Jérôme Palazzolo
92 © Cerveau &Psycho - 49 janvier - février 2012
Synthèse
Les sujets atteints d’un trouble de la personnalité schizoïde
semblent froids et distants ; ils fuient les relations avec autrui.
La personnalité schizoïde
chez ces pers onnes une pauvreté des con t act s ,
un repli sur ell e s - m ê m e s , une solitu de marqu é e ,
des difficultés à lier de nouvelles rel a ti ons soc i a-
l e s . Les su j ets sont décrits comme solitaire s ,
to u rnés sur eux-mêmes et rel a tivem ent inacce s-
s i bl e s . Ces différen tes caract é ri s ti ques illu s tren t
la pauvreté des rel a ti ons avec les autre s .
La pauvreté de l’affectivité se manife s te par le
fait que la pers onnalité sch i zo ï de est introverti e ,
d é c on n ectée de son envi ron n em ent social sans
pour autant être considérée comme margi n a l e
ou anti con form i s te . E n f i n , l e ur froi deur émo-
ti on n elle s’ a ccom p a g ne de façon éton n a n te
d’une gra n de ri c hesse de la vie imagi n a i r e qu i
con tra s te avec cet te pauvreté affective app a-
ren te . Leur hu m eur égale s’ accom p a gne d’une
i n s en s i bilité et d’un sang-froid perm a n en t s . E n
f a i t , ces su j ets en treti en n ent une certaine dis-
t a n ce vi s - à - v is des autres par peur de l’enva h i s-
s em en t . Ils per ç oivent les autres pers on n e s
comme intru s ive s , et ils redo u tent l’em pri s e
qu’ e lles po u rra i ent exercer sur eu x .
Dune apparente indiffére n c e
à une vraie souffrance
Cette apparente indifférence masque en fait
une réelle souffrance, qu’il s’agisse d’un état de
tension à l’obligation d’entretenir, malg
leurs réticences, des contacts sociaux ou parce
que leur humeur est sombre quand ils prennent
con s c i en ce de leur singulari t é , a l ors me
qu’ils ont des aspirations conformistes.
Les su j ets sch i zo ï d es sont aussi ava res de leu rs
é m o ti ons que de leu rs pen s é e s . Ils ont une forte
ten d a n ce à la méditati on , mais éga l em ent aux
pensées abstra i tes voi re herm é ti qu e s , n o n acce s-
s i bles à autru i . La percepti on qu’ils ont d’eu x -
mêmes est souvent guidée par le sen ti m en t
d ’ ê tre des indivi dus à part , ce qui les con duit à
se détach er des autre s . Ils pen s ent qu e : « Le s
a utres sont to u j o u rs source de probl è m e s » , «L a
vie serait moins com p l i quée sans les autre s » ,
« Je suis un solitaire » , « Je suis différen t » . Bi en
s o u ven t , ils ad h è rent à des croya n ces mys t i q u e s
ou métaphys i ques bi z a rre s , et on en retro uve
be a u coup dans certaines secte s .
Comment évolue le trouble ? Généralement
– ce qui n’est guère surprenant étant donné le
t a b leau cl i n i que pr é s en t é l’ad a pt a ti o n est
mauvaise sur le plan socio-professionnel et
familial. Les personnes souffrant d’une person-
nalité schizoïde se retrouvent généralement iso-
lées. Certains psychiatres considèrent que la
personnalité schizoïde est l’une des personnali-
tés pr é d i s posant à une sch i zophrénie ulté-
rieure. Il n’existe aujourd’hui aucun consensus
sur les causes biologiques, génétiques ou psy-
chologiques de cette pathologie, même si un
dysfonctionnement des circuits dopaminergi-
ques est parfois évoqué.
Com m ent pren d - on en ch a r ge ces pati en t s ?
