Structure financière et performance des entreprises dans un

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Structure financière et performance des entreprises dans un
contexte sans marché financier : le cas du Cameroun*
Robert Wanda**
Résumé
Cette étude a pour objectif d’apprécier le caractère discriminant du marché financier dans le
comportement des organisations en matière de choix de financement. Les modèles théoriques (le modèle
Modigliani- Miller, le Trade- Off et le Pecking- Order) et les travaux empiriques sur la structure de propriété
( notamment les tenants de la thèse de la non neutralité ) reconnaissent que les indicateurs boursiers de la
performance (Q de Tobin, le ratio de Marris, la mesure de Sharpe …) sont les seuls sensibles aux structures
financière et de propriété. En outre, la dette discipline les dirigeants par le marché financier et devient ainsi une
variable d’action indirecte utilisée par les actionnaires pour s’approprier la valeur.
Dans un contexte sans marché financier comme le Cameroun, il s’est avéré que la performance, qu’elle
soit globale ou focalisée sur la richesse des actionnaires, est indépendante de la structure financière; la forte
concentration du capital ayant un effet positif marginal sur la valeur globale de l’entreprise.
Ce résultat confirme l’hypothèse de la neutralité des indicateurs comptables de performance et
conforte le caractère discriminant du marché financier dans le comportement des entreprises en matière de choix
de financement; l’absence de ce marché impliquant moins de dettes, plus de concentration du capital pour un
contrôle en interne, conformément aux prévisions des théories de l’agence, des droits de propriété et des signaux.
Mots clés : Structure financière – concentration du capital – performance – marché financier.
___________________________________
* L’auteur tient à remercier les Professeurs Gérard Hirigoyen, Jean Guy Dégos et Jérôme Caby ainsi que tous les chercheurs
du CREF de l’Université Montesquieu Bordeaux IV pour l’attention portée à son égard et le cadre convivial qui lui ont
permis de peaufiner ce travail, entre autres.
** M. Robert Wanda est enseignant assistant à la Faculté des Sciences Economiques et de Gestion de l’Université de
Yaoundé II au Cameroun. Ses recherches portent sur la finance organisationnelle et il prépare actuellement une thèse de
Doctorat d’Etat en Sciences de Gestion. La finance, la comptabilité , la fiscalité et les théories des organisations sont ses
enseignements universitaires.
Contact : [email protected] ou bien [email protected] Tel : 00237 31.15.28 Fax : 00237 23.50.15
Octobre 2001
L’évolution des moyens de financement 1 des entreprises dénote le caractère
stratégique de la structure financière. Cette dernière s’étend à l’ensemble des compartiments
stratégiques financiers qui permet à l’entreprise d’exercer son activité, c’est à dire d’acquérir
ses actifs. Quelle que soit la diversité des éléments qui la composent, leur agrégation distingue
la dette des fonds propres. Un débat oppose très souvent les chercheurs sur la question du
dosage dette- fonds propres pour une meilleure valeur de l’entreprise. En outre, le concept de
valeur ne fait pas l’unanimité ; il s’est métamorphosé au fil des ans. En effet, l’entreprise a
successiveme nt été assimilée à une boîte noire, à une entité de type contractuel et enfin à
1
Hirigoyen G., Jobard J.P., (1997), dénombrent, dans le cas français, les instruments traditionnels de financement (fonds
propres, crédits aux entreprises, …), et les nouveaux instruments que sont les actions à dividendes prioritaires sans droit de
vote, les obligations à bon de souscription d’action, les crédits d’exploitation issus de l’application de la loi Daily.
1
une organisation partenariale 2 . Parallèlement, sa valeur a correspondu respectivement au
profit, à la valeur actionnariale et à la valeur partenariale (Caby J., Hirigoye n G., 2001).
Par ailleurs, Leland H., Pyle D., (1977) montrent que la valeur d’une entreprise est
plus corrélée avec la part du capital détenue par l’actionnaire dirigeant 3 et de ce fait elle est en
liaison avec la structure financière. Ce constat conduit à considérer dans la structure
financière, outre la dette et les fonds propres, la structure de propriété en terme de
concentration du capital. Le lien structure de propriété- performance, analysé dans les études
empiriques, n’est pas univoque : si certaines soutiennent la thèse de la neutralité (Demsetz
H., Lehn K., 1985, Charreaux G., 1991, Jacquemin A., Ghellin E., 1978…), d’autres sont, au
contraire, favorables à la thèse de la non neutralité (Djelassi M., 1996, Mourgues N. 1987,
Leech D., Leahy J., 1991…). Cette thèse de la non neutralité corrobore les prévisions
pessimistes de la relation d’agence sur la performance que soutiennent Adam Smith (1776),
Berle A. A., Means G., (1932), et Jensen M.C., Meckling W.H. (1976).
Cette recherche a pour objectif de vérifier le caractère discriminant du marché
financier dans le comportement des entreprises en matière de choix de financement. Ainsi, à
partir d’un échantillon de 39 entreprises non cotées installées au Cameroun et suivies pendant
trois années (1996/97, 1997/98, 1998/99), il s’avère que la performance ( actionnariale et
globale) est indépendante de la dette financière et marginalement dépendante de la forte
concentration du capital.
Avant de détailler la méthodologie suivie et les résultats obtenus, une présentation
succincte du cadre théorique de l’étude est nécessaire
.
ILe cadre d’analyse structure financière - performance
Cette recherche se situe dans le champ de nombreuses études réalisées sur la structure
financière, au sens strict dette-fonds propres, et sur la structure de propriété.
Le dosage dettes- fonds propres et la performance 4
En rupture avec l’orthodoxie financière préoccupée par l’équilibre financier5 , le
modèle de Modigliani et Miller (1958) a déclenché une véritable révolution scientifique
focalisée sur la valeur de la firme. La théorie du Trade-Off et le Pecking Order qui en sont
issus expliquent au mieux la métamorphose des comportements financiers des entreprises. On
peut donc distinguer les modèles de compromis de celui de la hiérarchie.
