Défi diagnostic Tout feu, tout flamme... François Melançon, M.D. Le cyanure : de multiples usages et précurseurs es cyanures font partie de l’arsenal industriel et sont utilisés dans de nombreuses industries (ex. : galvanisation, fabrication de rodenticides, fabrication du plastique, etc.). De plus, on les retrouve partout dans la nature, en faibles concentrations. On retrouve du cyanure notamment dans les cerises, les pêches, les amandes, les fèves de lima et les racines de manioc. En fait, il y en a dans la plupart des organismes vivants, y compris les humain, à de très faibles nt concentrations dans le sang (0,20 µg/mL [8 µmol/L]) métabolisées au travers uve des nel e n p o s poumons, de la transpiration et de l’urine à 17 µg/kg/min. À des concentrations s sée e per orippm t g cyanure est plus élevées, c’est un dangereux poison. L’inhalation de 100 u sade a u s r e u nnppmurtue le en quelques minutes. fatale en dedans d’une heure, l’inhalation de 300 rso o e p p e es o On peut se contaminer de plusieurs : par upil’inhalation de la vapeur ou l’ab. Lfaçons e c é e b n par la peau intacte, par les plaies ou au sorption de la forme liquide hi du cyanure pro rimer u t s e travers de la muqueuse despyeux. isée r et im r o t e est un produit de la combustion du carbone, de l’azote et du Comme le cyanure n au isualis o n v r, les feux d’édifices produisent souvent non seulement du monoxyde de ion plastique, che mais aussi du cyanure et plusieurs autres irritants. Les sources de cyanure isat affcarbone, i l i t L’u rger, dans les incendies d’immeubles sont multiples, provenant autant de substances cha télé naturelles (laine, soie, coton, papier) que de substances synthétiques (plastiques et Le cas de autres polymères). L’absence d’un test diagnostique fiable et rapide renforce la fausse impression Jean-Pierre que le monoxyde de carbone est le seul responsable des symptômes et de la morJean-Pierre qui est pompier vous talité dus à l’inhalation de fumée. Comme les constructions modernes sont remplies consulte à l’urgence après un incendie pendant lequel, à la suite de précurseurs du cyanure, il faut donc s’attendre à sa présence dans les incendies d’une explosion, il a été projeté à et traiter les victimes en conséquence. L © t h rcia g i r y mme p o C n co et e t Ven es t i d r e t n le i io t u rib t s i d terre et a perdu son masque respirateur. Il a quelques contusions et abrasions, mais il se plaint surtout d’un malaise généralisé. Il a une céphalée bitemporale grave et souffre de nausées. Il se plaint de faiblesse et se sent dyspnéique avec un vague malaise thoracique. Deux de ses enfants sont atteints de la grippe depuis une semaine et JeanPierre aimerait un traitement de son « état grippal ». Selon vous, de quoi souffre JeanPierre? Les symptômes d’un empoisonnement au cyanure L’empoisonnement aigu au cyanure ne se caractérise pas seulement par les symptômes décrits comme étant « classiques ». Si on attend d’avoir la présence de tous les symptômes suivants, on ne traitera presque aucune intoxication au cyanure : • une couleur de peau normale ou rosée; • des veines et des artères rétiniennes rouge vif; • une odeur d’amandes amères de l’haleine et de la peau; • de la cyanose tôt dans l’évolution; • la présence de suie aux narines et à la bouche des victimes d’une inhalation de fumée. le clinicien avril 2010 1 Défi diagnostic Tableau 1 Symptômes comparés d’une intoxication au cyanure et au monoxyde de carbone Intoxication au monoxyde de carbone • Empoisonnement léger à modéré : malaise, symptômes grippaux, céphalée, confusion, léthargie, dyspnée d’effort, nausées, vomissements, diarrhée. • Empoisonnement grave : - perte de conscience, convulsions, coma, hypotension, arrêt