ans, opéré par l’Agence Qualité Construction. Le Plan Transition Numérique dans le Bâtiment est quant à lui destiné à soutenir les efforts des professionnels dans le développement de la connaissance, la modernisation des règles de l’art et leurs relations avec les territoires sur ces problématiques. Privilégiant les objectifs de massification, il accorde une attention particulière aux solutions BIM pour les petits projets. Il veut enfin favoriser un écosystème numérique de confiance, en encouragement les travaux de normalisation. Il est doté de 20 M€ sur quatre ans, opéré par le CSTB. « Il y a de l’argent pour financer l’innovation et les PME doivent y trouver leur bonheur », a conclu José Caire. Une massification des projets portée par la Région Jérôme Biasotto, responsable du service Climat et Energie la région AuvergneRhône-Alpes, a évoqué les spécificités du Plan Bâtiment Durable. « La rénovation énergétique bénéficie de larges consensus politiques, professionnels et citoyens », a-t-il appuyé. La région a la charge de favoriser l’implantation de plateformes territoriales de la rénovation énergétique à l’échelle des établissements publics de coopération intercommunale. Le futur SRADDET (schéma régional d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires) en cours de construction intègrera l’actuel Schéma régional du climat, de l’air et de l’énergie et le Programme régional pour l’efficacité énergétique. « Pour l’instant, la massification de la rénovation énergétique du logement privé semble aujourd’hui caler », évoque Jérôme Biasotto, qui note trois principales raisons à ce frein : une difficile structuration de l’offre, une problématique de financement, et l’hésitation à passer à l’acte. Le Plan Bâtiment Durable Rhône-Alpes décline des ambitions fortes et opérationnelles. Destiné essentiellement aux logements individuels et collectifs, ainsi qu’au tertiaire, il vise notamment à transformer les enjeux énergétiques en opportunités d’affaires pour les acteurs de la filière. Il veut aussi réduire la consommation d’énergie finale de 50 % par rapport à 2012 et réduire la facture énergétique, des habitants comme des entreprises. Le Plan Bâtiment Durable Rhône-Alpes préconise notamment les actions suivantes : - Evaluer des dispositifs régionaux, - Massifier la rénovation énergétique, y compris en traitant la précarité énergétique, Convaincre et accompagner les propriétaires, Simplifier les montages financiers, Structurer et former la filière. « Ces actions doivent favoriser des projets viables et diffusables », explique José Caire. L’objectif est de dépasser la logique du bâtiment exemplaire pour augmenter de manière très forte le nombre de rénovations. La transition énergétique passera par les territoires pour atteindre ses objectifs opérationnels. « Cette territorialisation est au cœur des enjeux. » Pour l’instant, la région compte 41 territoires TEPOS/TEP-CV et 22 plateformes locales pour la rénovation énergétique du logement privé (60 % de la population régionale), traduisant cette mobilisation locale au service de la transition énergétique. Ces deux dispositifs vont accroître l’efficacité pour : - mobiliser les acteurs locaux, favoriser l’émergence et la réalisation de projets pour la massification, pour l’innovation et pour les interactions avec l’économie circulaire et le numérique, assurer une meilleure évaluation des projets. La politique régionale de soutien à la massification se décline en trois grands axes : - - le financement de projets, pour les particuliers et le tertiaire privé avec l’appel à projets « bâtiments positifs », pour le tertiaire public avec la SPL d’efficacité énergétique OSER et le Feder, l’accompagnement des particuliers et des collectifs via un centre de ressources et d’appui aux plateformes notamment, l’animation des filières et des réseaux, en partenariat avec le CERA, VAD, la FFB, la CAPEB, le cluster Eco-Energie, le pôle de compétitivité Tenerrdis et les filières éco-matériaux. Les conditions de réussite pour généraliser l’efficacité énergétique La massification des solutions doit aujourd’hui relever trois défis : - un financement public contraint, le recours à des subventions de plus en plus difficile, une efficacité des dispositifs d’aide en question. Or, selon Jérôme Biasotto, des produits bancaires existent pour rendre le financement privé accessible : Eco PTZ, prêts verts et à taux bonifiés, etc. Le développement des prêts collectifs doit aussi répondre à l’enjeu de rénovation des parcs de copropriété. Les plateformes locales sont aussi créées pour simplifier le processus d’accompagnement, mobiliser et structurer les professionnels, proposer des outils financiers adaptés, etc. Des outils d’ingénierie financière seront déployés : assurances sur aides (particuliers), fonds de garantie (copropriétés) et tiers financement. Le centre de ressource et d’appui, qui sera opérationnel au début de l’été, veut dynamiser le fonctionnement des plateformes et mobiliser les partenaires financiers. Ce centre valorisera aussi les matériaux à faible impact environnemental et diffusera les connaissances sur les changements de comportement pour faciliter le passage à l’acte. Daniel Quénard, directeur de la division Matériaux du CSTB, a évoqué l’importance du marché européen. Les 28 états membres « pèsent » 25 milliards de m2. Cela représente 220 millions de bâtiments, dont la moitié a été construite avant 1975. 70 à 75 % d’entre eux sont du résidentiel. « Hors résidentiel, ce sont les hôtels-restaurants qui figurent parmi les plus gros consommateurs d’énergie », a-t-il attesté. En 2012, les logements consommaient en moyenne 185kWh/m2 par an. En France, on dénombre 34 millions de logements pour un peu plus de 66 millions de personnes, vivant en moyenne dans 35 à 40 m2. Les bureaux et le non-résidentiel représentent environ 1 milliard de m2. Le chauffage est le premier poste de consommation d’énergie : 57 % en 2015. Daniel Quénard fait remarquer que plus des trois quarts des bâtiments qui seront occupés en 2050 sont déjà là. Les nouveaux bâtiments représenteront en 2050 10 à 20 % de consommation énergétique en plus. L’enjeu d’une rénovation vertueuse en matière de CO2 repose sur la réduction des consommations via la réglementation thermique, un usage spécifique de l’électricité et la quantité d’énergie grise incorporée. Une décarbonation de l’énergie et une adaptation des surfaces au nombre de personnes occupant le logement sont aussi à prendre en compte. Etienne Wurtz, directeur de recherche au sein du CEA-INES, estime que si la RT2012 permet de faire baisser la consommation, les bâtiments réellement performants sont quasi inexistants. La consommation moyenne annuelle d’énergie s’élève à 240 kWh/m2/an, encore loin de la cible définie par les accords de Kyoto, 50 kWh/m2/an, et de celle visée par la RT 2012, 80 kWh/m2/an. « L’efficacité énergétique du bâtiment est une activité devenue bipolaire », souligne-t-il. Il s’agit de concevoir, construire et faire durer des bâtiments qui ne consomment presque plus rien. Pour cela, il faut trouver les technologies, les méthodes et les métiers adaptés pour rénover les bâtiments les plus énergivores du parc. En 2014, le stock de logements en France s’élevait à 3 milliards de m2, pour une construction annuelle de 30 millions. En matière de bureaux, le stock était d’un milliard de m2, pour une construction annuelle de 25 millions de m2 (source : FFB). « Nous aurons trois fois plus besoin de rénovation à 50 kWh/m2/an nécessaires que du neuf pour avoir un parc performant en 2050. Chaque année perdue risque de faire exploser les besoins futurs de rénovation », appuie Etienne Wurtz. Il faudrait donc immédiatement multiplier par quatre ces efforts de rénovation. Le bâtiment représente aujourd’hui près de la moitié de la consommation énergétique et vise à la diminuer de moitié. Cette réduction permet de hisser la part du renouvelable à 90 % dans la production d’énergie et de diminuer de manière drastique les émissions de CO2. On estime à 200 000 la création d’emplois directs d’ici 2050 grâce au BEPOS, assortis d’investissements à la hauteur de 900 milliards d’euros. Une R&D pour la rénovation existe. Elle travaille sur : - des outils pour les bureaux d’études (méthodologie de prescription, aide à la décision, définition de cas-types, développement de guides) des connaissances spécifiques (diagnostic des performances réelles, qualité de l’air, gestion de l’humidité, durabilité) des outils numériques performants tels que le BIM, la réalité augmentée, le scanning 3D… des technologies innovantes : matériaux super-isolants, matériaux pour le bâti ancien, production d’EnR et autoconsommation… Un consensus est apparu pour la hiérarchisation des interventions. Il s’agit d’abord de diminuer les besoins en réduisant les déperditions et en augmentant les apports gratuits. Ensuite, augmenter le rendement des équipements, et enfin intégrer les énergies renouvelables, avec une conception des usages compatible avec les exigences de fonctionnement des réseaux. Reste qu’aujourd’hui, la performance gagnée par le neuf en deux ans est gagnée par le parc existant en trente ans. A ce rythme-là, il faudrait plus de quatre siècles pour amener le parc de bâtiments existants au niveau de performance des bâtiments neufs de 2050. « Sans politique d’amélioration de la performance thermique de l’enveloppe des bâtiments existants, les objectifs de 2020 à 2050 sont inaccessibles », estime Etienne Wurtz. Le bâtiment est responsable de 44 % des consommations en énergie finale. 58 % de ce total est dû au chauffage. 