I-1
2
L’entreprise en tant que boite noire est celle à acteur unique de l’école classique recherchant, de façon mécanique, le
maximum de profit de l’entrepreneur à partir d’une fonction de production. L’entreprise contractuelle est considérée comme
un nœud de contrats où, dans une relation d’agence généralisée,
les divergences d’intérêts, entre principal
(actionnaire/créancier) extérieur et leurs mandataires internes (dirigeants/actionnaires, salariés), détournent ces derniers de
l’objectif fondamental de maximisation de la richesse du premier considéré comme le créancier résiduel. L’entreprise
partenariale considère tous ceux qui apportent des ressources (dirigeant, salariés, clients, actionnaires, créanciers,
fournisseurs, public ) comme des créanciers résiduels et par conséquent des ayant-droits au surplus réalisé ; leur rémunération
étant en deçà de leur coût d’opportunité c’est à dire du prix des ressources apportées établi sur un marché concurrentiel.
3
Cette corrélation met en exergue la notion de gouvernance c’est à dire l’ensemble des mécanismes externes (Marchés du
travail, des biens et services, financier, la COB,) et internes (conseil d’administration, structure de propriété) de contrôle des
attitudes managériales dans une relation d’agence.
4
Pour une synthèse, on peut se reporter à Goffin R., (1999).
Selon l’orthodoxie financière, la viabilité d’une structure financière est mesurée par l’équilibre financier selon le principe
que les emplois doivent être financés par les ressources de même échéance. Ce qui garantit un fonds de roulement pour le
financement du besoin en fonds de roulement et pour espérer à une trésorerie.
5
2
I-1-1 Les modèles de compromis
Aucun privilège n’est a priori accordé à la dette ou aux fonds propres. Seules les
opportunités qu’offrent l’une ou les autres permettent les ajustements. S’inscrivent dans cette
logique, le modèle de Modigliani- Miller et la théorie du Trade-Off.
a) Le modèle de Modigliani-Miller (MM) : l’ambiguïté d’une structure financière
optimale
Deux phases marquent l’élaboration de ce modèle, fondé sur la perfection des marchés :
- une phase initiale (1958), sans incidence fiscale, avec un impact nul de l’effet de levier de
la dette (compensation de l’effet positif de l’espérance de rendement des capitaux propres
par l’effet négatif du risque financier). La structure financière est ainsi neutre au regard
de la valeur de l’entreprise ;
- la phase de 1963, avec incidence fiscale, où, à cause de la déductibilité fiscale des frais
financiers (DiTc, avec D, la dette perpétuelle ; i, le taux d’intérêt sans risque; Tc le taux
de l’impôt sur les sociétés), la dette a toujours un effet positif sur la valeur de l’entreprise
quelque soit son niveau. La structure optimale de l’entreprise n’est en réalité pas
déterminée ou bien elle correspond à celle obtenue avec un niveau d’endettement
maximum, c’est à dire à la situation irréaliste d’une entreprise sans fonds propres ou plus
précisément sans capital social.
b) La théorie du Trade -Off : l’existence d’une structure financière optimale
Elle est issue des travaux de Myers S.(1984) et comprend aussi deux phases
d’élaboration :
- une phase initiale ou le trade-off statique qui introduit au MM l’incidence du coût de
faillite6 et aboutit à la détermination d’un taux d’endettement optimal. Dans ce cas,
l’augmentation de la dette entraîne, outre l’effet de levier financier sans impact sur la
valeur de l’entreprise, le coût de faillite à impact négatif. D’où une réduction de la valeur
par rapport au MM ;
- la phase revisitée qui tient compte des coûts d’agence pour répondre aux critiques7
acerbes adressées à la précédente phase. La relation d’agence conduit à deux catégories
de coûts (Jensen M.C., Meckling W.H., 1976, p.312s) : les coûts d’agence des fonds
propres, c’est à dire les dépenses faites par les actionnaires pour infléchir à leur cause les
déviations opportunistes des dirigeants ; les coûts d’agence des dettes ou dépenses
engagées par les créanciers pour discipliner, à leur cause, les actionnaires (y compris les
dirigeants). Le recours à l’endettement est un moyen de discipliner par le marché
financier les dirigeants, c’est à dire de réduire les coûts d’agence des fonds propres et
d’augmenter la valeur de l’entreprise. Par la même occasion, cet endettement crée des
coûts d’agence de la dette qui diminuent la valeur de l’entreprise. Au bout du compte, la
valeur de l’entreprise dépend du solde de ces deux effets contradictoires dus à
l’endettement.
En somme, la vertu de l’endettement est atténuée. Le taux d’endettement cible, qui
détermine la structure financière optimale et partant la valeur maximale de la firme, se situe
6
La faillite d’une entreprise est la procédure judiciaire qui suit la défaillance. Elle engendre des coûts directs (frais d’avocat,
d’administration provisoire avant liquidation ou réorganisation…), et indirects (perte de clientèle et des fournisseurs par suite
de la perte de confiance, baisse du chiffre d’affaires,…). La défaillance est l’état d’une entreprise incapable d’honorer son
service de la dette.
7
Harris M., Raviv A., (1991), Rajan R.G., Zingales L., (1995), Kester C., (1986), etc. montrent que le caractère plus ou
moins spécifique des actifs est un élément déterminant des coûts de faillite et partant de la structure financière (confirmation
de la thèse de Williamson O.E, 1988) ; les coûts indirects étant plus importants pour les actifs intangibles que pour les
tangibles. Ainsi le modèle ne donne pas une explication des différences d’endettement intrabranche. En outre, la relation
rentabilité- endettement et l’adaptation graduelle vers le taux d’endettement optimal restent ambiguës.
3
au niveau de l’écart maximal positif entre l’effet positif sur coûts d’agence des fonds propres
et l’effet négatif sur coûts d’agence des dettes.
I-1-2 Le modèle de hiérarchie : le caractère résiduel de la dette
Il est issu des travaux de Myers S., (1984) et de Myers S., Majluf N., (1984). Aussi
appelé théorie Pecking- Order ou théorie du picorage ordonné (Hyafil A., 1995), ce modèle
établit une préférence décroissante de financement par :
autofinancement
dettes (y compris les titres hybrides)
émissions des actions
8
nouvelles .
Le modèle aboutit à la conclusion selon laquelle le taux d’endettement cible n’est pas
important car la dette est un résidu sollicité en période d’expansion où l’investissement
nécessaire pour les projets rentables , c’est à dire à valeur actuelle nette positive, est supérieur
à l’autofinancement ; le besoin de financement externe (surplus de l’investissement
nécessaire sur l’autofinancement) étant la limite asymptotique de l’endettement pour une
entreprise qui peut aussi faire recours aux actions nouvelles.
