Ludovic OBIANG
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A moins que nous souscrivions à l’hypothèse de Claire L. Dehon
selon laquelle il existerait une forme spécifique de « réalisme » africain,
au modèle du réalisme « merveilleux » qui aujourd’hui encore distingue
nombreux romans antillais :
Le lecteur occidental doit donc s’attendre à ce que les éléments constitutifs
du réalisme africain ne ressemblent pas tous à ceux qui existent dans la littérature
française, ni qu’ils soient employés de la même manière et dans les mêmes buts, ni
que le mode suive une évolution identique7.
Les descriptions dans le roman gabonais peuvent sembler, en
effet, insuffisantes, lapidaires, dotées de caractérisations souvent
allusives, métaphoriques et métonymiques. Ainsi Ferdinand Allogho-
Oke peut-il affirmer que la rue du village de Mba-Ngôme était aussi droite
que « la raie d’un Yorouba en pleine fête. »8 Pour Okoumba-Nkoghe, les
villages « kanigui » d’Alélé et de Ngabaama se caractérisent presque
exclusivement par leurs « toits de paille », au point que ce trait descriptif
se confonde dans l’esprit du narrateur avec les noms de ces villages.
Pour Auguste Moussirou, le village n’existe plus que par le nom
(Mourindi, Mwalo) et par la présence d’une aïeule aimante qui en
entretient la flamme mythologique. Pour Armel Nguimbi Bissielou, le
village est un poste où l’on fait escale le long d’un trajet semé
littérature africaine en général. Cette littérature présentée pendant longtemps comme réaliste
par excellence n’est-elle pas plutôt le chantre d’une certaine vision du monde,
conventionnelle et entendue ? Nous pensons nous que la réalité africaine est beaucoup plus
riche et complexe que ne le révèle la littérature « idéologique » qui a prévalu jusqu’à présent.
Le monde du « surnaturel », qui double l’univers africain mérit,e par exemple, d’être mieux
appréhendé par les écrivains.
7 Claire L. DEHON, Le réalisme africain, le roman francophone en Afrique subsaharienne, Paris,
L’Harmattan 2002, p17. Dans cette œuvre qui pêche quelquefois par son côté péremptoire et
souvent schématique, Claire DEHON, s’attache à enraciner le réalisme dans l’histoire
politique de l’Afrique et à souligner les manifestations aussi bien matinales que récentes de
cette forme particulière de réalisme. L’enjeu d’un tel postulat est qu’il peut soit totalement
désincarner la notion de « réalisme » soit favoriser une complexification et de la notion et de la
théorie littéraire en général. L’auteur penche pour la seconde option. Ce qui l’amène à
construire une véritable poétique du roman africain qui privilégie l’indice, la métaphore et le
positionnement idéologique au détriment de la précision picturale et même chirurgicale qui
caractérisait les réalistes du XIXè en France.
8 Ferdinand ALLOGHO-OKE, Biboubouah, chroniques équatoriales, Paris, L’Harmattan, 1985,
p. 18.