Le syndrome d insuffisance osseuse transitoire d effort

La Lettre du Rhumatologue - n° 249 - février 1999
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n 1887, J.E. Pauzat décrivait une nouvelle entité qu’il
nommait “périostite ostéoplasique des métatarsiens à
la suite des marches”. C’était, avant la découverte des
rayons X, la description magistrale, sur les seules données de
l’anamnèse soigneuse et de l’examen clinique méticuleux, d’une
affection osseuse survenant chez des sujets jeunes soumis à une
activité physique intense, inhabituelle et répétée (1).
Après la découverte des rayons X en 1895, furent décrits les signes
radiologiques caractéristiques de la phase tardive de cette curieuse
affection qui reçut diverses dénominations (fractures de marche,
fractures de fatigue, fractures de stress, fractures de contrainte,
fractures lentes...). Ces dénominations étaient basées uniquement
sur les aspects radiologiques osseux de la phase tardive et com-
pliquée de l’affection. On oublia ainsi pendant un siècle les ensei-
gnements des travaux de J.E. Pauzat. On attendait (et on attend
encore souvent !) l’apparition des signes radiologiques de la frac-
ture, complication tardive et inconstante de la maladie, pour en
faire le diagnostic.
Parfois, ces signes radiologiques étaient tellement impression-
nants et déroutants que le patient devait subir une biopsie, quand
ce n’était pas (rarement, fort heureusement) une amputation. Le
diagnostic exact de fracture “non pathologique” était fait grâce à
l’examen histopathologique !
UN DIAGNOSTIC PRÉCOCE BASÉ SUR LA CLINIQUE ET LA
SCINTIGRAPHIE
Dans la plupart des cas, le diagnostic précoce peut être fait sur
les données de l’anamnèse et de l’examen clinique avec les cri-
tères que nous avons proposés, bien qu’ils n’aient pas encore été
validés (2), sans qu’il soit utile en général de recourir à des exa-
mens onéreux et parfois déroutants (scanographie, IRM).
Ce n’est que dans des cas particuliers que la scintigraphie osseuse
s’impose. L’hyperfixation osseuse isotopique, constante et pré-
coce, est parfois caractéristique, voire pathognomonique par sa
topographie et son aspect (figures 1, 2 et 3). Dans les autres cas,
elle oriente vers les autres examens d’imagerie (scanographie
et/ou IRM), qui permettent alors d’affirmer le diagnostic dans ces
cas difficiles.
M
ISE AU POINT
Le syndrome d’insuffisance osseuse transitoire d’effort
P. Doury*
* Paris.
Le diagnostic doit être précoce, basé surtout sur la cli-
nique et éventuellement sur la scintigraphie.
La physiopathologie est caractéristique.
Il est capital de distinguer :
– les fractures par insuffisance osseuse transitoire
d’effort ;
– les fractures par insuffisance osseuse
ostéoporotique ;
– les fractures de contrainte ;
– les fractures par insuffisance osseuse algodystrophique.
Points forts
E
Figure 1. Syndrome d’insuffisance transitoire d’effort (SIOTE) du calca-
néum bilatérale (stade préradiologique). Notez les deux foyez linéaires
parallèles d’hyperfixation osseuse isotopique.
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Depuis l’introduction de l’exploration isotopique du squelette
qui permet de faire un diagnostic précoce, dès l’apparition des
premières manifestations fonctionnelles dominées par la douleur,
et la mise en œuvre du traitement précoce (mise en décharge totale
durant 4 à 6 semaines), la guérison totale et définitive peut être
obtenue avant l’apparition de la fracture, qui, dans certaines loca-
lisations comme le col du fémur, peut avoir des conséquences
sévères.
Le scanner au stade précoce n’a pas d’intérêt évident ; quant à
l’imagerie par résonance magnétique (IRM), elle montre, à ce
stade préfracturaire, des signes en faveur d’un œdème médullaire
non spécifique mais elle ne renseigne pas (contrairement à la scin-
tigraphie) sur l’existence fréquente d’autres localisations osseuses
cliniquement encore latentes.
Par ailleurs, l’IRM peut montrer, comme le scanner à un stade
tardif, le trait de fracture ; elle peut aussi montrer aussi un épais-
sissement cortical plus ou moins régulier.