La hiérarchie des sources de financement, au delà de la partition stratégique des fonds
propres (distinction autofinancement- actions nouvelles), explique mieux les différences
d’endettement intrabranche 9 et justifie la réaction des cours de l’action liée à une transaction
de substitution dettes- fonds propres 10 .
Malgré de multiples désaccords sur la structure financière optimale en terme global de
dettes et fonds propres 11 , ces modèles relancent le débat sur la question . Et certaines de leurs
faiblesses trouvent des réponses dans l’analyse de la structure de la propriété.
I-2. L’enjeu de la structure de propriété à la recherche de la performance
L’analyse de la structure de propriété conduit à une typologie des formes
organisationnelles ayant pour fil d’ariane la relation d’agence. Ainsi, les études empiriques
distinguent pour les besoins d’analyse les entreprises managériales, familiales et contrôlées12 .
D’Adam Smith, (1776) et Berle A.A., Means G., (1932), à nos jours la relation structure de
propriété- performance a suscité nombre d’études empiriques favorables soit à la thèse de la
neutralité, soit à celle de la non neutralité.
8
Pourquoi ces préférences ? L’autofinancement évite d’affronter le marché, de fournir l’information sur des projets
stratégiques, de se justifier devant les investisseurs, d’augmenter le surplus organisationnel destiné aux salariés par suite
d’une économie sur les dividendes ; l’endettement par rapport à l’émission des actions nouvelles a un contenu informatif
positif (voir Leland H, Pyle D., 1977, et Ross .A., 1977 pour plus de détails sur la théorie des signaux) , avec, en outre,
l’enchérissement de ces actions par l’existence des primes d’émission.
9
Il est bien entendu que les hypothèses d’une telle explication, que sont la constance du taux de croissance, la rigidité de la
politique de dividende, sont irréalistes, surtout à terme.
10
Lorsque l’entreprise préfère la dette aux fonds propres elle renchérit les cours des actions pour attirer la dette et les baisse
au cas contraire.
11
La vertu de la dette est décroissante du MM au Trade-Off et à la Pecking-Order. Pour cette dernière, le recours à la dette est
préalable à l’émission des nouvelles actions, alors que le Trade-Off infirme cela pour les entreprises à actifs intangibles
(entreprises de service) qui, à cause de leurs coûts de faillite indirects très élevés, préfèrent les actions nouvelles à
l’endettement. En outre , le Trade-Off prévoit un taux d’endettement élevé pour des entreprises arrivées à maturité, alors que
la Pecking-Order prévoit un taux d’endettement faible, à défaut d’être nul car les cash flows abondants couvrent largement
les quelques éventuels projets rentables (VAN>0). Il se dégage ainsi du free cash flow ou surplus des ressources sur les
investissements des projets rentables.
12
Dans les premières, il y a séparation de la propriété diffuse et de la décision (relation d’agence) ; dans les secondes, une
famille ou un individu détient la plus grande part du capital social et peut nommer un dirigeant qu’il domine. La relation
d’agence est atténuée ; dans les troisièmes une autre entreprise détient la grande part du capital et nomme un dirigeant. La
relation d’agence est dans ce dernier cas de forme et non de fond.
4
I-2-1. La thèse de la neutralité structure de propriété- performance
Cherchant le lien entre l’indice de concentration13 et la performance, Demsetz H.,
Lehn K., (1985) concluent que la structure de détention du capital est endogène au processus
de maximisation du profit et que toutes les structures subissent la même agressivité
environnementale qui les conduit au même objectif. Cette thèse est partiellement confirmée
par Charreaux G., (1991) lorsqu’il établit que la performance des fonds propres est
indifférente à la forme organisationnelle. Jacquemin A., Ghellin E., (1978) vont dans le
même sens pour les grandes entreprises françaises.
. I-2-2. La thèse de la non neutralité structure de propriété- performance
Elle s’inscrit dans la logique des droits de propriété ou logique de la primauté des
intérêts individuels dans le comportement des partenaires sociaux. En conformité avec les
prévisions d’Adam Smith, de Berle et Means et de Jensen et Meckling, les travaux
empiriques qui y sont favorables distinguent deux principaux sens qui cohabitent : la
convergence des intérêts entre dirigeants et propriétaires lorsque , détenant ou contrôlant une
part non significative ou rien du tout, le dirigeant ne peut se passer du contrôle externe et par
conséquent recherche la performance ; l’enracinement lorsque les dirigeants , propriétaires
ou mandataires, détiennent ou contrôlent une part significative du capital, se passent du
contrôle externe et recherchent leurs propres intérêts (ou ceux de leurs mandants par transfert
des richesses) au détriment de l’intérêt général. La performance est ainsi compromise14 .
Les travaux empiriques sont, entre autres 15 , ceux de :
- Djelassi M., (1996) qui, dans le cas des entreprises françaises cotées, établit une relation
positive entre la performance et les entreprises contrôlées à actionnaire principal détenant
entre 0 et 20% du capital (convergence) et une relation négative au delà de 20%
(enracinement).
- Morck R., Schleifer A., Vishny R.W., (1988). Dans le cas des entreprises américaines,
lorsque l’actionnaire principal détient entre 0 et 5% de propriété, il y a une relation
positive avec la performance (convergence), entre 5 et 25%, elle est négative
(enracinement) et au delà de 25% elle est positive (convergence).
Ces études (I-1 et I-2), au demeurant parcellaires, sont effectuées dans un
environnement disposant de ma rché financier. Dans ce contexte, la dette et la structure de
propriété disciplinent les dirigeants. Seuls les indicateurs boursiers de performance sont
sensibles à la structure financière et à la structure de propriété face à la neutralité des
indicateurs comptables 16 .
Notre étude se particularise par l’absence des indicateurs boursiers de performance,
faute de marché financier 17 . Et nous nous posons la question de savoir si les indicateurs
comptables, les seuls utilisés dans cette recherche, continueront à être neutres (confirmation
des travaux occidentaux et américains et par là confirmation du caractère discriminant du
13
L’indice utilisé par Demsetz et Lehn est donné par l’expression logarithmique LC=log (C /(100-C) ), C étant le
pourcentage du capital détenu par le(s) principal(aux) actionnaire(s). Leech D., Leahy J.(1991) utilisent le même indice.
