La xxxive conférence d’introduction à la psychanalyse, dans laquelle Freud présente
différentes applications de la psychanalyse, comprend notamment une mise au point sur
le thème de l’éducation. Si Freud ne s’était jusqu’alors jamais occupé lui-même de l’appli-
cation de la psychanalyse à la pédagogie, considérant qu’il s’agit d’un domaine distinct
des grands problèmes le préoccupant, sa fille, après qu’il l’eut désignée comme la conti-
nuatrice de sa pensée, s’emploiera à réparer cette omission. Aussi, lorsqu’il mentionne
la nécessité de mêler l’influence éducative au traitement psychanalytique des enfants, il
prend en vérité parti pour Anna Freud.1
Une authentique analyse d’enfant
peut-elle s’affranchir de toute dimension
éducative ? Telle est la question qui fut
au cœur de la controverse qui opposa
Mélanie Klein et A. Freud après la mort
de Freud. Pour la première, l’accès direct
à l’inconscient de l’enfant est non seule-
ment possible, mais souhaitable. Insti-
tutrice de formation, la seconde consi-
dère quant à elle qu’il faut en passer par
l’influence éducative des parents dans
la mesure où le moi de l’enfant est trop
faible pour résister aux assauts pulsion-
nels. Ayant défendu l’option promue par
A. Freud dès le milieu des années vingt,
l’inventeur de la psychanalyse estimait
cependant que seule l’expérience est en
mesure de trancher.
La xxxive conférence débute en
rappelant la nécessité de s’intéresser non seulement à la sexualité infantile pour com-
prendre celle de l’adulte, mais également aux effets du traumatisme sur le moi infantile
inachevé. L’enfant y est défini comme celui qui doit réaliser en lui-même l’exigence de
civilisation. Il lui est demandé d’accomplir en peu d’années des renoncements pulsionnels
ayant mis des millénaires à s’effectuer. Son développement devant aboutir à la morale
civilisée, la maîtrise pulsionnelle est la condition de son insertion dans la société. La
fonction première de l’éducation est d’imposer le renoncement à la jouissance que l’enfant
ne peut obtenir par ses propres moyens. Mais cette maîtrise est une tâche herculéenne
à laquelle peu d’enfants parviennent. Leurs symptômes sont de ce fait liés aux nécessités
ainsi qu’aux ratés de ce renoncement.
La psychanalyse ne nuit pas aux enfants, bien au contraire ! Les résultats théra-
peutiques sont même rapides et durables. À la différence de l’adulte, le surmoi n’y est
pas encore constitué, la règle fondamentale de l’association libre s’avère ne pas être la
1 Freud S., « xxxive conférence. Éclaircissements, applications, orientations » (1933), Nouvelles
conférences d’introduction à la psychanalyse, Paris, Folio-essais, 2000, p. 196.
Laura Sokolowsky
L’ÉDUCATION ENTRE CHARYBDE ET SCYLLA
Alessandro Allori (1535-1607) Charybde et Scylla
Fresque du cycle d’Ulysse, vers 1575. Florence, Banca toscana.
méthode la plus adaptée et, surtout, l’analyste doit tenir compte de la présence des parents,
car ceux-ci influent sur les modalités du transfert. En effet, chez l’enfant, les résistances
ne proviennent souvent pas du sujet, mais de l’extérieur, des parents. Aussi, comme le
préconisait A. Freud, l’analyste doit exercer son influence sur ces derniers pour que la
cure puisse être menée à bien.
Trois modalités
L’existence des névroses infantiles étant largement attestée, il y aurait trois façons
d’appliquer la psychanalyse à l’éducation. La première s’inscrit dans la veine hygiéniste :
ne faudrait-il pas analyser les enfants de manière préventive, comme on les vaccine ? La
société n’est nullement prête à considérer les avantages d’une utilisation prophylactique
de la psychanalyse. Point n’est besoin d’en discuter plus longtemps : c’est une utopie !