82 % des consommations de cet usage sont dues aux déperditions à travers l’enveloppe du bâtiment – dont 73 % vient des parois opaques. « L’enjeu énergétique de l’isolation des parois opaques représente 1/6e des consommations totales en France », insiste Etienne Wurtz. Pour une quarantaine d’euros d’investissements, on peut diviser par 10 les pertes thermiques au travers d’un mètre carré de paroi. « Aucun autre geste de rénovation ne permet un tel gain. » Des recherches ont démontré que le niveau initial de perte de la paroi compte plus que son épaisseur pour gagner en efficacité énergétique. Ainsi, il vaut mieux isoler avec 1cm d’isolant une paroi avec un Ui de 3W/m2K qu’isoler avec 20 cm d’isolant une paroi avec un Ui de 0,5 W/m2K. D’où l’importance des efforts d’investissement, à concentrer sur les parois non équipées. L’isolation des parois opaques est une nécessité incontournable dans les climats froids en hiver. « On ne pourra certainement pas avoir un ensemble de bâtiments BEPOS à l’horizon 2050, mais on peut envisager qu’une division par deux des besoins du parc bâti pourra conduire à une très forte augmentation de la part des énergies renouvelables dans les consommations, pour viser un parc bâti à bilan énergétique équilibré », conclut Etienne Wurtz. Les facteurs clés des modèles économiques innovants : quelles perspectives pour une bonne intégration des solutions innovantes dans la chaîne de valeur ? Christophe Gobin travaille sur des missions macro-économiques au sein de VINCI Construction France. Selon lui, le coût technique de la rénovation thermique représente « un certain volume », à tel point qu’il n’est pas possible de le faire financer par les consommations énergétiques. « Si on cumule les externalités, les coûts de non-qualité, les besoins de financement deviennent énormes. » Il est donc indispensable de trouver des sources de financement nouvelles, tout en essayant de mieux employer les ressources disponibles. Philippe Truchy, directeur général de la SPL Oser, spécialisée dans la rénovation des bâtiments communaux, se demande comment évaluer l’euro investi. Les lycées régionaux les plus énergivores ont été identifiés. Des études de plus en plus précises sont menées pour choisir les travaux les plus pertinents. Des démarches sont menées, comme celle à Bourg-en-Bresse, qui concerne 130 bâtiments communaux, trois groupes scolaires en cours de rénovation et deux autres en préparation. Il s’avère que la question des usages, qui influe sur la performance, est plus facile à résoudre et à maîtriser dans le bâtiment tertiaire ou collectif qu’en résidentiel. Regrouper les offres et les disciplines Concentré sur la maison individuelle, Jacques Perrochat, du cercle Promodul, estime nécessaire de trouver des priorités. Le think tank Shift Project cible un gisement prioritaire : les 16 millions de maisons individuelles avec une classe inférieure à C. « Tous les feux sont au vert : les positions sont alignées, mais les populations et les usagers ne passent pas à l’acte », a-t-il observé. La création d’un passeport Efficacité énergétique, expérimenté durant deux ans, doit inciter les habitants à franchir le pas. Jacques Perrochat pose deux constats. Tout d’abord, pour qu’il existe un marché, il doit y avoir une demande mais aussi une offre en face. Ensuite, l’innovation doit être technique, mais également se situer dans les procédés. Selon lui, la rénovation énergétique suppose d’appréhender les projets de manière globale. La région dispose d’un tissu extraordinaire de PME du BTP, mais celles-ci sont organisées en silos davantage qu’en corps de métiers, ce qui ralentirait la diffusion de l’innovation. « Le bâtiment a pris du retard dans ses engagements », déplore-t-il. Des dizaines de PME de la région ARA apportent des solutions de rénovation globale pour le collectif. « En fédérant les PME et en regroupant les offres, on doit pouvoir proposer des aides à la rénovation à des prix plus compétitifs », estime-t-il. Des grands groupes s’associant avec des PME en cotraitance doivent réussir à mettre sur le marché des offres à moindre coût. Parallèlement, il convient de réussir à s’engager sur les résultats qu’on délivre. Jacques Perrochat propose aussi de mieux communiquer sur les gains en termes financiers : « Je dépense combien pour améliorer ma facture de combien ? » Des outils de modélisation scientifique doivent apporter des preuves objectives auprès des décideurs et des utilisateurs. « Pour cela, les sciences sociales et la technologie doivent se rapprocher », insiste-t-il. Enfin, il convient de rendre les modes de financement plus incitatifs. « On attend beaucoup du prêt à taux zéro dans les travaux sur les bâtiments publics. » Nicolas Petit, fondateur du réseau de PME Operene, spécialisé dans l’innovation pour la rénovation énergétique, confirme l’existence de solutions de financement. « Quand on sait mobiliser l’ensemble des aides, à chaque échelon, on peut arriver à des niveaux importants », appuie-t-il. La difficulté : les formats d’éligibilité de ces aides sont très hétérogènes. Une pédagogie efficace doit contribuer à déclencher les décisions. Le passeport Efficacité énergétique y contribue. « Au-delà de l’outil, c’est la démarche ellemême qui est intéressante : elle permet de voir comment les particuliers et les professionnels se l’approprient, et comment cela génère du business et de l’emploi. » L’expérimentation est assortie de transparence, elle doit permettre, au gré des régions, de repérer et diffuser les meilleures pratiques. Développer les échanges collectifs L’enjeu est de taille : la région Rhône-Alpes compte plus de 8000 bâtiments publics à rénover. Or, 86 % d’entre eux sont la propriété de communautés de communes. Toute la difficulté est dans la capacité de ces communes à engager des investissements. Une possibilité pour elles est de devenir actionnaires de la SPL Oser. Philippe Truchy le reconnaît, la compréhension des enjeux a été sous-estimée. « Quand on entreprend des travaux patrimoniaux sur un immeuble, on ne peut plus mettre de côté la performance énergétique : ces travaux sont une occasion à ne pas louper », explique-t-il, plaidant pour une approche globale du bâtiment. Pour Philippe Truchy, l’argument technique n’est pas une fin en soi : « On a oublié le principe de la décision du consommateur final, qui est essentiel. » S’intéressant au mode de partage de la performance énergétique, il propose de développer collectivement les échanges pour mettre au point des approches françaises à porter au niveau européen. « Il ne faut pas perdre de vue que le bâtiment est un lieu d’activités humaines. Des éléments environnementaux sont à intégrer en même temps, car ils sont indispensables à la qualité d’usage. » C’est cette qualité des usages qui prévaudra à l’avenir. La question semble aujourd’hui faire consensus. Les solutions innovantes gagnantes pour la rénovation thermique des bâtiments sont celles qui intègreront d’autres notions, comme l’embellissement ou le confort. Pour les intégrer, elles supposent aussi de simplifier et d’assouplir les procédures : « Des avancées sur différents modèles sont observées, l’intelligence est démontrée à chaque problématique », conclut Philippe Truchy.p Les réseaux gagnants : comment aider les entreprises innovantes à valoriser leurs solutions ? Ron Van Erck, manager des marchés européens d’Energiesprong, a présenté un projet de rénovation de maisons passives. Des travaux dont la durée n’excède pas une semaine, financés à 100 % par le marché. Une enveloppe globale a notamment été posée en une seule journée pendant que la famille était au travail. Un millier de maisons ont ainsi été rénovées aux Pays-Bas, profitant en même temps d’une amélioration du confort et de l’aspect. « C’est un concept en amélioration continue, précise Ron Van Erck, qui permet de réaliser en une journée ce qui exigeait deux semaines il y a à peine deux ans. » Pourtant, le contexte hollandais n’était pas spécialement porteur. « Une demande structurée de manière très spécifique et des barrières règlementaires élevées ne laissent pas beaucoup de place à l’innovation », a étayé Ron Van Erck, qui se satisfait cependant d’un changement de comportement. Cette expérience a démarré avec des HLM où les locataires paient l’énergie selon un forfait correspondant aux KwH économisés, intégré au loyer. L’investissement est remboursé par les économies d’énergie réalisées. Cet exemple témoigne du phénomène de « mass customization », où l’innovation s’adapte aux contraintes du consommateur. Imaginer des incitations positives Maxime Valentin, chef de projets de la SPL Lyon Confluence, a discuté du projet Confluence, programme européen représentant 25 ans d’aménagement sur le territoire de Perrache : un million de mètres carrés à construire, soit 150 hectares pour doubler le centre-ville de Lyon. La rénovation du quartier a fait l’objet d’une vaste étude incluant les aspects juridiques, financiers et techniques. Le programme vise en particulier à diminuer la consommation énergétique des bâtiments. La réussite du projet dépend des nouveaux comportements des habitants. Comment dès lors les influencer ? « Après la culpabilisation, est-on capable d’avoir des incitations positives ? », s’interroge Maxime Valentin, citant l’exemple des compteurs en euros. Le projet Confluence a permis de nouer des partenariats européens. Il s’inscrit dans un nouveau programme à l’horizon 2020, assorti de 100 millions d’euros à se partager avec trois autres villes européennes. Aménageuse du projet, la SPL Lyon Confluence travaille avec des industriels (Toshiba), des bureaux d’études (Enertech) et ERDF notamment. Un cadre de travail a été fixé pour définir un ensemble de solutions communes. « Nous ambitionnons la construction d’un réseau de chaleur et de cogénération d’électricité pour atteindre le statut TEPOS », dévoile Maxime Valentin. Si des financements existent pour l’éco-rénovation des bâtiments du quartier Sainte-Blandine, le projet mise aussi sur la capacité des copropriétés à investir dans la rénovation des logements. L’innovation en marche L’une des missions d’Antéa Group, société d’ingénierie internationale, est de valoriser les énergies renouvelables locales, et notamment les géothermies, dans le cadre d’opérations de réhabilitation, comme sur le projet Confluence. L’innovation partagée est l’ADN de l’entreprise. « Nous travaillons avec les maîtres d’ouvrages et les bureaux d’études fluides pour voir quelles calories il est possible d’échanger avec le sous-sol », a présenté Edouard Tissier, hydrogéologue chef de projet. A Lyon, sur les îlots Saint-Paul et Saint-Joseph par exemple, Antea Group mise sur les nappes phréatiques alimentées par le Rhône et la Saône : « L’eau est captée pour être réchauffée ou refroidie, et injectée en nappe. C’est une eau renouvelée dont la température est stable, de l’ordre de 16 °C sur l’année. » La géothermie fait face à une réglementation évolutive : qualifications spécifiques pour les forages en sonde verticale à partir d’une certaine profondeur, soumissions à avis d’experts voire autorisations de préfecture selon les lieux, etc. Anne-Sophie Seguis, ingénieur d’affaires résidentiel au sein de GrDF, a pointé la diversité des champs de cette innovation. « Mais quid de leur mise en œuvre dans la vie quotidienne ? », s’interroge-t-elle, précisant qu’il faut trouver des leviers pour informer et former les usagers. « Les règlementations ne doivent pas être perçues comme des règles de conception du système, mais plutôt comme génératrices de bonnes pratiques, susceptibles de bénéficier au plus grand nombre. Cette réglementation