14
Ce lien négatif entre l’enracinement des dirigeants et la performance de l’entreprise peut être remise en cause dans une
entreprise manageriale. En effet, pour s’enraciner dans un contexte de relation d’agence, les dirigeants procèdent le plus
souvent à des investissements spécifiques liés à leur savoir-faire qui échappent au contrôle des actionnaires. Par conséquent,
ces dirigeants, qui accroissent ainsi leur capital managerial dans cette firme, ont intérêt à ne pas être licenciés et par là
évitent tout conflit avec les actionnaires en s’alignant aux objectifs de maximisation de la valeur de ces derniers.
15
Lire aussi Holderness C. G., Sheenan D. P.(1988) ; Leech D., Leahy J, (1991) ; Mourgues , 1987).
16
Les principaux indicateurs boursiers sensibles sont, le Q de Tobin (valeur de marché de la firme/valeur comptable de la
firme), le ratio de Marris (capitalisation boursière/actif net comptable), la mesure de Sharpe
( (espérance de rentabilité
boursière –taux de rentabilité sans risque)/ écart type de la rentabilité boursière). Quant aux indicateurs comptables,
généralement insensibles, il y a le taux de rentabilité économique, le taux de rentabilité d’exploitation.
17
Il faut noter que dans le cadre de l’apurement de sa dette vis à vis des entreprises et des ménages, l’Etat camerounais a
procédé à la titrisation de cette dette par émission des obligations du trésor à coupon zéro. Mais ces titres, qui sont en
principe négociables, n’ont aucun effet d’un véritable marché financier.
5
marché financier) ou cesseront de l’être face à une structure financière qui intègre dettes,
capitaux propres et structure de propriété ?
L’objet de cette étude est donc de vérifier le caractère discriminant du marché
financier dans le comportement des organisations en matière de choix de financement.
II-
Méthodologie de recherche
L’échantillon est celui de 39 entreprises installées au Cameroun et dont les actions ne
sont pas cotées. Elles sont de tailles différentes 18 et appartiennent aux trois grands secteurs
d’activité comme l’indique le tableau n° 1 ci dessous.
Tableau n°1 : Répartition sectorielle des entreprises étudiées.
Secteurs d’activité
Effectifs
%
Primaire
13
33,3
Secondaire
24
61,5
Tertiaire
2
5,2
Total
39
100
Les données exclusivement quantitatives sont issues des Déclarations Statistiques et
Fiscales (DSF) des entreprises et déposées auprès de la Direction de la Statistique et de la
Comptabilité Nationale (DSCN). Elles concernent les exercices 1996/97, 1997/98 ,1998/99 19 .
Les hypothèses, la définition des variables et l’exposé du modèle d’analyse constituent les
principaux points de cette méthodologie.
II-1. Les hypothèses
En rapport avec les prédictions de la théorie et compte tenu du contexte sans marché
financier de cette étude, les deux hypothèses suivantes peuvent être émises.
H1 : la performance de l’entreprise au Cameroun est positivement sensible à une forte
concentration du capital. En effet, Jensen M.C., Meckling W.H., (1976) montrent que
l’actionnariat diffus ne peut jouer un rôle positif sur la performance que si le marché financier
est très actif 20 . En cas d’absence de ce dernier, il est cohérent de prévoir a prio ri une
concentration du capital pour un monitoring interne et fort, propice à la performance.
H2 : la dette financière n’explique en rien la performance de l’entreprise. Sans marché
financier, les potentiels créanciers sont réticents et les entreprises, à faible taux d’endettement,
sont pour les unes performantes et les autres non performantes.
II-2. La définition des variables
A partir de notre base des données secondaires, nous avons calculé les variables de
performance ou variables à expliquer d’une part et les variables de structure financière ou
variables explicatives, d’autre part.
II-2-1. Les variables de performance
Le débat actuel sur la mesure de la performance repose sur deux approches :
l’approche actionnariale qui souffre d’une partialité et l’approche partenariale difficile à
18
Chaque entreprise ayant un effectif du personnel relativement stable au cours des trois années d’étude, 4 d’entre elles ont
moins de 50 employés, 28 ont entre 51 et 500 et 7 ont plus de 500 employés.
19
Deux raisons justifient le choix de cette période : le souci de travailler sur une période récente et la stabilité post crise
économique et ajustement monétaire (dévaluation du franc CFA par rapport au franc français).
20
Cette thèse est confirmée par Rajan R.G., Zingales L., (1995) : l’actionnariat diffus des entreprises américaines, anglaises
et canadiennes s’accompagnent d’un marché financier très actif contrairement à la concentration de l’actionnariat des
entreprises de l’Europe continentale et du Japon ayant des marchés peu actifs.
6
quantifier 21 . En effet, la première fixe comme objectif de la firme la recherche d’une valeur
qui enrichit les actionnaires considérés comme les seuls ayant des droits décisionnels
résiduels, c’est à dire des droits sur les éléments non prévus et écrits dans les contrats. La
seconde attribue ces droits décisionnels résiduels à tous les apporteurs de ressources en fixant
comme objectif de l’entreprise l’atteinte d’une valeur partagée par l’ensemble des parties
prenantes (dirigeant, salariés, clients, créanciers, actionnaires, fournisseurs, public) 22 . C’est
pourquoi la plupart des travaux empiriques sus évoquées ont distingué les indicateurs de
performance relatifs à la rémunération des actionnaires de ceux relatifs à la valeur globale de
l’entreprise.
En conformité à cette logique, et compte tenu des réalités et des contraintes liées à la
disponibilité des données, nous avons considéré deux ratios de performance que sont:
- le résultat d’exploitation/ fonds propres, le REFP;
- la valeur ajoutée/ chiffre d’affaires, la VACA.
II-2-2. Les variables de structure financière
Nous avons identifié cinq variables relatives à l’arbitrage dette- fonds propres, à la
politique d’investissement, et à la structure de propriété. Mais, la variable X5 relative à la
structure de propriété et qui respecte la procédure de mesure de la concentration du capital23 ,
est subdivisée en trois sous variables selon que la concentration est faible (X51), moyenne
(X52), ou forte (X53).