Au stade précoce, qui nous intéresse davantage, l’IRM peut révé-
ler, outre l’œdème médullaire non spécifique (avec signal hétéro-
gène, mal limité, faible en T1, se rehaussant franchement après
injection de gadolinium), un œdème des parties molles (hyposi-
gnal en T1, hypersignal en T2, rehaussement après gadolinium) et
un hématome des parties molles qui serait très caractéristique (3).
UNE PHYSIOPATHOLOGIE CARACTÉRISTIQUE
Les travaux expérimentaux et histologiques de Li et coll. (4) ont
montré que cette affection se caractérise par une exagération du
processus physiologique de remodelage osseux, en relation avec
une activité physique inhabituelle, intense et répétée (l’entraîne-
ment physique des jeunes recrues militaires en est le meilleur
exemple).
L’os ainsi sollicité passe par trois stades histologiques successifs
(4) :
– congestion vasculaire,
– augmentation de la résorption ostéoclastique,
– formation d’os nouveau sans fracture visible même après une
période d’exercices importants.
À la phase de résorption ostéoclastique, si l’exercice est poursuivi,
une fracture peut survenir sur cet os transitoirement raréfié.
Ces travaux de Li et coll. ont été confirmés par des travaux ulté-
rieurs, notamment ceux de Casez et coll. (5). Ils démontrent que
des exercices physiques intenses inhabituels et répétés sont asso-
ciés à une augmentation aiguë et transitoire des marqueurs bio-
chimiques du remodelage osseux et à une diminution, également
transitoire, de la densité minérale osseuse du rachis lombaire.
Cela rend vraisemblablement compte des fractures de type “frac-
tures de fatigue” localisées à l’arc postérieur des vertèbres avec
ou sans spondylolisthésis, précédées à un stade précoce préfrac-
turaire de douleurs lombaires avec hyperfixation osseuse isoto-
pique de la région isthmique vertébrale.
Les “fractures de fatigue”, mieux dénommées “fractures par insuf-
fisance osseuse aiguë transitoire d’effort”, complication incons-
tante et tardive de cette véritable “maladie d’adaptation de l’os à
l’effort”, peuvent donc être prévenues, grâce à un diagnostic pré-
coce (dès l’apparition des douleurs qui paraissent liées à une
hyperpression intraosseuse, dès le stade de la congestion vascu-
laire osseuse), et grâce à un traitement précoce par mise en
décharge totale durant 4 à 6 semaines.
LES DIFFÉRENTES FRACTURES PAR INSUFFISANCE
OSSEUSE
L’expression “fracture de fatigue” devrait être abandonnée. Nous
proposons de la remplacer par celle de “fracture par insuffisance
osseuse transitoire d’effort” (FIOTE). L’expression “fracture de
fatigue” est, en effet, particulièrement mal choisie car :
elle invite à ne faire le diagnostic de l’affection qu’à un stade
tardif, celui de sa complication : la fracture ;
– le terme de “fatigue” est inapproprié ; il ne s’agit pas, en effet,
d’un mécanisme de “fatigue”, mais au contraire d’une réaction
osseuse, avec notamment une hyperactivité ostéoclastique
responsable d’une raréfaction osseuse transitoire et non d’une
ostéopénie.
M
ISE AU POINT
Figure 2. SIOTE du col fémoral droit : scintigraphie osseuse. Notez le
foyer linéaire transcrevical d’hyperfixation osseuse isotopique du col
fémoral droit à gauche.
Figure 3. SIOTE de l’astragale bilatérale chez un jeune sportif : scinti-
graphie osseuse. Notez l’hyperfixation osseuse isotopique du corps de
l’astragale au stade de début, préradiologique.
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Il est donc capital de distinguer :
1. Les fractures par insuffisance osseuse transitoire d’effort
qui surviennent sur un os normal, mais soumis à des contraintes
anormales. Elles compliquent le “syndrome d’insuffisance
osseuse transitoire d’effort” (SIOTE), véritable maladie d’adap-
tation de l’os à l’effort.
2. Les “fractures par insuffisance osseuse ostéoporotique
(FIOO), qui surviennent sur un os anormal, raréfié, pour une acti-
vité normale (un exemple courant est fourni par les fractures com-
pliquant l’ostéoporose post-ménopausique).
3. Les fractures de contrainte, qui surviennent sur un squelette
modifié dans son architecture (après notamment pose de prothèse
articulaire), pour une activité physique normale.