doit pousser l’ensemble des filières à se renouveler et à innover. » Offrir du sens aux travaux de rénovation : l’exemple de la montagne En montagne aussi, les efforts de rénovation doivent être accompagnés. Laurent Laroche, responsable service aménagement du groupe SAMSE (négoce en matériaux de construction), a insisté aussi sur la nécessité de tenir compte des comportements et d’œuvrer pour la pédagogie pour les impliquer dans la rénovation. Le groupe SAMSE intervient notamment dans les programmes de rénovation sur les stations de sports d’hiver, à L’Alpe d’Huez, Chamrousse, Villard-de-Lans, les Orres ou encore Valmorel. « Ces copropriétés ont déjà fait l’objet de rénovations dans les années 1980 et 1990. Les copropriétaires considèrent leur bien comme un investissement, et donc comme une source de rentabilité », souligne Laurent Laroche. A l’occasion de la Rentrée des Neiges, en décembre dernier à Valmorel, une réunion de différents acteurs de la rénovation a présenté les solutions aux copropriétaires. Un cahier des charges rédigé avec l’ADEME a fixé une hiérarchisation des actions à mettre en place : ce qui est souhaitable, superflu ou nécessaire. « Nous avons répondu à un appel à manifestation d’intérêt, qui va nous permettre d’industrialiser les processus auprès des copropriétaires », a dévoilé Laurent Laroche. Il s’agit aussi de donner du sens à ces travaux dans une perspective plus globale : la rénovation de la station tout entière. Des scénarios-types sont déroulés auprès des propriétaires pour les sensibiliser. Un film illustrant la démarche a aussi été tourné fin mars 2016. L’objectif est de convaincre 10 à 12 copropriétés à s’engager chaque année. L’usager en première ligne Ces innovations doivent tenir compte du comportement de l’usager : « Quand l’habitant est dans son appartement, il aime bien avoir son confort. Une conduite qui tend à surdimensionner cette notion de confort, alors que les bâtiments de plus en plus vertueux exigent un dimensionnement plus fin et des consommations mieux régulées », alerte Edouard Tissier. Un argument étayé par Anne-Sophie Seguis : « Un surdimensionnement est générateur de surcoûts qui rendent une technologie peu pertinente alors qu’elle l’est à l’origine. » Revenant sur l’exemple de Valmorel, Laurent Laroche reconnaît que les propriétaires avaient tout loisir d’apporter des modifications sur les installations, avec le risque de déréguler l’ingénierie de chauffage. « Nous avons constaté en moyenne 5000 euros de surconsommations électrique dans chaque copropriété, soit le prix d’un sauna pour chaque résidence ! Une meilleure organisation de la dépense doit permettre d’optimiser les investissements futurs. » Le groupe SAMSE a mis en place une matrice décisionnelle à l’attention des propriétaires pour les accompagner dans leur réflexion sur la rénovation. Un blog a également été mis en ligne pour leur permettre d’y exprimer leur enthousiasme comme leurs désaccords. Le discours a été adapté aux conditions : « La notion de retour sur investissement n’est pas pertinente en montagne, nous l’avons remplacée par le bien-être et la possibilité de location », résume Laurent Laroche. Une adhésion partenariale Sachant qu’au final, l’adhésion sera nécessairement collective. « Les acteurs ont la volonté d’agir ensemble », a évoqué Anne-Sophie Seguis. Laurent Laroche a aussi pointé le facteur ambiance dans le cas de Valmorel, où la collectivité locale, le domaine skiable, l’office de tourisme et les copropriétaires démontrent leur volonté d’échanger et d’avancer ensemble. Maxime Valentin tempère : « Si on peut mesurer le parcours entrepris depuis dix ans sur Confluence, il reste encore à mobiliser des propriétaires de logements. On sait que certains vont refuser quoi qu’on leur propose. » Maxime Valentin a insisté sur la nécessité de s’entourer de partenaires européens : « Nous devons fédérer les forces. Au-delà du financement, un team building se crée et nous stimule. Une fédération de différents partenaires est utile pour l’action politique aussi. » Edouard Tissier reconnaît aussi l’intérêt d’accélérer les échanges entre les différents techniciens du domaine. « La géothermie est certes une ressource renouvelable, mais qui peut être trop sollicitée sur certains secteurs. » Des aménageurs ont montré leur souci de préserver cette ressource : Confluence à Lyon, Innovia à Grenoble. Ils ont mis en place une gouvernance et des orientations propres à chaque nouveau projet. « Il faut aussi prendre conscience des installations existantes qui déterminent la pertinence de la géothermie sur nappe. Chaque contexte est à considérer pour adapter la meilleure filière. » Maquette numérique : en quoi le recours à la maquette numérique influence-t-il l’utilisation du bâtiment en aval ? L’atelier a été introduit par Clément Mabire, directeur d’Astus Construction, qui a rappelé que si la tentation est grande de céder à la pression médiatique, le secteur du bâtiment ne doit pas tomber dans les travers du tout numérique et oublier les vrais enjeux du bâtiment : la qualité des ouvrages, la performance énergétique, la performance environnementale… Le rôle du BIM est donc de répondre à ces enjeux et de nous aider à mieux produire les bâtiments. Les projets issus du Club BIM du pôle Fibres-Energivie Jean-Luc Sadorge, président du pôle Fibres-Energivie 1 , a rappelé que la filière du bâtiment souffre d’une performance trop faible : le coût de la non qualité pour ce secteur est en effet évalué à 15 milliards d’euros. Le BIM doit nous aider à réduire cet effet de non qualité. Dans cette perspective, le pôle Fibres-Energivie a mis en place une plateforme mutualisée d’accès à la maquette numérique, qui permettra de répondre à une large gamme de besoins : conception, mais également suivi du chantier et gestion patrimoniale. Pour JeanLuc Sadorge, l’avenir du bâtiment réside en effet dans plus d’intelligence au moment de la conception et plus de temps en usine, pour moins de temps de chantier et moins d’erreurs. La plateforme du pôle, conçue pour les PME membres de Fibres-Energivie, adressera donc tous les acteurs : maîtres d’ouvrage, maîtres d’œuvre, gestionnaires de l’habitat collectif, industriels… En parallèle, le pôle a également créé la BIM Académie, qui a pour objectif de former les acteurs à l’utilisation du BIM. Enfin, le « Club BIM » réunit régulièrement des acteurs qui souhaitent s’initier au BIM avant de passer à l’acte. 1 Pôle de compétitivité issu de la fusion en 2015 des pôles Fibres, dédié aux matériaux biosourcés, et Alsace Energivie, dédié au bâtiment performant. La plateforme BIM du pôle Fibres-Energivie, source : présentation de Jean-Luc Sadorge au Forum Bâtiment Durable Jean-Luc Sadorge a terminé sa présentation en rappelant que le numérique n’est pas un « outil magique », mais que comme tous les secteurs, la filière du bâtiment doit y venir. « Le pôle Fibres-Energivie, at-t-il conclu, se doit d’accompagner ses membres dans cette révolution ». L’usage de la maquette en phase conception et comme outil de relation avec les locataires : le projet du Building Watteau aux Dervallières Luc Stephan, directeur Innovation de Nantes Habitat, a ensuite présenté la démarche de sa structure, et son choix d’aborder le BIM ou la représentation 3D avec les locataires, alors qu’il s’agit déjà d’un sujet difficile à aborder avec des professionnels. En 2012, Nantes Habitat, bailleur social, a pris la décision de restructurer le Building Watteau, son bâtiment le plus important, construit dans les années 1960, et qui avait déjà été restructuré et réhabilité auparavant. Une intervention importante étant prévue sur le bâtiment, s’est posée la question de savoir comment associer les locataires, leur donner envie de participer, pour produire avec eux le programme d’évolution du bâtiment. Au moment du diagnostic du bâtiment, l’architecte a proposé une maquette numérique. Par la suite, et pendant 18 mois, un travail pédagogique a été mené auprès des locataires, au cours d’une phase de concertation autour de l’outil. Environ 80 locataires ont suivi épisodiquement le projet, et environ 40 sont allés jusqu’au bout de la démarche, ce qui représente de très bons résultats. La maquette numérique a notamment été utilisée à la place d’un logement témoin, qui sert d’habitude à faire voter les locataires sur un programme de travaux. Le chantier en est aujourd'hui aux deux tiers. A partir de cette première expérience, Nantes Habitat a développé une offre BIM beaucoup plus structurée, impliquant plus d’acteurs et comportant un important volet de formation, indispensable pour qu’il n’y ait pas de fracture entre la maîtrise d’ouvrage et les équipes d’exploitation. Retour d’expérience sur des chantiers de rénovation en copropriété Corinne Blanc a ensuite présenté Optiréno, jeune société créée en 2009 à la suite du Grenelle de l’environnement afin de participer à la structuration de la rénovation énergétique en apportant une solution clef en main. A l’heure actuelle, Optiréno offre des solutions de rénovation individuelle, mais aussi de rénovation énergétique en copropriété et dans le tertiaire. Le concept fondateur de l’entreprise est d’intégrer les services, de faire travailler ensemble les différents acteurs de la filière pour apporter au client une équipe projet structurée. Dans le cadre, le BIM est un outil pour l’équipe projet, qui doit permettre de gagner en temps et en qualité, et d’apporter aux maîtres d’ouvrage de nouvelles offres, plus satisfaisantes que ce qui se fait à l’heure actuelle. Considérant que le BIM est une opportunité pour mieux faire travailler ensemble les acteurs de la filière, mais qu’il peut également donner lieu à la création de services annexes, Corinne Blanc a créé, en partenariat avec Stanislas Limouzi, la startup BIM in Motion, qui propose des offres de numérisation des bâtiments pour leur rénovation et leur exploitation. BIM et gestion patrimoniale Karim Bensiam, directeur général adjoint du groupe Brunet, entreprise de travaux publics, a rappelé l’historique du groupe, qui a démarré son activité avec l’ouverture d’une carrière dans le champ d’un agriculteur. L’entreprise a donc eu dès ses débuts un ancrage régional et territorial fort. Un peu plus de 50 ans plus tard, le groupe représente plus de 40 millions d’euros de chiffre d’affaires et une quinzaine de filiales. Depuis 1996, Brunet intervient à l’international : l’activité hors de France a démarré au Liban, avec un projet de réparation du réseau d’eau potable de Beyrouth, et s’est poursuivie au Maroc. Le groupe s’est alors orienté de plus en plus vers des actions de