Il est ra re que le pati ent fasse lui-même une
d é m a r che pour dem a n der à être tra i t é , car il ne
s em ble pas souffrir de son état, du moins en
a pp a ren ce comme nous l’avons évoqu é . E n
g é n é ra l , ce sont ses proches qui s’ i n qu i è tent de
s o n mode de fon cti on n em en t , su rto ut si le tro u -
ble su rvi e nt du rant l’ado l e s cen c e , une péri o de
i m port a n te pour la soc i a l i s a ti on de l’indivi du .
La prise en charge vise à réduire l’isolement
social et la marginalisation du sujet. Le théra-
peute lui appr end à développer ses habiletés
sociales, à élargir sa palette émotionnelle et à
mieux décoder les émotions, les siennes et cel-
les des autres. Les thérapies cognitives et com-
portementales semblent être le mode de prise
en charge le plus adapté, bien qu’il soit difficile
de maintenir une relation thérapeutique au
long cours avec ces personnes.
n
B i b l i o g r a p h i e
J . P a l a z z o l o ,
Cas cliniques en trapies
c o m p o rtementales
et c o g n i t i v e s, 3
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Masson, 2006.
J . B e r g e re t ,
La personnalité norm a l e
et pathologique, Dunod,
1 9 9 6 .
L
e terme « schizoïde» a été proposé par
le psych i a t re suisse Eu gen Bl e u l e r
(1857-1939) pour décri re une ten-
dance à l’introspection et à l’isole-
ment, l’absence d’expression émotion-
nelle, l’association contradictoire d’émousse-
ment affectif et d’hypersensibilité, ainsi que la
po u rsu i te d’inrêts vagues ou mys t é ri eu x .
Cette définition rejoint celle proposée par le
DSM IV
,la quatrième édition duManuel diag-
nostique et statistique des troubles mentaux : la
c a ract é ri s ti que essen ti e lle de la pers on n a l i t é
schizoïde est « un mode général de détache-
ment des relations sociales et de restriction de
la variété des expressions émotionnelles dans
les rapports avec autrui ».
En app a ren ce , les indivi d us sch i zo ï des n’ on t
pas de désir d’inti m i t é ; ils sem bl ent indiffé-
rents aux po s s i bilités de dével opper des rel a-
ti ons avec des proch e s , et ne ti r ent pas be a u-
coup de plaisir à app a rtenir à un gro u p e , qu’ i l
s oit social ou familial. Ils pr é f è rent passer leu r
temps seul plutôt qu’ avec autru i , ce qui chez un
ado l e s cent par exemple a ten d a n ce à inqu i é ter
l ’ en to u r a ge . Ils vivent en erm i t e s , s ont souven t
isolés soc i a l em en t , et ch oi s i s s ent pre s que to u-
j o u rs des passe-temps ou des activités solitaire s
qui leur perm et tent d’évi ter les interacti on s
avec autru i . Ils pr é f è rent des tâches mécaniqu e s
ou abstra i tes tels les jeux vi d é o, les mathémati-
ques ou l’inform a ti qu e .
Les sen s a ti o ns corporelles généra l em en t
considérées comme agr é a bles (par exemple se
prom en er sur une plage au co u c h e r du soleil ou
f a i re l’amour) ne leur proc u rent souvent qu’ u n
plaisir limité. Ces pers onnes n’ ont pas de con f i-
dent ou d’ami, s a u f p a r fois un parent proch e .
E lles sem b l e nt souvent indifféren t es à l’éloge ou
à la cri ti qu e , et ne para i s s ent pas con cernées par
ce que les autres pen s ent d’ell e s . G é n é ra l e m en t ,
elles ign orent les su btilités qui régi s s ent les inter-
acti ons soc i a l e s , et ne réagi s s ent donc pas de
f a ç o n ad a ptée aux signaux soc i a u x , que ce soit les
s o u r i r e s , les salut s , les ex p re s s i o ns du vi s a ge , o u
les atti tu des du corp s . Pour cet te ra i s on , ce s
su j ets para i s s ent parfois ga u ch e s , su perf i c i els ou
é g ocen t ri qu e s . Ils ont souvent une ex p re s s i on
i m p avi de , qui ne laisse tra n s p a ra î tre aucune
é m o t i on , et ne répon dent que ra rem ent aux sol-
l i c i t a t i ons soc i a l e s . Ils disent ne re s s e n t ir qu e
ra rem ent des émoti ons forte s , telles que co l è r e ,
j o ie ou ten d re s s e . Ils para i s s ent froids et distants.