À côté de ces trois affections, il faut signaler les fractures par
insuffisance osseuse transitoire algodystrophique (6), qui sur-
viennent sur un os raréfié de façon transitoire (à la phase hyper-
ostéoclastique de l’algodystrophie) ; un exemple en est fourni par
les fractures au cours de l’algodystrophie de la grossesse qui sur-
viennent dans 14 % des cas (7).
À ce propos, il faut ajouter que si l’algodystrophie peut se com-
pliquer de fracture, les fractures par insuffisance osseuse transi-
toire d’effort (FIOTE) peuvent se compliquer d’algodystrophie (8).
Cette distinction entre les différents types de fractures par insuf-
fisance osseuse constitue une clarification très utile, voire indis-
pensable, pour sortir de la fâcheuse confusion actuelle.
En ce qui concerne les fractures par insuffisance osseuse transi-
toire d’effort, s’il existe, comme l’ont montré notamment Pouillès
et coll. (9), une déminéralisation diffuse de type ostéoporotique
mesurée au col fémoral chez les jeunes recrues soumises à un
entraînement intensif ayant eu une fissure, quel qu’en soit le site,
non retrouvée chez les contrôles n’ayant pas eu de fissure pour
le même entraînement, il faut remarquer que le nombre de sujets
subissant un tel entraînement intensif et présentant ce type de
pathologie peut aller, suivant l’intensité de cet entraînement, jus-
qu’à plus de 50 % de l’effectif (Volpin) (10).
Une telle proportion de sujets pouvant présenter des FIOTE en
fonction de l’intensité de l’entraînement physique est tout à fait
en faveur d’une pathologie liée à une exagération du processus
physiologique du remodelage osseux chez des sujets normaux.
Ce sont vraisemblablement les sujets ayant un pic de masse
osseuse plus faible, quoique dans les limites de la normale, qui
présentent les premiers cette pathologie liée à l’intensité et au
caractère inhabituel et répété des efforts physiques (la répartition
des pics de masse osseuse dans une population normale étant de
type “gaussien”).
D’ailleurs, un travail de Carbon et coll. (11) a montré que la den-
sité osseuse des femmes athlètes de haut niveau ayant des “frac-
tures de fatigue” n’était pas différente de celle des témoins n’ayant
pas eu de fracture. Les auteurs concluent que les “fractures de
fatigue” chez les femmes athlètes de haut niveau sont largement
indépendantes de la densité minérale osseuse.
Il est donc capital, tant du point de vue théorique que pratique,
notamment pour la prise en charge thérapeutique, de distinguer
fondamentalement les fractures par insuffisance osseuse transi-
toire d’effort des fractures par insuffisance osseuse ostéoporo-
tique, que l’on pourrait aussi appeler fractures par insuffisance
osseuse chronique, dont la fracture n’est qu’un épisode d’une
maladie chronique nécessitant une prise en charge et un traite-
ment très prolongés.
CONCLUSION
Les “fractures de fatigue”, que nous proposons d’appeler doré-
navant “fractures par insuffisance osseuse transitoire d’effort” (à
distinguer formellement des fractures par insuffisance ostéopo-
rotique, car le traitement et le pronostic en sont totalement diffé-
rents), ne devraient plus être observées, ou ne l’être que de façon
exceptionnelle.
Le diagnostic de cette affection devrait être posé dorénavant au
stade du “syndrome d’insuffisance osseuse transitoire d’effort”,
le traitement précoce par mise en décharge totale de 4 à 6 semaines
avec guérison totale et définitive (qui confirme s’il en était besoin
le diagnostic) étant la meilleure prévention de la complication
représentée par la FIOTE.
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1. Pauzat J.E. De la périostite ostéoplasique des métatarsiens à la suite des
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3. Beret E. Fractures de contrainte longitudinale du tibia : sémiologie IRM, à
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Quatre algodystrophies des membres inférieurs compliquées de fractures. Rev
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7. Doury P. L’algodystrophie de la grossesse et du post-partum. Sem Hop Paris
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10. Volpin G., Milgrom C., Goldscher D., Stein H., Phil D. Stress fractures of the
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11. Carbon R., Sambrook P.N., Deakin V., Fricker P., Eisman J.A., Kelly P.,
Maguire K., Yeates M.G. Bone density of elite female athletes with stress frac-
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