réhabilitation des infrastructures urbaines. L’ouverture d’une filiale aux Etats-Unis est prévue pour la fin de l’année 2016. Le groupe Brunet intervient donc principalement dans des projets de réhabilitation de l’existant : réparation des accidents, traitement des sols pollués, désamiantage… L’enjeu de sécurité est extrêmement important, en particulier lorsque les collaborateurs évoluent dans des milieux confinés, très agressifs, voire potentiellement mortels. Dans ce contexte, le groupe est venu au BIM « presque facilement » : en 2000, Brunet est passé de la 2D à la 3D, ce qui a représenté le cap le plus difficile à franchir. Il s’agissait en effet d’une révolution, qui a été dure à mener, au niveau des équipes, des méthodes, de l’optimisation, mais en particulier pour le volet chantier. C’était cependant pour Brunet une question de survie : il était indispensable que l’entreprise gagne en performance. Le passage au BIM s’est fait en 2015, alors que 95% des projets étaient déjà montés en 3D. La question de l’acquisition des données est alors devenue centrale pour la performance, et Brunet s’est doté fin 2015 d’un outil pour l’acquisition de données. En effet, obtenir les données est ce que Karim Bensiam considère comme le plus difficile : il s’agit de passer de données topographiques brutes à de la modélisation, d’être en mesure de cartographier un endommagement, ce qui représente une compétence à part entière. Une fois les données capitalisées, il est possible de passer au BIM pour le diagnostic technique, les réparations et la maintenance, la mise à jour des données étant alors cruciale. Le scan 3D, dont on parle beaucoup pour le bâtiment, existe également pour les infrastructures, même s’il reste des efforts à faire en termes de miniaturisation des outils. Cet outil de diagnostic et de modélisation ne sert pas uniquement à emporter l’adhésion du client, mais peut également permettre, par exemple, la préfabrication d’éléments de remplacement pour la réparation d’infrastructures existantes. Karim Bensiam a conclu sa présentation en rappelant que le plus important était de permettre aux opérateurs de transmettre facilement de l’information, la mise à jour de la maquette numérique étant généralement complexe. Dans ce but, un dispositif a été mis en place au sein du groupe, qui permet d’utiliser un QR Code pour transmettre de l’information au technicien de maintenance, ou encore au maître d’ouvrage qui renseigne l’intervention. Comment toutes les parties prenantes peuvent-elles bénéficier de la structuration de la donnée du bâtiment ? Le tour de table s’est achevé avec Stanislas Limouzi, présenté par Clément Mabire comme un « serial entrepreneur ». Après cinq ans dans des banques d’affaires à Londres, puis dans une startup des télécommunications, Stanislas Limouzi a racheté la PME de son père en 2003. A cette occasion, il a été frappé par l’écart entre l’état d’avancement des startups et des places financières, équipées de moyens de communication modernes et dématérialisés, et le milieu de l’immobilier, qui croulait sous le papier. Il a alors réalisé un énorme travail pour trouver des solutions informatiques adaptées, mais les seules disponibles sur le marché étaient des solutions datant des années 1990, communiquant mal, pas interopérables, ce qui forçait à multiplier les intervenants. Une rencontre avec l’ingénieur ayant lancé Résidéclic, réseau d’échange d’informations et de services entre résidents d’un même immeuble, a finalement conduit à la création en 2013 de Copromatic : cette startup propose des solutions de gestion d’immeubles pour les syndics de copropriété bénévoles, et a pour projet de se tourner ensuite vers les professionnels de l’immobilier. Dans le cadre de Copromatic, un important travail a été réalisé sur l’organisation de la donnée, avec un problème principal : l’absence de classification de la donnée en France, au contraire des pays anglo-saxons. Les formats américains ont donc été adaptés au marché français. D’autres acteurs se sont joints au projet, et une formation au BIM a été lancée. On s’est alors rapidement aperçu que l’organisation géométrique d’un bâtiment contenait énormément d’informations, et que l’on pouvait aisément faire le lien entre la représentation 3D et les bases de données de gestion du patrimoine. Stanislas Limouzi a alors noué un partenariat avec Optiréno pour développer un logiciel à destination du gestionnaire d’immeuble. En 2015, un projet financé par l’Ademe a permis de numériser un bâtiment ancien, de le rendre interopérable, puis de le connecter avec des objets intelligents et une interface de gestion du patrimoine. Une version BIM de cet outil devrait être livrée à la fin de l’année 2016. Les intervenants ont ensuite échangé sur un certain nombre de sujets, notamment la question du traitement des données et de leur mise à jour. Jean-Luc Sadorge a rappelé que la mise à jour des données était un enjeu central : en effet, on estime qu’à l’heure actuelle, un gestionnaire de bâtiment n’a plus les plans à jour au bout de 7 ans d’exploitation. Il va falloir s’habituer à réalimenter les données régulièrement. C’est ainsi que tous les contrats d’intervention sur un bâtiment de l’Université de Strasbourg prévoient désormais la mise à jour des données une fois l’intervention terminée. Clément Mabire a évoqué le risque d’une fracture numérique entre les grandes entreprises, qui sont déjà passées au BIM ou y passeront aisément, et les artisans, moins outillés. Corinne Blanc a confirmé que la plupart des artisans ne sont pas entrés dans le numérique et qu’il sera difficile de les y amener. Il ne faudra pas attendre d’eux qu’ils fassent la démarche seuls : il faudra au contraire les accompagner. Le sujet de la maintenance des données soulève d’autres questionnements : - Que retrouvera-t-on, dans 40 ans, des données d’un bâtiment construit aujourd'hui ? Pour les plans sur papier, les risques étaient l’humidité et la moisissure. Mais dans le cas de plans numériques se pose la question du format de la donnée : sera-t-elle encore lisible par les futurs logiciels ? - Une autre inquiétude réside dans le volume des données générées : alors qu’un plan Autocad pesait généralement 1 à 3 Mo il y a 10 ans, un bâtiment simple aujourd'hui représente 500 à 800 Mo de données. Quels outils et quelles machines utiliser pour les lire ? Et que signifie le développement des maquettes numériques pour le climat, quels data centers stockeront les données collectées, et dans quelles conditions ? Enfin, le problème de la sécurisation de ces données a également été brièvement évoqué par Stanislas Limouzi, qui a donné pour exemple les marchés publics : lors du lancement d’un appel d’offres, un certain nombre de données doivent être mises à disposition des candidats, et l’entreprise qui remportera l’appel d’offres aura accès aux plans et aux jeux de données du maître d’ouvrage, ce qui représente un risque important en matière de sécurité des données. Innovation : quels matériaux pour la rénovation ? Avantages et inconvénients des offres. Solutions et approches prospectives. Introduction Les matériaux pour la rénovation ont intégré des assemblages composites pour répondre à des fonctionnalités multiples : mécanique, acoustique, éclairage, santé et sécurité, esthétique, etc. Les champs d’innovation actuels concernent notamment : - l’adaptabilité des enveloppes à des conditions variables pour conserver leurs fonctionnalités, leur potentiel de récupération de l’énergie environnante, leur faculté à répondre à la qualité des ambiances intérieures, afin de ne pas générer des dépenses énergétiques nouvelles pour contrôler ces ambiances. Nouveaux critères de choix Les composants de ces enveloppes doivent produire de l’énergie et de la lumière en réponse aux besoins des usagers. Ils sont également appelés à contribuer à la qualité de l’air intérieur et au confort visuel. Le contrôle du rayonnement et le stockage de l’énergie constituent des fonctionnalités secondaires. L’évolutivité est aussi en ligne de mire : la capacité du système à modifier ses objectifs, son environnement de fonctionnement, voire le système lui-même. De producteurs d’énergie, les systèmes deviennent isolants ou dissipateurs selon l’évolution du bâtiment. « Ces enjeux ouvrent des perspectives nouvelles pour les architectes et les concepteurs », évoque Christophe Ménézo, professeur chercheur au sein de l’Université de Savoie-MontBlanc. Les implications de la rénovation En matière de rénovation, l’enjeu est de définir un modèle unique réglementaire visant l’étanchéité à l’air. Se greffent des problématiques nouvelles : comment s’opère la mise en œuvre des nouveaux matériaux sur de l’existant ? Comment faire en sorte que le bâtiment soit capable de les intégrer ? Une difficulté tient aussi à l’assemblage de ces matériaux pour l’efficacité recherchée. L’hétérogénéité des composants de matériaux crée en effet des vieillissements différentiels. Le recyclage constitue un élément important. Il s’agit de savoir comment désassembler ces matériaux pour arriver à les recycler lorsqu’ils sont en fin de vie. Enfin, des problèmes de coût et de dimensionnement sont aussi à prendre en compte. L’efficacité énergétique est fonction de la résistance thermique des enveloppes au rayonnement, de leur capacité de convection et de conduction. Différents paramètres entrent aujourd’hui en jeu : l’opacité/semi-transparence des parois, leur émissivité, la qualité et le système de fixation des isolants, la ventilation et l’inertie (matériaux à changement de phase). Nouveaux enjeux pour la filière Traditionnellement statiques, les enveloppes de bâtiment se heurtent à des conditions climatiques et d’usage en constante évolution. Une large diversité de concepts montre un intérêt croissant pour des composants qui s’adaptent au climat, à la fois protecteurs et producteurs d’énergie. Les champs d’innovation concerneront donc : - - des matériaux fonctionnels et des enveloppes adaptatives, réagissant à des stimuli, comme des pare-soleil réagissant à la température extérieure, matériaux couplés avec la thermoélectricité ou piézo-électricité par exemple, la fusion des nouvelles technologies avec les pratiques actuelles de l’industrie du bâtiment. La maintenance et la durabilité, les aspects humain-enveloppe et la prévention des sinistres constituent des points clés pour l’avenir de la filière. Où le matériau devient un élément d’un vaste système interactif. Deux exemples de projets innovants Le projet Home Skin fait suite à un projet collaboratif soutenu par les pôles de compétitivité Tenerrdis et Axelera. Il consiste en de nouveaux systèmes d’isolation basés sur un aérogel de silice, matériau à haute efficacité énergétique. Ces systèmes peuvent être produits à l’échelle industrielle et à coût abordable à travers l’Europe. Home Skin propose des produits à haute efficacité, certifiés et standardisés. Les avantages sont multiples : réduction de l’épaisseur de l’isolation, efficacité trois fois plus élevée que les produits standards, produit respirable induisant une excellente qualité de l’air intérieur. Home Skin convient aussi bien à la rénovation qu’aux constructions neuves et peut s’appliquer aussi bien en interne qu’en externe. Faciles à emporter et à appliquer, ces systèmes garantissent longévité et durabilité. Labellisé par Tenerrdis, le projet Fondatherm vise à développer un élément en béton préfabriqué qui assure à la fois le rôle de fondation (infrastructure) et de source d’énergie renouvelable (géothermie), pour tout type de bâtiment. Il s’agit d’un concept unique de géothermie intégrée au bâti qui constitue une approche entièrement innovante dans la limitation de l’impact environnemental pour le secteur de la construction. Il contribue à améliorer la performance énergétique des bâtiments en réduisant de manière importante les consommations, répondant ainsi aux recommandations de la RT 2012, et offre de nouvelles possibilités techniques pour atteindre l’objectif de la RT 2020 (bâtiment à énergie positive). 