cardiaque; - les trouvailles à l’examen physique sont très variables; - les signes et symptômes sont non spécifiques; - les symptômes neurologiques apparaissent souvent tardivement. Intoxication aux cyanures • Faibles concentrations : faiblesse, flush cutané, anxiété, excitabilité, diaphorèse, vertige, céphalée, somnolence, tachypnée, dyspnée, tachycardie. • Rarement, on perçoit une odeur d’amandes amères (qui est en général couverte par l’odeur de fumée). • Les gens se sentent « mal », affirment avoir les tempes comme dans un étau, se plaignent de douleur cervicale postérieure, de douleur thoracique, de palpitations et d’une respiration laborieuse. Dr Melançon est omnipraticien et compte 25 années d’expérience dont 18 en salle d’urgence. Il a pratiqué en cabinet privé et en CLSC. Il est récemment revenu à ses premières amours, soit la médecine d’urgence, la traumatologie et la psychiatrie. 2 le clinicien avril 2010 En fait, cliniquement, il est impossible de différencier une intoxication au monoxyde de carbone d’une intoxication au cyanure. Il faut donc soupçonner une intoxication au cyanure chez tout patient exposé à la fumée dans un endroit clos, qui présente de la suie à la bouche, une altération de l’état mental et de l’hypotension. Les indicateurs diagnostiques sont vagues et n’aident que très peu : • Les pupilles sont normales ou en mydriase. • La réponse pupillaire est cependant plus lente chez les patients intoxiqués. • Il n’y a pas de production anormale de secrétions. • La peau est sèche et rosée. • Le rythme respiratoire peut être augmenté ou diminué. Le succès de notre intervention dépend du niveau d’exposition à la fumée et du délai entre l’exposition et un traitement approprié. Un diagnostic présomptif et un traitement empirique sont nécessaires. Le cyanure étant très volatile, il n’y a pas de risque particulier pour le personnel de la salle d’urgence et aucune précaution respiratoire ne doit être portée. Les antidotes On peut utiliser plusieurs méthodes, dont la fixation indirecte avec formation de méthémoglobine (MetHb) par les nitrites et le 4-DMAP (4-diméthylamino-phénol), la fixation directe du cyanure par l’hydroxycobalamine et la désintoxication enzymatique augmentée. Le thiosulfate de sodium, un donneur de souffre, augmente 30 fois l’efficacité enzymatique. Les antidotes sont très sécuritaires et on ne devrait pas hésiter à les utiliser. Ils n’ont pas de toxicité, autant pour les patients affectés que les patients non affectés, et sont utilisables rapidement en urgence et lorsque de multiples victimes sont affectées. L’hémoglobine normale (Hb [Fe2+]) est oxydée en MetHb (Fe3+). Cette MetHb ne peut transporter l’oxygène, les hautes concentrations de MetHb sont donc dangereuses, surtout pour les enfants. On considère sécuritaires des taux de MetHb entre 30 et 40 %. L’anion cyanure CNcombiné à la MetHb forme un complexe moins toxique. La MetHb est réduite à nouveau en Hb par la réductase, une enzyme des globules rouges (le cyanure CN- est alors relâché). Un point important à noter : le saturomètre qui mesure la SaO2 confond la MetHb et l’Hb! Les valeurs du saturomètre ne sont donc absolument pas fiables. Le meilleur antidote Le meilleur antidote pour une intoxication au cyanure est en fait une combinaison d’antidotes (nitrite de sodium et thiosulfate de sodium). En les combinant, on réduit le risque d’effets secondaires. Entre autres, une infusion rapide de nitrite peut précipiter l’hypotension, et une surdose de nitrite peut être la cause d’une méthémoglobinémie dangereuse. Les enfants étant plus sensibles à l’hypoxie, ceux-ci sont plus à risque. Pour réduire le risque de complications, on donne l’infusion de nitrite de sodium et