La Lettre du Rhumatologue - n° 249 - février 1999
23
Il est donc capital de distinguer :
1. Les fractures par insuffisance osseuse transitoire d’effort
qui surviennent sur un os normal, mais soumis à des contraintes
anormales. Elles compliquent le “syndrome d’insuffisance
osseuse transitoire d’effort” (SIOTE), véritable maladie d’adap-
tation de l’os à l’effort.
2. Les “fractures par insuffisance osseuse ostéoporotique
(FIOO), qui surviennent sur un os anormal, raréfié, pour une acti-
vité normale (un exemple courant est fourni par les fractures com-
pliquant l’ostéoporose post-ménopausique).
3. Les fractures de contrainte, qui surviennent sur un squelette
modifié dans son architecture (après notamment pose de prothèse
articulaire), pour une activité physique normale.
À côté de ces trois affections, il faut signaler les fractures par
insuffisance osseuse transitoire algodystrophique (6), qui sur-
viennent sur un os raréfié de façon transitoire (à la phase hyper-
ostéoclastique de l’algodystrophie) ; un exemple en est fourni par
les fractures au cours de l’algodystrophie de la grossesse qui sur-
viennent dans 14 % des cas (7).
À ce propos, il faut ajouter que si l’algodystrophie peut se com-
pliquer de fracture, les fractures par insuffisance osseuse transi-
toire d’effort (FIOTE) peuvent se compliquer d’algodystrophie (8).
Cette distinction entre les différents types de fractures par insuf-
fisance osseuse constitue une clarification très utile, voire indis-
pensable, pour sortir de la fâcheuse confusion actuelle.
En ce qui concerne les fractures par insuffisance osseuse transi-
toire d’effort, s’il existe, comme l’ont montré notamment Pouillès
et coll. (9), une déminéralisation diffuse de type ostéoporotique
mesurée au col fémoral chez les jeunes recrues soumises à un
entraînement intensif ayant eu une fissure, quel qu’en soit le site,
non retrouvée chez les contrôles n’ayant pas eu de fissure pour
le même entraînement, il faut remarquer que le nombre de sujets
subissant un tel entraînement intensif et présentant ce type de
pathologie peut aller, suivant l’intensité de cet entraînement, jus-
qu’à plus de 50 % de l’effectif (Volpin) (10).
Une telle proportion de sujets pouvant présenter des FIOTE en
fonction de l’intensité de l’entraînement physique est tout à fait
en faveur d’une pathologie liée à une exagération du processus
physiologique du remodelage osseux chez des sujets normaux.
Ce sont vraisemblablement les sujets ayant un pic de masse
osseuse plus faible, quoique dans les limites de la normale, qui
présentent les premiers cette pathologie liée à l’intensité et au
caractère inhabituel et répété des efforts physiques (la répartition
des pics de masse osseuse dans une population normale étant de
type “gaussien”).
D’ailleurs, un travail de Carbon et coll. (11) a montré que la den-
sité osseuse des femmes athlètes de haut niveau ayant des “frac-
tures de fatigue” n’était pas différente de celle des témoins n’ayant
pas eu de fracture. Les auteurs concluent que les “fractures de
fatigue” chez les femmes athlètes de haut niveau sont largement
indépendantes de la densité minérale osseuse.
Il est donc capital, tant du point de vue théorique que pratique,
notamment pour la prise en charge thérapeutique, de distinguer
fondamentalement les fractures par insuffisance osseuse transi-
toire d’effort des fractures par insuffisance osseuse ostéoporo-
tique, que l’on pourrait aussi appeler fractures par insuffisance
osseuse chronique, dont la fracture n’est qu’un épisode d’une
maladie chronique nécessitant une prise en charge et un traite-
ment très prolongés.
CONCLUSION
Les “fractures de fatigue”, que nous proposons d’appeler doré-
navant “fractures par insuffisance osseuse transitoire d’effort” (à
distinguer formellement des fractures par insuffisance ostéopo-
rotique, car le traitement et le pronostic en sont totalement diffé-
rents), ne devraient plus être observées, ou ne l’être que de façon
exceptionnelle.
Le diagnostic de cette affection devrait être posé dorénavant au
stade du “syndrome d’insuffisance osseuse transitoire d’effort”,
le traitement précoce par mise en décharge totale de 4 à 6 semaines
avec guérison totale et définitive (qui confirme s’il en était besoin
le diagnostic) étant la meilleure prévention de la complication
représentée par la FIOTE. ■
RÉFÉRENCES BIBLIOGRAPHIQUES
1. Pauzat J.E. De la périostite ostéoplasique des métatarsiens à la suite des
marches. Arch Med Pharm Milit 1987 ; 10 : 337-53.
2. Doury P. Les fractures de fatigue (ou maladie de Pauzat) chez les sportifs.
J Traum Sport 1988 ; 5 : 218-26.
3. Beret E. Fractures de contrainte longitudinale du tibia : sémiologie IRM, à
propos de 13 cas. Thèse médecine Dijon, 1993.
4. Li G., Zhang S., Hen H., Chen A. Radiographic and histologic analyses of
stress fractures in rabbit tibia. Am Sports Med 1985 ; 13 : 285-94.
5.
Casez J.P., Fischer S., Stussi E., Stalder H., Gerber A., Delmas P.D., Colombo
J.P.,
Jaeger P. Bone 1995 ; 17 (3) : 211-9.
6. Lechevalier D., Perard D., Guillemot C., Bergamasco P., Magnin J., Eulry F.
Quatre algodystrophies des membres inférieurs compliquées de fractures. Rev
Rhum 1997 ; 73 : 1000-4.
7. Doury P. L’algodystrophie de la grossesse et du post-partum. Sem Hop Paris
1996 ; 72 : 117-24.
8. Doury P., Pattin S., Eulry F,. Leloire O., Aboukrat P., Rolland Y. Fractures de
fatigue du col fémoral suivies d’algodystrophies. Rev Rhum 1987 ; 54 : 425-7.
9. Pouillès J.M. Fractures de fatigue de l’adulte jeune. À propos de 22 observa-
tions avec mesure de la densité osseuse. Thèse doctorat en médecine, Toulouse
1986.
10. Volpin G., Milgrom C., Goldscher D., Stein H., Phil D. Stress fractures of the
sacrum following streneous activity. Clin Orthop 1989 ; 243 : 184-7.
11. Carbon R., Sambrook P.N., Deakin V., Fricker P., Eisman J.A., Kelly P.,
Maguire K., Yeates M.G. Bone density of elite female athletes with stress frac-
M
ISE AU POINT