1 – Positionnement de BASF et Saint-Gobain dans la rénovation énergétique Les deux entreprises développent et fabriquent des matériaux innovants et de plus en plus performants. Leurs produits restent cependant des briques dans des solutions globales de rénovation. BASF est présent partout dans la chaîne de valeur de la construction du bâtiment. Le groupe intervient dans des domaines variés : laques et peintures, plastiques, revêtements de sol et muraux, résines imprégnées, béton, et bien sûr isolation thermique et acoustique. Evolutivité et complémentarité des matériaux BASF innove depuis 1950 dans la création de matériaux performants. Dernière innovation mise sur le marché : Néopor, un polystyrène expansé graphité. Destiné à la rénovation par l’extérieur, le matériau fait l’objet de constantes améliorations pour être chaque année plus efficace et plus facile à appliquer. Dès 2017, Slentex sera commercialisé pour compléter Néopor : un aérogel de silice pour un usage intérieur. « Grâce à Néopor et Slentex, nous serons en mesure de réduire la consommation de chauffage de 75 % », a annoncé Guillaume Dethan, expert construction durable chez BASF. Slentex a déjà été expérimenté en 2014 dans le cadre du projet BEEM-UP sur le chantier de la résidence Cotentin Faiguière, mené par ICF : 71 logements des années 1950 à rénover dans le 15e arrondissement de Paris. Slentex a notamment été utilisé pour traiter les points de détail, les balcons par exemple, en évitant à ceux-ci d’augmenter leur épaisseur. Les habitants ont pu rapidement constater les effets : de la fraîcheur dans les appartements en été, de la chaleur mieux conservée en hiver. « La rénovation devient accessible et plus facile à exécuter », confirme Guillaume Dethan, qui a également présenté le projet Orgeval, à Reims. Ici, 519 logements construits en 1970 ont été rénovés avec l’utilisation de Néopor. L’importance de la mesure En lien direct avec les acteurs de la rénovation, Saint-Gobain axe aussi ses efforts de R&D sur l’efficacité énergétique. Le groupe intègre dans ses travaux des critères aussi variés que l’acoustique, la lumière du jour et la qualité de l’air intérieur. « Nous visons les besoins de l’utilisateur final et de son confort », appuie Bernadette Charleux, de Saint-Gobain. S’intéressant au design, l’entreprise a aussi lancé des programmes transversaux dédiés aux matériaux et à leur impact environnemental : chimie verte, liants minéraux, recyclage, mousses organiques et inorganiques. Saint-Gobain s’implique dans le monitoring de performances des matériaux à travers des opérations de mesure utilisant capteurs, digital, objets connectés et réalité virtuelle. « La rénovation n’est pas toujours motivée par l’efficacité énergétique, même si celle-ci est souvent embarquée à chaque occasion de travaux. » Pour Bernardette Charleux, la performance finale viendra des matériaux mais aussi et notamment de la qualité de la mise en œuvre. Pour exécuter la promesse de confort supérieur adressée au client à l’occasion de ces travaux, une démarche de qualité doit donc être engagée. C’est ici que la notion de mesure prend tout son sens. Elle va en effet permettre d’établir un diagnostic, qui amènera à la prescription d’actions. La qualité de l’isolation est mesurée par un coefficient de perte thermique, lié à l’isolation des parois et à l’étanchéité à l’air. Or, les évaluations in situ, qu’il s’agisse de diagnostics de performance énergétique ou de « coheating », posent des problèmes d’organisation et de précision. D’où la nécessité d’une méthode à la fois locale, rapide, précise à trouver par les chercheurs. Saint-Gobain a mis au point la méthode Qub/E. Celle-ci examine l’évolution de la température intérieure en fonction de la puissance du chauffage et de la température externe. « Cette méthode fournit un coefficient de déperdition thermique mais aussi des valeurs locales pour déterminer les ponts thermiques : elle nous donne de précieuses indications de performance et sur les éléments de structure », détaille Bernadette Charleux. Cette méthode a été validée à travers différentes étapes de rénovation d’une maison victorienne, avec l’Université de Salford. Les mesures ont non seulement permis d’avoir une appréciation globale de l’efficacité énergétique mais aussi une idée précise de l’influence individuelle des éléments de structure, pour aboutir à une préconisation des matériaux. L’outil a été validé pour la R&D de Saint-Gobain. Il sera optimisé prochainement pour la compréhension des incidences des infiltrations et du gain solaire. « L’installateur pourrait aussi s’emparer de l’outil pour faire un diagnostic, à l’installation comme au contrôle final pour le client. Cette méthode pourrait être utilisée comme un service », dévoile Bernadette Charleux. 2 - L’innovation dans la tradition : l’exemple de la terre cuite Quelle est la place des matériaux biosourcés et naturels dans la rénovation ? L’entreprise Terreal propose des solutions technologiques pour des matériaux traditionnels notamment à base de terre cuite. Elle participe chaque jour à la construction de 60 maisons et écoule 15 millions de briques par an. « Notre vocation est de transformer une ressource naturelle en matériau durable », explique Eric Weiland, directeur technique de Terreal. Une durabilité qui s’exprime aussi dans le raccourcissement des circuits : 5 à 10 kilomètres entre l’extraction et la cuisson, 250 kilomètres au plus pour l’utilisation des briques. En phase de valorisation des ressources Jusqu’en 2009, l’entreprise s’est attachée à l’augmentation de la performance énergétique de sa brique, tout en cherchant à en réduire l’impact environnemental. Avec l’augmentation de la part de marché dans la construction neuve (plus de 50 % aujourd’hui en France), la brique consomme de fait plus d’énergie pour sa production. Des programmes de recherche ont donc été menés afin de poursuivre l’amélioration des performances du matériau, en partenariat avec la région Midi-Pyrénées. Il a abouti à la construction en 2014 d’un laboratoire commun, RESPECTc, avec l’école des Mines AlbiCarmaux, le CNRS et l’Université fédérale Toulouse Midi-Pyrénées. RESPECTc s’est attelé à l’étude des transformations structurelles du matériau terre cuite. Deux thèses sur la caractérisation de nouveaux matériaux et de biosourcés ont débouché sur la mise au point d’une nouvelle gamme de produits Bioclay, dont l’entreprise Terreal va financer l’industrialisation. « Nous sommes actuellement dans une phase de valorisation de nos ressources. Les matières minérales telles qu’argiles et sable sont remplacées par des sousproduits, biomasse et autres co-produits, en vue de produire des matériaux innovants ayant une empreinte carbone réduite », a présenté Eric Weiland. Dans un second temps, à partir de 2018, le laboratoire s’attachera à la valorisation de l’énergie, en cherchant à substituer partiellement les ressources fossiles. « Le matériau terre cuite se prépare à relever les enjeux de la transition énergétique, aussi bien dans son mode de fabrication que pour l’habitat », a confirmé Eric Weiland. La stratégie de Terreal s’inscrit dans une réduction globale des émissions de carbone pour les bâtiments de 90 % d’ici 2050. Plus loin que l’efficacité énergétique Terreal a par ailleurs engagé ses forces dans un projet de résidence à énergie positive (REPOS), accompagné par l’ADEME dans le cadre du programme Energies Décarbonées, inscrit parmi les Investissements d’avenir « Méthodes industrialisées pour la rénovation ». « Démarré en octobre dernier, l’Ehpad REPOS va montrer comment les terres cuites s’intègrent dans un domaine plus large que l’efficacité énergétique, puisqu’il vise aussi l’amélioration du bien-être des occupants et le renforcement du lien social », a présenté Eric Weiland. Parmi les technologies mobilisées : isolation thermique par l’extérieur de l’enveloppe, rénovation et énergies renouvelables à l’échelle de l’îlot, modélisation des données du bâtiment et configurateur. 