Ces variables sont donc les suivantes:
X1 : dettes à long et moyen terme /fonds propres24
X2 : dettes à court terme 25 /total actif
X3 : immobilisations brutes /total actif
X4 : immobilisations brutes /dettes à long et moyen terme
X51 = C
= 20%
X52 = 0
= C - 20%
= 30%
si
si
si
si
si
C
C
C
C
C
<
=
<
<
=
20%
20%
20%
50%
50%
21
Charreaux G., (1998), définit la valeur actionnariale comme le surplus de rente offert aux actionnaires par rapport à leurs
coûts d’opportunité. Charreaux G., Desbrières P., (1998) définissent la valeur partenariale comme étant « la différence
entre les ventes évaluées au prix d’opportunité et la somme des coûts d’opportunité pour les différents apporteurs »
22
Plusieurs différences peuvent être relevées entre les deux approches qui sont cependant plus proches que distinctes. a)
L’approche actionnariale (Shareholder) privilégie la finance alors l’approche partenariale (Stakeholder) considère l’entreprise
comme une conjonction des ressources tangibles et intangibles. b) dans la première les actionnaires sont les seuls dont la
rémunération aléatoire intervient en dernier, après que tous les autres partenaires aient été rémunérés à leur coût
d’opportunité ou rémunération établie sur le marché concurrentiel de chaque ressource apportée.. La performance apparaît
donc comme le seul moyen pour rémunérer aussi les actionnaires à ce coût. La seconde remet en cause ces droits
décisionnels résiduels attribués aux seuls actionnaires. En effet, tous les partenaires assument le risque résiduel car une perte
d’emploi (dirigeant, salariés) ou de client/fournisseur (fournisseur, client, créancier) entraîne une perte de rémunération de
l’expérience jadis bien valorisée. A titre d’exemple, en ce qui concerne le capital humain spécifique des salariés, des études
de Topel R., (1991) montrent que la perte d’emploi coûte chez un salarié 10 à 15% de baisse de rémunération dans le nouvel
emploi par suite des risques idiosyncrasique et systémique. c) l’apport des actionnaires est marginal selon l’approche
partenariale car ils peuvent diversifier leur risque par cession , transfert ou négociation de leurs titres divisibles ; ce qui n’est
pas le cas pour les autres stakeholders.
23
Nous avons adopté la mesure de concentration de Djelassi M., (1996) et de Charreaux G., (1991). 30 et 50% correspondent
à la minorité et à la majorité de blocage en France. 20% est arbitraire pour les auteurs mais reste le seuil à partir duquel le
Service des Statistiques Industrielles en France considère les prises de participations étrangères.
24
Les fonds propres comprennent le capital social, les réserves, le report à nouveau et les subventions d’équipement. Ils
peuvent être inférieurs, pour une période donnée, au capital social en cas d’importants reports à nouveaux antérieurs
déficitaires.
25
Les dettes à court terme comprennent les dettes fournisseur, les découverts bancaires, les TVA et autres impôts indirects à
verser…
7
X53 = 0
si C < 50%
= C - 50% si C = 50%
II-3- Le modèle d’analyse
Nous avons conçu deux modèles, selon que la variable dépendante est le résultat
d’exploitation sur les fonds propres (modèle 1) ou que cette variable est la valeur ajoutée sur
le chiffre d’affaires (modèle 2).
Nous pouvons donc écrire :
Modèle 1
REFP = f (Xi, i= 1 à 5 )
Modèle 2
VACA = f (Xi, i= 1 à 5 )
Après avoir testé les corrélations de Pearson entre les variables explicatives année par
année, nous avons procédé à la régression multiple 26 pour chacun des deux modèles année
par année.
III-
Les résultats
La corrélation de Pearson appropriée à nos données quantitatives montre une
indépendance des variables explicatives au cours des trois années d’étude car même la
corrélation apparemment significative au seuil de 1% entre X2 et X3 du tableau n°2 suivant
n’est pas à considérer dans l’ensemble.
Tableau n°2 : Corrélation de Pearson au seuil de 1% entre variables explicatives.
Année
1996/97
1997/98
1998/99
Variable (s)
Aucune corrélation
Aucune corrélation
X2
X3
-0,540 (0,000)
L’indépendance entre variables explicatives établie, nous avons poursuivi l’étude en
les introduisant toutes dans la régression multiple 27 .
Les résultats du modèle 1 sont donnés dans le tableau n°3 suivant.
Tableau n°3 : La régression multiple selon le modèle 1 (le REFP est la variable dépendante)
Années
1996/97
Variables béta
retenues
X1
-0,718a
Sign. du R2
modèle
a
0,536
R2 ajusté
F
DW
0,465
7 ,611
1,521
26
Presque toutes les études empiriques sus indiquées ont utilisé la régression multiple avec des tests de corrélation de
Pearson (Charreaux G., Demsetz H.et Lehn K., Djelassi M, ….)
27
Dans toutes les entreprises de l’échantillon, il y a une forte concentration du capital social. Ce qui se traduit par la
constance des variables X51 et X52 avec des valeurs respectives de 20 et 30 et les valeurs non nulles de X53. Pour cette
raison, le logiciel SPSS 10.1 utilisé a donc supprimé les variables X51 et X52 dans l’analyse des deux modèles (voir annexe)
8
1997/98
19998/99
Aucune variable explicative n’est significative.
X2
0,798a
a
0,354
0,256
3,614
X3
0,472b
N.B a : significatif au seuil de 1% ; b : significatif au seuil de 5% ;
1,787
Les résultats du modèle 2 sont donnés dans le tableau n°4 suivant.
Tableau n°4 : La régression multiple selon le modèle 2 (la VACA est la variable dépendante)
Années
1996/97
1997/98
1998/99
N.B.
Variables béta
Sign. du R2
R2 ajusté
retenues
modèle
X2
-0,414a
b
0,327
0,255
X3
0,311b
X5.3
0,331b
X2
-0,449a
a
0,433
0,347
X3
0,372b
X5.3
0,406a
X2
-0,702a
a
0,484
0,405
a : significatif au seuil de 1% ; b : significatif au seuil de 5% ;
F
DW
3,207
2,160
5,044
2,218
6,179
1,817
Au regard du tableau n°3, la variable X1 est la seule qui, en 1996/97, explique en sens
inverse la variable REFP à un seuil de 1%. Autrement dit, il existe pour cette année une
relation négative entre le taux d’endettement et la richesse des actionnaires. L’endettement
apparaît ainsi comme un obstacle à l’épanouissement des actionnaires. En l’absence de
marché financier, l’augmentation du taux d’endettement entraîne une extraversion financière
de la firme qui n’a aucun impact disciplinaire (pas de réduction des coûts d’agence des fonds
propres) mais au contraire engendre des coûts (intérêts et frais divers liés à la dette)
défavorables à la rémunération des fonds propres.
