Pour faire passer l’information il serait apparemment trop simple de prononcer des phrases
concises, courtes et simples. C’est la raison des multiples « ornements » de langage qui font
patienter entre deux nouvelles, qui prolongent le suspense entre deux informations. Citons, en 45
vrac : En tout état de cause, pour le reste, dont acte, pour l’heure, à terme, d’ores et déjà…
Mais le plus grand défaut à mes yeux c’est l’utilisation de clichés, de poncifs. Celui de terre de
contraste a tellement été utilisé que même le moins imaginatif n’ose encore s’en servir. Mais
pour celui-là éradiqué, combien d’autres : la partie visible de l’iceberg, la cerise sur le gâteau,
une hypothèse d’école, tirer la sonnette d’alarme, le bout du tunnel, souffler le chaud et le froid, 50
la réponse du berger à la bergère, la bouteille à encre…
Nous parlions de la paresse ; l’autre aspect important de l’évolution d’une langue, c’est la
nouveauté – comment exprimer de nouvelles notions, de nouvelles choses, de nouveaux
métiers ? Cela se passe parfois naturellement comme avec le suffixe thèque. Si le mot
bibliothèque date de 1493, la cinémathèque de 1921, on accueillit récemment pochothèque, 55
bédéthèque, foliothèque, etc.
Dans les médias, c’est à coup sûr la publicité (la pub) qui essaie d’innover le plus souvent. Elle
doit convaincre et pour ce faire s’appuyer sur une base déjà connue. Alors, la publicité invente
de nouveaux adjectifs avec des noms de marques commerciales, de nouveaux adverbes inutiles.
Alors, elle se trompe volontairement par l’emploi de répétitions, de pléonasmes ou de 60
tautologies. Elle utilise des mots inconnus mais qui sonnent bien dans le paysage audiovisuel :
pulper chez Orangina ou énergiser chez Yves Saint-Laurent !
« Le politicien parle pour ne rien dire, l’homme politique pour dissimuler sa pensée. L’homme
d’état, seul, prononce et dit. » Cette phrase citée par Jacques Cellard illustre bien les
interventions de la classe politique dans les médias. 65
Tout d’abord on complique. C’est une première attitude utilisée pour deux raisons. Celle de
prouver son accession à un stade plus élevé de l’échelle sociale. (Les syndicalistes lancèrent avec
succès le au niveau de qui provenait d’un autre emploi.) Celle ensuite de brouiller les cartes.
C’est un langage d’initiés. L’emploi abusif de mots techniques jette de la poudre aux yeux (et
aux oreilles) : clivage au lieu de séparation, banalisation au lieu de habitude, initier au lieu de 70
amorcer, biotope au lieu d’environnement, épiphénomène au lieu de détail… et tous les termes
en isme, cela va de soi !
Dans le même ordre d’idées, c’est dans le contexte politique que nous entendons le plus
d’adjectifs inutiles : un changement radical, un démenti catégorique ; le plus de locutions
creuses : pour ma part, force est de constater, naturellement, cela étant ; le plus de verbes 75
« grisâtres », c’est-à-dire ceux en ER qui remplacent, inventés ou non, ceux qui ont une
conjugaison plus délicate. Mais on excusera volontiers les hommes politiques qu’on interroge sur
le vif, sans concentration facile et qui évitent de parler mal. Ainsi on utilise concepturer pour
concevoir, promotionner pour promouvoir, émotionner pour émouvoir, petit-déjeuner pour
prendre le petit déjeuner, positionner pour mettre. Et tous les verbes en ISER : optimiser pour 80
améliorer, finaliser pour achever…
Si la publicité, la politique, l’information sont des secteurs d’activité d’importance pour la langue
utilisée dans les médias, il en est un qui reste omniprésent et a sa part d’influence plutôt négative
c’est le domaine sportif. Mais là aussi comment renouveler les commentaires d’un reportage,
d’un match de football par exemple, sans utiliser des mots plus approximatifs ou carrément 85
inexacts ? Ainsi peut-on entendre balle pour ballon, l’herbe pour pelouse, cadre pour intérieur
de la cage, lucarne, etc.
Le constat est incomplet, vous vous en doutez. Il faudrait encore parler des mots utilisés trop
fréquemment comme : incontournable, convivial ; ceux qu’on prononce mal comme :
consensus ; ceux dont on a fait glisser le sens comme : impact, créneau, performant, interpeller, 90
tout à fait… Et la floraison des hyper, méga, super… Bref !