3- Les éco-matériaux : performance et massification Les matériaux bio-sourcés sont-ils aussi compétitifs pour la rénovation du bâti ancien ? Cette question a été évoquée par Blaise Dupré, directeur général du Codem – Batlab, centre de transfert spécialisé dans le développement de produits innovants pour la construction et la rénovation. « Si l’on souhaite un bâtiment à faible impact, il faut qu’il dure longtemps », a-t-il tranché, regrettant l’absence d’études scientifiques sur la performance globale des matériaux bio-sourcés. L’analyse des cycles de vie fait en effet apparaître un amortissement de l’impact environnemental sur un certain nombre d’années. Blaise Dupré a donné l’exemple d’une maison de la fin du 19e siècle, rénovée dans les années 1980, fortement dégradée par les champignons et moisissures. « Nous avions créé une autoroute pour l’humidité, qui a dégradé le bois et le torchis », a-t-il constaté. « Les matériaux bio-sourcés ne sont pas forcément les meilleurs d’un point de vue conductibilité thermique et prix, même si des solutions nouvelles les améliorent. » Dans le cas de cette maison, le torchis a été entièrement retiré pour être remplacé par du béton de chanvre isolant sur une nouvelle structure bois. Ce béton de chanvre est produit à 10 kilomètres, dans un souci de favoriser les circuits courts. Il respecte les transferts hygrothermiques et a su redonner son aspect traditionnel à la vieille maison. Les combles ont été garnis de ouate de cellulose, protégée par une membrane thermo-réglable. Un enduit spécifique et picard a assuré les finitions. « Au niveau des performances énergétiques, on atteint 30 kWh/m2, soit un niveau inférieur au label BBC mais c’est une maison qui revit avec son architecture d’origine », se réjouit Blaise Dupré. Le directeur général du Codem-Batlab a évoqué l’amorce d’une filière pour le colza de Picardie, avec 300 millions d’euros investis pour une raffinerie de colza dans la région. L’unité industrielle de Batlab comporte une ligne de production de béton bio-sourcé de 40 mètres de long, une ligne pour réaliser des panneaux thermoformés de faible densité, ainsi qu’une ligne pour du polyuréthane biosourcé. Le centre s’appuie sur les énergies croisées de l’open innovation et échange ses résultats avec d’autres entreprises du même secteur. A titre d’exemple à l’échelle d’un quartier urbain, Michel Simon, 3e vice-président du Grand Cahors, en charge de l’aménagement du territoire, a présenté la démarche collective de rénovation énergétique Enerpat. « C’est un projet de reconquête du centre ancien, soumis à une forte vacance des logements dont un certain nombre sont insalubres, avec une détérioration de la qualité patrimoniale du bâti, une consommation énergétique élevée et une forte précarité énergétique », a décrit Michel Simon. La démarche Enerpat s’est imposée dans un contexte de centre ancien inapte à accueillir les interventions de rénovation conventionnelles. Elle visait trois objectifs stratégiques : l’adaptation des documents d’urbanisme pour favoriser le retour des habitants, la mise en place de nouveaux outils pour permettre la réhabilitation des bâtiments d’habitation des centres anciens, et enfin l’amélioration des connaissances sur l’éco-rénovation du patrimoine bâti. Cette démarche a pu être menée grâce à l’ensemble des collectivités impliquées en mode projet. Elle a produit des effets démultiplicateurs, les techniques employées ayant pu être développées sur l’ensemble des collectivités du territoire. Enerpat s’est ainsi érigé en véritable living lab, avec la création de bâtiments démonstrateurs au cœur du secteur sauvegardé de Cahors, et la mise au point de solutions d’identification d’actions avec une start-up, Efficencia. « Cette démarche locale a fait l’objet d’une vaste reconnaissance, avec notamment le label Expertise Internationale, en matière de patrimoine « Quartiers anciens, quartiers durables », et une candidature au programme européen de coopération territoriale SUDOE », a dévoilé Michel Simon. Cahors a intégré les dix villes de France dans la démarche « démonstrateur centres-villes » en partenariat avec la Caisse des Dépôts. Enfin, Enerpat a généré une politique contractuelle régionale et l’obtention du label TEPOS en février 2016. 4 - Des solutions innovantes qui recherchent aussi l’esthétisme L’architecte est le chef d’orchestre des projets de rénovation. Comment formalise-t-il ses choix ? L’entreprise Jacques Ferrier Architectures mène notamment des projets de redéfinition architecturale et environnementale des enveloppes. Elle a notamment mis au point une façade double peau active ventilée associée aux systèmes photovoltaïques. Cette solution joue sur une gradation entre transparence et opacité pour les panneaux vitrés accueillant les cellules photovoltaïques : transparence maximale pour un captage solaire maximal, opacité maximale pour une production PV maximale. Un travail a également été mené sur les teintes de la façade et des menuiseries. « Nous avons édité un catalogue de modules combinant des variations de couleurs et de cellules mono et polycristallines, à la manière d’un nuancier, que l’architecte adapte selon les fonctions du bâtiment et son orientation par exemple », évoque Olivier Cornefert, directeur de projets chez JFA. Destinée aux bâtiments tertiaires et à l’habitat, la solution convient aussi bien au neuf qu’à la réhabilitation. « L’un des deux prototypes réalisés a été adopté par la société Technal pour son siège. Les usagers ont exprimé un très bon ressenti : ils ont moins souffert de la chaleur pendant l’été et se sentent mieux protégés du rayonnement solaire. » Deux autres projets ont été présentés par Jacques Ferrier Architectures : - un bâtiment double peau passive pour la communauté d’agglomération de Rouen, avec un verre spécifique qui change de teinte pour évoquer l’impressionnisme de Monet ; pour le programme immobilier Le Mantilla, à Montpellier (30 000 m2 de logements, bureaux et commerces), la conception d’une protection globale des bâtiments comme une dentelle légère de béton fibre ultra-haute performance, « selon le principe des moucharabiehs », confirmant la richesse de l’innovation des matériaux. Innovation dans les services : les nouvelles fonctions et nouveaux usages du bâtiment à valoriser lors des chantiers de rénovation Emmanuel François, président de la Smart Building Alliance for Smart Cities (SBA), a introduit l’atelier en rappelant qu’avec la transition numérique, le bâtiment devient une plateforme de services, dont la valorisation dépendra des services associés. L’un de ces services est la rénovation énergétique. Mais celle-ci a ses limites, notamment en termes de financement, le retour sur investissement n’étant pas toujours au rendez-vous. Il s’agit donc de se tourner vers d’autres services afin d’élargir l’offre et d’attirer plus de clients : services à la personne, à la mobilité, au bâtiment… Suivi des consommations : service d’assistance au management de l’énergie ISO 50001 Ludovic de Nicolay, responsable Affaires Multi-Sites et Efficacité Energétique chez Delta Dore, a rappelé les enjeux de la norme internationale ISO 50001, dont l’objectif est de poser un cadre organisant la démarche d’amélioration de la performance énergétique dans le temps. Il ne s’agit pas nécessairement de fixer des objectifs à atteindre, mais de structurer la démarche dans le temps, de lui donner un cadre global et une direction. Au cœur de cette norme se trouve la mise en place d’un système de management de l’énergie, qui repose sur la collecte et le traitement de données pour transmettre les informations pertinentes aux bons acteurs. Delta Dore accompagne ses clients dans la mise en place de cette norme, en leur apportant solutions et compétences. Deux expériences ont notamment été réalisées dans ce domaine, l’une avec une entreprise de la grande distribution, l’autre avec une entreprise du secteur bancaire. L’un des deux clients est parvenu à certifier près de 800 bâtiments en six mois. A chaque rénovation ou intégration d’une nouvelle activité, des prérequis énergétiques à intégrer dans les travaux à effectuer sont disponibles. Dans le cadre d’une telle démarche, le client est propriétaire de sa donnée, et peut donc choisir à qui elle est transmise. Les données recueillies peuvent être diffusées à des acteurs tiers proposant de nouveaux services. Commissionnement et déploiement d’outils de pilotage innovants David Corgier, de Manaslu, a donné un exemple concret avec la rénovation BBC d’un immeuble d’habitation lyonnais : celui-ci a été truffé de capteurs qui ont permis de disposer d’outils d’aide à l’exploitation et au recommissionnement des installations. Tous les logements ont été instrumentés et suivis pendant 24 mois, dont 12 mois de mise au point de l’instrumentation et 12 mois d’exploitation et de recalibrage. Ce dispositif a par exemple permis de mettre au jour l’inadéquation des chaudières : une fois le bâtiment rénové, celles-ci s’avéraient surdimensionnées. Les mesures effectuées dans le bâtiment ont permis de s’orienter vers le recommissionnement des installations, et notamment le remplacement des chaudières. L’instrumentation a également permis de faire des calculs de perte avec des conditions météo non pas statiques, mais dynamiques, à l’échelle horaire voire infra-horaire. Cela a permis d’ajuster au plus près le pilotage opérationnel des équipements, et ainsi d’obtenir des retours sur investissements plus intéressants. Nouveaux services sur les bâtiments connectés Laurent Gorde, responsable Solutions EcoBuilding chez Schneider Electric, propose, pour encourager l’innovation dans les services, en particulier dans les bâtiments tertiaires, de s’intéresser à trois approches de la performance : la performance énergétique, les loyers et la valeur du bien immobilier, et la performance des utilisateurs du bâtiment, c’est-à-dire des salariés. Ces trois approches peuvent être développées et harmonisées pour proposer de nouveaux services aux utilisateurs. En effet, le bâtiment peut être valorisé avec des services nouveaux s’appuyant sur des infrastructures déjà en place : il s’agit de travailler sur des infrastructures de base, intégrées au bâtiment dès la conception de celui-ci. Le bâtiment est alors « ready-toservice », les utilisateurs ou d’autres sociétés étant en mesure de développer de nouveaux services basés sur ces infrastructures. Une telle approche est source d’attractivité, pour les promoteurs, mais également pour les grands groupes, qui y voient une nouvelle manière de retenir des talents dans leur entreprise. Il s’agit donc d’apporter dès la conception du bâtiment une infrastructure capable de fournir de la donnée, afin de rendre possibles des services, énergétiques et autres. Cette infrastructure repose sur des capteurs d’information, des infrastructures de GTB permettant de transporter la donnée recueillie, des infrastructures de stockage de la donnée, et une solution de mise à disposition de cette donnée pour des applications, des services ou d’autres sociétés souhaitant l’utiliser. Principes de fonctionnement de la solution Workplace Efficiency de Schneider Electric, source : présentation de Laurent Gorde au Forum du Bâtiment Durable Pour illustrer son propos, Laurent Gorde a présenté à la salle une application multisupports mise à disposition de l’ensemble des collaborateurs de Schneider Electric. Cette application permet, entre autres services, de trouver rapidement une salle de réunion disponible et de la réserver, de déclarer un incident pour qu’il soit transmis au gestionnaire du bâtiment, de localiser une salle… D’autres services complémentaires, concernant par exemple la restauration et les parkings, sont également disponibles. Ainsi, des infrastructures existantes ont permis de globaliser d’autres