En 1997/98, la richesse des actionnaires est complètement indépendante de la structure
financière.
En 1998/99, ce sont les dettes d’exploitation (X2) et les immobilisations (X3) qui
expliquent positivement la richesse des actionnaires. Les premières, constituant des moyens
de financement à court terme (dettes fournisseurs, TVA et autres impôts indirects à verser,
découverts bancaires,…), auraient, au regard de leur importance, entraîné une hausse de la
rentabilité économique ( et partant un effet de levier financier positif) suite à l’acquisition des
nouvelles immobilisations.
Le tableau n°4 montre que la richesse globale de l’entreprise est :
- sensible, en sens opposé, aux dettes d’exploitation (X2). En effet, les coefficients de X2
sont tous négatifs, croissants en valeur absolue entre 1996 et 1999 et significatifs au seuil
de 1%. Les dettes à court terme sont ainsi destructrices de valeur. En référence aux
données de base, ces dettes sont dans la plupart des cas supérieures à l’actif circulant. Ce
qui occasionne un déséquilibre financier tant au niveau du fonds de roulement que du
besoin en fonds de roulement 28 .
- faiblement sensible aux immobilisations brutes 29 . Au seuil de 5%, l’augmentation des
immobilisations a davantage conduit à un accroissement de la performance globale entre
28
Les dettes à court terme étant supérieures à l’actif circulant, les capitaux permanents sont inférieurs à l’actif immobilisé et
le fonds de roulement est négatif. Par ailleurs, au lieu d’un besoin en fonds de roulement, on assiste à un excès en fonds de
roulement car les dettes à court terme dépassent les stocks et créances d’exploitation.
29
Les immobilisations utilisées dans ce travail sont brutes. Sur le plan d’une analyse financière, elles présentent un avantage
par rapport à une évaluation au net car les amortissements sont, entre autres raisons, des moyens de financement antérieurs à
l’échéance de remplacement des outils de production pour lesquels ils ont été constitués.
9
1996/97 et 1997/98 (Coefficients respectifs de 0,311 et 0,372). A l’observation des
données brutes, on remarque que cette hausse des immobilisations se traduit par de
nouvelles acquisitions plus productives.
- sensible à une forte concentration du capital, (X53), au seuil de 5% en 1996/97 et au
seuil de 1% en 1997/98 avec des coefficients respectifs de 0,331 et 0,406 . La forte
concentration, en tant qu’un moyen de contrôle en interne en l’absence du marché
financier, s’avère relativement efficace pour la création de la valeur globale de
l’entreprise.
Au total, , et nonobstant ces quelques relations très peu significatives dans l’ensemble,
les entreprises au Cameroun militent plus pour la neutralité des indicateurs comptables de la
performance face à la structure financière. Pour mieux comprendre cette réalité, il est
nécessaire d’analyser successivement la structure des dettes et celle de propriété des
entreprises étudiées.
L’analyse de la structure des dettes financières des entreprises étudiées.
Il se dégage deux constats :
1) les entreprises au Cameroun tendent à un financement à dettes financières minimales.
Sur l’ensemble des trois années, les dettes financières représentent à peine 35% des fonds
propres. En plus, sur les 39 entreprises, les dettes financières sont nulles pour 14 entreprises
en 1996/97, pour 13 en 1997/98 et pour 16 en 1998/99. Les grandes industries sont les plus
concernées (10/14 en 1996/97, 10/13 en1997/98, 12/16 en1998/99) surtout lorsqu’elles sont
contrôlées par les firmes étrangères (9/14 en 1996/97, 8/13 en1997/98, 8/16 en1998/99).
2) le système financier bancaire étant en restructuration permanente au lendemain d’une
crise économique, le manque de confiance mutuelle environnement- banque, amplifié par
une asymétrie informationnelle grandissante, les taux débiteurs élevés et l’instabilité de
l’actionnariat et des dirigeants des banques, entre autres, ne peuvent favoriser un
endettement intermédié.
La dette financière de long terme est donc neutre dans l’explication de la performance
car les actionnaires, dans le but de contrôler en interne et de se partager sans arbitre les
rentes, préfèrent un financement en fonds propres. Nous pouvons parler, à l’inverse de
Modigliani et Miller, d’un financement à dette zéro au regard de l’opacité que représente la
structure de propriété. La thèse de MM et les résultats obtenus au Cameroun ne sont pas
cependant contradictoires car la première se conclut dans un environnement avec marché
financier et les seconds dans un contexte sans ce marché 30 . L’hypothèse 2, selon laquelle la
dette financière n’explique en rien la performance de l’entreprise, est ainsi validée.
L’analyse de la structure de propriété
Elle se fait en terme de concentration et de l’identité de l’actionnaire principal.
1) en terme de concentration . S’il y a un trait commun caractéristique des entreprises
étudiées, c’est la forte concentration du capital social entre les mains d’un seul
actionnaire. En effet, X53 étant non nulle et sa moyenne sur les trois années étant de
33.75, cela signifie qu’en moyenne l’actionnaire principal de l’échantillon détient
83,75%31 du capital. En outre, dans plus de 50% des entreprises, l’actionnaire principal
détient plus de 90% du capital avec des actionnaires minoritaires en détenant moins de
2%32 . Ceci conforte les prévisions de Jensen M.C. et Meckling W.H. selon lesquelles la
30
L’économie due à la déductibilité fiscale des frais financiers, qui reste valable au Cameroun, serait moins importante que
les coûts générés par un endettement bancaire dans une optique où la banque ne discipline en rien les dirigeants des
entreprises éventuellement endettées.
31
Ce chiffre est obtenu en additionnant les trois moyennes de 20%, de 30% et de 33,75% respectivement pour X51, X52,
X53 ; X51 et X52 étant constantes et égales à 20 et 30% au cours des trois années d’étude.
32
La présence des actionnaires fortement minoritaires dénote la valeur stratégique de tels actionnaires qui sont soit des
nationaux privés lorsque l’actionnaire principal est une société privée étrangère, soit cette dernière lorsque l’actionnaire
principal est un privé camerounais. L’actionnaire minoritaire a ainsi un investissement stratégique dont le surplus sur la
10
diffusion du capital n’est favorable qu’en présence d’un marché financier très actif (cas
des USA) et la concentration33 en cas de marché peu actif (cas de l’Europe continentale)
ou à l’extrême de l’absence de ce marché (cas du Cameroun). L’hypothèse 1, selon
laquelle la performance de l’entreprise au Cameroun est positivement sensible à une forte
concentration du capital, est validée en ce qui concerne la valeur globale de l’entreprise
mais ne l’est pas pour la richesse des actionnaires.
