Persistance du virus après la primo-infection malgré un traitement antiviral précoce Revue critique de l'actualité scientifique internationale sur le VIH et les virus des hépatites n°77 - septembre - octobre 1999 VIH - RESERVOIR Persistance du virus après la primoinfection malgré un traitement antiviral précoce Dominique Emilie Service de médecine interne et d'immunologie clinique, Hôpital Antoine Béclère (Clamart) Long-term evaluation of triple nucleoside therapy administered from primary HIV-1 infection Poggi C., Profizi N., Djediouane A., Chollet L., Hittinger G., Lafeuillade A. AIDS, 1999, 13, 1213-1220 L'étude de Poggi et coll. montre la difficulté qu'il y a à contrôler à long terme la réplication virale chez tous les patients primoinfectés, même traités précocement, et l'impossibilité actuelle d'éradiquer le virus. Mais, du fait même de ses résultats décevants, elle suggère la voie à suivre... http://publications.crips.asso.fr/transcriptase/77_1108.htm (1 sur 7) [23/06/2003 10:44:26] Persistance du virus après la primo-infection malgré un traitement antiviral précoce Cécile Poggi et coll. décrivent l’évolution de la réplication virale chez une quinzaine de patients pris en charge dès le stade de primo-infection par le VIH, 2 à 4 semaines après le début des premiers symptômes cliniques de l’infection. Une trithérapie incluant 3 analogues de nucléosides (AZT, ddI, 3TC), sans antiprotéase, a été débutée précocement. Le suivi est relativement prolongé, puisqu’il s’étend en moyenne à 27 mois, et au-delà de la 3e année pour 5 patients. La charge virale plasmatique initiale était en moyenne de 5,4 log copies d’ARN/ml, et 105 jours de traitement ont été nécessaires pour atteindre le seuil de 200 copies/ml. Une charge virale durablement inférieure à 20 copies/ml n’a été obtenue que chez 4 patients sur 15, tandis que chez 6 autres patients, la réplication virale résiduelle est demeurée faible, fluctuant au-dessous de 120 copies/ml. L’évolution virologique de ces 15 patients souligne également l’importance de la compliance pour le succès thérapeutique. En effet, parmi les 5 échecs virologiques francs, traduits par une charge virale supérieure à 200 copies/ml, 3 sont dus à un défaut de compliance, sans mutation inductrice de résistance dans le gène de la transcriptase inverse. L’importance de la compliance dans les résultats à moyen terme d’une cohorte de primo-infectés avait déjà été soulignée (1). La vitesse de décroissance initiale de la charge virale dans l’étude de Poggi est globalement voisine de celles notées dans les études précédentes de patients primo-infectés, que le traitement consiste en une double (2) ou une triple (3) association de nucléosides, ou d’une trithérapie avec un antiprotéase. Cependant, dans cette dernière étude, la mise sous traitement était moins précoce que dans les autres travaux. Il est donc possible que l’on puisse obtenir une efficacité thérapeutique initiale plus rapide avec ce type de trithérapie, ce que devrait révéler l’essai ANRS 053. Un des intérêts de cette étude est de comparer la rentabilité pour détecter la persistance du virus d’un ensemble d’examens virologiques approfondis qui inclut, outre la répétition de la mesure de l’ARN viral plasmatique, la mesure de l’ADN proviral dans les cellules circulantes, l’évolution des anticorps anti-VIH par Western Blot, la recherche du VIH par culture cellulaire, et, chez les patients qui ont accepté un http://publications.crips.asso.fr/transcriptase/77_1108.htm (2 sur 7) [23/06/2003 10:44:26] Persistance du virus après la primo-infection malgré un traitement antiviral précoce prélèvement ganglionnaire par biopsie chirurgicale, une recherche d’ARN viral et d’ADN proviral dans les tissus lymphoïdes. Enfin, chez 3 patients dont le statut virologique semblait optimal, une tentative de réactivation du réservoir de virus par une administration brève d’interleukine 2 (IL-2) ou d’interféron gamma a été réalisée. Cette étude retrouve chez ces patients primo-infectés la lenteur de la régression de l’ADN proviral sanguin déjà notée chez les patients traités à la phase chronique de l’infection. La quantité d’ADN proviral ne diminue en moyenne que d’un log en 16 mois, et elle reste détectable à l’issue de l’étude chez 6 des 9 patients testés. Au niveau ganglionnaire, l’ADN proviral reste détectable dans les 8 cas étudiés. Ceci confirme que, même avec un traitement très précoce, il est rare d’obtenir une négativation de l’ADN proviral au niveau des organes lymphoïdes, ganglionnaires ou associés aux muqueuses (1,2). En l’état actuel des techniques de détection du virus, cette négativation de l’ADN proviral tissulaire est la dernière à se négativer. Encore faut-il interpréter avec précaution une telle négativation, sachant que la quantité de tissu analysée est infime comparée à l’ensemble de l’organisme, qu’il peut exister des sites sanctuaires dans des tissus non analysables, et que parmi les organes lymphoïdes, il existe un effet