services qui contribuent à financer l’investissement réalisé. Cela a été rendu possible par le fait que l’exploitation du système de GTB a, dès la conception, été prévue pour d’autres services en direction des utilisateurs finaux du bâtiment. Christian Rozier, président d’Urban Practices et président de la commission Building as a Service de la SBA, a quant à lui évoqué le cas du logement collectif. La plateforme Vizavy développée par DPM Technologies utilise en effet les données collectées dans les immeubles d’habitation pour proposer deux types de services : Un suivi de l’entretien curatif et préventif du bâtiment Des services aux locataires, afin que ceux-ci puissent réaliser une demande d’intervention technique et être informé de l’évolution de la demande, suivre leurs consommations, consulter les diagnostics de l’immeuble… Le principal verrou à lever concerne le cloisonnement des systèmes d’information : en effet, les données collectées, dont le client est propriétaire, sont bien disponibles, mais dans des formats différents. Il s’agit donc de décloisonner les données pour pouvoir les suivre en temps réel et faciliter l’exploitation et l’entretien des bâtiments. Les données recueillies dans les bâtiments représentent donc une importante ressource, mais celle-ci n’est pas encore exploitée de manière optimale. Pour Christian Rozier, deux enjeux clefs sont à retenir : L’interopérabilité : la capacité des bâtiments à communiquer entre eux, mais également à changer d’échelle pour entrer en relation avec le quartier et la ville, sera essentielle pour favoriser le déploiement des services et l’attractivité du territoire. Le management de l’innovation : il s’agit d’une innovation de rupture, à la fois technologique et dans les usages, qu’il faut accepter et faire accepter. Il s’agit aujourd'hui d’adopter une approche transverse, et non plus en silo. Dans cette perspective, la SBA travaille sur les services au sens large : services aux occupants, aux bâtiments, aménagement des espaces, maîtrise des consommations énergétiques, exploitation, bien-être et santé… Une telle approche, qui associe à la vision économique des aspects sociaux et sociétaux, a vocation à déboucher sur de nouveaux modèles économiques, qui serviront à la fois à la valorisation des acteurs patrimoniaux et à la création de valeur. De fait, la SBA défend l’idée qu’une approche servicielle est économiquement réaliste. La notion de silo a été employée par plusieurs intervenants pour décrire l’un des principaux obstacles au déploiement de cette approche servicielle : pour Laurent Gorde, il est extrêmement compliqué de coordonner différentes équipes pour monter une opération ; de son côté, Ludovic de Nicolay a observé que l’utilisateur final était très rarement inclus dès la conception du bâtiment. Pour lui, il est nécessaire qu’un acteur soit chargé de l’agrégation des données, et que les clients soient impliqués en amont afin d’identifier les usages possibles de ces données. Christian Rozier, quant à lui, a rappelé que les bureaux d’études, en France, sont généralement de petites structures, pour qui il est difficile d’être à la hauteur des attentes en matière de conception de GTB et de proposition de services. Il devient de plus en plus indispensable que ces acteurs s’associent, mutualisent ressources et expertises, afin de réussir dans un milieu de plus en plus complexe. Il y a donc là une véritable « révolution culturelle » à mener. Par ailleurs, il sera également nécessaire d’accompagner les donneurs d’ordres et les décideurs dans cette évolution, car c’est sous leur impulsion que le secteur évoluera. Emmanuel François a clôt l’atelier en proposant un parallèle entre le secteur du bâtiment et celui de l’automobile : lors du CES 2016 à Las Vegas, il a en effet été frappé par le fait que les constructeurs ne parlent désormais plus de leurs produits que comme des « vecteurs de mobilité ». On ne parle donc plus d’automobile, mais d’un service, la mobilité. Pour le directeur Innovation de Renault, l’une des conséquences les plus surprenantes de l’irruption du digital dans le secteur a été que les constructeurs doivent aujourd'hui travailler avec des acteurs avec lesquels ils n’auraient jamais envisagé de collaborer auparavant, et notamment des acteurs dans le monde des services. Pour le président de la SBA, le secteur du bâtiment s’apprête à entrer dans une mutation similaire, mutation très forte qui va bien au-delà de la seule question de l’énergie et de la performance énergétique. Des membres de l’assistance ont ensuite pris la parole. Hakim Hamadou, de l’Ademe Rhône-Alpes, a évoqué la question de la taille minimale critique pour le déploiement de services comme ceux évoqués par les intervenants. En effet, si l’on comprend bien comme ce type de services peut être déployé et vendu pour des opérations immobilières d’une certaine taille, l’application aux maisons individuelles ou aux petites copropriétés, qui représentent une part non négligeable du parc de logements français, semble de prime abord moins évidente : quels services bâtir à l’échelle de l’usager individuel pour justifier les investissements nécessaires ? Pour Christian Rozier, la taille n’est pas un débat : on peut selon lui raisonner à l’échelle de la maison individuelle comme à l’échelle de la barre de logements. En effet, le raisonnement est le même à n’importe quelle échelle, l’important étant d’avoir une vision la plus globale possible pour mutualiser au maximum les infrastructures. Ludovic de Nicolay a renchéri en ajoutant que Delta Dore réfléchit actuellement à des solutions pour intégrer à la GTB des questions de santé, de maintien à domicile ou encore de sécurité, qui intéressent les particuliers. Il y a en revanche des progrès à faire en termes de marketing pour convaincre les propriétaires. Emmanuel François, rappelant l’exemple donné en fin de matinée par Ron Van Erck 2, s’est demandé si une réponse à la question de l’investissement ne résidait pas dans un transfert du CAPEX à l’OPEX : comme cela se fait aujourd'hui dans le secteur informatique, il s’agirait désormais non plus d’investir dans du matériel, mais de le louer, en payant pour des services, ce qui permet de résoudre le problème de l’obsolescence de ce matériel, entretenu et remplacé régulièrement par le loueur. 2 Lors de la 2e table ronde, Ron Van Erck a présenté la solution de rénovation d’Energiesprong, qui permet notamment d’intégrer l’investissement au loyer des locataires : cf. le compte-rendu de la table ronde « Les réseaux gagnants ; comment aider les entreprises innovantes à valoriser leurs solutions ? » L’un des membres de l’assistance a réagi vivement à cette proposition en rappelant qu’il était indispensable de prendre en compte l’énergie grise du matériel informatique : selon lui, proposer de remplacer ce matériel fréquemment est « criminel ». Un autre participant a rappelé qu’aux Pays-Bas, où Energiesprong a pu déployer sa solution, il a fallu modifier la loi pour que l’investissement de la rénovation soit transformé en surloyer. Le même problème se poserait en France, où la loi limite le surloyer. Mais en dépit de cet obstacle législatif, ce modèle économique est prometteur : il faut se demander comment transformer le coût d’investissement en économies d’énergie et en services divers. Enfin, un troisième participant a souligné que la question de la rentabilité et des possibilités de financement, très présente au cours de cet atelier, ne devait pas prendre le pas sur l’enjeu central du débat, qui est un enjeu sociétal et environnemental n’ayant rien à voir avec la rentabilité. Il a conclu en citant l’environnementaliste David Brower : « il n'y a plus d'affaires à faire sur une planète morte ». Pour Emmanuel François cependant, il ne faut pas voir de contradiction dans ces deux approches : il est possible de répondre à l’enjeu sociétal et environnemental tout en prenant en compte une contrainte économique forte. Les facteurs de confort : comment jouer sur ce levier pour déclencher le passage à l’acte de la rénovation ? Le confort est l’un des principaux moteurs d’une opération de rénovation. Mais comment réussir à qualifier et mesurer le confort d’habitat dans le bâtiment ? 1- Eclairage sur les besoins, besoins d’éclairage Avec le centre de recherche de l’Institut Paul Bocuse, Maria Consuelo Iborra-Bernad a mené des travaux sur la perception des environnements lumineux des chambres d’hôtels. Objectif : contribuer à l’amélioration du confort perçu par les clients. Une étude qualitative a porté sur la définition des besoins et des attentes sur la base d’entretiens auprès de 25 personnes, hommes en majorité, clients habitués du centre. Architectes et directeur d’hôtel ont apporté aussi leurs témoignages. Trois principaux facteurs ont créé une grande variabilité des besoins en éclairage : - le contexte psychologique et social de l’usager ; le moment de la journée ; la situation de l’usager : son arrivée dans la chambre, son occupation, selon qu’il allume ou éteint tout, etc. « L’idée d’un confort supérieur serait d’avoir la possibilité d’agir sur l’éclairage en fonction de ce que l’on souhaite faire à tel ou tel moment », a admis Maria Consuelo IborraBernad. La chargée d’études a prolongé ses recherches avec le projet Delight de Schneider Electric, FUI labellisé par Tenerrdis. Delight consiste à créer un système innovant en termes d’efficacité énergétique et de confort pour le contrôle de différents éclairages à haute valeur ajoutée, pour l’installateur comme pour l’usager. Il s’agissait ici d’évaluer en situation réelle des ambiances lumineuses, au bureau, dans une chambre d’hôtel et dans un restaurant expérimental. « Ces trois démonstrateurs ont permis de tester le prototype et d’évaluer l’ambiance lumineuse selon des échelles hédoniques allant de 0 (très inconfortable) à 10 (très confortable). » Des comparaisons de confort ont pu être effectuées entre deux situations d’éclairage, assorties d’explications en cas d’inconfort ressenti. « La différence de perception dans la salle du restaurant était liée à l’adaptation à deux usages distincts, manger ou discuter », a résumé Maria Consuelo Iborra-Bernad. Une seconde échelle d’évaluation, « Juste Comme Il faut », a alors été mise en œuvre. Exemple de question : « Selon vous, l’éclairage dans le restaurant était-il suffisant lors du choix des plats ? » Les réponses ici ont montré la nécessité de diminuer l’éclairage. Le confort est bien une notion subjective. Il doit être étudié en situation réelle afin de considérer les besoins liés à la situation de l’usager et à son état physique. « Une meilleure connaissance des besoins des usagers permet de mieux répondre à ses attentes en termes de confort, et même de le surprendre agréablement. » Christophe Marty, concepteur lumière chez Ingélux, a démontré l’importance de valoriser les projets par l’éclairage. Lui aussi note la nécessité de partir des usages, qui vont donner des idées de produits lumineux nouveaux. Le confort et l’ergonomie sont ici considérés comme des prérequis. « Nous partons de constats et d’études biologiques, en travaillant sur le rythme circadien. » Ingélux fait partie des 160 entreprises du cluster Lumière. « Le danger des projets qui se basent uniquement sur la baisse des consommations d’énergie, c’est de susciter le rejet des utilisateurs. » La lumière est un sujet d’autant plus sensible que les usagers y réagissent fortement (éblouissement par exemple). A tel point que, dans les bâtiments publics, 60 % des systèmes de gestion électrique sont déconnectés par les utilisateurs pour y installer ce qu’ils souhaitent. Avec pour conséquence l’augmentation des consommations d’énergie. « Le confort crée de la valeur, une valeur visible, c’est aussi un argument de communication qui peut se rattacher à l’identité d’une marque », a avancé Christophe Marty, qui considère que le confort lumineux est un facteur différenciant, non contradictoire avec les objectifs énergétiques. 