l’infusion de thiosulfate de sodium (Na2S2O3) dans des lignes IV séparées. Si les symptômes d’intoxica- Défi diagnostic • Retirez le patient de la fumée; • Maintenez des voies respiratoires ouvertes; • Administrez de l’oxygène à haut volume, au moyen d’un masque; • Appliquez un moniteur cardiaque; • Obtenez un accès vasculaire; • Effectuez la prise en charge du trauma et des brûlures. Patient conscient, respiration spontanée 5 minutes après l’exposition à la fumée Observation, repos et oxygène supplémentaire • Patient inconscient, en convulsions, en détresse respiratoire ou en panée; • Intubez, O2 100 %. Retour sur le cas de Jean-Pierre Vous soupçonnez une intoxication au cyanure et traitez Jean-Pierre de façon empirique avec de l’hydroxycobalamine. Le patient a très bien répondu au traitement et ses symptômes se sont rapidement estompés. Jean-Pierre a pu retourner au travail après quelques jours de repos. • Faites un prélèvement sanguin, si possible; • Infusez l’hydroxycobalamine 5 g/200 mL pendant 15 minutes (ou 4-DMAP 3,5 mg/kg IV ou nitrite de sodium 300 mg dans 10 mL d’eau stérile pendant 3 minutes), suivi de thiosulfate de sodium 12,5 mg (50 mL) IV pendant 10 minutes. • Réévaluez; • Considérez, au besoin, une seconde dose identique à la première. Figure 1. Protocole pré-hospitalier suggéré pour l’inhalation de fumée tion au cyanure récidivent, on peut redonner la moitié de la dose initiale. Des études animales ont démontré qu’on pouvait désintoxiquer 20 fois la dose létale de cyanure ou d’acide hydrocyanique. Cette combinaison est efficace, même après un arrêt respiratoire. Tant que le cœur bat, les chances de récupération demeurent. Le 4-DMAP Comme il forme rapidement de la MetHb, le 4-DMAP peut en induire des pics dangereusement élevés. On doit éviter l’injection intramusculaire en raison du risque de nécrose musculaire au site d’injection. Le risque de causer une hémolyse est un peu plus élevé avec cet agent. L’hydroxycobalamine L’hydroxycobalamine pour injection est un composé du cobalt, précurseur de la vitamine B12. Utilisé depuis 10 ans en France de façon empirique 4 le clinicien avril 2010 pour traiter les victimes d’une inhalation de fumée, il est maintenant approuvé chez nous. Son grand avantage est de ne pas interférer avec l’oxygénation des tissus. Ses deux seuls désavantages sont le coût élevé et la quantité nécessaire au traitement. ou confirmé. On peut utiliser l’hydroxycobalamine de façon empirique chez les victimes d’inhalation de fumée. Une étude prospective a démontré un taux de survie de 73 %, même lorsque les patients ont souffert de coma et d’arrêt cardiaque. Mécanisme d’action de l’hydroxycobalamine Le retour au travail L’hydroxycobalamine s’attache au cyanure pour former de la cyanocobalamine non toxique qui peut alors être excrétée dans l’urine. L’hydroxycobalamine peut induire une augmentation transitoire de la tension artérielle en raison des effets de l’oxyde nitrique. C’est un médicament extrêmement sûr et on a pu en donner jusqu’à 15 g sans effets secondaires. Il est approprié pour l’utilisation chez les victimes d’inhalation de fumée et pour l’utilisation pré-hospitalière et hospitalière chez les patients atteints d’un empoisonnement au cyanure suspecté Lorsque le patient ne souffre que d’une intoxication légère à modérée, il peut retourner au travail en quelques heures. Les patients souffrant d’une intoxication plus grave peuvent prendre plusieurs jours avant de pouvoir retourner à leurs occupations. Ceux qui auront souffert d’une intoxication presque létale peuvent montrer une détérioration intellectuelle, de la confusion et du parkinsonisme. On a décrit dans leur cerveau des lésions, comme l’infarctus du globus pallidus. C