Un autre usage consisterait à prendre les choses par un autre bout que celui de
l’enfant, celui de la formation et de la mission dévolue aux éducateurs : comment aider
les enfants à maîtriser leurs pulsions sans les rendre malades ? Faut-il les éduquer pour
que le travail de civilisation s’accomplisse sans créer de dommages irréversibles ? Freud
n’indiquait-il pas que « l’éducation [devait] chercher son chemin entre le Scylla du lais-
ser-faire et le Charybde de la frustration »2 ? Jusqu’où interdire et par quels moyens ?
L’éducateur ne saurait y répondre que d’une façon singulière et non universelle. Il n’existe
aucune méthode éducative qui puisse s’appliquer à tous les enfants. Certains acceptent
facilement les interdits, d’autres non. De plus, les éducateurs ont eux aussi leur propre
histoire, leurs névroses, leurs symptômes, ce qui porte à considérer qu’en définitive
« l’analyse des maîtres et des éducateurs semble une mesure prophylactique plus efficace
que celles des enfants eux-mêmes »3.
Le troisième domaine est celui de la Verwahrlosung, la jeunesse en souffrance,
abandonnée. Freud se réfère ici aux travaux d’August Aichhorn sur la délinquance juvé-
nile dont il a préfacé l’ouvrage, Jeunesse à l’abandon, publié en 1925. Pour Freud, le surmoi
de l’enfant ne s’édifie pas sur le modèle des parents, mais d’après le surmoi parental. Le
surmoi transmet des valeurs de génération en génération. Le passé continue donc à vivre4
à travers « les idéologies du surmoi », qui sont les dépositaires des traditions d’un peuple
et, de ce fait, relativement indépendantes des influences du présent. La prise en compte
de la dimension conservatrice du surmoi s’avère nécessaire pour comprendre ce qu’est
le comportement social et les causes de la délinquance.
2 Ibid., p. 200. Dans la mythologie grecque, Charybde et Scylla étaient des monstres marins. Ils
ont donné leur nom au tourbillon du détroit de Messine et au récif situé dans ce détroit. Quand on
détournait son chemin de Charybde, on tombait sur Scylla et son écueil. L’expression « tomber de
Charybde en Scylla » signifie qu’on évite un danger pour en affronter un pire.
3 Ibid., p. 201.
4 Freud S., (1933), « xxxie conférence. La décomposition de la personnalité psychique » (1933), Nouvelles
conférences d’introduction à la psychanalyse, Paris, Folio-Essais, 2000, p. 94.
Répression
Dans son célèbre article « La morale sexuelle civilisée et la maladie nerveuse des
temps modernes », publié en 1908, Freud soulignait déjà que l’éducation civilisée tendait
à la répression temporaire des pulsions jusqu’au mariage. Malgré la libération que consti-
tue le mariage, la répression de la sexualité exercée par l’éducation civilisée endommage
durablement la capacité de satisfaction sexuelle des individus, surtout celle des femmes.
Les épouses sont, selon lui, bien souvent des femmes anesthésiées5. Un an auparavant,
il vantait les mérites du modèle français, où l’État avait remplacé le catéchisme par des
ouvrages d’éducation civique. Il regrettait pourtant que l’éducation libérale des enfants
ait laissé de côté le domaine de la vie sexuelle : « C’est là une lacune que les éducateurs et
les réformateurs devraient s’efforcer de combler »6.
Une réforme de l’éducation ne suarait s’accomplir, selon Freud, sans une trans-
formation profonde des fondements de la société.
5 Freud S., « La morale sexuelle civilisée et la maladie nerveuse des temps modernes » (1908), La vie
sexuelle, Paris, puf, 2002, p. 41.
6 Freud S., « Les explications sexuelles données aux enfants », La vie sexuelle, op.cit., p.13.
Retour au site
1 / 3 100%
La catégorie de ce document est-elle correcte?
Merci pour votre participation!

Faire une suggestion

Avez-vous trouvé des erreurs dans linterface ou les textes ? Ou savez-vous comment améliorer linterface utilisateur de StudyLib ? Nhésitez pas à envoyer vos suggestions. Cest très important pour nous !