2) En terme de l’identité de l’actionnaire principal. Ce dernier est soit une entreprise privée
étrangère soit une personne physique ou morale de nationalité camerounaise. Lorsqu’il
s’agit d’une société étrangère , sa part du capital est d’au moins de 95%. Cette société,
généralement multinationale, et à défaut d’un marché financier disciplinaire, contrôle les
dirigeants de sa filiale par le marché interne du groupe. Lorsqu’il s’agit d’une personne
privée camerounaise, l’entreprise s’assimile plus à une famille 34 qui entretient son réseau
de confiance à travers un noyau ombilical ou relationnel35 dont la stabilité dépend du
niveau de cont rôle exercé dans l’entreprise, reflet de sa part sociale.
Conclusion
L’objet de cette recherche était d’apprécier le caractère discriminant du marché financier
dans le comportement des organisations en matière de choix de financement. Si les
indicateurs boursiers de la performance (Q de Tobin, ratio de Marris, l’indice de Sharpe…)
sont sensibles à la dette financière et à la concentration du capital dans un contexte avec
marché financier,
les deux principaux résultats suivants, loin de s’écarter des ces
conclusions, les confirment dans un contexte sans marché financier comme le Cameroun :
- l’endettement n’a aucune influence sur la performance de l’entreprise, qu’il s’agisse en
terme d’enrichissement des actionnaires qu’en terme de la valeur globale de l’entreprise.
- la concentration du capital a un effet positif relatif sur la valeur globale de l’entreprise.
Par rapport à la théorie et aux travaux empiriques nos résultats en sont différents mais
les corroborent. Nous pouvons relever que l’absence du marché financier est à l’origine du
manque des indicateurs boursiers de performance jadis sensibles à la structure financière et à
la structure de propriété dans les premiers travaux. En outre, la richesse des actionnaires
passerait donc par des ajustements appropriés de leur portefeuille sur le marché financier par
diversification de leur risque, propice à des gains additionnels. En retenant la valeur
actionnariale, la thèse de la neutralité prime. En retenant la valeur globale, il y a une relative
convergence entre la forte concentration du capital et la performance.
Par ailleurs, d’autres points essentiels peuvent être relevés :
valeur-placement matérialise la complémentarité recherchée et qui stabilise la structure de propriété. (Pour plus de détails sur
la valeur stratégique de l’actionnaire minoritaire , on peut se reporter à Caby J. et Hirigoyen G., 2001, p.10-14 ).
Par ailleurs, dans ces entreprises dites contrôlées, les transferts des richesses à l’actionnaire majoritaire par enracinement des
dirigeants (Johnson S. et al., 2000, parlent de Siphonnage ) n’empêchent pas aux actionnaires fortement minoritaires de
rester aussi longtemps dans l’entreprise dès lors que leurs objectifs généralement non financiers relatifs à un apprentissage
organisationnel, à la diffusion d’une nouvelle technologie …seront atteints (Hamel G. et al., 1989, etc)
33
Mtanios R., Paquerot M., (1999) montrent que la concentration est un moyen de contrôle efficace car en cas de dispersion
de l’actionnariat, dans le contexte français, les actionnaires individuels se comportent en passagers clandestins dans la mesure
où seulement 4% se déplacent pour les assemblées générales et 43% d’entre eux votent par correspondance.
34
Allouche J., Amann B., (1998, p.144) parlent de société familiste ou société de défiance pour signifier une société dont la
famille est à la base de l’organisation économique. Au Cameroun, généralement, les principaux responsables ont des
relations de famille ou ethniques avec le principal actionnaire privée de nationalité camerounaise.
35
En l’absence de marché financier accompagnée d’une forte concentration du capital, seule la structure de propriété
détermine et domine les autres mécanismes de contrôle que sont le conseil d’administration et le marché des cadres.
11
-
les entreprises au Cameroun, qu’il s’agisse des filiales des grands groupes étrangers ou
des entreprises sous l’emprise d’une famille camerounaise, sont fortement concentrées et
réfractaires à l’endettement financier. Nous pouvons parler d’un financement
hiérarchique à autofinancement toujours presque suffisant où la dette financière est
marginalisée et l’émission des actions nouvelles inexistante au regard de la constance du
capital social et de la stabilité de la structure de propriété dans le temps.
- la mise en exergue de la valeur stratégique des actionnaires à la recherche des
complémentarités à l’heure de l’émergence des actifs intangibles dans les entreprises 36 .
En somme, cette étude confirme le caractère discriminant du marché financier car sans
indicateurs boursiers la structure financière n’explique pas la performance .
Ces conclusions suscitent plusieurs interrogations qui constituent des éventuelles pistes de
recherches ultérieures :
- quel arbitrage fera l’entreprise familiale camerounaise entre un financement par tontine
jusqu’ici privilégié et correspondant aux us et coutumes communautaires et les
opportunités libérales d’un financement desintermédié qu’offriront les bourses de valeurs
de Douala et de Libreville?
- Une filiale au Cameroun réagira- t- elle par rapport au marché financier du siège ou à
celui de son territoire d’accueil ? autrement dit quelle sera l’impact de la bourse de
Douala sur le financement desintermédié des filiales locales ?
Sans préjuger les résultats de ces interrogations, peut- être cheminerons nous vers cette
assertion de Glais M. (1984, p.87) selon laquelle «Pour soutenir son activité de longue
période, l’entreprise doit disposer d’un certain volume de capitaux permanents. La répartition
de ces capitaux entre fonds propres et fonds empruntés est un problème relativement
secondaire par rapport à la question fondamentale : les résultats de l’entreprise sont- ils
suffisants pour prendre le risque et la peine d’y investir des moyens financiers ? ».
Cette recherche présente des limites liées notamment à la faible taille de l’échantillon et à sa
répartition sectorielle, au nombre limité des variables et d’années d’étude . Toutes ces
insuffisantes sont dues à l’indisponibilité des données.
Annexe ( principaux résultats)
Régression 96/97 le REFP est la variable dépendante
Avertissements
N.B : Pour les deux modèles, les variables suivantes sont des constantes ou comportent des corrélations manquantes : X5_1, X5_2. Elles seront
supprimées de l'analyse.
