3. Culture et civilisation
3.1 Les rapports entre culture et civilisation
Alain Rey, dans son dictionnaire déjà rencontré, dit que «!civilisation!» a été défini au
XVIII° siècle comme «!ce qui rend les individus plus aptes à la vie en société (Mirabeau 1757)
et surtout comme le processus historique de progrès (on dira plus tard évolution) matériel,
social et culturel (Mirabeau 1760), ainsi que le résultat de ce processus, soit un état social
considéré comme avancé. Par métonymie, le mot désigne aussi une société caractérisée par son
degré d’avancement (Mirabeau 1767), emploi avec lequel le pluriel tend à l’emporter à partir
du XIX° siècle!.» Dans l’article, on peut remarquer un rapprochement certain entre culture et
civilisation!: «!L’accent étant mis sur le degré de perfection atteint, le nom [civilisation] est
employé (…) avec le sens de «!caractère civilisé, état social avancé!; il tend à entrer aujourd’hui
en concurrence avec culture (…)!».
Dans les définitions simples, on peut noter une identité entre les deux termes « culture » et
« civilisation ». Ainsi le Petit Larousse de 1950 indique pour culture «(...) ensemble de
connaissances acquises // Civilisation : la culture gréco-latine ». Mais il n'organise pas le
renvoi, civilisation : « ensemble des caractères communs aux sociétés évoluées // Ensemble des
caractères propres à une société quelconque : la civilisation grecque ». On notera donc
seulement un caractère plus général, plus universel, accordé à civilisation.
À un autre niveau d'analyse, une différence de qualité est introduite.
L'ethnographe G.W. Hewes a réalisé une classification des civilisations et des cultures,
reprise par Fernand Braudel dans Civilisation matérielle, pour donner un tableau du monde vers
1500 intitulé Civilisations, cultures, et peuples primitifs.Il indiquait « tout au bas de l'échelle,
des cueilleurs, des chasseurs et des pêcheurs, de simples producteurs qui vivent au sein du
milieu naturel sans intervenir d'une manière intelligente, consciente sur ce milieu ». Un second
groupe est formé par les nomades et les éleveurs, car « un commencement d'action intelligente
» intervient au niveau du règne animal. Le troisième niveau est celui des cultures agricoles les
moins élevées, très extensives, à faible rendement. Le quatrième est celui des cultures
traditionnelles qui « ignorent l'adjonction du moteur musculaire animal mais qui peuvent
obtenir des rendements considérables » par exemple avec le maïs, et qui « n'ont franchi nulle
part la ligne de l'écriture ». Le cinquième est celui des civilisations denses, agricultures et agro-
pastorales avec charrue. « Nous sommes au sommet des techniques de la production vivrière
par intervention intelligente modificatrice dans le milieu vivant et au sommet de la maîtrise des
moyens de communication par l'écriture ». C'est-à-dire vers 1500 pour l'Europe, l'Inde, les pays
musulmans peuplés de sédentaires et l'Extrême-Orient.
Ainsi une culture serait « une civilisation qui n'a pas encore atteint sa maturité, ni assuré sa
croissance » (Braudel) ; une civilisation « une culture épanouie qui jouit de la durée, de la
réussite, des multiplicateurs de pouvoirs et du nombre » (Chaunu, Conquête et exploitation des
nouveaux mondes, Nouvelle Clio, p. 365). Les Mayas, Aztèques ou Incas mériteraient le terme
de civilisation par « leur qualité, leur éclat, leurs arts, leurs mentalités... leur longévité, leur
densité de population, l'efficacité de leur agriculture ». Mais on le leur refuse car il manque
l'avoine, la roue, la traction animale, ce qui fait qu'on les considère comme des « civilisations
incomplètes, à refouler dans les cultures les plus évoluées » (Chaunu, Conquête et exploitation
des nouveaux mondes, p. 366).
On pourrait rétorquer qu'il ne s'agit que de problèmes de critères. L'araire est-elle nécessaire
dans un système agraire fondé sur la culture du maïs, dont les rendements à l'hectare sont de dix