Action physiologique de l'antithrombine
L’antithrombine III ou antithrombine (AT) est une glycopro-
téine plasmatique constituée de 432 acides aminés dont
le poids moléculaire est de 58 200 Da [1]. Elle est
essentiellement synthétisée par les hépatocytes ainsi que
par les cellules endothéliales [2]. Sa demi-vie biologique
est de 60 à 70 heures et sa concentration plasmatique
chez le sujet sain est de l’ordre de 2,5 lmol/L (soit 150
mg/L) [2, 3]. En clinique, on évalue plutôt l’activité
plasmatique de l’antithrombine III (en pourcentage par
rapport à celle d’un pool de donneurs sains : 100 %
équivalent à une unité d’antithrombine dans 1 mL du
plasma de référence), les taux normaux variant de 80 % à
120 % [4]. Il s’agit de la principale enzyme inhibitrice des
sérines-protéases générées lors des différentes phases du
processus de coagulation. En effet, elle inhibe principale-
ment la thrombine (facteur IIa) et le facteur Xa, mais
également les facteurs IXa, XIa, XIIa, la trypsine, la plas-
mine et la kallikréine, mais pas le facteur VIIa ni la
protéine C activée [1, 2]. Cette inhibition s’effectue par la
formation d’un complexe stœchiométrique 1:1 inactif
entre la protéase et l’antithrombine [1, 2]. L’antithrombine
joue donc un rôle essentiel dans le maintien de l’équilibre
de l’hémostase.
Interaction avec l'héparine
La formation du complexe antithrombine/sérine-protéase
est fortement accélérée en présence d’héparine (de 1 000
à 2 000 fois pour la neutralisation du facteur IIa) [5, 6].
L’héparine, en se liant à l’antithrombine, entraîne une
modification conformationnelle du site actif de l’antithrom-
bine ce qui produit une accélération de l’activité inhibi-
trice de l’antithrombine [6, 7]. L’antithrombine est liée de
façon covalente à la sérine-protéase mais l’héparine,
après action, se dissocie du complexe ternaire et peut être
réutilisée [7, 8].
Déficits acquis en antithrombine
Il existe des situations de déficits en antithrombine qui sont
de deux types : les déficits congénitaux et les déficits
acquis. Leurs manifestations cliniques sont celles des
thromboses et embolies du système veineux. Les vaisseaux
habituellement atteints sont les veines superficielles ou
profondes : veines iléo-fémorales, veine cave, veines réna-
les, veines axillaires et veines de la rétine [9]. Cependant,
l’estimation du risque thromboembolique est mal connue
[10].
Les déficits acquis en antithrombine (DAAT) sont considé-
rés comme sévères lorsque le taux d’antithrombine est
inférieur à 60 % [4]. Ils peuvent résulter de quatre princi-
paux mécanismes [10] :
– diminution de la synthèse hépatique, notamment dans la
cirrhose [11] ;
– augmentation des pertes, notamment au cours des syn-
dromes néphrotiques, des pertes protéiques digestives
majeures [9] ;
– taux plasmatique diminué par certains médicaments
(L-asparaginase, œstrogènes) [9] ;
– augmentation de la consommation d’antithrombine, no-
tamment au cours des coagulations intravasculaires dissé-
minés (CIVD), en période péri-opératoire, au cours des
traitements par héparine, dans la prééclampsie, au cours
de la circulation extracorporelle (CEC) [9]. Ce mécanisme
de consommation est le mécanisme le plus commun et
fréquemment le plus sévère [9].
Au cours de la CEC, les troubles de la coagulation
observés se traduisent par une génération importante de
thrombine et une diminution des taux circulants de l’anti-
thrombine [12, 13]. Cette diminution est la conséquence
de l’hémodilution ainsi que de la consommation d’anti-
thrombine accrue par la production de thrombine et
accélérée en présence d’héparine, administrée pour pré-
venir l’apparition de thromboses pendant la CEC. La
synthèse d’antithrombine semble également perturbée par
la CEC. L’activité de l’antithrombine ne revient à la
normale qu’après 24 heures [14].
Résistance à l'héparine
L’héparinothérapie augmente le turn over de l’antithrom-
bine entraînant une diminution de 17 à 33 % des taux
plasmatiques d’antithrombine dans les 12 à 24 premières
heures de traitement [15, 16]. Le pic de cette diminution
survient après deux à quatre jours et le taux d’antithrom-
bine se normalise à l’arrêt du traitement par héparine
[15]. Le taux d’antithrombine en-dessous duquel il n’y a
plus d’interaction possible avec l’héparine est estimé de
façon variable selon les auteurs de 60 à 25-30 % [11].
Ce mécanisme pourrait expliquer le phénomène d’hépari-
norésistance. Au cours d’une chirurgie cardiaque avec
CEC, la résistance à l’héparine a été définie, de façon
uniquement biologique, comme un allongement insuffisant
de l’ACT (activated clotting time ou temps de coagulation
activée) après l’injection d’une dose donnée d’héparine
non fractionnée. Les valeurs d’ACT et les doses d’héparine
sont variables suivant les auteurs [17]. Les causes possi-
bles sont le déficit relatif en antithrombine, l’hyperfibriné-
mie, les variations individuelles, la sécrétion de PF4...
[17]. L’héparinorésistance est également évoquée dans
un contexte de thrombose veineuse et est alors définie par
un accroissement progressif des doses d’héparine, supé-
rieures à 35 000 UI/24 h, pour le maintien d’une effica-
cité [18].
Traitement des déficits en antithrombine
par antithrombine humaine
En cas de déficit en antithrombine, de l’antithrombine peut
être apportée par l’intermédiaire du plasma frais congelé
(PFC) ou sous forme d’antithrombine humaine purifiée
(Aclotine
®
100 UI/mL injectable – Laboratoire français du
fractionnement et des biotechnologies). La demi-vie de
55 ± 14 heures peut être diminuée lors d’un traitement
concomitant par l’héparine. L’antithrombine humaine a
obtenu l’AMM dans les indications thérapeutiques suivan-
tes : déficits constitutionnels (en curatif et préventif) et
déficits acquis sévères (< 60 %) en antithrombine dans les
CIVD et les états septiques graves [4]. L’antithrombine
humaine est également parfois utilisée hors AMM dans les
déficits acquis en AT au cours d’héparinothérapie cura-
tive, dans le but de lutter contre le phénomène d’héparino-
résistance.
Utilisation de l’antithrombine après une chirurgie cardiaque
J Pharm Clin, vol. 24, n° 2, juin 2005 71
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