Récapitulatif du modèle(b,c)
36
Lorsque le capital n’est pas détenu à 100% par un seul , il est partagé de façon fortement disproportionnée entre les
Camerounais et les Etrangers. Si l’actionnaire majoritaire est Camerounais, le minoritaire est Etranger et vis versa. Dans 5
entreprises étudiées, les actionnaires minoritaires détiennent au maximum 0,5% du capital ; dans 6, ils détiennent entre 0,5 et
10%. La stabilité d’une telle structure de propriété est un signe de complémentarité et des apports intangibles des actionnaires
minoritaires et traduit un jeu gagnant-gagnant entre les différents actionnaires.
12
Changement dans
les statistiques
R
Modèle
ANNÉE = 1996/97
(sélectionné)
ANNÉE ~= 1996/97
(non séselectionné)
R- deux
R- deux
ajusté
Erreur standard de
l'estimation
Variation
de F
ddl 2
Statistique de
Durbin- Watson
ANNÉE = 1996/97
(sélectionné)
1
,732(a)
,005
,536
,465 ,274462206340991
7,611
33
a Valeurs prédites : (constantes), X5_3, X1=11/7, X3=9/8, X2=12/8, X4=9/11
b Sauf indication contraire, les statistiques sont basées uniquement sur les observations pour l esquelles ANNÉE = 1996/97.
c Variable dépendante : Y1=3/7
1,521
Seule la variable X1 est significative au seuil de 1% avec un coefficient standardisé de - 0, 718
Régression 97/98 le REFP est la variable dépendante
Récapitulatif du modèle(b,c)
Changement dans
les statistiques
R
Modèle
ANNÉE = 1997/98
(sélectionné)
ANNÉE ~= 1997/98
(non séselectionné)
R- deux
R- deux
ajusté
Erreur standard de
l'estimation
Varia tion
de F
ddl 2
Statistique de
Durbin- Watson
ANNÉE = 1997/98
(sélectionné)
1
,270(a)
,055
,073
-,067 ,263088996536091
,520
33
a Valeurs prédites : (constantes), X5_3, X1=11/7, X3=9/8, X4=9/11, X2=12/8
b Sauf indication contraire, les statistiques sont basées uniquement sur le s observations pour lesquelles ANNÉE = 1997/98.
c Variable dépendante : Y1=3/7
1,993
Aucune variable explicative n’est significative au seuil de 5%
Régression 98/99 le REFP est la variable dépendante
Récapitulatif du modèle(b,c)
Changement dans
les statistiques
R
Modèle
ANNÉE = 1998/99
(sélectionné)
ANNÉE ~= 1998/99
(non séselectionné)
R- deux
R- deux
ajusté
Erreur standard de
l'estimation
Variation
de F
ddl 2
Statistique de
Durbin- Watson
ANNÉE = 1998/99
(sélectionné)
1
,595(a) .
,354
,256 1,703835131786035
3,614
33
a Valeurs prédites : (constantes), X5_3, X3=9/8, X1=11/7, X4=9/11, X2=12/8
b Sauf indication contraire, les statistiques sont basées uniquement sur les observations pour lesquelles ANNÉE = 1998/99.
c Variable dépendante : Y1=3/7
1,787
La v variable X2 est significative au seuil de 1%avec un coefficient standardisé de 0,798 et la variable X3 au seuil de 5% avec un
coefficient standardisé de 0, 472.
13
Régression 96/97 la VACA est la variable dépendante
Récapitulatif du modèle(b,c)
Changement dans
les statistiques
R
Modèle
ANNÉE = 1996/97
(sélectionné)
ANNÉE ~= 1996/97
(non séselectionné)
R- deux
R- deux
ajusté
Erreur standard de
l'estimation
Variation
de F
ddl 2
2
,572(a)
,562
,327
,225
,123362471109
3,207
33
a Valeurs prédites : (constantes), X5_3, X1=11/7, X3=9/8, X2=12/8, X4=9/11
b Sauf indication contraire, les statistiques sont basées uniquement sur les observations pour lesquelles ANNÉE = 1996/97.
c Variable dépendante : Y2=5/4
Statistique de
Durbin- Watson
ANNÉE = 1996/97
(sélectionné)
2,160
La variable X2 est significative au seuil de 1% avecun coefficient standardisé de –0, 414, la variable X3 au seuil de 5% avec un coefficient
standardisé de 0,311 et la variable X5_3 au seuil de 5% avec un coefficient standardisé de 0,331.
Régression 97/98 la VACA est la variable dépendante
Récapitulatif du modèle(b,c)
Changement dans
les statistiques
R
Modèle
ANNÉE = 1997/98
(sélectionné)
ANNÉE ~= 1997/98
(non séselectionné)
R- deux
R- deux
ajusté
Erreur standard de
l'estimation
Variation
de F
ddl 2
2
,658(a)
,590
,433
,347
,126465201114
5,044
33
a Valeurs prédites : (constantes), X5_3, X1=11/7, X3=9/8, X4=9/11, X2=12/8
b Sauf indication contraire, les statistiques sont basées uniquement sur les observations pour lesquelles ANNÉE = 1997/98.
c Variable dépendante : Y2=5/4
Statistique de
Durbin- Watson
ANNÉE = 1997/98
(sélectionné)
2,218
La variable X2 est significative au seuil 1% avec un coefficient standardisé de –0,449 ; la variable X3 au seuil de 5% avec un coefficient
standardisé de0,372 et la variable X5_3 au seuil de 1% avec un coefficient standardisé de 0,406.
Régression 98/99 la VACA est la variable dépendante
Récapitulatif du modèle(b,c)
Changement dans
les statistiques
R
Modèle
ANNÉE = 1998/99
(sélectionné)
ANNÉE ~= 1998/99
(non séselectionné)
R- deux
R- deux
ajusté
Erreur standard de
l'estimation
Variation
de F
ddl 2
2
,695(a)
,496
,484
,405
,212362728515
6,179
33
a Valeurs prédites : (constantes), X5_3, X3=9/8, X1=11/7, X4=9/11, X2=12/8
b Sauf indication contraire, les statistiques sont basées uniquement sur les observations pour lesquelles ANNÉE = 1998/99.
c Variable dépendante : Y2=5/4
Statistique de
Durbin- Watson
ANNÉE = 1998/99
(sélectionné)
1,817
Seule la variable X2 est significative au seuil de 1% avec un coefficient standardisé de –0,702.
14
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