d’échantillonnage certain, avec chez un même patient au même moment certains tissus lymphoïdes positifs et d’autres négatifs (1). L’intérêt d’une administration d’IL-2 et/ou d’interféron gamma pour mettre en évidence l’existence d’un réservoir viral lymphocytaire T ou macrophagique, respectivement, est incertain. La capacité de l’IL-2 à augmenter la réplication virale en présence d’un bon traitement antiviral est limitée et inconstante, comme l’a montré l’essai ANRS 048 (4). Celle de l’interféron gamma est inconnue, et l’effet même de cette cytokine sur la réplication du virus in vitro est controversé. Il est donc difficile en l’état actuel des connaissances de situer l’intérêt de cette approche pour évaluer l’existence d’un réservoir viral résiduel. La réapparition brutale d’une réplication virale chez le seul patient de l’étude de Poggi pour lequel le traitement antiviral a été interrompu indique la persistance de virus compétents au sein de ce réservoir. Il est à noter que ce patient conservait de http://publications.crips.asso.fr/transcriptase/77_1108.htm (3 sur 7) [23/06/2003 10:44:26] Persistance du virus après la primo-infection malgré un traitement antiviral précoce l’ADN proviral détectable au niveau ganglionnaire. On dispose de très peu d’informations sur la cinétique de reprise virale chez les patients traités précocement et interrompant leur traitement (1). Il semble cependant que la reprise de la réplication virale puisse être beaucoup plus retardée et progressive que chez le patient de Poggi et coll. Il a été suggéré à la suite de cette observation que cette cinétique très particulière puisse refléter l’existence d’une immunité antiVIH relativement efficace chez certains patients primoinfectés et traités précocement. On peut à cet égard regretter que les explorations immunologiques dans l’étude de Poggi se soient limitées à un compte lymphocytaire. Il serait intéressant dans les études futures de savoir si l’état de l’immunité anti-VIH chez les quelques patients interrompant un traitement, après décision médicale ou spontanément, corrèle avec la cinétique de réplication virale ultérieure. Les résultats de l’étude de Poggi et coll. montrent donc que, même chez des patients traités précocement et ayant une charge virale plasmatique totalement indétectable depuis plus de 18 mois, il persiste une masse de cellules infectées de manière latente significative. Il est en fait très vraisemblable que cette masse cellulaire soit déjà constituée le jour où débute le traitement. Cette observation est donc cruciale pour la discussion des différentes stratégies thérapeutiques de la primo-infection. Tout d’abord, est-il légitime de traiter ces patients immédiatement, sachant qu’en l’état actuel des connaissances, on s’engage dans une thérapeutique dont on ne sait pas quand elle pourra s’arrêter? N’est-il pas tout aussi raisonnable de différer le traitement, en le réservant aux patients qui conservent au décours de la primo-infection une charge virale élevée et dont le statut immunitaire se dégrade? Plusieurs arguments d’ordre immunologique plaident en faveur d’un traitement précoce. La récupération des lymphocytes T CD4+ chez les patients traités dès le stade de la primo-infection est non seulement très rapide, observée dès le premier mois de traitement, mais également complète, puisqu’elle porte à la fois sur les lymphocytes T mémoires et naïfs (3). Cette situation contraste avec le traitement à la phase chronique, où la récupération des lymphocytes T CD4+ naïfs http://publications.crips.asso.fr/transcriptase/77_1108.htm (4 sur 7) [23/06/2003 10:44:26] Persistance du virus après la primo-infection malgré un traitement antiviral précoce est très lente et laborieuse. Or, on insiste aujourd’hui sur l’importance de cette récupération des lymphocytes T CD4+ naïfs, garante de l’intégrité immunologique de l’individu. Par ailleurs, on sait que le seul moment où le traitement antiviral permet au patient de récupérer des fonctions T helper antiVIH significatives est le stade de la primo-infection (5). Ceci est certainement un élément déterminant du pronostic, dans la mesure où une bonne immunité anti-VIH peut compléter l’action des antiviraux. Les seuls patients présentant au stade chronique de la maladie une réponse T helper anti-VIH sont en effet les patients asymptomatiques à long terme. Traiter précocement un patient qui vient d’être infecté par le VIH peut lui permettre de conserver un système immunitaire intègre et luttant efficacement contre le virus. Dans ces conditions, quel type de traitement proposer lors d’une primo-infection? Doit-on alourdir le traitement antiviral au-delà d’une trithérapie? Comme déjà discuté, le réservoir de cellules infectées de manière latente est probablement largement constitué au moment où débute le traitement antiviral. Peut-on espérer des résultats spectaculaires d’un traitement antiviral plus intense mais pas plus précoce? On gagnera sans doute quelques jours dans la