2 – Vulgariser la notion de confort Nicolas Dupin, ingénieur thermicien au sein de Vélux, leader mondial de la fenêtre du toit, confirme la nécessité de tenir compte du confort des usagers dans la conception des bâtiments à énergie positive. Spécialement dans le rafraîchissement naturel en été, comme l’a démontré le projet Maison Air et Lumière : un bâtiment d’habitation BEPOS à ossature bois et très faible inertie, sujet à des différences de température notamment l’été, présentant 33 % de surfaces vitrées (soit le double de qu’exige la RT 2012). Différents principes ont été adoptés pour la conception du bâtiment : - une gestion des surchauffes passive avec une dalle béton et un plancher collant intermédiaire, une double plaque de plâtre BA13+BA18 et des vitrages à contrôle solaire ; une gestion active des surchauffes aussi, avec des stores pare-soleil motorisés et une gestion fonction de la course du soleil, façade par façade ; un rafraîchissement par ventilation naturelle, en exploitant le tirage thermique (hauteur différentielle entre fenêtres à l’étage et du rez-de-chaussée) et les courants d’air par les pièces traversantes. Le projet Maison Air et Lumière de Vélux a permis de tirer de précieux enseignements : - en premier lieu l’efficacité de la ventilation naturelle, avec un renouvellement d’air de 10 à 20 volumes par heure, soit moins de cinq minutes pour renouveler l’air d’une pièce ; ensuite, l’impact positif sur le confort des habitants grâce à une température intérieure inférieure de 8 degrés par rapport à celle de l’extérieur par une chaude journée de 35 °C, grâce à la combinaison ventilation naturelle-protection solaire. Certains de ces principes sont duplicables en rénovation car susceptibles d’être embarqués au niveau des produits : le vitrage à contrôle solaire, la gestion automatique des stores et volets roulants, la motorisation des fenêtres pour une ouverture facilitée et automatique la nuit, l’exploitation de la cage d’escalier en tant que point haut pour le tirage thermique. Cette notion de confort doit être par conséquent mise en avant et vulgarisée, selon Nicolas Dupin, « dans la mesure où les seules économies d’énergie ne font pas rêver les Français. » Pour 85 % d’entre eux, la lumière est un critère qui participe à l’achat coup de cœur d’un logement, selon un sondage Ipsos-Velux 2013. 3 – La qualité de l’air intérieur, facteur clé pour la rénovation Une fois les facteurs de confort identifiés, comment les utiliser pour déclencher l’acte de rénover ? Claire-Sophie Coeudevez, cogérante de Médiéco Conseil et Formation, s’est penchée sur les effets de levier en se concentrant sur la qualité de l’air intérieur, « paramètre sanitaire majeur car inhalé 100 % du temps mais difficilement quantifiable par les occupants ». La QAI est un sujet d’autant plus anxiogène qu’elle ne se voit pas, et alors que la maison est considérée comme un lieu de refuge contre les agressions extérieures. Une étude sociologique de l’ADEME Bourgogne a mis en avant la qualité de l’air intérieur comme un élément du confort parmi d’autres : la relation affective avec son logement, l’espace, l’emplacement, l’aménagement et les équipements, l’isolation thermique et phonique, la performance du chauffage, et enfin la sécurité domestique. L’argument sanitaire à privilégier La rénovation fournit un cadre particulier aux opérations de rénovation, dans la mesure où elle induit une bonne connaissance du bâtiment et une meilleure identification de l’occupant final. Des travaux en site occupé restent tout à fait possibles. Ils exposent l’occupant aux émissions liées aux produits de construction, d’où l’importance de choisir des produits respectueux de la santé. « Ces travaux exposent également l’habitant aux poussières du chantier, nécessitant des mesures provisoires de confinement », a pointé Claire-Sophie Coeudevez. Un projet de rénovation veillera donc au respect d’un certain nombre de points pour l’amélioration de la qualité de l’air intérieur : - - - - la réalisation d’un état des lieux qui tiendra compte du taux d’humidité et fournira une évaluation de la qualité de l’air intérieur avant les travaux pour limiter l’introduction de particules extérieures ; le choix de produits faiblement émissifs et une ventilation adaptée pour assurer un renouvellement d’air suffisant ; le respect des bonnes pratiques pendant la phase du chantier : mesure de l’humidité des supports, protection des produits aux intempéries éventuelles, respect des temps de séchage, évacuation de la vapeur d’eau ; la vérification de certaines performances à la réception du chantier : le système de ventilation, la qualité de l’air intérieur. 4 - Le confort, donnée clé pour les opérations de rénovation à grande échelle Sébastien Delpont, directeur associé de Greenflex, a décrit l’initiative hollandaise EnergieSprong destinée à massifier des rénovations lourdes passives dans le logement social : un millier de rénovations dans un projet de 11 000 à terme, mobilisant 6 bailleurs sociaux et 4 constructeurs. Ambitieux par la taille, ce projet l’est également de par les exigences qu’il associe : - une consommation énergétique nulle garantie sur 30 ans par la production d’énergies renouvelables et une performance énergétique garantie pour un « confort normal » ; une rénovation réalisée en une semaine en site occupé, avec des éléments préfabriqués de haute qualité et des interventions sur une seule journée ; un financement à 100 % par les économies d’énergie sur 30 ans ; un financement à taux bas obtenu grâce à la qualité de la rénovation et un tiers-financeur para-public ; une volonté d’esthétique et de confort : aspect visuel personnalisable, confort thermique haute qualité, électroménager A+++. Un cahier des charges performantiel a été mis en œuvre de manière différente d’un lotissement à l’autre. Mais l’exigence d’attractivité et de confort a été traduite de manière uniforme. Le projet a notamment associé la réfection de la cuisine, avec le choix entre quatre modèles IKEA. Des efforts ont été portés sur la qualité de la lumière et le gain de place, de même qu’un nouveau confort thermique a été apprécié, avec une garantie de performances associée à des scénarios d’usages perçus comme corrects. Enfin, l’isolation par l’extérieur et la pose de nouveaux ouvrants a généré des bénéfices acoustiques satisfaisants. Rassurer pour accompagner les changements d’habitudes Un projet de cette ampleur a aussi produit des difficultés, souvent liées à des changements d’habitude : le passage à la cuisson par induction par exemple, notamment auprès des seniors, ou des craintes liées au changement de confort thermique (sensations différentes). « C’est pour lever les obstacles aux changements que nous avons organisé des sessions de formation à la cuisine à induction, et proposé des séjours de 24 heures dans une maison rénovée », a détaillé Sébastien Delpont. Le succès d’un tel programme de rénovation auprès des utilisateurs passe par l’acceptation à la perte des habitudes antérieures. « Les entreprises impliquées dans les projets doivent se tenir à la disposition des ménages pour toute question, en faisant preuve de réactivité et de pédagogie. » Quid de la réplication de cette expérience ailleurs ? Le marché de la rénovation lourde est soutenu par la Commission Européenne. Moyennant une adaptation aux spécificités nationales, le développement de la solution Energiesprong devrait être mené en France et au Royaume-Uni pour la contractualisation de 5000 logements rénovés. Un consortium projet coordonnera la muse en œuvre de l’approche française avec Greenflex, le CSTB, l’USH, le Plan Bâtiment Durable et Fibres Energivie. Cette équipe travaillera de manière ouverte avec les acteurs de l’écosystème intéressés : 6 bailleurs sociaux, 5 constructeurs, l’ADEME, la Caisse des dépôts et consignations et plusieurs fournisseurs de solutions. Conclusion En guise de conclusion, le Président du Plan Bâtiment Durable Philippe Pelletier a tenu à rappeler l’importance des enjeux, écologiques, sociaux, économiques, et de leurs intrications. « Nous sommes à un moment où le cadre de l’action est presque stable, où le plan d’action est clair et cohérent », a-t-il formulé pour encourager les forces. Première priorité selon Philippe Pelletier : la lutte contre la précarité énergétique. « Plus de quatre millions de Français sont dans cette situation », a-t-il rappelé. Le Président du Plan Bâtiment Durable a aussi pointé la nécessité de miser sur les jeunes pour faire passer le message et de garder en perspective la future réglementation 2018-2020 : « Le poids du carbone doit être pris en compte, le confort aussi, de même que la production d’énergie renouvelable. » Préconisant l’action collective et le renfort des métiers différents, il souhaite « transformer le secteur en prônant la contractualisation et en se libérant de la tutelle parisienne. » La réussite des mutations pourra se produire par « la capacité collective de notre société, ses interactions, sa libération de l’appareil, pour notre plus grand bien à tous. » Catherine Candela, Déléguée Générale du pôle de compétitivité Tenerrdis, a salué la richesse des interventions et remercié l’ensemble des participants pour la pleine réussite de ce forum.