To utefoi s , dans les ra res mom ents ils se sen-
tent assez à l’aise pour se dévoi l e r, ils peuven t
ad m et tre un certain mal-être , n o t a m m e nt dans
les interacti ons soc i a l e s .
Une personnalité
distante et inaccessible
Le nombre d’individus atteints de trouble de
la personnalité schizoïde serait compris entre
un et dix pour cent de la population générale,
avec sans doute une prédominance chez les
hommes. Cette variabilité reflète les difficultés
qu’il y a à établir une définition clinique claire
de ce trouble. Ce chiffre est probablement sur-
estimé, car on ne sait pas toujours distinguer de
façon nette des sujets atteints d’un trouble de la
personnalité schizoïde et ceux qui présentent
des troubles schizophréniques débutants.
Par aill eu rs , des pers onnes d’ori gines cultu-
relles différen tes de la tre pr é s en tent parfoi s
des com por tem ents fen s i fs et des types de
rel a ti on à autrui qualifiés à tort de sch i zo ï de s .
Par exem p l e , des su j e ts qui ont récem m en t
déména de la campagne vers une gra n d e
vi lle peuvent réagir par une sorte de « s i d é r a-
ti on émoti on n ell e » po uvant du rer plu s i eu rs
m ois et se manife s t er par des activités solitai-
re s , un émoussem ent des affect s , voi r e des défi-
cits de com mu n i c a ti on . Certains immigra n t s
s ont parfois per ç u s , là en core à tort , com m e
h o s tiles ou indifféren t s .
La pers onna lité sch i zo ï d e pr é s e n te troi s
s ym ptômes essen ti el s : une pauvreté des rel a-
ti ons aux autre s , de l’affectivité et de l’ex pre s-
s i on émoti on n ell e . Il est fréqu ent de rel ever
Jérôme Palazzolo,
psychiatre, est
professeur au
D é p a rtement santé
de l’Université
i n t e rna tionale Senghor,
à Alexandrie,
en Égypte, chargé
de cours à l’Université
de Nice-Sophia
Antipolis et chercheur
associé au Laboratoire
d’anthropologie et
de sociologie, Mémoire,
identité et cognition
sociale,
L A S M I C
, à Nice.
Les signes de la personnalité schizoïde
Selon la quatrième édition du Manuel diagnostique et statistique des
troubles mentaux,DSM IV, la personnalité schizoïde correspond à
«un mode général de détachement par rapport aux relations sociales
et de restriction de la variété des expressions émotionnelles dans les rap-
ports avec autrui », qui apparaît au début de l’âge adulte et est présent
dans des contextes divers. Parmi les manifestations répertoriées ci-des-
sous, le sujet devrait en présenter quatre pour que le diagnostic de per-
sonnalité schizoïde soit posé.
Il ne recherche ni n’apprécie les relations proches y compris
avec les membres de sa famille.
Il choisit presque toujours des activités solitaires.
Il n’a que peu ou pas d’intérêt pour les relations sexuelles avec
d’autres personnes,
Il n’éprouve du plaisir que dans de rares activités (sinon dans aucune).
Il n’a pas d’amis proches ni de confidents, en dehors de ses parents
du premier degré.
Il semble indifférent aux éloges ou à la critique d’autrui.
Il fait preuve de froideur, de détachement, ou d’émoussement
de l’affectivité.
© Cerveau &Psycho - 49 janvier - février 2012 93
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