négativation de la charge virale plasmatique, mais le bénéfice à long terme de ce résultat est discutable. Au-delà du traitement antiviral, quelles peuvent être les stratégies thérapeutiques " adjuvantes " qui seraient centrées directement sur le réservoir des cellules infectées de manière latente? Ces stratégies ont 2 objectifs. D’une part, aider dès le début de l’infection le système immunitaire à détruire les cellules qui viennent d’être infectées, avant qu’elles deviennent totalement quiescentes et alors inaccessibles aux antiviraux et au système immunitaire. C’est l’objectif recherché dans l’essai ANRS 086 " PRIMOFERON ", qui évalue l’intérêt d’une association d’interféron alpha prescrit pendant 3 mois à une trithérapie chez des patients primoinfectés. L’interféron alpha augmente en effet l’expression à la membrane des antigènes viraux par les cellules infectées, et il active les lymphocytes T cytotoxiques antiviraux. L’autre objectif consiste, au décours de la primo-infection, à rendre les cellules réservoir accessibles à l’action du système immunitaire. Ceci peut-être obtenu en " réveillant " les cellules infectées de manière latente, induisant chez elles une http://publications.crips.asso.fr/transcriptase/77_1108.htm (5 sur 7) [23/06/2003 10:44:26] Persistance du virus après la primo-infection malgré un traitement antiviral précoce ré-expression d’antigènes viraux qui permettra leur reconnaissance par le système immunitaire. C’est ce que fait peut être l’administration répétée d’IL-2. En parallèle, on peut stimuler les défenses anti-VIH, par exemple par des protocoles de vaccination ou d’administration d’interleukines, essentiellement d’IL-2, qui active les lymphocytes T cytotoxiques des patients (6). Ces diverses approches immunologiques ne sont pas exclusives, mais doivent au contraire se potentialiser. C’est dans cet esprit qu’un protocole ANRS doit évaluer prochainement l’intérêt d’une vaccination anti-VIH suivie d’une administration d’IL-2 au décours de la primo-infection, chez des patients initialement traités par antiviraux. On peut attendre de ces protocoles d’immunothérapie l’obtention d’un meilleur équilibre entre le système immunitaire et le virus, rapprochant le patient du statut " d’asymptomatique à long terme ". L’éradication virale, même si elle constitue l’objectif lointain, semble plus inaccessible pour l’instant. Mais il serait déjà important de démontrer que l’on peut modifier par une immunothérapie la taille du " réservoir ", pour ouvrir la voie aux recherches futures. Dans ce contexte, le traitement antiviral précoce de la primo-infection trouve toute sa justification, puisqu’il permet de préserver une bonne réponse T helper anti-VIH sur laquelle pourront ultérieurement agir les immunothérapies. L’étude de Poggi et coll. n’est donc pas si décourageante qu’elle paraît au premier abord. Certes, elle montre la difficulté qu’il y a à contrôler à long terme la réplication virale chez tous les patients primo-infectés, même traités précocement, et l’impossibilité actuelle d’éradiquer le virus, même dans cette situation qui semblait idéale. En revanche, du fait même de ses résultats décevants, elle suggère la voie à suivre, reposant sur une amélioration de l’efficacité et de la tolérance des thérapeutiques antivirales, et sur l’évaluation de stratégies nouvelles ciblées directement sur le système immunitaire et sur le réservoir des cellules infectées de manière latente. Ces options thérapeutiques ne sont pas limitées à la primo-infection. Simplement, on pressent que c’est dans cette situation clinique que la probabilité de succès est la plus grande. - Dominique Emilie http://publications.crips.asso.fr/transcriptase/77_1108.htm (6 sur 7) [23/06/2003 10:44:26] Persistance du virus après la primo-infection malgré un traitement antiviral précoce 1 - Markowitz M, Vesanen M, Tenner-Racz K et al. " The effect of commencing combination antiretroviral therapy soon after HIV-1 infection on replication and antiviral immune responses " J Infect Dis, 1999, 179, 525-5373 2 - Perrin L, Yerli S, Marchal F et al. " Virus burden in lymph nodes and blood of subjects with primary HIV1 infection on bitherapy " J Infect Dis, 1998, 177, 1497-1501 3 - Carcelin G, Blanc C, Leibowitch J et al. " T cell changes after combined nucleoside analogue therapy in HIV primary infection " AIDS, 1999, 13, 1077-1081 4 - Levy Y, Capitant C, Houhou S et al. " Comparison of subcutaneous and intravenous interleukin-2 in asymptomatic HIV-1 infection : a randomised controlled trial " Lancet, 1999, 353, 1923-1929 5 - Rosenberg ES, Billingsley JM, Caliendo AM et al. " Vigorous HIV-1-specific CD4+ T cell responses asociated with control of viremia " Science, 1997, 278, 1447-1450 6 - Zou W, Foussat A, Capitant C et al. " Acute activation of CD8+ T lymphocytes in interleukin-2-treated HIVinfected patients " J AIDS Hum Retrovirol, sous presse http://publications.crips.asso.fr/transcriptase/77_1108.htm (7 sur 7) [23/06/2003 10:44:26]